Conférence prononcée à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 15 novembre 1966.
Financement des investissements industriels et commerciaux
Je ne vous parlerai pas de tous les investissements industriels et commerciaux, mais surtout d’une fraction, assez homogène il est vrai, de ces investissements. Dans une économie comme la nôtre il y a, en effet, dans l’industrie et le commerce, deux grands secteurs qui s’interpénètrent un peu, mais qui, sur le plan du financement, suivent des règles différentes : le secteur concurrentiel d’une part, et le secteur non concurrentiel d’autre part.
Les chiffres que j’utiliserai sont ceux de l’année 1965 ; ils ne sont pas toujours d’une rigueur parfaite, car si la comptabilité nationale fournit d’assez bons chiffres pour la France dans son ensemble, elle n’a pas pris l’habitude de découper, en France, les professions suivant les critères de secteur concurrentiel et non concurrentiel. C’est bien dommage d’ailleurs, parce que dans la pratique, les règles d’équilibre financier des entreprises de ces deux secteurs sont radicalement différentes, étant donné que le secteur concurrentiel dont je vais vous parler est essentiellement un secteur privé, et que par conséquent les entreprises doivent tenir par la vertu d’un équilibre financier et non du fait d’appartenir à un propriétaire aux ressources illimitées.
En 1965, le produit national brut a été de l’ordre de 400 milliards en France et les investissements bruts que nous avons faits — y compris les augmentations de stocks — ont été de l’ordre du quart de ce produit national brut, c’est-à-dire de l’ordre de 100 milliards. Comment ces 100 milliards d’investissements se sont-ils répartis ?
Industrie et commerce
|
Pourcentage des Investissements bruts nationaux |
Pourcentage de la valeur ajoutée nationale |
Secteur concurrentiel |
40 % |
75 % |
Secteur non concurrentiel |
20 % |
10 % |
Le secteur concurrentiel contient d’abord pratiquement toutes les entreprises privées, mais aussi les entreprises qui appartiennent à l’État et qui obéissent à la loi de la concurrence, car toutes les entreprises qui appartiennent à l’État ne sont pas exemptes de concurrence. Par exemple, dans le secteur concurrentiel soumis à la concurrence, on trouve Renault ; on trouve l’Office National de l’Azote ; on trouve Air France ; dans le domaine du pétrole, on trouve l’Union Générale des Pétroles ; dans le domaine de l’aviation : Sud-Aviation, Nord-Aviation, la SNECMA ; et il y en a bien d’autres, par exemple les Potasses d’Alsace… Ne serait-ce que pour assumer la concurrence dans les mêmes conditions que les autres entreprises concurrentielles, il faut que ces entreprises soient financées de la même manière qu’elles. Effectivement d’ailleurs, dans l’organisation du crédit en France, que je vous décrirai tout à l’heure, toutes ces entreprises concurrentielles relèvent financièrement des mêmes procédures ou des mêmes organismes, tandis que les entreprises du secteur non concurrentiel relèvent d’autres procédures et d’autres organismes.
Le secteur concurrentiel de l’industrie et du commerce utilise donc 40 % des investissements et produit 75 % de la valeur ajoutée nationale.
Dans le secteur non concurrentiel, on trouve essentiellement de l’énergie et des transports : à peu près 80 % de l’énergie produite en France, parce qu’on y trouve le charbon et le gaz (Charbonnages de France, Gaz de France), l’électricité (Électricité de France) et enfin l’énergie atomique ; on y trouve également 80 % des transports de France, grâce à la S.N.C.F. et aux P.T.T.
Pourquoi la part des investissements de ce secteur « non concurrentiel » est-elle considérablement plus forte que celle du premier par rapport aux valeurs ajoutées ? C’est que le secteur non concurrentiel est celui où sont par essence les investissements lourds, les investissements très lourds.
L’Électricité de France à elle seule, par exemple, effectue à peu près 10 % des investissements bruts totaux de la nation. Le Charbon, le Gaz, la S.N.C.F., les Postes et l’Énergie atomique, sont des secteurs à investissements très lourds ; c’est pourquoi ils utilisent relativement peu de travailleurs par rapport à d’autres, et c’est pourquoi ils ne produisent que 10 % de la valeur ajoutée nationale avec une quantité d’investissements qui est juste deux fois plus petite que celle de l’autre secteur qui produit, lui, 75 % de l’activité nationale. Ce dernier, le secteur concurrentiel, est, en effet, essentiellement « léger » ; on y trouve certes de la sidérurgie comme élément lourd, on y trouve des mines de fer, on y trouve l’hôtellerie (l’hôtellerie est un des éléments les plus lourds qui soient : il faut de lourds investissements pour arriver à produire de petits services), mais on trouve aussi beaucoup d’entreprises de transformation, qui sont des entreprises « légères » utilisant beaucoup d’ouvriers avec un investissement relativement faible.
Le phénomène de lourdeur est encore plus net pour le logement que pour le secteur non concurrentiel. Le logement ne produit qu’une faible partie de la valeur ajoutée nationale — 5 % environ — et, en revanche, consomme 25 % des investissements nationaux.
Le secteur concurrentiel de l’industrie et du commerce est donc un secteur assez important puisqu’il utilise à lui seul 40 % des investissements annuels et qu’il produit le plus clair de la production nationale : 75 %. Il est relativement économe dans ses investissements, non pas forcément parce qu’il est sobre, mais parce qu’il emploie des investissements légers.
