Outre-mer - La crise fédérale au Nigeria - Mauritanie : arrivée à Nouakchott du premier rallye transsaharien de chars à voile
La crise fédérale au Nigeria
La crise institutionnelle qui affecte le Nigeria depuis plusieurs mois n’a pu être résolue en dépit de diverses tentatives de conciliation et de médiation. Les mesures édictées durant le mois d’avril en région orientale et les réactions qu’elles ont provoquées peuvent faire redouter au contraire la désagrégation de la Fédération. Cette éventualité préoccupe l’ensemble des pays africains et plus directement les puissances qui possèdent des intérêts au Nigeria et les États qui lui sont contigus.
L’instauration d’un régime militaire, le 15 janvier 1966, n’a pas effacé ni même amoindri les antagonismes internes, issus de particularismes ethniques et religieux toujours sous-jacents, qui rendent très précaire la cohésion de l’État fédéral. Sur les bases établies par l’administration britannique, les institutions du Nigeria visaient à rassembler des groupements profondément dissemblables : les populations de la Région du Nord d’une part, les plus nombreuses, en grande majorité islamisées où les chefferies demeurent puissantes ; celles du Sud d’autre part, animistes ou christianisées, plus ouvertes aux techniques modernes, qui forment les trois régions, de l’Ouest à dominante yorouba, de l’Est à dominante ibo, et du Centre-Ouest de création plus récente. Non sans difficultés, les représentants du Nord avaient pu acquérir et conserver la prédominance politique au sein de la Fédération jusqu’au début de 1966, date à laquelle un coup d’État militaire dirigé par le général Ironsi avait tenté d’instaurer un régime centralisé au profit des Ibos.
L’assassinat du général Ironsi, le 29 juillet 1966, avait mis un terme à cette expérience. Le pouvoir exercé par le Conseil militaire suprême (CMS) est depuis lors partagé en fait entre le lieutenant-colonel Gowon, chef du gouvernement fédéral, et les quatre Gouverneurs militaires de Régions. Ceux-ci n’ont pu jusqu’à présent s’accorder sur la forme des futures institutions : le Nord, tributaire des voies de desserte du Sud, est attaché au maintien de liens fédéraux étroits ; les Ibos de l’Est en revanche, après l’échec de leur tentative et les massacres de leurs frères de race dans le Nord, paraissent aujourd’hui résolus à préserver leur autonomie au sein d’une Confédération et menacent même de faire sécession, hypothèse non déraisonnable compte tenu des ressources de cette Région où l’exploitation pétrolière connaît une rapide expansion. Les autres Régions penchent, avec des nuances, vers la première thèse en redoutant néanmoins une nouvelle hégémonie du Nord.
À l’invitation du Ghana, le CMS s’était réuni début janvier près d’Accra et ses membres avaient apparemment trouvé un terrain d’entente. Mais le Lt-col Ojukwu, Gouverneur de la Région orientale, n’avait pas tardé à accuser ses pairs de duplicité et les avait sommés, en février, de mettre effectivement en application les résolutions communes. Le gouvernement fédéral avait publié le 17 mars un décret en ce sens. Les termes en ont été rejetés par l’Est. Son Gouverneur qui refuse de s’associer aux travaux du Conseil, se déclare en outre insatisfait par la répartition des recettes budgétaires au titre de l’exercice débutant le 1er avril : le montant des ristournes allouées à sa Région est reconduit alors qu’il en réclamait l’accroissement, motivé par le préjudice subi par les Ibos. Il a édicté en conséquence, courant avril, un ensemble de mesures qui confèrent à la Région orientale une autonomie de fait : les recettes perçues jusque-là au profit du Trésor fédéral reviennent désormais aux finances locales ; dix grands services publics fédéraux opérant dans l’Est sont « régionalisés » et la compétence de la Cour suprême fédérale n’y est plus reconnue. Les mesures de rétorsion prises par le gouvernement fédéral sont restées en partie inopérantes mais le Lt-col Gowon a résisté jusqu’ici aux pressions des représentants du Nord qui préconisent l’usage de la force contre l’Est. Il poursuit au contraire ses tentatives de conciliation avec l’aide des Gouverneurs de l’Ouest et du Centre-Ouest. L’entreprise du Lt-col Ojukwu peut en effet apparaître comme un moyen d’intimidation et ses menaces de sécession constituer un chantage. Quoi qu’il en soit, ce dernier a fait appel à la médiation de plusieurs États africains, démarche propre à lui conférer, en cas d’acceptation, une reconnaissance internationale implicite.
