Militaire - L'escalade au Vietnam - Conversations tripartites sur la compensation des frais d'entretien des troupes américaines et britanniques en Allemagne - Le groupe restreint de planification nucléaire de l'Otan - La crise anglo-maltaise - Nouvelles escalades anglo-américaines dans l'océan Indien
L’escalade au Vietnam
On assiste, depuis les derniers jours d’avril, à une intensification des opérations aériennes contre le Nord-Vietnam. Cette escalade n’est que la mise en application des décisions prises en mars, à la Conférence de Guam. On sait, de source officielle, qu’il avait été, en effet, décidé de procéder à la destruction des grandes bases de départ installées au Nord et de poursuivre la pacification au Sud.
Ce dernier objectif a provoqué le remplacement de l’équipe américaine à Saïgon, dirigée par M. Porter – dont l’échec avait fait l’objet de nombreuses critiques – par une nouvelle équipe sous l’autorité d’un ambassadeur, M. Bunker, réputé pour avoir réussi à rapprocher les factions rivales en Nouvelle-Guinée et à Saint-Domingue et à obtenir la constitution d’un gouvernement d’union nationale.
Quant à l’action militaire contre le Nord, Washington estime indispensable de l’accroître pour convaincre Ho Chi Minh de la nécessité de négocier. Cependant, il a accepté le nouveau plan de paix de M. Thant qui consacre en partie la position américaine puisqu’il y est précisé que tout arrêt des bombardements américains doit coïncider avec un geste réciproque de la part de Hanoï.
Les indices qui laissaient prévoir une intensification des opérations se sont confirmés : des objectifs dans Hanoï et Haïphong ont été bombardés ainsi que les bases de Mig. Les Américains se montrent préoccupés de l’afflux croissant de matériels soviétiques et M. McNamara a déclaré : « Si nous avons décidé de bombarder les bases aériennes nord-vietnamiennes, c’est que les Mig devenaient trop actifs ». Cette décision d’escalade ressort d’ailleurs des prévisions officielles américaines concernant d’une part la consommation de munitions qui va atteindre mensuellement au moins 70 000 tonnes (alors qu’elle n’a été que de 56 000 t par mois en 1966), d’autre part les pertes qui pourraient s’élever à plus de 60 000 h, tués et blessés en 1967.
Pour faciliter et accroître les bombardements des côtes, les forces navales américaines vont être renforcées de destroyers et peut-être de un ou deux croiseurs de la flotte de réserve. 21 navires ont déjà été prélevés au profit du Pacifique sur la flotte de l’Atlantique.
Les effectifs américains atteignent 438 000 h, effectifs à peu près satisfaisants étant donné le caractère actuel des opérations, d’après les déclarations du général adjoint au général Westmoreland. Il semble donc qu’actuellement le chiffre de 470 000 h, fréquemment avancé pour la fin de l’année, ne sera pas sensiblement dépassé à moins d’aggravation de la situation au Vietnam. D’ailleurs, les appels sous les drapeaux ont été réduits pour le 1er semestre 1967 : 87 600 h contre 177 000 pour le premier semestre 1966. Il est vrai que le retrait des troupes américaines de France a libéré 18 000 h, auxquels pourront s’ajouter les effectifs de 2 brigades stationnées en Allemagne dont le départ est envisagé pour équilibrer la balance des paiements. Il n’en demeure pas moins que les commandants et les capitaines de l’Armée de terre vont devoir incessamment effectuer d’office un second séjour au Vietnam, à l’instar des pilotes, jusqu’ici les seuls à être touchés par une telle mesure.
Conversations tripartites sur la compensation des frais d’entretien des troupes américaines et britanniques en Allemagne
Les 20 et 21 mars, des conversations ont eu lieu entre les représentants américains, britanniques et allemands afin de régler le différend entre les trois nations au sujet d’achats allemands de matériels pour compenser les frais de stationnement des troupes américaines et britanniques en Allemagne (cf. notre chronique des numéros de novembre et décembre 1966).
Un accord, qui concrétiserait des négociations engagées depuis plusieurs mois entre les trois pays, serait sur le point d’être conclu sur les bases suivantes :
Grande-Bretagne. – La contrepartie allemande atteindrait 55 à 62 milliards de livres dont 10 à 12 millions seulement réservés à l’achat de fournitures militaire, le reste à des matériels civils. En outre, dans ce même esprit, les Américains seraient disposés à effectuer des achats militaires en Angleterre pour un montant de 12,5 M£ et à abandonner aux Britanniques le bénéfice des dépenses effectuées en Grande-Bretagne par les troupes américaines qui y sont stationnées.