Voilà les besoins, je vais maintenant vous parler des moyens de financement, c’est-à-dire montrer comment les moyens de financement qui existent en France s’appliquent et de quelle manière ils vont en particulier au secteur concurrentiel. Puisqu’il y a 100 milliards de dépenses, il faut qu’il y ait aussi 100 milliards de moyens de financement. Où ces 100 milliards prennent-ils naissance ? Les deux tiers de ces 100 milliards, c’est-à-dire 65 environ, prennent naissance à l’endroit même où ils sont consommés : ce sont les économies faites par les agents de production sur leurs recettes, économies qui viennent pour la plus grande part de l’amortissement des investissements passés : chaque entreprise, en mettant de côté chaque année les amortissements des investissements des années antérieures, constitue une « cagnotte » qu’elle réemploie dans les investissements nouveaux : il y en a ainsi pour 65 milliards qui sont placés sans changer de mains. Restent 35 milliards qui, eux, ont besoin d’intermédiaires pour être amenés de l’endroit où ils ont pris naissance jusqu’à l’endroit où ils seront utilisés : par exemple lorsque les ménages épargnent, placent de l’argent à la Caisse d’Épargne, ou en banque, ou en titres, il faut qu’il y ait des intermédiaires entre les ménages et les entreprises ou les utilisateurs de logements, pour véhiculer ces 35 milliards des ménages jusqu’à l’industrie ou jusqu’à l’utilisateur. Tout ne vient cependant pas des ménages dans ces 85 milliards, car une partie de ces sommes peut provenir d’entreprises plus exactement de celles des entreprises qui n’investissent pas beaucoup l’année même, laissent de l’argent dans leur compte, argent que les intermédiaires financiers transfèrent aux entreprises qui investissent cette année-là.
Comment ces 35 milliards prennent-ils naissance et comment sont-ils véhiculés aux utilisateurs ? Comment sont-ils collectés ?
1965 |
Émissions |
Bons et dépôts à terme (bons de la Caisse de Crédit Agricole, comptes d’épargne) |
Dépôts à vue (livrets de Caisse d’Épargne, comptes en banque) |
Actions |
7 milliards (marché relativement aussi important en France que dans les grandes nations industrielles) |
4 milliards |
21 milliards |
3 milliards |
Je souligne l’importance du chiffre des dépôts à vue : 21 milliards, car voilà qui caractérise la difficulté du problème. On a à investir de l’argent dans des investissements durables, et quelquefois dans des investissements d’utilisation centenaire comme les barrages de l’Électricité de France. Et cependant, les deux tiers des sommes à véhiculer sont des sommes qui peuvent être retirées du jour au lendemain ; cela pose un problème, et c’est pour résoudre ce problème que sont mis en œuvre différents mécanismes que je vais décrire.
Un premier mécanisme est l’acheminement direct du producteur au consommateur. Il s’agit des entreprises qui s’adressent elles-mêmes directement au public. Cela suppose que ce sont des entreprises suffisamment fortes et importantes. Il y en a pour 6 milliards, et ces 6 milliards se répartissent en 8 milliards d’obligations et 8 milliards d’actions. Il n’y a pratiquement pas d’acheminement direct en matière de bons et dépôts à terme et de dépôts à vue, car s’il y avait des entreprises qui accueillent des comptes pouvant être retirés du jour au lendemain pour financer leurs investissements, elles seraient bien imprudentes et n’inspireraient guère confiance.
Les organismes spécialisés qui font partie d’un deuxième mécanisme, sont des institutions assez originales et assez particulières à la France, mises en place au cours des temps, pour aider à l’acheminement depuis les auteurs de l’épargne jusqu’aux consommateurs. Il faut dire que depuis longtemps nous vivons sous le signe de la pénurie des moyens de financement, et c’est pourquoi l’État a été obligé d’instituer tout un secteur d’organismes spécialisés pour mettre de l’ordre dans cette pénurie, si bien que, même quand il n’y a pas pénurie, ce mécanisme de distribution continue à marcher. Les organismes spécialisés sont des établissements de statuts très variables, qui ont en général un secteur de l’économie à leur charge, avec des frontières qui se recoupent quelquefois un petit peu, mais qui sont quand même assez bien définies. M’occupant du secteur concurrentiel, je vais nommer d’abord l’organisme spécialisé qui s’occupe du secteur concurrentiel, c’est-à-dire le Crédit National. Le Crédit National est le principal organisme spécialisé qui s’occupe du secteur concurrentiel, mais il y en a aussi d’autres ; par exemple la Caisse Centrale de Crédit Hôtelier, Industriel et Commercial, qui a le statut de banque populaire.
Le Crédit National, lui, est une société anonyme de droit privé dont les actionnaires sont privés, dont les actions sont cotées en Bourse, qui distribue un dividende, qui a un conseil d’administration composé uniquement d’administrateurs élus par l’assemblée, mais qui a quand même un statut particulier, car il a été fondé en 1919 en vertu d’une loi, et ses statuts ne peuvent être modifiés que si les modifications sont approuvées par décret. Également, chose non négligeable, le gouvernement nomme sur proposition du conseil d’administration le président et les deux directeurs, ce qui donne à cet établissement des préoccupations publiques, sans compter que les moyens d’action sont mis en œuvre en collaboration avec les Pouvoirs publics, suivant une politique connue d’eux et même dictée par eux. Voilà donc un organisme spécialisé qui est un établissement privé de statut spécial.
Le Crédit Foncier de France a un statut tout à fait analogue ; c’est une affaire privée également, au statut défini par la loi et dont les dirigeants sont également désignés par l’État. Le Crédit Foncier, lui, domine le secteur du logement.
Je vais citer la Caisse Nationale de Crédit Agricole qui domine, bien entendu, le secteur de l’agriculture et qui a en charge la répartition de ce qui concerne ce secteur. C’est un établissement publie.
