Militaire - Les forces de défense françaises - La situation des cadres de réserve - Au Vietnam - Réduction des forces britanniques et américaines stationnées en Allemagne - Autres réductions des forces britanniques
Les forces de défense françaises
M. Messmer, ministre des Armées, a fait un exposé le 18 mai dernier devant la Commission de la Défense nationale.
Il a rappelé d’abord les objectifs de la politique de défense du Gouvernement. Cette politique, qui représente une innovation par rapport à celle qui a été suivie dans l’immédiat après-guerre, vise à maintenir la paix par la dissuasion.
Les moyens de cette politique sont essentiellement nucléaires. Ils consistent d’abord en une force nucléaire stratégique : 62 Mirage IV et 12 avions ravitailleurs C-135F. Chaque Mirage est armé d’une bombe atomique de 50 Kt. Cette force stratégique, dite de première génération, est entièrement opérationnelle. Les délais prévus pour sa constitution ont été respectés et, contrairement à certaines craintes exprimées en 1960 lors du débat sur la première loi-programme, elle n’est nullement périmée techniquement.
En outre, dès 1964, deux forces de fusées ont été mises en chantier : un système SSBS (Sol-sol balistique stratégique) et un système MSBS (Mer-sol). La première, qui sera opérationnelle en 1970, comprendra 25 fusées, d’une portée de 8 000 km, armées d’une tête atomique d’une puissance de 150 Kt. Les fusées MSBS, d’une puissance d’une demi à une mégatonne, seront embarquées à bord de trois sous-marins nucléaires, à raison de 16 par sous-marin. Le premier sous-marin sera opérationnel en 1970, les deux suivants en 1972 et 1974.
Mirage IV-bombe A, fusées SSBS, sous-marins nucléaires-fusées MSBS, sont les trois composantes de la force nucléaire stratégique française dont la capacité de pénétration et la puissance explosive sont considérables.
Le ministre a fait le point ensuite sur la situation des forces nucléaires tactiques, qui ont pour mission de frapper à moyenne distance des objectifs ponctuels et parfois mobiles.
Les vecteurs de l’arme nucléaire tactique, d’une puissance de 20 Kt, seront le Pluton, fusée de 15 à 120 km de portée et le Jaguar, avion dont le rayon d’action varie de 500 à 1 100 km. Ces deux systèmes d’armes seront opérationnels à partir de 1971-1972.
Lorsque l’ensemble des forces nucléaires sera en place, vers 1974, la puissance dont disposera la France sera de l’ordre de 30 mégatonnes.
Le ministre a consacré la suite de son exposé aux forces « non nucléaires ». Les forces terrestres comprennent 4 divisions de manœuvre et une d’intervention. La « tranche divisionnaire » correspond à un effectif de 30 000 hommes. Il n’est pas certain que l’on ait intérêt à maintenir des tranches aussi importantes. Les forces de manœuvre seront prochainement articulées en cinq divisions.
La troisième composante des forces de défense de la France est la DOT (Défense opérationnelle du territoire).
25 régiments de DOT sont formés, ainsi qu’une brigade alpine. Ces forces pourront être portées à 130 régiments en cas de mobilisation. L’ensemble des effectifs budgétaires de l’Armée de terre pour 1967 est de 382 000 hommes. Cette armée dispose d’un matériel considérable qui est actuellement en voie de modernisation.
Notre marine est articulée en deux escadres. Ses effectifs budgétaires pour 1970 s’élèvent à 70 000 h. Son tonnage total atteint 350 000 tonnes, objectif considéré comme souhaitable dès 1946. À mesure que les sous-marins atomiques entreront en service, la Marine est appelée à connaître une profonde évolution.
Les forces aériennes, articulées en grands commandements fonctionnels, ont des effectifs budgétaires de 110 000 h.
Le ministre a consacré la dernière partie de son exposé aux résultats de la politique de défense.
Ces résultats sont d’abord d’ordre international. La paix a été sauvegardée. La France est sortie de l’Otan. Cette décision était la conséquence logique d’une politique de défense incompatible avec les deux postulats de l’Otan : unité de commandement (confié à un général américain) et entrée en action automatique des forces en cas de conflit. L’armement atomique dont s’est doté la France est, par essence, rebelle à l’intégration sous un commandement interallié et au déclenchement automatique.