Londres espère ainsi arriver à peu près à récupérer – à quelque 5 à 10 M£ près – ses dépenses en Allemagne pour l’entretien de la BAOR, dont le montant est évalué à 94 M£, sous réserve toutefois de réaliser le projet d’aménagement du système logistique de la BAOR qui produirait une économie de 12 M£ environ.
États-Unis. – Le gouvernement de Bonn s’est engagé à acquérir, pour 500 millions de dollars, des bons du Trésor américain et pour 200 M$ des pièces de rechange pour les matériels américains en service dans la Bundeswehr.
Cet accord, dont le texte définitif devait être rédigé dans les premiers jours de mai, n’exclut pas les projets britannique et américain de retrait de troupes stationnées en Allemagne.
Les Britanniques peuvent être amenés – pour équilibrer exactement leurs dépenses avec les achats allemands – à retirer la valeur d’une brigade – 5 à 7 000 h – et peut-être quelques éléments de la Royal Air Force (RAF) qui, incorporés aux réserves stratégiques stationnées dans la région de Londres, resteraient à la disposition de l’Otan.
Les Américains sont d’ores et déjà décidés à retirer 35 000 h pour des questions financières. Mais, leur besoin en effectifs au profit du Vietnam ne semble pas étranger à ce projet.
De nouveaux entretiens tripartites sont prévus à Bonn ou à Londres ; les décisions devront être entérinées ensuite par l’Otan et l’U.E.O.
Le groupe restreint de planification nucléaire de l’Otan
Le groupe restreint de planification nucléaire de l’Otan est composé de 7 membres dont 4 permanents : États-Unis, Angleterre, Allemagne fédérale (RFA) et Italie. Les trois derniers membres appartiennent aux autres pays de l’Otan, actuellement la Turquie, le Danemark et les Pays-Bas ; la « permutation » a lieu tous les 18 mois. Ce groupe a tenu, les 6 et 7 avril 1967, sa première réunion à Washington. Événement de grande importance puisqu’il a permis de traiter :
– les divers aspects de la puissance nucléaire de l’Otan, y compris les plans de recherche appliquée, de construction et d’emploi d’armes tactiques et stratégiques,
– l’installation par l’URSS d’un système de défense antimissiles,
– l’état actuel du programme antimissiles américain,
– l’évolution des conversations russo-américaines pour éviter une nouvelle course aux armements nucléaires.
Un communiqué a été publié à la suite de cette réunion. Les sept ministres de la Défense se sont montrés satisfaits du volume et de l’emploi des forces nucléaires stratégiques : M. McNamara a précisé que les États-Unis disposaient de 5 à 6 fois plus d’armes nucléaires stratégiques que l’URSS, compte tenu des têtes nucléaires des missiles et des bombes transportées par les bombardiers. La plupart des membres ont approuvé la doctrine de M. McNamara qui, opposé au déploiement d’un système de défense antimissiles, préconise l’amélioration des moyens offensifs. Toutefois, certains ont soutenu la nécessité pour l’Europe de disposer, en cas d’échec des négociations américano-russes, d’une défense antimissiles dont le ministre de la Défense américaine a chiffré le coût entre 3 et 12 Mds $. Trois nations (Allemagne, Turquie et Italie) auraient estimé nécessaire de laisser au Commandant en Chef de l’Otan l’initiative de l’emploi des armes nucléaires tactiques (qui appartient au président des États-Unis). Les Anglais partagent en partie ce point de vue ; toutefois, ils proposent seulement qu’en cas d’attaque de l’Europe, il soit possible de passer plus rapidement de l’emploi des moyens classiques à celui des armes atomiques tactiques. Les Turcs souhaitent l’installation d’un barrage de mines atomiques le long de leur frontière commune avec les Russes.
Les gouvernements des pays de l’Otan représentés à la réunion se montrent satisfaits de cette première rencontre qui leur a donné l’impression d’être désormais associés à l’élaboration des plans atomiques, d’autant que M. McNamara s’est montré prodigue de détails. Le scepticisme des Allemands à l’égard de cette nouvelle institution semble s’atténuer. Quant aux Anglais, ils estiment qu’elle représente un substitut satisfaisant aux divers projets, maintenant enterrés, de force nucléaire multilatérale.
La prochaine réunion est prévue en septembre prochain à Ankara.