Vient la Caisse des Dépôts et Consignations qui est un établissement public aussi et auquel la Constitution a accordé des garanties particulières contre un éventuel arbitraire gouvernemental, de manière à inspirer confiance aux déposants. Je l’associe à l’État qui opère sous le nom de « Fonds de Développement Économique et Social ». Caisse des Dépôts et État s’occupent essentiellement du secteur non concurrentiel, ils interviennent aussi dans le logement (surtout dans le logement social) et les équipements publics.
Les établissements spécialisés servent donc de transit à 18 milliards, ce qui est évidemment le plus gros morceau. Quatre de ces milliards sont ce qui reste des émissions d’obligations quand on en a retiré trois qui vont directement du producteur au consommateur : ce sont des émissions qui sont faites par exemple par le Crédit National ou par le Crédit Foncier ou par la Caisse Nationale de Crédit Agricole pour se procurer des ressources afin de faire leurs prêts. Au contraire, la Caisse des Dépôts et Consignations n’émet pas d’obligations ; l’État en émet quelquefois (il en avait émis l’année dernière pour un milliard).
Examinons maintenant l’acheminement des fonds selon leur origine :
Bons et dépôts à terme : 3 milliards. Ce sont essentiellement des bons de la Caisse Nationale de Crédit Agricole et les dépôts récoltés par la Caisse des Dépôts.
Dépôts à vue : 21 milliards. Parmi ces 21 milliards, 11 sont à vue : c’est essentiellement l’argent déposé chaque année dans les caisses d’épargne, qui va à la Caisse des Dépôts, puisque la Caisse des Dépôts centralise l’argent des caisses d’épargne.
Le reste provient des banques. Celles-ci ont récolté en 1965 environ 1 milliard de dépôts à terme — ce chiffre va s’accroître à la suite de la politique actuelle qui consiste à pousser les banques à recevoir des dépôts à terme — et elles ont surtout reçu 10 milliards de dépôts à vue.
Voyons quelles sont celles de ces sommes qui vont au secteur concurrentiel. Le secteur concurrentiel prend 3 milliards par la voie d’acheminement direct dont 1 d’obligations et 3 d’actions. Combien reçoit-il des organismes spécialisés ? Il reçoit 2 milliards seulement — ce n’est pas beaucoup 2 milliards sur 18 quand on pense que ce secteur a 40 % des investissements : 40 % de 18 feraient 7 milliards 2 — vous voyez que c’est un secteur qui profite relativement peu des organismes spécialisés, nous verrons tout à l’heure pourquoi.
Enfin, le secteur concurrentiel obtient 9 milliards des banques. Neuf milliards sur onze font du secteur concurrentiel et de loin le plus gros client des banques, et nous verrons aussi pourquoi.
Au total, des montants très importants de dépôts à vue sont utilisés en placements longs. Dans une partie des cas, cette gageure est permise par le fait que les dépôts à vue sont alors effectués auprès de la Caisse des Dépôts qui est un établissement public et qui par conséquent ne sautera pas, même si les déposants viennent à procéder à des retraits massifs, ce qui d’ailleurs est bien peu probable. La Caisse des Dépôts ayant le statut qu’elle a, peut se permettre de faire la transformation qu’elle opère, c’est-à-dire recevoir de l’argent à vue d’un côté et faire des prêts à 15, 20, 30 ans de l’autre, avec ce même argent. Mais les banques, elles, n’offrent pas aux déposants la même sécurité, elles n’ont pas le caractère d’être un morceau de l’État, par conséquent il faut qu’elles agissent autrement, pour replacer long ou assez long les 10 milliards qu’elles ont à vue. Ceci est fait en France grâce à deux systèmes qui sont assez caractéristiques de notre système de crédit :
— l’un est le moyen terme ;
— l’autre est le court terme ou, plutôt, la manière dont le court terme est pratiqué en France.
Le crédit à moyen terme, qui consomme le morceau de loin le plus petit de ces 10 milliards, consiste à prêter de l’argent jusqu’à sept ans, mais en s’assurant un réescompte auprès de la Banque de France par l’intermédiaire du Crédit National. Si bien que lorsque les banques consentent de tels crédits après avoir été autorisées par le Crédit National, qui consulte lui-même la Banque de France, elles savent que si elles ont à faire face à des retraits, elles pourront escompter leur papier et retrouver l’argent pour rembourser leurs déposants ; elles acquièrent ainsi, par ce canal, qui s’appuie sur l’Institut d’émission, une sécurité. Mais ce mécanisme n’assure la sécurité de transformation que du plus petit « morceau » des 10 milliards.
Le plus gros morceau, le court terme, aboutit en fait à un placement long tout en étant théoriquement court. Le court terme ne doit pas dépasser deux ans au maximum, mais la plupart du temps il est pratiqué par l’utilisation d’effets à trois mois ; et c’est là la caractéristique du système français d’ailleurs. En créant la Banque de France, Napoléon a assis la philosophie de cet Institut d’émission sur le principe qu’il devait admettre des effets commerciaux revêtus de trois signatures et négociables à 90 jours. Si bien que tous les mécanismes français ont été bâtis sur la possibilité d’aboutir à la Banque de France avec des effets de cette caractéristique et d’obtenir de l’argent à la place. On a donc, en France, beaucoup développé le système des effets de commerce, beaucoup plus que dans aucun autre pays. Ce système est actuellement en train d’être remis en cause, afin d’en simplifier les incidences, mais il fonctionne encore présentement, et il ne sera remis en cause que progressivement et sans doute partiellement. Voyons quelle est l’incidence de ce système des effets de commerce sur le financement des entreprises.