Sur le plan interne, l’armement nucléaire a donné sa pleine valeur à une disposition inscrite depuis longtemps dans les constitutions françaises, selon laquelle le Chef de l’État est le Chef des Armées. Le droit de décider l’emploi de l’arme atomique ne peut appartenir qu’à un homme, ou à un groupe restreint d’hommes, limitativement énumérés. En France, il ne peut s’agir que du président de la République, élu au suffrage universel. En outre, la politique militaire du gouvernement, en rendant l’Armée à sa vocation véritable, lui a rendu aussi sa place dans l’État. Une armée évoluée techniquement est impropre aux coups d’État.
Le ministre a souligné les effets bénéfiques du programme militaire français sur l’économie et la recherche. Le prélèvement des dépenses militaires sur le Produit national brut, loin d’augmenter, a décru d’un tiers depuis dix ans (6,40 % en 1957, 4,48 % en 1967).
L’exposé du ministre a été suivi d’un large débat.
Le ministre a répondu d’abord aux questions relatives à la force nucléaire stratégique. Il a été amené ainsi à préciser notamment qu’une campagne de tirs aurait lieu en Polynésie en juin et juillet 1967 ; que l’équilibre entre forces nucléaires et forces non nucléaires serait maintenu ; qu’en cas d’attaque caractérisée et importante sur le territoire national, l’ensemble de nos moyens stratégiques serait mis en action.
En ce qui concerne l’abonnement de la France au réseau radar de l’Otan, celui-ci n’est pas nécessaire au bon fonctionnement de notre force nucléaire, dans la mesure où elle sera fondée de plus en plus sur des fusées. Cet abonnement est d’ailleurs réciproque, les informations que nous fournissons étant également utiles à nos alliés.
Le ministre a souligné que dans le cadre d’une stratégie qui suppose l’emploi d’un armement, un système de protection civile peut apparaître nécessaire ; les données sont différentes quand la stratégie choisie est celle de la dissuasion.
M. Messmer a répondu ensuite aux questions posées sur le service militaire et les problèmes de personnel. Il a rappelé les caractéristiques de la loi de juillet 1965 sur le Service national. Il a donné les précisions suivantes sur son application : 95 % des appelés effectuent un service militaire. Sur les 5 % restants, 10 000 effectuent un service de coopération ; 10 000 bénéficient de dispenses. Il est probable que l’on s’orientera vers une augmentation du nombre des cas de dispense et une diminution progressive de la durée du service.
La situation des cadres de réserve
Trois éléments principaux ont conduit à reconsidérer la situation des cadres de réserve :
– la diminution des besoins des Armées,
– l’apparition de nouveaux besoins dans le cadre du service de défense,
– l’augmentation de la ressource.
La diminution des besoins des Années. – Les besoins en effectifs mobilisés en cas de guerre ont constamment décru depuis 1940. Cette réduction s’accélère encore, en raison de la nouvelle stratégie française basée sur le « fait nucléaire » et non plus sur le « volume des effectifs ». En ce qui concerne l’Armée de terre, par exemple, l’effectif des réservistes ayant un emploi de mobilisation est passé de 2 200 000 en 1940 à 500 000 de nos jours. Le Plan à long terme en prévoit 360 000 pour 1970. Ce chiffre représentera alors 51 % du total des mobilisés (contre 80 % en 1940).
Les besoins nouveaux du Service de Défense. – Ces besoins correspondent à la nécessité d’assurer la continuité de la vie interne du pays, dans l’éventualité d’un conflit. Ils correspondent aux affectations non militaires de défense : emplois dans les Administrations, organismes et entreprises publiques et privées, afin que ceux-ci puissent continuer à assurer la vie de la Nation ; emplois dans des corps de défense, pour assurer l’ordre et la survie de la population.
Alors que les besoins des Armées diminuent, les ressources augmentent et, dès maintenant, le volume des classes d’âge dépasse de loin les besoins. La France compte 23 millions d’hommes ; 12 millions sont âgés de 18 à 60 ans, dont 4 millions restent disponibles pour le service militaire. Parmi ces derniers, 3 M ont reçu une instruction militaire. Cette ressource couvre six fois les besoins des Armées prévus au plan actuel (contre deux fois en 1954). Cet excédent en personnel concerne évidemment les cadres de réserve dont la répartition par qualification n’est plus exactement adaptée aux emplois de mobilisation. Il convenait donc de pouvoir procéder à des réajustements.
