Outre-mer - Coup d'État militaire au Togo - Le Gabon, second pays d'Afrique pour le Produit national brut (PNB)
Coup d’État militaire au Togo
Le 18 janvier 1968 le président de la République du Togo M. Sylvanus Olympio était assassiné, à proximité de l’ambassade américaine à Lomé, par des soldats révoltés. Dirigés par le commandant Dadjo, Chef d’état-major de l’Armée togolaise, les insurgés avaient formé un comité insurrectionnel composé d’officiers et de sous-officiers, puis avaient fait appel d’une part à M. Nicolas Grunitzky, beau-frère de M. Sylvanus Olympio, ancien Premier ministre de 1956 à 1958 et qui vivait au Dahomey depuis 1958, et d’autre part à M. Antoine Meatchi, ancien ministre de l’Agriculture (1956-1958) qui vivait au Ghana. Le soulèvement avait pour origine le mécontentement des militaires togolais démobilisés des forces armées françaises et qui n’avaient pu être repris dans l’armée togolaise. Les chefs du mouvement avaient bien précisé qu’ils n’avaient reçu d’ordre ni de l’intérieur ni de l’extérieur, qu’aucun homme politique togolais n’avait inspiré ni participé à l’organisation et à l’exécution du mouvement, et que celui-ci, exclusivement militaire, était prêt à se retirer dès que les circonstances le permettraient pour faire place à un gouvernement civil légal. En fait, dès le 16 janvier 1963, M. Grunitzky constituait un gouvernement d’union nationale et devait se maintenir au pouvoir pendant quatre ans. Toutefois, le 21 novembre 1966, ainsi que nous en avons rendu compte précédemment, une tentative de coup d’État, perpétrée par des membres du parti de l’Unité togolaise de M. Sylvanus Olympio, échouait en raison de l’attitude de l’armée et en particulier de son chef le lieutenant-colonel Eyadema. Mais le rapport des forces était désormais modifié et il était bien évident que M. Grunitzky serait obligé de tenir un plus grand compte de l’avis des militaires, notamment de leur chef, et même ne pourrait rester au pouvoir qu’autant que les militaires le permettraient.
Le 13 janvier 1967, quatre ans jour pour jour après l’assassinat de M. Sylvanus Olympio, la radio togolaise a annoncé que le lieutenant-colonel Étienne Eyadema, Chef d’état-major, avait pris le pouvoir au nom de l’Armée et écarté le président Grunitzky. Depuis plusieurs jours une campagne d’intoxication faisait état d’une imminente prise de pouvoir par l’Armée et dans la soirée du 12 janvier des rumeurs annonçaient l’arrivée prochaine à Lomé de manifestants venus de l’intérieur. Le président de la République avait réuni tous ses ministres, y compris l’ancien vice-président Antoine Meatchi, dans la nuit du 12 au 13. À une heure du matin le lieutenant-colonel Eyadema, accompagné de quelques officiers, se faisait annoncer. Une longue discussion se déroula entre le Président et le chef d’état-major. Celui-ci réussit à convaincre le Président qu’en raison du danger représenté par l’arrivée imminente de plusieurs centaines de personnes descendant en camions du Nord du pays pour manifester contre le gouvernement, une seule solution s’imposait : remettre le pouvoir à l’Armée. Finalement, vers 4 heures du matin, le président Grunitzky s’inclinait et se mettait d’accord avec le colonel Eyadema pour démissionner, remettre ses fonctions au colonel et adresser conjointement une déclaration au pays. Toutefois, dès 5 h 30, le Colonel Eyadema prenait seul la parole à la radio pour annoncer qu’il avait décidé, au nom de l’armée, de prendre le pouvoir au Togo. Après un rappel de l’histoire du Togo depuis l’indépendance, il déclarait que la division qui subsistait dans le pays risquait d’aboutir à une guerre civile et qu’en conséquence il décrétait les mesures suivantes :
– L’Armée prend le pouvoir.
– La Constitution est suspendue.
– L’Assemblée nationale est dissoute.
– Tous les prisonniers faits le 21 novembre 1966 lors du premier coup d’État seront libérés.
– Le couvre-feu est instauré dans toute la République togolaise de 20 h à 5 h.
– Le Togo reste fidèle à la charte des Nations unies, à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam) et au Conseil de l’Entente. Le gouvernement demande aux étrangers de rester neutres, la garde de leurs biens est assurée.
