Extrait du journal américain US News and World Report du 18 octobre 1965.
À travers les revues - La France sans l’Otan
Voici les plans de de Gaulle pour défendre la France sans l’O.T.A.N. : les avions à réaction de fabrication française peuvent frapper les villes de Russie avec des bombes atomiques. En 1968, les missiles français seront prêts. La force de frappe « Bee-sting » doit défendre la France - l’Europe aussi.
* * *
La détermination de Charles de Gaulle de mettre la France en état de se défendre sans l’aide de ses alliés commence à être payante. Avec une dépense d’environ 7 milliards et demi de dollars, pour la seule force nucléaire, la France a donné à sa défense le niveau et les perspectives ci-après :
— La France d’aujourd’hui est déjà une petite puissance nucléaire capable de répliquer à toute attaque soviétique en lançant quelques bombes atomiques sur des villes russes sélectionnées.
— En 1972, il est vraisemblable que la France sera une puissance nucléaire bien plus considérable. Bombardiers et missiles de fabrication française seront alors capables de lancer une quantité non négligeable de bombes nucléaires et thermonucléaires sur les principales villes de la Russie d’Europe.
— Aujourd’hui, la France est en train de se doter d’une force (aérienne, navale et terrestre) petite mais puissante, et cette force mettra en œuvre des armes de fabrication française. En 1970, l’Armée française sera capable de contenir, à la frontière française du Rhin, toute attaque soviétique terrestre dirigée contre l’Europe et ce, pendant un temps suffisamment long pour permettre à la France de lancer une attaque nucléaire contre les villes de Russie. À l’heure actuelle, la France concentre tous ses efforts sur la puissance nucléaire militaire et les vecteurs opérationnels. Les Français ont déjà essayé des engins atomiques en Afrique du Nord et ont à leur disposition quelques bombes atomiques du type Hiroshima. Un engin thermonucléaire français sera essayé l’an prochain dans le Pacifique. La France espère placer sur orbite son premier satellite spatial avant la fin de cette année.
Des bombardiers excellents
Les vecteurs opérationnels de la puissance nucléaire française ne comptent actuellement qu’une trentaine de bombardiers stratégiques « Mirage IV », construits en France et qualifiés d’« excellents » par les Américains. Ces avions sont construits au rythme de deux par mois. Le nombre d’avions prévu est de 63. Le rayon d’action du « Mirage IV » est d’environ 1 250 miles — plus de 2 000 miles avec ravitaillement en vol. C’est suffisant pour atteindre beaucoup de villes-clés de la Russie d’Europe, Leningrad, Kiev, Odessa et même Moscou. Le Président de la Commission de la Défense Nationale de l’Assemblée Nationale, M. Alexandre Sanguinetti, a dit en septembre que « jour et nuit le territoire français est survolé par 12 avions de la force nucléaire stratégique qui s’entraînent au ravitaillement en vol ».
La France possède une douzaine de KC-135 (avions ravitailleurs) achetés aux États-Unis.
On a déjà commencé les travaux pour l’aménagement d’environ 25 rampes de lancement de missiles dans les contreforts des Alpes françaises. On projette de construire d’autres silos dans les Vosges et le Nord-Est de la France. En 1968, les missiles de fabrication française doivent être prêts à envoyer des ogives nucléaires ou thermonucléaires sur des objectifs éloignés de 1 500 miles, mettant ainsi les villes et les zones industrielles soviétiques à leur portée.
La précision des missiles, selon les plans de de Gaulle, ne sera pas aussi poussée qu’aux États-Unis. La destruction de larges zones urbaines n’exige pas une telle précision, disent les experts américains. De plus, en 1972, la France espère avoir en service de 3 à 5 sous-marins à propulsion nucléaire, équipés de 16 missiles du type « Polaris » à ogives nucléaires. Ces sous-marins pourraient opérer dans l’Océan Arctique.
Les forces classiques française s’élèvent aujourd’hui à 520 000 hommes environ. L’Armée de l’Air française est tenue en haute estime par les experts de l’O.T.A.N., à la fois pour son équipement et pour la qualité de ses pilotes. La Marine Nationale française a la réputation d’être solide et bien adaptée à ses missions. L’Armée de Terre française, en pleine réorganisation, souffre beaucoup d’un manque de crédits, ceux-ci étant employés en priorité au développement de la force nucléaire. L’Armée de l’Air française, qui compte 113 000 hommes, utilise encore des chasseurs à réaction F-100 et des avions de reconnaissance RF-84 fabriqués aux États-Unis, mais s’équipe de plus en plus de « Mirage 3 C » et de « Mirage 3 E » conçus et construits en France. En juillet dernier, les Français ont présenté également le « R-20 », avion de reconnaissance tactique sans pilote fabriqué en France. Les Français construisent leurs propres hélicoptères militaires dont la réputation est telle que les États-Unis en ont acheté pour eux-mêmes.
Des chasseurs américains
La Marine Nationale (70 000 hommes) possède deux porte-avions et un porte-hélicoptères. Les porte-avions ont 69 appareils de construction française, chasseurs « Étendard » et avions de reconnaissance, plus 42 chasseurs « Crusader » achetés aux États-Unis. On construit, à l’heure actuelle, dans les chantiers navals français la Frégate lance-engins « Suffren ».
L’Armée de Terre française (340 000 hommes) est réorganisée de façon à fournir 6 divisions d’élite pour garder la ligne Rhin-Vosges. Ces divisions doivent être équipées vers 1970 de missiles nucléaires sol-sol de fabrication française. Au cours des 4 dernières années, la France a commandé pour 160 millions de dollars seulement d’équipement militaire américain, alors que l’estimation la plus sérieuse des dépenses françaises pour sa force nucléaire en 1970 s’élève à plus de 13 milliards. La conception de de Gaulle de « défense indépendante » est également payante dans le domaine des connaissances nucléaires à usage industriel. Un de ses atouts est que les États-Unis ne peuvent défendre le reste de l’Europe sans défendre la France. Le Président français en profite pour construire une force nucléaire indépendante. Cette force, espère-t-il, fera de la France le chef de file d’une Europe indépendante. ♦