Les principes de la réforme
Ils sont concrétisés par deux grandes options : l’affectation d’une partie seulement de l’effectif des réserves dans les postes des Armées et, pour toutes les personnes excédentaires ou trop âgées pour servir dans les armées, l’affectation dans des emplois non militaires de défense (soit affectations de défense, soit corps de défense).
Celles d’entre elles qui seront affectées aux « corps de défense » (1) y conserveront un grade équivalent à celui qu’elles possédaient dans la réserve. Aux autres, l’honorariat sera généralement accordé.
Enfin, une période transitoire de longue durée sera ménagée avant que le nouveau système n’entre totalement en application, en tenant le plus grand compte, en particulier, des services rendus par les officiers de réserve ayant dépassé l’âge du service militaire légal.
Les textes promulgués
Les nouvelles dispositions figurent dans la loi du 5 juillet 1966 et dans les décrets d’application publiés au Journal officiel du 18 mai 1967.
La loi du 5 juillet 1966. – L’article 1er pose comme principe que la durée du service militaire est de 17 ans, dont 5 ans dans le service actif et la disponibilité, et 12 ans dans la réserve. Mais il précise que les officiers et les sous-officiers de réserve peuvent toutefois être maintenus à la disposition du ministre des Armées au-delà de cette durée, au plus tard jusqu’à la limite d’âge, augmentée de cinq ans, des personnels d’active des corps et grades correspondants. La décision de leur maintien et, corrélativement, de leur radiation, est prise par le ministre des Armées, en fonction des besoins des Armées et de l’aptitude des personnels intéressés, les critères pris en considération pour décider du maintien par priorité de certains cadres de réserve devant être précisés par décret (décret du 28 avril 1967).
L’article 2 permet de ménager toutes les transitions nécessaires.
L’article 3 concerne les conditions d’application et la date d’entrée en vigueur de l’article 1er qui seront fixées par décrets en Conseil d’État.
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Les textes ont été conçus de manière à réaliser une similitude entre les trois Armées, les différences ayant été réduites aux spécificités indispensables.
Les officiers de réserve.
Pour les trois Armées, l’essentiel peut être regroupé sous trois rubriques :
– le maintien dans les cadres au-delà de la durée normale du service militaire (17 ans),
– la radiation des cadres,
– l’honorariat.
1) À l’expiration de la durée du service militaire, les officiers de réserve peuvent être maintenus dans les cadres en fonction des besoins des Armées (variables selon les spécialités) et des aptitudes physiques et techniques des intéressés.
Le caractère évolutif des besoins et la nécessité d’adapter géographiquement la ressource à ces besoins n’ont pas permis de fixer de façon plus explicite les règles de maintien. En cas d’aptitude égale, les décrets prévoient que seront maintenus en priorité les officiers de réserve ayant exercé une activité correspondant à des critères fixés par un autre décret.
En fonction des besoins, le maintien dans les cadres pourra être interrompu avant la limite d’âge supérieure par décision du ministre. Cette radiation est de droit pour tout officier de réserve, père de six enfants, qui en fait la demande.
Sur ce point, le sort des officiers âgés de 37 ans au 1er juillet 1968 fera l’objet de dispositions particulières fondées sur l’article 2 de la loi.
À la limite d’âge, les officiers seront rayés d’office des cadres. En raison des diversités de ces limites, de la nécessité de rajeunir les cadres subalternes, de l’unité à réaliser entre les trois Armées, de la progressivité nécessaire dans l’application de ces limites et dans l’éventualité de l’évolution ultérieure des besoins, il n’a pas été jugé possible de fixer ces limites d’âge par décret. Elles feront l’objet d’un arrêté ministériel commun aux trois Armées.
2) En ce qui concerne la radiation des cadres, celle-ci peut avoir lieu, à tout moment, à l’égard de tout officier reconnu définitivement inapte médical, et, pendant la durée du service militaire après avis d’un conseil d’enquête, à l’égard de tout officier reconnu incapable de remplir les fonctions de son grade, la radiation s’accompagnant alors de la perte du grade.
