Extrait de la conférence prononcée à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 8 janvier 1966.
Les problèmes énergétiques de l’Europe
Pendant près d’un siècle, l’Europe, et en particulier la France, ont pu assurer leur développement industriel en se servant d’une source unique tirée de leur sol, le charbon. Désormais, c’est-à-dire depuis quelques décades et pour un certain avenir, l’Europe, face à ses immenses et croissants besoins d’énergie, devra faire appel à des sources d’énergie multiples qui se concurrencent entre elles et se substituent les unes aux autres. Malgré l’emploi de ces nouvelles, sources d’énergie : gaz naturel, énergie nucléaire, l’Europe des Six (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Italie) devra, au moins jusqu’en 1980, acheter hors de ses frontières une part grandissante de son énergie. C’est sur cette toile de fond que se dessinent les deux principaux problèmes de l’approvisionnement en énergie de l’Europe. Nous serons donc amenés à nous demander au cours de cet exposé :
— d’abord, quel est le niveau d’énergie que l’Europe des Six devrait atteindre en 1980 et quelles sources d’énergie pourraient répondre à cette demande ; en somme, l’approvisionnement énergétique de l’Europe est-il assuré d’ici 1980 ?
— ensuite, selon quelles modalités, à travers quels obstacles et, si j’ose dire, par quelles séries de décisions pourrait s’opérer l’équilibre entre l’offre et la demande d’énergie en Europe. Autrement dit, quelle stratégie doit guider l’approvisionnement énergétique de la Communauté ?
L’approvisionnement énergétique de l’Europe est-il assuré d’ici 1980 ?
Si notre siècle est le siècle du développement, il est plus encore celui de la conscience de son propre développement. La croissance de la production industrielle est donc pour l’Europe une donnée à la fois politique et économique. La première question qui vient alors à l’esprit est celle-ci : quels seront les besoins en énergie de cette énorme machine industrielle que nous sommes en train de créer entre nos six pays ? La deuxième question sera : l’offre correspondant à ces besoins existe-t-elle et comment se la procurer ?
Faisons d’abord une revue des besoins.
Il y a 15 ans, en 1950, l’Europe des Six consommait moins de 300 millions de tonnes équivalent charbon ; aujourd’hui, en 1965, on estime que la consommation se monte à peu près à 600 millions de tonnes ; dans 15 ans, en 1980, nous utiliserons près de 1 200 millions de tonnes équivalent charbon. Ne croyez pas que nous sommes arrivés à ce dernier chiffre par simple application d’une règle de doublement tous les 15 ans. Nous ne nous sommes pas contentés de prolonger mécaniquement les tendances actuelles. À partir de l’évolution globale de la population et de l’emploi, nous avons estimé que l’augmentation de la production industrielle serait d’environ 5 % par an, et que celle du produit de la production nationale brute serait, par an, de 4,7 %. Comme il y a une liaison, je ne dis pas un parallélisme, entre la production industrielle, la production nationale brute et la consommation d’énergie, c’est à partir de ces indicateurs globaux que nous avons établi une première évaluation des besoins d’énergie de l’Europe.
Je dis bien une première évaluation, car une relation entre des quantités aussi globales risquerait de masquer certains facteurs, qui exigent une analyse plus fine pour tenir compte des problèmes propres aux différents secteurs économiques. Nous avons donc recoupé nos analyses globales par des études secteur par secteur. Partant de la constatation que la tendance va dans le sens d’une forte augmentation de la consommation d’électricité, nous avons distingué bien nettement, dans chaque secteur, la consommation électrique et la consommation non électrique. La confrontation des études globales et des enquêtes par secteur nous a conduit à retenir une demande d’énergie probable de l’ordre de 1 milliard 200 millions de tonnes équivalent charbon, environ. Disons que l’aiguille de notre manomètre prospectif oscille entre 1 milliard 100 et 1 milliard 200.
Qu’est-ce que l’Europe tire de son sol pour faire face à ces besoins, supérieurs à 1 milliard de tonnes équivalent charbon et que doit-elle importer ?