Le plus souvent, lorsqu’il y a entre deux entreprises une opération, l’entreprise qui vend accepte de n’être payée que dans 90 jours, et l’autre accepte de lui signer un billet de telle sorte qu’éventuellement l’entreprise qui a vendu puisse mobiliser ce billet et retrouver son argent. Si bien qu’il y a des banquiers qui escomptent ces effets, qui ne s’engagent jamais pour plus de 90 jours, puisque ce sont les effets à 90 jours qu’ils peuvent porter à la Banque de France. Ils transfèrent ainsi de l’argent de chez eux dans les entreprises. Ces effets périssent tous les 90 jours, seulement comme les ventes sont constantes et qu’elles se renouvellent sans cesse, cette masse d’effets à 90 jours se renouvelle quasi éternellement ; si bien qu’il y a un crédit quasi éternel du système bancaire à l’industrie et, essentiellement, à l’industrie du secteur concurrentiel ; il y a très peu de ces effets dans le secteur lourd qu’est le secteur non concurrentiel, d’autant plus qu’il n’a pas les mêmes types de clients non plus. Nous allons voir comment cela fonctionne en examinant le bilan des entreprises.
Une entreprise possède un certain nombre de biens qu’elle inscrit à l’actif de son bilan, et elle a acheté ces biens grâce à des moyens qui figurent au passif. À l’actif, nous avons tout d’abord les immobilisations dont certaines sont physiques, et dont d’autres sont des titres. De toute manière, ce sont des biens qui sont achetés pour longtemps et dont on ne peut pas se défaire du jour au lendemain, sans quoi on mettrait en cause l’existence même de l’entreprise. Puis il y a des biens plus rapidement réalisables qui sont les stocks, aussi bien de matières premières que de produits finis. Puis il y a des valeurs beaucoup plus rapidement réalisables encore, qu’on appelle le « réalisable » et le « disponible », dont l’essentiel est constitué par les créances qu’on a sur les clients du fait qu’on leur a fait trois mois de crédit, ainsi que par quelques débiteurs divers, de l’argent en caisse ou en banque, ou de l’argent aux chèques postaux.
Au passif, les moyens qu’ont les entreprises pour financer toutes ces propriétés sont d’abord des fonds propres, c’est-à-dire le capital et les réserves. Voilà qui doit équilibrer au moins une bonne partie des immobilisations puisqu’il faut que les immobilisations soient possédées par le propriétaire, de manière à ne pas sortir de l’entreprise. Il y a aussi le passif à terme, c’est-à-dire à long et à moyen terme : ce sont les emprunts que l’on a faits à moyen terme (c’est-à-dire à 5 ou 7 ans en général) et à long terme, c’est-à-dire à 10, 15, 20 ans. L’ensemble des fonds propres et du passif à terme forme des fonds que l’on appelle des fonds permanents puisqu’ils ont le caractère d’être là pour longtemps ; et il est sain — il est indispensable même — qu’ils soient en quantité suffisante pour équilibrer au moins les immobilisations, et aussi la partie des stocks incompressible, celle qu’on ne peut pas liquider du jour au lendemain pour faire face à un besoin de trésorerie.
Qu’y a-t-il ensuite ? Il y a le passif exigible, c’est-à-dire des sommes qu’on doit sous brève échéance, et dont le plus clair est d’ailleurs constitué par les créances des fournisseurs (car les fournisseurs ont fait à l’entreprise un crédit à trois mois, tout comme l’entreprise elle-même fait un crédit à trois mois aux autres).
Quelle est la pratique bancaire française par rapport à ce schéma ? C’est que l’entreprise fait signer des effets à ses clients en représentation des trois mois pour lesquels elle a fait crédit. Elle vend ces effets à la banque, qui donne de l’argent à la place ; si bien que le compte client — tout au moins une grande partie du compte client — disparaît, s’évapore, et l’entreprise reçoit de l’argent à la place sans s’endetter. Elle n’a pas besoin d’inscrire une dette à son passif quand elle a reçu de l’argent d’une banque pour lui avoir donné des effets de commerce, puisqu’elle a procédé à une vente et non pas à un emprunt. On arrive donc ainsi, en France, et pour des montants qui sont actuellement de l’ordre d’une soixantaine de milliards au total, à injecter de l’argent dans les entreprises qui sont en général des entreprises du secteur concurrentiel, sans que cela se voie au bilan ; tandis que dans les pays étrangers, où ce système est beaucoup moins développé, la seule manière d’injecter de l’argent dans une entreprise, c’est, ne touchant pas au compte client, d’emprunter à la banque. La banque fournit de l’argent qui est soit à moyen terme, soit à court terme, et qui vient grossir le bilan. Le bilan des entreprises étrangères exerçant la même activité que les entreprises françaises se trouve plus gros, parce qu’il comporte à l’actif les comptes de clients que le mécanisme de l’escompte fait disparaître du bilan des entreprises françaises, et au passif, les concours qu’on a dû se procurer pour compenser le maintien, à l’actif, de ces comptes de clients.
Le banquier, qui escompte des effets de commerce a, pour sa part, quelque chose de particulièrement commode parce qu’il sait qu’il ne s’engage que pour trois mois, il sait qu’il a deux répondants (le tireur et le tiré), et que la Banque de France lui transformera cela tout de suite en argent quand il en aura besoin. C’est comme cela que tout en récoltant de l’argent à vue, nos banquiers peuvent utiliser une fraction très importante de cet argent, en des utilisations qui déchargent d’une manière permanente les entreprises d’une bonne partie de leurs comptes « clients ». Il y a en France une soixantaine de milliards ainsi fournis en permanence par le secteur bancaire au secteur concurrentiel de l’industrie et du commerce alimenté sans danger par les dépôts à vue. Cette pratique est une pratique générale, tellement générale qu’on arrive à reconstituer par le simple raisonnement les en-cours globaux du court terme, à partir des chiffres de la comptabilité nationale. Voici comment.