En outre, la radiation des cadres ainsi que la perte du grade peuvent intervenir dans des cas bien déterminés (démission du grade acceptée par le ministre, perte de la qualité de Français, condamnation, etc.). Ces cas sont au nombre de dix.
3) Quant aux règles concernant l’honorariat, elles se trouvent en fait, peu modifiées :
– Il pourra être accordé, en fonction des services rendus, aux officiers de réserve à l’issue des dix-sept années de services militaires (auxquelles sont en principe astreints tous les citoyens) prévues par l’article 29 de l’ordonnance du 7 janvier 1959.
– Il sera accordé de droit à ceux qui seront rayés des cadres après maintien au-delà des dix-sept ans, à ceux qui seront titulaires de certaines décorations, ou enfin à ceux qui seront rayés des cadres pour blessures ou maladies contractées en service.
Les sous-officiers de réserve
Les dispositions projetées établissent le début d’un véritable statut de sous-officiers de réserve, dans le cadre de la loi du 5 juillet 1966. Elles sont semblables à celles concernant les officiers, marquant ainsi l’unité fondamentale des cadres de réserve. Les seules différences notables résident dans la fixation des limites d’âge par des décrets, dans la possibilité, déjà établie antérieurement, de transfert dans l’Armée de terre, de spécialistes non utilisés par la Marine ou l’Armée de l’air.
Dispositions complémentaires
Deux textes complètent dès maintenant ces dispositions :
1) Un décret, publié le 25 novembre 1966, assure aux cadres de réserve rayés des cadres militaires un grade dans le service de défense. Ce grade est équivalent à celui qu’ils possédaient dans la réserve.
2) Un décret du 28 avril 1967 fixe les critères de priorité pour le maintien des cadres de réserve, après la durée du service militaire.
L’arrêté ministériel fixant les limites d’âge des officiers de réserve, dans les trois Armées, selon le corps auquel ils appartiennent, est paru au JO du 25 mai 1967.
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La mise en œuvre de ce nouveau régime se fera très progressivement et n’atteindra très vraisemblablement son plein effet que dans plusieurs années.
Au Vietnam
En raison des manifestations contre la guerre du Vietnam qui se sont déroulées à New York en avril dernier et qui ont rassemblé jusqu’à 250 000 personnes, le gouvernement américain a estimé devoir avertir Hanoï que rien ne pourrait le contraindre à arrêter, voire même à réduire, son effort au profit du Sud-Vietnam. Le voyage à New York du général Westmoreland, Commandant en chef du corps expéditionnaire, et son discours devant le Congrès traduisent manifestement un durcissement de la position des États-Unis. Le général Westmoreland a affirmé que le moral de l’ennemi commençait à se détériorer, mais reconnu qu’en 22 mois, malgré les pertes subies, les effectifs de l’adversaire ont plus que doublé.
Cette intensification des opérations s’est traduite par un nombre d’opérations aériennes contre le Nord-Vietnam de plus en plus grand et par une action dans le Sud toujours plus accentuée.
Selon la presse américaine, le Haut-commandement américain envisagerait de neutraliser le port de Haïphong : parmi les solutions envisagées figurent le minage avec des mines à retard ou avec des mines à influence réglée, le blocage de l’entrée du port en coulant des navires.
Quant aux effectifs, ils devront être accrus pour répondre aux besoins toujours plus grands et il se confirme qu’ils atteindront, fin 1967, 470 000 h. Il est question de porter ce chiffre à 550 000 pour l’été 1968.
À propos des dépenses, dont l’estimation avait été faite à 21,8 milliards de dollars, elles paraissent d’ores et déjà insuffisantes et l’Administration étudie un collectif budgétaire de 4 à 8 Mds de dollars pour janvier prochain.
Le problème des cadres militaires n’est pas réglé ; le Haut-Commandement est obligé de prélever des officiers et des sous-officiers sur les formations stationnées en Allemagne, qui seraient ainsi en sous-effectif de 20 à 30 % en moyenne, ainsi que sur celles en garnison aux États-Unis.
L’aviation connaît une crise beaucoup plus grave : la pénurie de pilotes atteindrait 2 400 environ pour l’US Navy, 800 pour le Marines Corps et plus de 2 700 pour l’Air Force.
