Outre-mer - Les répercussions du conflit israélo-arabe en Afrique noire - L'uranium du Niger - L'île Maurice au seuil de l'indépendance
Les répercussions du conflit israélo-arabe en Afrique noire
La guerre israélo-arabe du 5 au 10 juin 1967 a eu de notables répercussions en Afrique noire. Dans le domaine politique, les États qui sont au contact des pays du Maghreb et de l’Égypte et ceux qui se réclament de l’Afrique révolutionnaire ont été les plus sensibilisés, à des degrés d’ailleurs divers, tandis que, dans le domaine économique, l’une des séquelles du conflit – le blocage du canal de Suez – provoquait des perturbations très sérieuses et durables dans la plupart des pays d’Afrique orientale riverains de la mer Rouge et de l’océan Indien.
Les prises de position politiques africaines. – Un seul État africain s’est officiellement rangé aux côtés de la République arabe unie (RAU) en déclarant la guerre à Israël : il s’agit du Soudan, gouverné par une majorité arabe et membre de la Ligue arabe. Soucieux d’affirmer sa solidarité avec la RAU à laquelle des liens historiques le rattachent, il n’a pas hésité à rompre ses relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne et les États-Unis dès le 6 juin et à offrir un concours militaire. Depuis le 10 juin, son gouvernement joue un rôle très actif dans les diverses tentatives de reconstitution d’un front arabe uni face à Israël « afin de faire disparaître toutes les séquelles de l’agression ». Khartoum a en effet organisé et accueilli plusieurs conférences interarabes dont la réunion au sommet des Chefs d’État le 29 août.
La Mauritanie est le second pays africain qui, sans aller jusqu’à se déclarer en guerre avec Israël, a manifesté une étroite solidarité avec les pays arabes en rompant le 7 juin avec Londres et Washington après que le président Moktar Ould Daddah eût assuré, dès le 4 juin, le Colonel Nasser « de son appui inconditionnel dans la défense d’une cause qui est également la nôtre ».
La Guinée, qui se veut révolutionnaire, ne pouvait faire moins que de mettre un terme aux relations diplomatiques qu’elle entretenait avec Israël mais, en dépit d’un communiqué dénonçant « l’agression barbare d’Israël et des pays impérialistes », se gardait bien de prendre d’autres mesures, telle une rupture avec Washington dont l’aide matérielle est essentielle pour la survie du régime de Conakry et qu’il convient de ne pas décourager.
Parmi les autres pays de l’Afrique au Sud du Sahara qui se rangent volontiers dans le camp progressiste (Mali, Tanzanie, Somalie, Burundi), le soutien de la cause égyptienne s’est manifesté sans trop d’éclat par des affirmations verbales de solidarité.
Quant à la majorité des États du continent, elle a surtout eu le souci d’éviter toute prise de position qui eût risqué de raviver des polémiques et de perturber les rapports interafricains. Proclamant leur non-alignement dans le conflit, se déclarant fidèles au principe du droit à la vie, à l’indépendance et à la liberté de tous les peuples, la plupart des responsables africains ont fait confiance à l’Organisation des Nations unies pour obtenir l’arrêt des hostilités et rechercher les moyens d’établir une paix durable entre les antagonistes. Les États de l’Ocam (Organisation commune africaine et malgache), en particulier, se sont attachés à faire prévaloir la raison et le bon sens dans une déclaration faite dès le 7 juin, où s’exprimait leur inquiétude devant le danger pour la paix mondiale que recelait l’affrontement israélo-arabe.
Depuis le cessez-le-feu, les États africains, dans leur ensemble, demeurent sur une réserve prudente. La plupart d’entre eux se refusent à prendre parti dans ce conflit et se retranchent derrière les graves préoccupations que leur causent les problèmes proprement africains qui, par leur gravité, suffisent largement à mobiliser toutes leurs possibilités d’action. Les dirigeants africains n’ont pas voulu se laisser entraîner par le courant de la propagande qui tendait à présenter la résistance des Arabes comme un élément de la lutte des peuples sous-développés contre l’impérialisme et le colonialisme. Il ne faut pas oublier que 30 des 38 États indépendants du continent noir bénéficient de la part d’Israël d’une assistance certes limitée mais généralement appréciée et qu’aux yeux des Africains, les Israéliens peuvent difficilement être suspectés de visées impérialistes. De même, les responsables africains ne méconnaissent pas la part que la RAU a prise dans la lutte pour leur émancipation. Tout ceci explique leur attitude générale d’expectative.