– L’Armée togolaise est maîtresse de la situation, n’a aucunement l’intention de garder le pouvoir et le remettra dès que les circonstances le permettront.
– Toute activité politique est interdite et un comité de réconciliation nationale sera constitué dans les prochaines heures pour élaborer des institutions dans les trois mois en vue de permettre des élections libres.
– Toutes les manifestations sont interdites.
Un peu plus tard, une nouvelle entrevue entre le colonel et le Président avait lieu. Elle fut grave mais courtoise, puis M. Grunitzky rédigea son message de démission qui fut sur-le-champ enregistré par la radiodiffusion mais ne passa sur les ondes qu’un peu plus tard. M. Grunitzky a déclaré « partir la tête haute, ayant toujours servi une politique de réconciliation et d’union ». Il a précisé son accord entier avec le colonel Eyadema et a terminé son allocution en invitant ses concitoyens à réaliser l’union pour préserver la paix au Togo.
Cependant, au cours d’une conférence de presse, le lieutenant-colonel Eyadema précisait que M. Grunitzky n’avait pas voulu suivre les conseils des officiers après la tentative de coup d’État du 21 novembre, en particulier celui de remanier profondément son gouvernement et d’y faire entrer de jeunes technocrates et celui de faire preuve de plus d’autorité dans la conduite des affaires publiques. Puis le lieutenant-colonel Eyadema a mis en place un comité de réconciliation nationale que préside le colonel Kléber Dadjo, l’officier togolais le plus ancien et le plus élevé en grade. Ce colonel, qui était directeur du cabinet militaire du président Grunitzky et qui fut, après l’indépendance, le premier chef d’état-major de l’Armée, est le seul militaire du comité. Celui-ci est en effet ainsi composé :
– Présidence, Défense et Affaires étrangères : colonel Dadjo ;
– Intérieur, Information et Presse : M. Benoit Malou (progressiste, originaire du Nord) ;
– Travaux publics et Economie rurale : M. Alex Mivedor (Juvento, sympathisant du Comité pour l’unité togolaise ou CUT, originaire du Sud) ;
– Fonction publique et Affaires sociales : M. Boukari Djobo (sympathisant du CUT, originaire du Nord) ;
– Finances et Économie : M. Bendit Bedou (indépendant, originaire du Nord) ;
– Commerce, Industrie et Tourisme : M. Paulin Eklou (membre du CUT, originaire du Sud) ;
– Santé et Justice : Docteur Ohin (membre du CUT, originaire du Sud) ;
– Éducation nationale : M. Barthélémy Lamboni (Juvento, progressiste, originaire du Nord).
Le colonel Dadjo a remis lui-même à la presse la liste du comité. Cette équipe de civils est très marquée politiquement puisqu’elle comporte quatre personnes membres ou sympathisants du CUT, parti de M. Sylvanus Olympio. Deux d’entre eux n’étaient d’ailleurs pas présents pour entendre leur nomination : M. Alex Mivedor, en fuite depuis le 21 novembre était encore à Bamako, et M. Paulin Eklou, incarcéré après les événements du 21 novembre et transféré dans l’extrême-Nord du Togo, n’avait pas encore regagné la capitale.