Quant aux effectifs troupe, il est prévu le rappel, pour fin novembre, de 31 000 réservistes qui n’ont pas satisfait jusqu’ici à leurs obligations militaires. Mais ce chiffre paraît être bien insuffisant, même si on y ajoute les deux brigades qui vont être rapatriées d’Allemagne et qui, selon le Pentagone, doivent rester à la disposition de l’Otan. À moins de diminuer dangereusement leurs réserves générales, la solution paraît être de faire appel à la Garde nationale et aux réservistes. Le sénateur Jackson, de la Commission sénatoriale des forces armées, a d’ailleurs déclaré : « Je ne vois pas comment nous pourrions l’éviter ».
Au sein du Congrès, très impressionné par le discours du général Westmoreland, de nombreuses déclarations contre la guerre au Vietnam ont été révisées, mais non dans les milieux universitaires et intellectuels. On constate aussi que les mesures d’escalade décidées par le président Johnson ont fait remonter très sensiblement sa popularité sur l’ensemble du territoire.
Réduction des forces britanniques et américaines stationnées en Allemagne
À la suite de l’accord tripartite conclu entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne fédérale, les réductions des forces armées anglaises et américaines stationnées en Allemagne atteindraient :
– pour les Britanniques : 5 000 hommes de troupe – soit la valeur d’une brigade – et 4 200 personnels civils. Le premier corps d’armée britannique serait probablement ramené à 5 brigades au lieu de 6. La RAF rapatrierait 1 squadron d’hélicoptères Wessex ;
– pour les États-Unis : 85 000 h au maximum sur les 260 000 environ que comptent actuellement les forces terrestres et aériennes américaines en Allemagne, soit deux des trois brigades de la 24e Division d’infanterie et quatre des neuf escadrons de chasseurs-bombardiers à capacité nucléaire : 96 Phantom sur un total de 216 appareils.
Tandis que Londres précise que la brigade britannique ainsi rapatriée sera maintenue à la disposition de l’Otan, Washington insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un retrait mais d’un « redéploiement ». Les unités retirées pourraient, dans un délai relativement court, être renvoyées en Europe : au maximum trente jours pour les forces terrestres et dix jours pour les forces aériennes. Des délais améliorés concernant les forces terrestres sont liés à la mise en service des avions de transport C-141 Starlifter et C-5A Galaxy, prévue pour 1972-1975, mais aussi à la situation au Vietnam car la presque totalité des transports stratégiques américains est actuellement utilisée au profit du corps expéditionnaire.
L’Allemagne fédérale est évidemment surprise par l’ampleur de tels retraits et manifeste des craintes pour l’avenir. Les États-Unis répondent en affirmant que tout conflit serait vraisemblablement précédé d’une période de tension qui permettrait un redéploiement des forces américaines sur les lieux de leur ancienne implantation ; d’ailleurs ils envisagent que les forces ainsi rapatriées reviennent une fois par an en Allemagne participer à des manœuvres Otan. En outre, ils seraient disposés à s’engager à redéployer ces forces en Europe dès l’alerte de « vigilance militaire », l’une des phases d’alerte Otan.
Ce projet, élaboré par l’Administration, est loin de recueillir l’approbation des milieux militaires qui estiment que cette mesure repose sur trois hypothèses hasardeuses et dangereuses :
– que l’URSS, qui bénéficie de la supériorité militaire dans cette zone, continue à pratiquer une politique de détente ;
– que les autres Nations de l’Otan ne seront pas incitées par l’exemple américain à réduire leurs effectifs en Allemagne fédérale. Or, déjà, la Grande-Bretagne procède à des rapatriements ; la Belgique et les Pays-Bas envisagent des retraits analogues et la RFA des réductions d’effectifs ;
– que les États-Unis ont les moyens de renforcer, dans des délais très courts et de façon substantielle, leurs forces conventionnelles en Europe, de manière à éviter l’emploi des armes nucléaires tactiques pour contenir une agression.
Ainsi, ces réductions ne s’expliquent que pour des raisons économiques, quoique les unités ainsi rapatriées doivent disposer d’un double équipement en matériels : en Amérique et en Allemagne fédérale. Rappelons que pour compenser les dépenses américaines en Allemagne, les accords financiers prévoient l’acquisition, avant juin 1968, par la RFA de titres d’État américains pour 500 M$ et d’équipements militaires pour, vraisemblablement, 200 M$.