Le principal produit énergétique européen est évidemment, jusqu’à nouvel ordre, le charbon. Mais pour des facilités d’exposé, examinons d’abord les sources européennes d’énergie qui, en raison de techniques précises, ont des capacités de production limitées et facilement prévisibles : l’énergie hydraulique et le lignite. En 1980, ils correspondront probablement à 8 % de la demande d’énergie. Le gaz naturel et le pétrole intérieurs sont eux aussi physiquement limités par la connaissance des gisements existant en Europe. Les hydrocarbures européens jouaient jusqu’à présent un rôle fort modeste : en 1965 de l’ordre de 4 à 5 % ; en 1980 ils pourraient raisonnablement couvrir entre 12 et 15 % de nos besoins. Quant à l’énergie nucléaire, dont le rôle est actuellement négligeable pour l’ensemble de l’Europe, même avec le développement prévu par Euratom, il semble que, pour des raisons d’ordre technique, elle ne puisse couvrir plus de 7 à 8 % des besoins en 1980. Tout ceci répond à 28 à 80 % de la demande d’énergie.
Quel apport peut faire le charbon européen, longtemps base du développement industriel et noyau impératif de la sécurité de l’approvisionnement en énergie de l’Europe ? Les experts considèrent que, dans les conditions géologiques et technologiques actuelles, on envisage difficilement une production de charbon pour nos six pays qui dépasse 240 à 250 millions de tonnes, soit à peu près 20 % de nos besoins en 1980. Par ailleurs, sous la pression de la concurrence des autres produits énergétiques et principalement du fuel, et pour des motifs sur lesquels nous reviendrons tout à l’heure, relatifs au coût, tous les pays charbonniers de la Communauté envisagent une certaine régression charbonnière d’ici 1970. Pour la France, le gouvernement a fixé dans le 5e Plan la production à un niveau situé autour de 46-49 millions de tonnes, soit une réduction d’environ 10 %. Il a précisé que cet objectif devrait être « défendu », mais que néanmoins « il est susceptible de révision vers le milieu de la période en cause ». En Belgique, le Directoire charbonnier a proposé au gouvernement de décider de ramener la production en 1970 à 15-16 millions de tonnes, alors qu’elle était de 27 millions de tonnes en 1958. Aux Pays-Bas, le gouvernement a annoncé qu’il fallait s’attendre à une certaine baisse de la production au-dessous du niveau actuel de 11 millions de tonnes, par suite de l’arrivée massive de gaz naturel. En Allemagne, en application de la loi de rationalisation, les entreprises devaient déclarer avant le 31 août 1965 leurs intentions de fermeture pour pouvoir bénéficier des aides à ces fermetures. Si l’on tient compte de ces fermetures annoncées, et de l’effet en sens inverse d’une amélioration du taux d’emploi des capacités des sièges devant rester ouverts, on arrivait en Allemagne (selon nos informations de décembre 1965) à une production « escomptée » par les entreprises de 182 millions de tonnes. Plus récemment, des chiffres plus bas ont pourtant été évoqués, de l’ordre de 125 et même de 120 millions de tonnes contre 150 en 1958 et 185 millions de tonnes en 1965. Dans l’ensemble, la production charbonnière de la Communauté plafonnerait en 1970 à moins de 200 millions de tonnes, contre 220 millions en 1965. Cette tendance n’est d’ailleurs pas propre aux pays de la C.E.C.A. puisque la Grande-Bretagne, grand pays charbonnier, envisage pour 1970 une production charbonnière de l’ordre de 180 millions de tonnes contre 190 en 1965. En somme, compte tenu de ces différentes indications, l’expert sera amené à conclure qu’en 1980 le charbon communautaire fournira, disons, entre 8 et 20 % des besoins de la Communauté ; 8 % si le rythme de régression continue à la cadence actuelle, 20 % si toutes les capacités actuelles de production sont maintenues jusqu’en 1980. Si nous ajoutons à ce chiffre les 80 % environ fournis par l’hydraulique, le lignite, les hydrocarbures européens et le nucléaire à venir, nous avons à considérer que l’Europe, par ses propres moyens, sur son sol, ne pourra fournir que 85 à 50 % de ses besoins. En conséquence, l’Europe des Six devra, en 1980, acheter à l’extérieur entre 50 et 65 % de ses besoins en énergie. Or, les besoins du reste du monde vont croître considérablement, pour atteindre en 1980 plus de 10 milliards de tonnes équivalent charbon. L’Europe pourra-t-elle donc trouver à l’extérieur des ressources suffisantes en pétrole et en charbon ? Nos experts l’affirment, en raison d’énormes réserves charbonnières, en particulier aux États-Unis, et des perspectives mondiales de gaz naturel et de pétrole. D’ici 1980 nous ne nous heurterions pas, disent les experts, à une rareté physique de ces produits. L’approvisionnement de l’Europe serait possible. De toute façon, l’Europe sera amenée à acheter à l’extérieur, mais devra-t-elle importer 45 % de son énergie ou 65 % ? Le problème est grave, car en chiffre absolu cet écart correspond à plus de 200 millions de tonnes équivalent charbon.