Je vous ai dit tout à l’heure que le secteur concurrentiel assurait les trois quarts de l’activité nationale. Cette activité nationale est de 400 milliards, par conséquent la valeur ajoutée du secteur concurrentiel est de 800 milliards. À partir de cela, je vais retrouver approximativement la soixantaine de milliards (exactement 59 milliards au 31 décembre 1965) qui sont injectés dans le secteur concurrentiel par la voie du crédit à court terme. L’expérience montre qu’en général, quand une entreprise n’est pas bousculée par les événements, elle escompte environ un mois et demi de chiffre d’affaires, c’est-à-dire la moitié de ses possibilités théoriques. En effet, l’entreprise vendeuse tarde à créer l’effet et à l’adresser au client ; celui-ci tarde à l’accepter et à le retourner. Quand une entreprise est un peu à quia, on voit au contraire l’escompte auquel elle recourt atteindre jusqu’à 2,5 mois de chiffre d’affaires, parce qu’elle bouscule à ce moment-là ses clients pour renvoyer vite ses effets et qu’elle se dépêche de les apporter à son banquier. Mais généralement l’expérience montre que dans presque toutes les entreprises il y a un mois et demi de « clients » au bilan, parce que un mois et demi d’effets ont été mobilisés. Ces effets ont été mobilisés non seulement parce que c’est une habitude prise en France, mais parce que l’on y pousse, étant donné que pour obtenir du crédit, grâce au mécanisme que j’ai cité tout à l’heure du crédit à moyen terme, la Banque de France et les organismes spécialisés s’attachent à ce que les entreprises aient d’abord utilisé la possibilité de mobiliser les clients. On ne fait de crédits à moyen terme qu’après que les possibilités de trésorerie aient été épuisées.
À combien peut s’élever — compte tenu du fait qu’il y a 300 milliards de valeur ajoutée — un mois et demi de chiffre d’affaires pour toutes les entreprises françaises du secteur concurrentiel ? Quel est ce chiffre d’affaires d’abord ? Il faut que je vous indique une donnée de fait, qui ne se démontre pas : c’est que pour réaliser une valeur ajoutée X, dans une économie en division du travail comme la nôtre où il y a de nombreux changements de mains, le total des prix au cours des divers changements de mains finit par atteindre 2,5 X ; par conséquent le chiffre d’affaires total enregistré en France pour les 800 milliards de valeur ajoutée des entreprises du secteur concurrentiel est un chiffre d’affaires de 750 milliards ; mais ce chiffre d’affaires de 750 milliards n’est pas réalisé uniquement par des entreprises entre elles, car à la fin du circuit il y a toujours le client, le client particulier, le client consommateur ; et le client consommateur, lui, ne signe pas d’effet : en règle générale il paie comptant ; par conséquent il y a 300 de ces milliards qui ne donnent pas lieu à ce mécanisme ; il ne reste comme vente entre entreprises que 750 — 300 = 450 milliards pour 12 mois, ce qui fait 56 milliards environ pour 1,5 mois, alors que d’après les statistiques du Conseil National du Crédit, fin 1965, il y avait pour 59 milliards d’effets de ce genre. On arrive ainsi, à partir des données globales de l’économie nationale, à vérifier que le mécanisme d’utilisation du court terme, dont je suis en train de parler, a une portée générale. Voilà un point très important : une partie non négligeable des disponibilités des Français est procurée aux entreprises malgré qu’elle soit à vue, grâce à l’existence du mécanisme de réescompte des effets de commerce, et une autre partie non négligeable par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts. Vous voyez que sur 85 milliards véhiculés de ceux qui créent l’argent à ceux qui l’utilisent, il y a les deux tiers qui sont à vue, mais qui peuvent être utilisés pratiquement à long terme, grâce à l’ensemble des mécanismes que je viens de décrire.
* * *
Je vais maintenant passer au fond même du sujet, m’enfoncer uniquement dans le secteur concurrentiel, pour décrire la manière dont il est financé, les procédures, les quantités et les taux.
D’abord, de combien ce secteur a-t-il besoin ? Je l’avais déjà dit en pourcentage tout à l’heure, je vais le dire en valeur absolue maintenant.
En 1965, le secteur concurrentiel a eu besoin, pour ses immobilisations, pour ses investissements autres que les stocks, de 86 milliards. Mais il a obtenu un remboursement de 8 milliards par le mécanisme de la T.V.A., car la T.V.A. comporte un remboursement de la taxe sur les investissements, de telle sorte qu’il n’a eu besoin de trouver que 88 milliards. Notez au passage ce qu’a d’important le mécanisme de la T.V.A. pour le financement de notre industrie, car les 8 milliards de ressources qu’il procure par voie de remboursement à nos industriels (ce qui n’est pas le cas en Allemagne, en Italie, en Belgique, en Hollande…) sont à eux seuls égaux à tout ce que le secteur en question retire des actions et des obligations.
Voyons en effet comment en 1965 les 83 milliards de besoins, déduction faite de la T.V.A., ont été financés :
Une première source sont les émissions d’actions. Ce n’est pas la plus grosse, c’est même la plus petite : elle fournit 2 milliards et ce n’est pas mal. Cela représente, dans le marché financier, par rapport à l’activité économique française, autant d’émissions d’actions qu’il y en a en valeur relative en Angleterre, en Allemagne, et même davantage qu’aux États-Unis. Bon an, mal an, c’est quelque chose comme 6 ou 7 ou 8 % des investissements des entreprises qui proviennent d’émissions d’actions nouvelles.