La crise anglo-maltaise
Dans notre chronique d’avril 1967, nous avons exposé d’une part les conditions dans lesquelles le gouvernement britannique avait décidé de retirer ses forces militaires de l’île de Malte, d’autre part les conséquences d’une telle décision sur l’économie maltaise et les réactions et les mesures de rétorsion du gouvernement de l’île.
Or, un accord qui concilie les intérêts des deux pays vient d’être réalisé le 11 mars 1967, à Londres, après des négociations particulièrement difficiles. Il porte sur un échelonnement plus large des retraits des forces britanniques et sur une réduction plus faible que celle envisagée des personnels civils maltais employés par les Anglais.
Le calendrier des retraits serait le suivant :
– Forces navales : entre avril 1967 et mai 1969 au lieu de la totalité au cours de cette année ;
– Infanterie : les deux bataillons qui devaient être retirés dans le courant de 1970 le seraient, l’un en 1970 comme prévu, l’autre fin 1971.
– Aviation : retrait ou dissolution d’un squadron de Canberra au début de 1969 au lieu de 1968 ; le second, ainsi qu’un détachement de Shackleton du Coastal Command seraient maintenus à Malte.
– Participation britannique à l’entretien des forces maltaises jusqu’en 1970 au lieu de 1968.
En résumé, le gouvernement britannique maintient sa décision de ramener à 1 500 h environ les forces anglaises stationnées à Malte mais les retraits ne commenceraient que dans un an et s’échelonneraient sur 4 ans.
Le second point important des accords concerne l’emploi de Maltais par les forces britanniques : 8 000 personnes au total actuellement. Les réductions concernant ces personnels seront très progressives afin de ne pas provoquer une brusque augmentation du nombre des chômeurs – que l’on évalue à 8 000, soit 10 %, de la population active. 800 postes, au lieu des 3 000 prévus, seraient supprimés au cours des 12 prochains mois et 550 pendant les 6 mois qui suivent. Une commission anglo-maltaise étudierait la création de nouveaux emplois dans le cadre de l’installation d’industries légères, du développement du tourisme et de la reconversion de l’arsenal.
Le troisième point des accords concerne l’aide économique et financière prévue par les accords de 1964. Elle serait augmentée dans les conditions suivantes : 34,2 M£ pour la période de 7 ans qui débute le 1er avril 1967 au lieu de 31,2 M£. En outre, des indemnités de licenciement seraient accordées aux personnels civils maltais licenciés.
À la suite de cet accord, le gouvernement maltais a levé les mesures prises à l’encontre des Britanniques et retiré son projet de loi déposé devant le Parlement pour amender le « Visiting Forces Act » qui définit le statut des forces britanniques à Malte.
Le Premier ministre maltais, le docteur Borg Olivier, qui vient de remporter un net succès à la suite de ces négociations, consolide sa position politique face à l’opposition travailliste favorable à la neutralisation de l’île. Malte demeure donc dans le dispositif britannique des bases et escales en direction de l’Asie et, par conséquent, dans le système de défense occidental.
Nouvelles escalades anglo-américaines dans l’océan Indien
Dans notre livraison précédente, René Vermont a exposé, dans un article intitulé : « La Grande-Bretagne à l’est de Suez » et illustré d’une carte à laquelle nous invitons nos lecteurs à se reporter, l’organisation actuelle et les prévisions concernant l’espace indien.
M. Healey, ministre britannique de la Défense, a révélé aux Communes que le gouvernement avait acheté pour 1 023 000 livres les îles Farquhar (172 habitants) et Desroches (112 habitants), qui appartenaient à des personnes privées et l’archipel des Chagos, propriété de la société Chagos Agalega Ltd. Ces îles, ainsi que celle d’Aldabra, qui appartenaient déjà à la couronne, constituent, depuis novembre 1965, une nouvelle colonie : le « Territoire britannique de l’océan Indien ».
Un accord vient d’être conclu avec les États-Unis pour une période de 50 ans pour l’aménagement de ces îles en escales de ravitaillement et de transit – navales et aériennes – notamment au profit des F-111 américains à long rayon d’action dont la RAF va disposer à partir de 1969. Ces escales pourraient être, en outre, aménagées par les États-Unis en centres de communication.
L’île d’Aldabra serait appelée à remplacer l’escale aérienne temporaire de Majunga si l’autorisation accordée par la République de Madagascar n’est pas renouvelée. Elle servirait de base pour la surveillance du canal de Mozambique et de point d’appui au profit des pays d’Afrique orientale récemment promis à l’indépendance : Kenya, Ouganda et Tanzanie, mais qui demeurent dans le Commonwealth.