Cette zone d’incertitude dépend très largement des rapports de coût du charbon communautaire et de celui de l’énergie importée d’une part, et d’autre part des décisions de politique énergétique, qui doivent tenir compte des contraintes sociales et de l’impératif de la sécurité.
On arrive ainsi à se demander quelle stratégie doit guider l’approvisionnement en énergie de l’Europe
M. Massé, ancien Commissaire général au Plan, a donné du mot « stratégie » la définition suivante : « Un ensemble de règles ou de décisions conditionnelles définissant les actes à accomplir en fonction de toutes les circonstances susceptibles de se présenter dans le futur ».
Jusqu’à présent nous nous sommes exprimés en termes de quantités physiques en nous fondant surtout sur les données techniques. Nous ne nous sommes pratiquement pas occupés de la question des prix et des coûts. Or, il est clair que la répartition entre énergie intérieure et énergie extérieure, et à plus forte raison l’importance du noyau charbonnier européen à maintenir, sont étroitement liées aux coûts comparatifs entre ces différentes sources d’énergie.
La politique la plus simple en apparence serait de rechercher chaque fois les énergies qui coûtent le moins cher. Voyons ce qui se passerait dans cette perspective : la structure de l’approvisionnement énergétique de l’Europe serait alors largement déterminée par les différences de coût entre charbon américain, pétrole importé et charbon européen. Quels sont actuellement les prix et les coûts de ces différentes sources d’énergie ?
Pour l’instant, les charbons européens ont des prix qui se situent très approximativement entre 14 et 18 dollars la tonne. Le charbon américain par contre arrive dans les ports européens à un prix voisin de 11 à 12 dollars la tonne. Quant au fuel, il est vendu hors taxe en Europe entre 8 et 12 dollars la tonne équivalent charbon. De sorte qu’en moyenne, je dis bien en moyenne, il existe un écart de l’ordre de 4 dollars entre l’énergie intérieure et l’énergie achetée à l’extérieur, c’est-à-dire une différence voisine de 80 % du prix.
Normalement, dans ces conditions, une assez large partie de la production communautaire de charbon devrait disparaître. En fait, les choses ne se passent pas ainsi, car les gouvernements interviennent par une protection à l’importation d’abord, ensuite par l’octroi d’aides aux charbonnages. Ils prennent donc un certain nombre de mesures qui influencent les prix de l’énergie. Ceci parce qu’une réduction trop rapide de la production charbonnière entraînerait des difficultés sociales et économiques graves dans les grands bassins de l’Europe occidentale d’une part et, d’autre part, mettrait en cause l’indépendance énergétique de l’Europe. Ainsi, actuellement, on corrige le mécanisme trop brutal des prix afin de prendre en considération certaines contraintes sociales et régionales.
Que risque de devenir cette politique dans les années à venir ? Cela dépendra très largement de l’évolution future des coûts des diverses énergies concurrentes. Pour le charbon américain, il ne semble pas qu’il faille s’attendre à une hausse de son coût rendu en Europe. En effet, l’extraction à la mine, très mécanisée, et les conditions géologiques permettront sans doute encore de nouveaux progrès. Le prix départ mine représente à peu près le tiers du coût du charbon américain rendu en Europe : entre 3,5 et 4 dollars la tonne. Le transport entre la mine et la côte américaine de l’Atlantique représente également à peu près un tiers ; là aussi des progrès, sous la pression d’une concurrence accrue, peuvent amener mie réduction sensible des coûts de transport intérieur américain. Quant aux transports transatlantiques, leurs frets, en raison de la taille sans cesse croissante des minéraliers, risquent de baisser, pour tomber en dessous de 8 dollars la tonne. Au total il ne serait pas déraisonnable d’envisager à long terme des prix rendus en Europe du charbon américain entre 11 et 13 dollars la tonne. Pour ce qui est du pétrole, les experts n’envisagent pas de hausse sensible d’ici 1970-1975 (au-delà de 2 dollars la tonne). Les prix et les coûts au-delà de 1975 sont plus incertains. Telle pourrait être la situation à envisager pour l’énergie importée.