Vient ensuite l’autofinancement. L’autofinancement, c’est l’argent qui a pris naissance dans l’entreprise et que celle-ci peut garder pour son investissement. Cet argent n’est pas seulement du bénéfice, mais aussi un amortissement, car avant d’avoir pris une décision en investissements, une entreprise qui a vendu ses produits trouve dans sa caisse le montant de l’amortissement. En effet, pour faire un produit il a fallu qu’elle donne des salaires aux ouvriers, qu’elle ait payé ses fournisseurs de matières premières ; elle a donc sorti de l’argent pour certaines composantes du prix de revient, mais elle n’a pas sorti de l’argent immédiatement pour la composante amortissement, car l’amortissement correspond à un investissement qui a été fait il y a longtemps ; on a sorti de l’argent il y a longtemps, tandis qu’au moment de l’acte de production l’amortissement reste en caisse. L’amortissement est donc une des sources de l’autofinancement, et la deuxième source, c’est le bénéfice net réalisé et non distribué. Ces deux sources, l’année dernière, ont fait environ 26 milliards. C’est très important en valeur relative, et nous verrons tout à l’heure que cela ne l’est pas assez par rapport aux autres pays, mais c’est une des caractéristiques du secteur concurrentiel que d’avoir un gros autofinancement. J’en enlève 4 milliards qui ont été des remboursements de prêts antérieurs, de telle sorte qu’il n’y a eu de disponible pour les investissements de cette année que 22 milliards, soit 67 % à peu près des 23 milliards. En passant, je note que cet autofinancement est un petit peu supérieur — pas de beaucoup — à la moyenne nationale que j’avais citée. J’avais dit que sur 100 milliards qui allaient s’investir, il y en avait 65 qui se trouvaient à l’endroit où ils avaient pris naissance et 85 seulement qu’on avait besoin de véhiculer. La proximité entre le chiffre de 65 % et celui de 67 % est une coïncidence, car normalement le pourcentage d’autofinancement des entreprises du secteur concurrentiel devrait être plus fort, et nous verrons ce qu’il est à l’étranger.
Viennent ensuite les formes de crédits à long terme. Il y a en année moyenne, depuis quelques années en France, 4 milliards de long terme en faveur des entreprises du secteur concurrentiel. En 1965 il y en a eu 4 milliards et demi : cela représentait cette année-là 13 % des besoins d’investissements du secteur concurrentiel.
Les 4 milliards habituels de long terme se décomposent en quatre parties à peu près égales, tout au moins dans les années moyennes (l’année dernière il y a eu des distorsions par rapport au schéma que je trace). Un premier milliard est celui que les entreprises recueillent directement auprès du public par voie d’émissions d’obligations. Seules quelques très grandes entreprises peuvent se permettre d’émettre des obligations parce qu’elles sont suffisamment connues, et parce que les frais d’une émission d’obligations sont suffisamment importants pour qu’il faille que les émissions soient grosses afin de ne pas être trop coûteuses. Il y a donc quelques dizaines seulement d’émissions d’obligations en France, de l’ordre de 2 ou 8 dizaines, qui permettent de collecter ce milliard.
Un deuxième milliard provient d’émissions d’obligations quand les sociétés se groupent pour émettre au lieu de rester isolées. Bon an, mal an, il y a en général un milliard qui arrive comme cela, par voie de groupement. Mais les groupements sont de deux sortes : il y a des groupements sur le plan professionnel et des groupements sur le plan géographique.
Sur le plan professionnel, ce sont des entreprises d’un même secteur qui se réunissent, qui créent un organisme qu’elles appellent « Groupement », et cet organisme émet des obligations en fournissant chaque fois la liste des entreprises adhérentes qui s’engagent avec lui. Le plus important des groupements est le Groupement de l’Industrie Sidérurgique, qui a émis certaines années jusqu’à 50 ou 60 milliards d’anciens francs. Il y a d’autres groupements, par exemple le GIMECA, pour la mécanique ; pour les constructions électriques le GICEL ; il y en a eu pour les entreprises de recherches pétrolières ; il y en a eu pour la construction navale ; il y en a eu pour les grands magasins… Pour caractériser l’importance des entreprises qui se groupent ainsi, je dirai que la quantité empruntée moyenne est de l’ordre de 7 millions par entreprise, ce qui est à peu près trois fois le montant moyen de l’entreprise qui emprunte au Crédit National.
Mais il y a une deuxième manière de se grouper, qui est une méthode de groupement sur le plan géographique. Les groupements sur le plan géographique sont réalisés par les sociétés de développement régional. Il y a quinze sociétés de développement régional en France, qui organisent périodiquement des émissions obligataires. Elles rassemblent les entreprises de la région, les inscrivent sur leurs listes — tout comme les groupements le font sur le plan national — mais là les entreprises sont de professions différentes et sont également en général plus petites, car ce sont des entreprises que l’on groupe régionalement. Elles émettent des obligations en publiant la liste des entreprises qui bénéficieront de ces obligations, tout comme sur le plan national les groupements publient la liste des entreprises qu’ils alimentent. L’entreprise moyenne s’alimentant par les sociétés de développement régional a un montant d’emprunt trois fois plus petit — au lieu d’être trois fois plus grand — que le montant moyen du Crédit National, c’est-à-dire qu’il est de l’ordre de 0,8 million.
Le total des émissions des « Groupements » et des Sociétés de Développement Régional avoisine un milliard par an.
Le Crédit National, de son côté, prête environ 1 milliard en année moyenne. (Il a prêté 1,6 milliard l’année dernière et en fera sans doute autant cette année.) Sa participation s’est accrue, parce qu’avec les difficultés économiques que nous avons vécues, il est de plus en plus difficile pour les entreprises de pénétrer sur le marché financier ; si bien que l’entremise du Crédit National est de plus en plus commode pour les entreprises. Le Crédit National a, en effet, une signature bien connue du public et émet des emprunts à lots (ce qui est très attractif). Il emprunte ainsi jusqu’à 1 milliard et demi de francs par an.