La réserve des médiateurs pressentis traduit leur embarras. Considérant la crise comme d’ordre interne, les États africains préféreraient que les parties en cause la résolvent seules et souhaiteraient surtout que soit préservée l’unité fédérale. La sécession d’une région et, par voie de conséquence, l’éclatement possible de l’ensemble, les obligeraient en effet à définir leur attitude à l’égard des « sécessionnistes » alors que la partition d’un État indépendant constituerait un phénomène nouveau en Afrique et un dangereux précédent. Ces mêmes raisons motivent d’égales préoccupations hors d’Afrique. Grâce à sa position géographique, à son potentiel humain et économique, à son apparente stabilité, le Nigeria avait été choisi par nombre de puissances étrangères comme l’un des points d’application préférentiels de leurs efforts en Afrique noire.
Au Royaume-Uni, son ancien tuteur, se sont joints les États-Unis, la plupart des pays européens, Israël et l’Égypte ; l’Union soviétique elle-même lui porte intérêt. Plusieurs de ces partenaires sont concernés par l’exploitation pétrolière, tous s’efforcent de développer leur influence, les uns et les autres redoutent les conséquences d’une éventuelle rupture d’équilibre. Plus immédiatement, les entraves apportées aux transports sur les voies intérieures nigériennes perturbent déjà l’approvisionnement en produits pétroliers du Tchad et du Niger. Au surplus, si aucune solution n’intervient, le trafic saisonnier sur la rivière Bénoué menace à son tour d’être compromis : groupé sur la période de juillet à septembre, il permet la reconstitution annuelle des réserves d’hydrocarbures pour le Nord du Cameroun et le Sud-Ouest du Tchad et l’évacuation de la récolte cotonnière de cette zone. Ces considérations économiques contraignent les États en cause à conserver des relations avec toutes les Régions du Nigeria et les incitent donc à la neutralité, attitude déjà incommode en raison de certaines affinités particulières et qui le deviendrait davantage s’ils venaient à être impliqués par contiguïté dans un éventuel conflit.
Quelles que soient la valeur des arguments des parties et la profondeur de leurs divergences, maints facteurs favorisent donc un dénouement pacifique de la crise, l’élaboration d’un compromis et la sauvegarde d’une relative unité. À cet égard, les négociations en cours entre le Gouverneur de la Région orientale et certains de ses partenaires permettront peut-être de dégager des perspectives de solution.
Mauritanie : arrivée à Nouakchott du premier rallye transsaharien de chars à voile
Le mercredi 15 mars 1967, dans l’après-midi, une très nombreuse population était massée à l’entrée de Nouakchott, capitale de la Mauritanie, pour applaudir la flottille de chars à voile qui venait de gagner un extraordinaire pari : relier Colomb-Béchar à Nouakchott distants d’environ 3 000 km de zone désertique sur des appareils propulsés par le vent. Le colonel du Boucher, Commissaire général au sein du Comité d’organisation créé spécialement à cet effet sous l’égide de la Fédération française de chars à voile, avait réalisé, au prix d’énormes difficultés un exploit sans précédent.
Il fallait d’abord avoir l’accord des gouvernements algérien et mauritanien. Il fut obtenu aisément et les deux gouvernements intéressés apportèrent en outre leur aide au rallye en mettant à la disposition du Colonel des détachements militaires qui, accompagnant les participants, formèrent la « base-vie » en transportant les carburants et ingrédients pour les véhicules tous terrains et les avions, l’eau et les vivres pour un mois, les pièces de rechange pour les chars, le matériel de campement, le matériel médical, etc.
Pour faciliter les réparations, le nombre de types de char fut limité à trois : le char français type Arguin, le char français BB Demoury type Sahara, et le char anglais Feather, qui présentaient les caractéristiques communes suivantes : suspension soignée permettant d’encaisser au mieux les cahots et les cassis, garde au sol de 40 cm au minimum pour pouvoir passer sur les petites buttes de sable ou touffes de végétation, poids maximum à vide de 200 kg, charge utile de 120 kg (le pilote et environ 40 kg de bagages), système de freinage, coffre à bagages.
Vingt-trois pilotes participèrent au rallye : six français dont une femme, Mme Gimel championne d’Europe, un danois, trois allemands, trois hollandais, sept anglais et trois américains. Ces derniers n’avaient jamais vu, même en photo, les appareils qu’ils devaient piloter !