Les charbonnages communautaires resteront encore largement des industries de main-d’œuvre ; il est probable que l’augmentation de productivité envisagée : 4,5 % par an, ce qui est considérable, sera compensée par une augmentation égale des salaires. Donc, en termes réels, les coûts dans les charbonnages européens, malgré un effort considérable de modernisation, risquent de rester à peu près stables ; ils ne diminueront pas. Par conséquent, sans augmentation des aides ou des protections, la production charbonnière européenne risquerait de tomber sensiblement au-dessous de 200 millions de tonnes par an. En tout état de cause, d’ailleurs, sous la pression de l’augmentation des rendements et de la productivité, même à production constante, les effectifs charbonniers dans les régions minières seraient amenés à décliner fortement. À plus forte raison si une baisse notable de la production s’y ajoutait. De 1957 à 1965, 200 000 mineurs ont déjà quitté la mine sur un effectif d’un million environ. À notre époque il n’est évidemment pas question de laisser s’installer dans une région un chômage structurel important ; comme il est inconcevable que l’on laisse s’éteindre la vie économique de régions entières, ce qui entraînerait des gaspillages importants puisque toute l’infrastructure économique et sociale (logements, routes, écoles) serait inutilisée. La stratégie énergétique doit donc trouver un équilibre entre le coût global que représente pour la collectivité le fait de payer son énergie plus cher ou de la subventionner et le fait de supporter le coût d’une politique de reconversion et de réadaptation dans les régions minières.
Dans une telle stratégie, un autre élément doit d’ailleurs être pris en considération à l’échelle de la Communauté : il s’agit de la sécurité d’approvisionnement, point qui intéresse en première ligne la défense nationale.
De toute façon, en 1980, l’Europe importera au moins 50 % de son énergie. Si elle réduit sa production intérieure, elle en importera 65 %. Il est évident que dans ces conditions la Communauté court un certain nombre de risques qu’on ne peut passer sous silence. D’abord un risque physique qui est celui, au sens strict du mot, de l’insécurité, de la perte de l’indépendance par la non-livraison des produits nécessaires. Une crise politique dans une région du monde peut à tout instant paralyser la production de telle ou telle zone pétrolière ou menacer la ligne d’approvisionnement : les incidents de Suez et d’Iran ne sont pas des événements si éloignés de nous. Ce risque physique incite à des parades assez faciles à imaginer : stockage, flotte de réserve pétrolière, schéma d’approvisionnement alternatif.
À ce risque physique s’ajoute un second risque, beaucoup plus difficile à estimer et aussi à atténuer : l’évolution des prix de l’énergie importée. Pour la Communauté, dans de très nombreux cas, le coût de l’énergie importée se confond avec le prix payé. Or ce prix, surtout en matière de pétrole, comporte deux éléments que nous pouvons difficilement évaluer à terme, et à plus forte raison maîtriser.
Le premier de ces éléments est ce que j’appelle le coût politique, c’est-à-dire les royalties directes ou indirectes que prélève le pays producteur. Pour nous borner à donner une indication, disons tout de suite qu’actuellement ce prix politique est, au Moyen-Orient, de l’ordre de 5 à 6 dollars la tonne.
En second lieu, le prix auquel les grandes compagnies vendent leur pétrole dépend de la politique de marché que pratiquent ces compagnies : répartition des bénéfices entre compagnies mères et filiales, constitution de réserves, etc… Or, cette politique, ou mieux cette stratégie de marché est d’autant plus forte que la concurrence entre les compagnies pétrolières est plus faible ; les compagnies poursuivent une politique quasi planétaire, dont les vues d’ailleurs souvent respectables, ne correspondent pas toujours nécessairement avec les intérêts des pays acheteurs, et en particulier avec ceux de la Communauté qui est, à l’heure actuelle, le plus grand acheteur mondial de pétrole. L’Europe, elle aussi, ne peut donc se passer d’adopter, en face des grandes compagnies et des pays producteurs, une certaine stratégie, qui impliquera une politique d’importation, de diversification, une certaine attitude vis-à-vis des compagnies indépendantes, etc.