Viennent ensuite une série d’organismes qui prêtent pour la plupart à des entreprises moins importantes ; il y en a un surtout, c’est la Caisse Centrale de Crédit Hôtelier, qui prête 0,5 à 0,6 milliard, mais qui, au lieu de prêter à 600 entreprises comme le Crédit National, prête à 5 000 environ. Le Crédit Hôtelier est donc le fournisseur à long terme des entreprises petites et moyennes. Il y a aussi les « divers » qui forment le quatrième milliard : quelquefois des compagnies d’assurances (cela ne va pas loin), des prêts directs de la Caisse des Dépôts, des prêts de l’État (les prêts du Fonds de Développement Économique et Social à certaines catégories d’entreprises, les unes parce qu’elles sont en difficulté, les autres parce qu’elles sont nationales).
Voilà les canaux. Quant aux coûts, les prêts du Crédit National sont actuellement à 7,25 %. Ils étaient récemment à 6,75 %, mais le coût du crédit augmentant, les taux ont été relevés. Les émissions d’obligations ont des coûts qui ont crû ces temps derniers et qui, par la voie groupée, étant donné qu’elles supposent des frais supplémentaires, grimpent vers les 9 %.
Après le long terme, examinons le moyen terme. Le moyen terme a procuré l’année dernière 3 milliards aux entreprises, et il a deux canaux essentiels :
Un canal passe directement par le Crédit National, c’est celui qu’on désigne ordinairement sous le vocable de moyen terme-équipement, parce qu’il ne peut être utilisé qu’en présentant un plan d’équipement. Le Crédit National reçoit les dossiers des banques, les étudie sur pièces, sans aller voir, grâce aux connaissances qu’il a, et propose les dossiers à la Banque de France. Ce moyen terme-équipement a représenté 2 milliards, à peu près, l’année dernière. Il a porté essentiellement sur 700 à 800 grosses affaires et aussi sur 2 ou 3 000 petites, qui forment l’« infanterie ». Le nombre des affaires qui ont fait la presque totalité de ces 2,2 milliards est à peu près le même que celui des clients à long terme du Crédit National.
Il y a un deuxième circuit de moyen terme qui, lui, est axé, sauf quelques exceptions, sur les P.M.E. (1) : c’est le circuit dit de l’article 8 de la Caisse Nationale des Marchés de l’État. Les banques, au lieu de s’adresser au Crédit National, s’adressent à la Caisse Nationale des Marchés. La Caisse Nationale des Marchés a en effet créé un réseau de sociétés de caution mutuelle, qui donnent leur caution aux crédits d’équipement qui sont présentés par ce canal, de telle sorte que les banques, en particulier, bénéficient de cette caution mutuelle. Après avoir approuvé l’escompte, la Caisse Nationale des Marchés l’envoie au Crédit National qui le mobilise, si bien que cela revient bien au Crédit National, mais l’examen technique est fait par la Caisse des Marchés. Là, passent 12 000 entreprises par an à peu près. La Caisse des Marchés est donc dans le moyen terme — qui, je le rappelle, est le crédit qui va jusqu’à sept ans éventuellement, et qui est initié par les banques — le pendant de ce qu’est le Crédit Hôtelier en matière de long terme.
Les crédits à moyen terme dont je viens de parler sont consentis par les banques. C’est l’une des possibilités que j’ai décrites ici pour l’utilisation des ressources des banques. Les banques décident donc d’aider un industriel à se financer, cherchent un accord de réescompte du côté du Crédit National ou du côté de la Caisse des Marchés ; puis, une fois munies de cet accord, prêtent l’argent aux clients ; et le prêt a une durée qui ne peut pas être inférieure à deux ans et demi et qui peut aller jusqu’à 5 ou 7 ans. Du point de vue des taux : si l’argent est à 5 ans, c’est en général 5,75 % au minimum ; s’il est à 6 ans, c’est 6,25 %, et s’il est à 7 ans, c’est 6,75 % ; ce ne sont pas des taux légaux, ce sont des pratiques ; il y a des taxes en plus, mais dans les entreprises industrielles ces taxes sont déductibles de la T.V.A., si bien que ce sont des taux relativement modérés dans l’industrie qui, dans le commerce, au contraire, et sous le régime fiscal actuel, sont majorés de la taxe sur les prestations de services, qui est de 8,50 % jouant sur elle-même, c’est-à-dire qu’on arrive pour l’industrie à 6,25 % et, approximativement, pour le commerce à 7,85 %. C’est une source assez abondante et souple, car le moyen terme peut être utilisé d’une manière intermittente par son bénéficiaire. Le mode d’utilisation a été calqué sur celui du court terme : on fait souscrire par le bénéficiaire des billets à trois mois, la banque endosse ces billets à l’ordre du Crédit National qui les endosse lui, s’il 1er faut, à l’ordre de la Caisse des Dépôts qui est prise en sandwich dans le système, et celle-ci endosse à l’ordre de la Banque de France. C’est par le mécanisme des effets de commerce, donc, de nouveau, que le moyen terme fonctionne. Mais comme on ne peut créer des effets que pour trois mois, on doit les renouveler, mais on peut aussi s’arrêter d’en créer à l’intérieur de la période de 5, 6 ou 7 ans ; si bien que c’est un crédit qui fonctionne presque comme un crédit en compte courant ; il ne coûte (à part une commission d’engagement) que lorsqu’il est utilisé et il est particulièrement pratique. Au contraire, le long terme est donné une fois pour toutes pour une durée déterminée et respecte un plan d’amortissement déterminé. On peut y renoncer effectivement, mais c’est un acte définitif et solennel, on ne peut pas le reprendre tout aussitôt, il faut conclure un autre prêt, ce que les entreprises n’aiment pas, parce que chaque occasion de prêt est une occasion d’examen ; elles aiment l’argent le plus long possible pour passer des examens le moins souvent possible.