De nombreux membres du Congrès souhaiteraient une réduction beaucoup plus importante et certains ont proposé de ramener de 6 à 2 le nombre des divisions américaines stationnées en Europe. Si l’URSS mettait en pratique des réductions comparables ou même inférieures à celles des Américains, il paraît évident que la pression s’accentuerait aux États-Unis pour un nouveau désengagement. Leur intervention en Europe serait alors liée à des moyens de transport par avions dont ils ne disposeront que vers 1972-1975 et qui comportent les aléas bien connus : interceptions en vol, délais de réorganisation des unités à l’arrivée, etc.
Autres réductions des forces britanniques
La charge que représente le Far East Command s’élève, pour l’exercice 1967-1968, à 87 millions de livres sterling ; aussi le gouvernement britannique a-t-il envisagé (cf. notre chronique de décembre 1966) de réduire considérablement ses effectifs stationnés en Malaisie. Le ministre de la Défense, M. Healey, a effectué, du 22 au 28 avril 1967, un voyage pour mener à bien, avec l’accord des chefs de gouvernement de ces pays, le programme envisagé.
En plus des 10 000 hommes déjà rapatriés, Londres aurait décidé de réduire ses forces d’une nouvelle tranche de 10 000 hommes et d’accompagner ce retrait d’une diminution proportionnelle des personnels civils.
Ainsi, seraient ramenés au niveau existant avant le début de la confrontation avec l’Indonésie – septembre 1963 – les effectifs britanniques de Singapour et de Malaisie.
Une telle décision a provoqué des réactions dans toute la région du Sud-Est asiatique :
– à Singapour où 40 000 ouvriers sont employés dans les bases britanniques (Singapour compte déjà 76 000 chômeurs, soit 15 % du nombre des travailleurs) ;
– en Australie et en Nouvelle-Zélande où ce retrait des forces britanniques est interprété comme le commencement du désengagement de la Grande-Bretagne dans cette région ;
– en Malaisie où le danger extérieur et les problèmes intérieurs nécessitent le maintien de forces britanniques importantes.
Quant aux États-Unis, ils considèrent cette décision comme inopportune, étant donné la situation actuelle au Vietnam.
Au cours de son voyage, M. Healey s’est efforcé de rassurer ses interlocuteurs de Singapour et de Kuala-Lumpur. Il a précisé que « ces mesures n’impliquent pas un changement de politique de la Grande-Bretagne en Extrême-Orient, qu’elles sont conformes aux prévisions annoncées lors du débat sur la défense en février dernier ». Il a ajouté que les accords de défense qui lient la Grande-Bretagne à la Fédération de la Malaisie ne sont pas en cause et que son pays est prêt à accorder une aide financière à Singapour et à la Malaisie en cas de difficultés économiques résultant du retrait des personnels britanniques et indigènes de certaines bases.
Ces réductions ne concerneraient pas la garnison de Hong-Kong dont le gouvernement local a accepté de participer aux frais d’entretien des troupes britanniques.
Rappelons que la Grande-Bretagne dispose des bases suivantes :
• Dans l’île de Singapour :
– Tengah, Seletar et Changi pour l’Aviation ;
– Sembawang (Seletar) pour la Marine ;
• En Malaisie :
– Butterworth pour l’Aviation ;
– Terendak pour l’Armée de terre.
Quant aux forces britanniques, elles s’élèvent pour :
– l’Armée : à la 17e Division Gurkha à 3 brigades (dont la brigade du Commonwealth) ;
– la Marine : aux plus grosses unités de la Flotte (1 porte-avions, 1 porte-commando, 1 navire d’assaut, 2 destroyers lance-engins, 2 squadrons de destroyers ou frégates, 1 navire-atelier…) et 2 commandos de Marines articulés en une brigade) ;
– l’Aviation : à une quinzaine de squadrons divers.
(1) Le premier degré de ces « corps de défense », celui de la Protection civile, est mis sur pied dès le temps de paix, les appelés pouvant alors y faire leur temps légal d’activité. En cas de conflit, le corps de défense de la Protection civile serait encadré dans des conditions analogues à celles des Armées.