On peut se demander quelles sont les causes profondes de ce putsch. Sans doute, après les événements du 21 novembre, M. Grunitzky n’avait-il pas assez imposé son autorité ni donné suite à sa promesse d’inclure dans son gouvernement de jeunes technocrates, mais le voyage qu’a effectué dans le Nord du pays le colonel Eyadema peu de temps avant le coup d’État a peut-être eu une importance non négligeable. Il n’est pas impossible que le colonel ait eu sur place le sentiment qu’il perdrait sa popularité s’il rentrait dans l’ombre après l’affaire du 21 novembre. Quoi qu’il en soit la réaction populaire dans les jours qui ont suivi la prise du pouvoir par l’Armée a été pratiquement nulle. Les exilés politiques sont rentrés sur l’invitation du colonel. Le Conseil de l’Entente qui était réuni, mais pas à l’occasion des événements du Togo, s’est borné à constater le fait. Le gouvernement ghanéen, inquiet sans doute de la présence d’éléments du CUT et de la Juvento dans le gouvernement togolais, a envoyé un officier s’enquérir des intentions des militaires togolais ; on remarque d’ailleurs dans toute la région du golfe du Bénin où les militaires sont au pouvoir, de nombreux échanges de vues entre les officiers qui ont pris en main les leviers de commande. La radio égyptienne s’est montrée sévère ainsi que la radio sénégalaise : « L’impression qui se dégage de tous les prétendus changements par la force et par la violence, c’est qu’ils ne servent ni le prestige de l’Afrique ni ses intérêts bien compris. De plus, ils paraissent, la plupart du temps, absolument gratuits », a déclaré Radio-Sénégal dans un éditorial consacré à l’affaire togolaise. L’éditorialiste a ensuite fait ressortir que la multiplication des coups d’État ne pouvait que maintenir « la balkanisation de l’Afrique, ce qui est préjudiciable à son développement économique car cela fait fuir les investisseurs étrangers ». « Si derrière tout cela, a-t-il ajouté, on percevait au moins les causes objectives justifiant tant de coups d’État, la raison raisonnante y trouverait peut-être son compte et, à défaut d’adhésion, on pourrait expliquer les crises, les violences, le sang, le crime et les légitimer… La vérité c’est qu’on chasse un homme du Nord pour mettre à sa place un homme du Sud. C’est qu’une ethnie en remplace une autre sans se soucier de compétence et d’efficacité, et, pendant ce temps, conclut l’éditorialiste, l’Afrique stagne et se meurt, victime de la volonté de puissance, du goût du pouvoir, de la haine tribale, pour tout dire de la bêtise. » Quant à la radio de Conakry, elle a salué « la victoire du peuple togolais sur le citoyen français Grunitzky »… L’éditorialiste de Radio-Dakar a très justement signalé cette plaie de l’Afrique, l’opposition entre les populations du Nord, islamisées, pauvres, peu instruites et celles du Sud chrétiennes ou animistes, plus riches et plus instruites. En tout état de cause ce coup d’État ne réglera certainement pas le problème Nord-Sud. Le CUT composé de gens du Sud sera sans doute le principal bénéficiaire du coup de force militaire et le mécontentement des gens du Nord ira grandissant. On peut d’autre part craindre que ce putsch, le onzième en Afrique depuis l’assassinat du président Olympio, ne soit pas le dernier.
Le Gabon, second pays d’Afrique pour le produit national brut
La revue Les Opinions Africaines éditée à Paris, vient de publier un article de M. Pierre Heim intitulé « Le Gabon est bien parti ». M. Heim y écrit notamment : « Toute l’Afrique noire n’est pas mal partie, n’en déplaise à René Dumont. Quelques pays ont pris un bon départ, je cite au hasard parmi les pays de l’Afrique francophone : la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal, le Cameroun et la Mauritanie. Ce sont des pays de l’Afrique “bien tranquille”. Ils ne font pas beaucoup parler d’eux, mais l’effort de développement qu’ils accomplissent mérite que l’on parle d’eux ». Le Gabon est en effet riche de sa forêt qui couvre plus de la moitié de son sol et l’exploitation de l’okoumé, bois très recherché, donne lieu à une activité considérable qui fait du Gabon le deuxième producteur de grumes d’Afrique. Le sous-sol est très riche et ses produits, fer, manganèse, pétrole et uranium commencent à concurrencer le bois dans les ventes à l’étranger. Le résultat de ce développement est que le Gabon est en Afrique, après l’Afrique du Sud, le pays où la richesse nationale (produit national brut) par tête d’habitant est la plus élevée, d’après une statistique que vient de publier la Banque mondiale. Le produit national brut s’élève au Gabon à 1 400 francs. Viennent ensuite le Ghana et l’Algérie avec 1 150 F. La Libye se place au quatrième rang avec la Rhodésie (1 050 F). La Côte d’Ivoire au sixième (1 000 F). Le Maroc et le Sénégal au septième (850 F). La Mauritanie et le Congo-Brazzaville au neuvième avec 700 F. Viennent ensuite la Sierra-Leone, le Cameroun, le Niger et la République Malgache. Les six États les plus pauvres sont le Burundi, la Haute-Volta, le Ruanda, la République de Somalie, l’Éthiopie et le Malawi dont le produit national brut oscille entre 250 F et 200 F. Mais le Gabon, en dépit de ses progrès, reste cependant largement en arrière de l’Afrique du Sud dont le produit national brut est presque le double : 2 650 F par tête d’habitant. ♦