Toujours sous l’angle de la sécurité énergétique, l’existence d’un secteur nucléaire compétitif représenterait pour l’Europe un atout majeur. Non seulement sa contribution (de l’ordre de 8 % en 1980) à la production d’énergie intérieure renforcerait la sécurité de l’approvisionnement en termes physiques ; mais surtout le développement rapide d’une source à coût relativement bas exercerait une pression utile sur les prix de l’énergie importée, au premier chef le pétrole du Moyen-Orient et le charbon américain.
Toutefois, la mise en place d’une industrie atomique ne saurait être, dans les conditions actuelles, entièrement spontanée. Elle exige des actions méditées, d’une part en raison de l’importance des investissements ; Euratom estime les investissements nécessaires pour produire 8 % des besoins totaux d’énergie en 1980, à quelque 80 milliards de dollars. D’autre part, d’importantes incertitudes persistent encore, tant sur le plan du développement industriel que sur celui de l’approvisionnement. Ce n’est vraiment que lorsque les nouvelles centrales nucléaires auront fonctionné assez longtemps que nous pourrons nous faire une idée précise de la durée réelle des équipements, donc de l’amortissement et des coûts d’entretien, bref de leur compétitivité.
La garantie d’un approvisionnement énergétique sûr et à coût assez bas pour l’énergie nucléaire dépend très largement du prix de l’approvisionnement en uranium. Or, pour l’instant les disponibilités en minerai riche d’uranium paraissent limitées et insuffisantes pour assurer un développement rapide de l’énergie nucléaire en Europe au-delà de 1980. La recherche et la prospection au prix actuel du minerai d’uranium ne semblent plus rentables ; pour qu’elles soient reprises et poursuivies elles devraient donc être encouragées par des aides en vue de la sécurité d’un approvisionnement futur de l’Europe.
Pour toutes ces raisons, l’équilibre entre l’offre et la demande ne saurait s’établir par le jeu des mécanismes automatiques du marché. Les problèmes énergétiques impliquent donc pour l’Europe un ensemble complexe et flexible de mesures regroupées dans le cadre d’une « stratégie d’ensemble » qui recouvre à la fois le charbon, le pétrole et le nucléaire, et qui tienne compte des coûts, des prix, de la situation de l’emploi et de l’indépendance énergétique de l’Europe.
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C’est sur cette indépendance énergétique de l’Europe et de la France que nous avons délibérément centré notre exposé. D’autres problèmes demeurent. Nous n’avons fait qu’une brève allusion aux répercussions sociales et d’économies régionales. La valorisation du charbon, l’avenir des mines, la situation du mineur, la rénovation des régions minières sont des questions qui ont, pour les États et les Communautés, constitué et constituent encore des préoccupations majeures. Nous en venons ainsi à nous demander quel agencement institutionnel veillera à la définition et à l’application de la stratégie énergétique à l’échelle de l’Europe. Actuellement, la matière est partagée entre six États aux structures et aux législations différentes et trois Communautés à compétences distinctes : C.E.C.A. pour le charbon, C.E.E. pour le pétrole et le gaz naturel, Euratom pour l’énergie nucléaire. Un Comité intercommunautaire de coordination des politiques énergétiques, que j’ai l’honneur de présider, a depuis cinq ans, par ses études et ses propositions, commencé à déblayer le terrain ; en particulier un premier accord sur ces problèmes a été réalisé par le Protocole du 21 avril 1964. Un nouveau progrès doit être espéré de la fusion des institutions, suivie de la fusion des Communautés.
La « fusion des institutions », décidée en principe le 8 avril 1965, a pour objectif la création d’une Commission et d’un Conseil de Ministres uniques. La fusion des Communautés devrait, dans un délai de deux ans, aboutir à un Traité unique, valable pour toute l’économie européenne. Cette transformation des institutions et cette révision des Traités intéressent au premier chef le secteur de l’énergie. Aussi, pour comprendre la portée et la difficulté des négociations qui les préparent, faut-il avoir conscience de l’importance et de la complexité des problèmes de l’énergie en Europe. ♦