Le raid fut organisé sous forme de rallye par équipes de trois appareils, certaines sans caractère national. Très rapidement toute idée de compétition fut abandonnée, en raison des trop grands risques de casse de matériel, d’une prévisible fatigue excessive des pilotes, et de mutations possibles dans la composition des équipages. Le parcours fut divisé en trois grandes étapes : Colomb-Béchar–Tindouf, Tindouf – Zouerat et Zouerat–Nouakchott, chacune des étapes étant divisée en secteurs et courue sous forme de rallye.
Le 9 février 1967, les participants, dont aucun ne connaissait le désert, mais qui savaient qu’il leur faudrait faire preuve d’une endurance exceptionnelle, vivre en Spartiate pendant plus d’un mois et affronter avec le stoïcisme du dromadaire aussi bien la tempête de sable que le calme plat, étaient réunis à Colomb-Béchar autour du Colonel du Boucher. Le vent ne se lève que le 18 et s’abat le 14. Un des chars anglais en traversant Abadla accroche un câble électrique et est désintégré. Le 15, les pilotes assistent au lancement de la fusée Diadème puis repartent mais ne réussirent à parcourir qu’une cinquantaine de kilomètres.
Le 16, au pied de l’erg Raoui, le vent devient favorable, un peu trop même, quelques chars restent sur le terrain et il n’en reste plus que huit en course. Puis le vent souffle de face et il faut tracter les chars pour atteindre la cuvette de la Daoura. Le 17 au matin, le vent souffle de l’est et s’y maintient pendant 11 jours : mille kilomètres seront parcourus en 8 jours. Le 20 le rallye fait dans Tindouf une entrée triomphale entre une double haie de nomades manœuvrant difficilement leurs méharis affolés par la musique, les cris et les rires des habitants de la Saoura réunis depuis la veille dans l’oasis pour accueillir le rallye. Après deux jours de repos et de festivités c’est le départ vers le sud à vive allure sur les regs qui s’étendent jusqu’aux approches d’Aïn Ben Tili, où les hommes bleus accueillent dans la grande tradition du désert les pilotes des étranges machines. Le griot chante la geste du rallye ponctuée par les you-you des femmes voilées. Le lendemain, le vent se déchaîne et atteint dans l’après-midi une vitesse de 18 mètres seconde. Malgré le vent de sable très violent et la visibilité tombée à quelques centaines de mètres le guide réussit à atteindre le point d’eau. Mais le vent est si fort que la plupart des pilotes renoncent à monter leur tente et couchent dans les camions. Puis le vent tombe mais la brume persiste, la progression doit se faire au compas et le raid tombe dans la sebkha d’Iguetti que les camions d’accompagnement contournent mais que les chars à voile franchissent, les pilotes cramponnés au volant et les fesses décollées de la selle comme des jockeys. Le 3 mars, le vent tombe complètement, la chaleur monte, les crevaisons et les ruptures d’essieu se multiplient.
Ensuite, le rallye atteint Zouerat où les pilotes bénéficient des excellentes installations de la MIFERMA (Société des Mines de fer de Mauritanie) et de l’accueil chaleureux du personnel de la société. Le 7, c’est le départ, assez difficile au début, mais passé la montagne de fer, le vent se lève et la course à la mer commence à vive allure. Un char se brise, son pilote git presque inconscient et doit être évacué sur Zouerat. Les autres chars piquent droit sur le cap Timiris à travers le Rio de Oro. Pendant la nuit on réussit à reconstruire entièrement le char détruit qui reprend la course, mais le 11 un autre char se brise, irréparablement. Le vent tombe, la traversée des dunes se révèle difficile. La baie de St-Jean est atteinte et tout le monde se précipite vers la mer pour se baigner. Puis les chars roulent le long du rivage et atteignent le soir, au sud du cap Timéris, le village de pêcheurs de Nouamghar.
Enfin, le 15, c’est l’arrivée triomphale à Nouakchott devant la tribune où le président de la République M. Moktar Ould Daddah, tient à féliciter et à décorer lui-même les premiers navigateurs du désert. Le Haut-Commissaire à l’Information, à l’Artisanat et au Tourisme tient à remercier le colonel du Boucher et les participants : ce rallye, par les reportages dans les grands journaux du monde attire sur la Mauritanie l’attention des sportifs et en particulier des fervents du char à voile ; ceux-ci ne pouvaient jusqu’à présent s’adonner à leur sport favori que sur des plages étroites et encombrées. La preuve vient d’être faite qu’il est possible d’organiser sur des espaces immenses et vides des compétitions de grande classe. La Mauritanie pourrait ainsi, à condition de créer les hôtels nécessaires, s’ouvrir au tourisme international pour le plus grand bien de son économie.