Du point de vue des structures, le Crédit National prête son milliard ou son milliard et demi à long terme après un examen attentif de l’affaire à laquelle il prête. Je vous ai parlé de six cents affaires : dans chacun de ces six cents cas, le Crédit National envoie un ingénieur sur place. Il en a une trentaine, qui sont, en général, spécialisés par catégories professionnelles et qui vont examiner l’entreprise pour se renseigner sur son plan d’investissement, sur la manière dont elle fonctionne du point de vue technique, sur la manière dont elle fonctionne du point de vue commercial. Ces ingénieurs font un rapport, qui est examiné par des comités des prêts qui groupent une quarantaine d’industriels. Après les avis donnés par ces industriels, les décisions sont arrêtées par le conseil d’administration du Crédit National. C’est donc un examen assez lourd, assez approfondi, qui convient surtout à de grandes affaires, qui ne conviendrait pas à des plus petites. Le Crédit Hôtelier, qui traite les petites, les traite en série, sans aller les voir, grâce au réseau des banques populaires surtout, ou en faisant confiance aux notaires. L’expérience que le Crédit National acquiert en allant voir dans chaque cas — sans exception — les entreprises qui demandent du long terme, lui sert en matière de moyen terme pour apprécier le fondement, l’opportunité des dossiers qui passent par lui. C’est pourquoi d’ailleurs cet établissement a été mis sur le circuit du moyen terme, de manière à servir de censeur pour la mise en œuvre de ce crédit, qui repose finalement sur un escompte de la Banque de France. Comme il y a risque d’inflation à trop utiliser ce moyen, il fallait une censure, et cette censure a été confiée au Crédit National, à cause de son expérience du long terme : c’est ce qui caractérise le rôle joué en France par les organismes spécialisés, ce que l’on ne trouve pas à l’étranger, où — il faut le dire — les pratiques du crédit sont souvent plus libérales.
Enfin, pour solde, il y a eu, l’année dernière, un milliard et demi environ qui a été fourni par du court terme, ce qui est d’ailleurs mauvais, car il est mauvais de financer des besoins longs par des ressources courtes ; mais l’ajustement est ainsi fait tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre suivant les années : il y a des années où les ressources longues réunies par les entreprises sont supérieures aux besoins d’investissements. En 1965, le court terme a contribué au financement des investissements et ce à hauteur de 4 % environ.
Je vais mieux vous montrer le rôle joué par les organismes spécialisés dans le cas particulier du Crédit National, et caractériser la direction assez forte du crédit qui existe dans notre pays, tout au moins pour les investissements. Je vous ai parlé de temps en temps du Crédit National, mais il est beaucoup plus présent dans l’ensemble des financements industriels et commerciaux qu’il n’y semble a priori. Ainsi le milliard d’émissions d’obligations ne peut être émis qu’avec l’autorisation du Trésor, et pour autoriser une émission d’obligations, le Trésor prend le conseil du Crédit National, car avec l’équipe d’ingénieurs dont il dispose, celui-ci est le seul établissement qui puisse donner des conseils en matière de long terme sur toutes les professions en France ; en outre, il est suffisamment proche de l’État pour être son ingénieur-conseil en matière financière. Donc le Crédit National voit tous les dossiers d’émissions d’obligations, donne son avis dessus, et cet avis est très largement suivi. De même pour le milliard d’émissions d’obligations qui passe par les groupements : tous les dossiers sont communiqués pour avis au Crédit National. S’il s’agit de sociétés de développement régional (S.D.R.), le Crédit National est membre du Comité I ter du F.D.E.S. (2), qui approuve les dossiers d’émissions d’obligations des sociétés de développement régional ; et d’ailleurs, il a pris des participations dans les quinze S.D.R., dont il est administrateur ou censeur. Enfin, dans le domaine de la quatrième fraction d’un milliard de prêts à long terme, le Crédit National est administrateur de la Caisse Centrale du Crédit Hôtelier, administrateur de la Caisse Centrale du Crédit Coopératif, et préside le comité du F.D.E.S. compétent pour les prêts de l’État à l’industrie.
En matière de moyen terme, le Crédit National consent directement les 2,2 milliards de son circuit et réescompte les 0,8 milliard de la C.N.M.E. (3). Le président de la Caisse des Marchés se trouve, en outre, être le président du Crédit National. Si bien que pour tout ce qui est investissement industriel ou commercial du secteur concurrentiel en France il y a une connaissance assez directe du Crédit National, et par la force des choses, une coordination, une répartition du crédit qui a ses avantages, qui peut avoir ses inconvénients aussi, je ne l’exclus pas.
Je vais poser maintenant, avant de terminer, la question de savoir si cet ensemble de financements est sain. Je répondrai qu’il ne l’est pas dans la mesure où les entreprises françaises ont pu facilement trop emprunter ; et il est mauvais que les entreprises empruntent trop parce qu’à force de développer leur passif à terme, elles finissent par avoir peu de fonds propres, et par conséquent, dès qu’il leur arrive des difficultés, les pertes qu’elles font s’imputent sur les fonds propres ; ceux-ci deviennent minuscules ; la confiance dans ces entreprises se perd et elles s’effondrent. Il faut donc qu’il y ait toujours suffisamment de fonds propres ; et nous allons chercher de combien devrait être l’autofinancement pour qu’il y ait suffisamment de fonds propres dans les entreprises françaises. Je m’aventure là dans des chiffres qui ne sont publiés nulle part et que j’ai r&eac