Divergences franco-allemandes
Rapports franco-allemands, unité européenne, alliance atlantique : depuis de longues années, trois séries de problèmes, distincts et liés à la fois, ne cessent de s’interpénétrer. Comme il n’est pas possible de les étudier tous en quelques pages, on se contentera d’évoquer certains aspects des relations entre la France et l’Allemagne, ce qui touchera nécessairement aux questions européennes et atlantiques.
À la fin de la guerre, la plupart des Français n’aspiraient ni à la vengeance ni à une sorte de mise hors la loi définitive de tous les Allemands. Ils voulaient voir l’Allemagne réduite pour longtemps à l’impuissance, étroitement contrôlée et énergiquement « rééduquée ». La politique du général de Gaulle répondait aux vœux de la plus grande partie des électeurs et de leurs représentants. Il était compréhensible et inévitable qu’à l’agression et aux crimes commis par l’Allemagne succédât un sentiment de crainte et d’horreur à son égard. Malheureusement, en jugeant l’Allemagne comme une entité presque métaphysique, on négligeait de se préoccuper des réalités économiques, sociales et politiques d’un pays profondément bouleversé, ce qui impliquait qu’on renonçait à influencer son évolution ; et on comprenait mal la politique américaine qui consistait à relever l’Allemagne, ou du moins l’Allemagne occidentale.
À partir de 1947, date du début de la guerre froide, mais aussi du plan Marshall qui donna naissance, en 1948, à l’Organisation Européenne de Coopération Économique, beaucoup de Français eurent à concilier deux aversions. Il n’était pas facile d’être à la fois anticommuniste et antiallemand ou anticapitaliste et antiallemand. Du côté communiste, on distingua bientôt une bonne et une mauvaise Allemagne, séparées géographiquement l’une de l’autre. À l’est de l’Elbe, vivait un peuple travailleur qui se remettait rapidement de sacrifices plus grands que ceux d’aucun peuple, le peuple russe excepté. Les anticommunistes ont éprouvé de plus grandes difficultés pour adopter une attitude nette. Les Allemands de l’Est étaient bien des Allemands et il ne fallait pas s’étonner par conséquent de les voir devenir des communo-nazis. Mais ils étaient en même temps des martyrs, victimes de l’oppression soviétique. Ceux de l’Ouest pouvaient constituer de solides alliés dans la lutte anticommuniste, mais ils restaient des Allemands, c’est-à-dire des ennemis de la France. Quand s’est posée la question du réarmement allemand, un journal allemand put écrire : « Les Français souhaitent une armée allemande qui soit simultanément plus grande que l’armée russe et plus petite que l’armée française ».
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