À chacun sa guerre ?
Les distances qui séparent Washington des rideaux de fer et de bambou se comptent en milliers de kilomètres : 6.000 pour la première, 12.000 pour la seconde. Paris est à moins de 1.000 kilomètres des premières unités soviétiques. Peut-on avoir du monde la même vision, à Washington et à Paris ?
Lorsque des stratèges américains pensent à la guerre, ils envisagent le monde entier, au-delà de ces deux énormes fossés que forment l’Atlantique et le Pacifique et qui les protègent contre une invasion terrestre. Il leur est loisible de concevoir une stratégie sur la plus grande échelle possible, de diviser la terre en zones d’action formant autant de compartiments relativement autonomes, de prévoir des balancements de forces de l’une à l’autre, de constituer des réserves dont l’intervention se produirait au point et au moment voulus. En un mot, il leur est possible, même devant le fait nucléaire — maintenant que la première période d’étonnement et de découverte est passée — de revenir à une stratégie d’inspiration classique, retrouvant les règles d’autrefois, mais sur un théâtre qui n’a d’autres limites pour le moment que celles du globe et de l’espace aérien qui l’entoure.
Des stratèges européens, singulièrement des stratèges français, peuvent évidemment, aussi bien que leurs collègues américains, se livrer à des spéculations élevées ; mais leurs préoccupations les plus immédiates les poussent à avoir des choses une vue qui, tout en étant plus étroite, est beaucoup plus réaliste. L’Europe occidentale est directement exposée à une invasion, qui serait normalement rapide, si elle était menée par de seules forces conventionnelles ne rencontrant devant elles que des forces similaires, mais moins nombreuses. Pour eux, le combat, dans sa réalité, domine les hautes considérations stratégiques. Il est possible que l’arbre leur cache la forêt ; mais qui ne s’inquiéterait d’abord de l’arbre qui risque de tomber brutalement sur sa tête, plutôt que de tous ceux qui sont derrière lui ?
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