Stratégie de l’action
Après avoir étudié, comme on sait, la stratégie de la dissuasion, le général Beaufre intéresse ses lecteurs à la stratégie de l’action, en leur proposant une méthode d’analyse qui « peut apporter à l’homme d’État les éléments qui lui manquaient pour juger objectivement de ses intuitions et de ses prévisions ». En persistant dans la voie qu’il indique, en approfondissant les données qu’il présente dans un premier essai, « l’histoire pourra être conduite – au moins dans une certaine mesure – et échapper ainsi aux improvisations que le hasard domine par ses fatalités ».
Le but lointain est ambitieux. Au stade présent, il s’agit de transposer à la stratégie globale – en la transcendant cependant – la méthode d’étude d’un cas concret qui s’enseigne dans toutes les Écoles de Guerre et donne lieu à tant de conférences et d’exercices, mais a si peu d’effectives applications, car il est difficile, dans l’action véritable, de dominer d’innombrables paramètres et de synthétiser suffisamment pour aboutir à des décisions qui soient, avec une implacable logique, déduites des analyses préalables.
Lorsque le lecteur se trouve devant un ouvrage de ce genre, il se demande s’il tient enfin la vérité ou s’il assiste à un numéro d’acrobatie verbale et de jeux intellectuels. Il a été une époque, cependant, où les chercheurs – qui ne portaient pas alors ce titre – ont découvert les principes de la guerre ; ceux-ci semblent maintenant, après avoir été banalisés, une suite de propositions de bon sens, et l’intérêt s’est porté ailleurs. Sommes-nous à un moment où il est à nouveau nécessaire de codifier, en quelque sorte, des idées qui se trouvent éparses et peu à peu s’imposent ?
On trouverait aisément, dans les nombreux articles des revues politiques et militaires, des fragments des idées que présente le général Beaufre dans un ensemble cohérent, ordonné, logique, qu’il s’agisse des relations entre la politique et la stratégie, des différents composants de celle-ci, du rôle parfois restreint de la force militaire dans les actes complexes et multiples qui suivent les décisions des dirigeants. Tout effort de clarification est cependant le bienvenu, et à ce titre, ce nouvel ouvrage du général Beaufre mérite attention.
Il faut le considérer, nous semble-t-il, comme une première tentative de progression dans une voie qui sera longue, comme une ébauche de ce que pourrait être une méthode d’étude d’une situation globale à un moment donné. Mais toute méthode n’est qu’un procédé, une aide à l’intelligence, un soutien à l’imagination ; par elle-même, elle n’a d’autre valeur que celle d’être un instrument de travail. Surtout dans le domaine de l’action, où tout repose sur l’homme qui commande et sur tous ceux qui exécutent, à un moment où aucun d’eux n’a le temps de se souvenir d’un système, et doit aboutir à la décision ou à l’acte avant que ne se soit déroulé en son esprit – tout au moins consciemment – le long processus des fines analyses.