Il n’en demeure pas moins que les pays riverains de la mer Rouge et de l’océan Indien se trouvent indirectement mêlés au conflit et directement intéressés à un retour rapide à la situation antérieure au 5 juin, par le fait que leurs échanges commerciaux sont, à des titres divers, tributaires de la voie maritime du Canal de Suez.
Les incidences du blocage du Canal de Suez. – Pour les États de l’Afrique orientale et pour Madagascar l’interruption des communications maritimes par Suez a profondément désorganisé leurs courants d’échanges qui s’effectuent principalement avec l’Europe et un moindre degré avec l’Amérique du Nord. En outre, la fréquentation des ports de la mer Rouge et de l’océan Indien par les nombreux navires desservant le continent asiatique, et qui y transitent, a considérablement diminué du fait du déroutement par le Cap de Bonne Espérance.
C’est ainsi que, pour le Soudan, le Territoire français des Afars et des Issas, l’Éthiopie, la Somalie, le Kenya et Madagascar, les importations subissent des retards importants ; les exportations sont entravées, quelquefois compromises ; le prix de revient des marchandises achetées et vendues à l’étranger s’est accru en proportion de l’augmentation des taux de fret ; les ressources douanières et portuaires, élément souvent essentiel de leurs recettes budgétaires, ont connu une baisse brutale.
Au Soudan, en plus de ces difficultés, il a fallu faire face aux conséquences de la décision prise de renforcer le potentiel de défense du pays pour participer à l’effort collectif du monde arabe pour être en mesure de résister à « l’agressivité sioniste ». Le gouvernement a ainsi été amené à prendre des mesures d’urgence pour alimenter le budget national : établissement d’un « impôt pour la défense », augmentation des droits et taxes sur les carburants et sur certains produits de consommation courante importés ou fabriqués à partir d’éléments venant de l’extérieur, taxe supplémentaire sur les spectacles, réforme du timbre fiscal et institution d’une « épargne obligatoire » pour tous les salariés du secteur public et du secteur privé pendant un an. Il semble que ces mesures, qui lèsent surtout les travailleurs et les classes les moins favorisées de la population, ne soulèveront pas de réactions dangereuses de la part des partis d’opposition et des syndicats dans la mesure où elles seront acceptées comme une nécessité de la solidarité interarabe.
Dans le Territoire français des Afars et des Issas, l’activité du port de Djibouti, portée à son maximum en mai du fait de la paralysie du port d’Aden, s’est considérablement ralentie, provoquant la mise en chômage d’une partie des dockers. Les rentrées budgétaires attachées aux droits d’usage du port et aux taxes d’importation se sont amenuisées. La raréfaction de quelques produits importés a provoqué une légère hausse des prix. Les mesures prises par les autorités locales ont permis d’éviter les ruptures de stocks. Quant au réemploi des chômeurs du port, il est en cours d’organisation dans d’autres secteurs d’activité. Grâce à son appartenance à l’ensemble français qui l’assiste, le Territoire pourra traverser cette passe délicate sans dommages sérieux.
En Éthiopie, le rythme des importations et des exportations a été gravement perturbé, en particulier en ce qui concerne le café qui représente 50 % des produits vendus à l’étranger. La diminution des rentrées fiscales a compromis l’équilibre budgétaire au point que le Parlement a dû être réuni en session extraordinaire pour examiner plusieurs projets financiers proposés par le gouvernement. Celui-ci demande l’institution d’une taxe sur les carburants, la réglementation des transports routiers et une réorganisation de l’imposition des revenus fonciers. Ce dernier projet se heurte à une vive résistance des députés car il lèse gravement les intérêts des grands propriétaires terriens. Par le biais de la voie fiscale, c’est une sorte de réforme agraire qui s’amorce, certains propriétaires pouvant être contraints de vendre une partie de leurs biens pour payer les nouveaux impôts. C’est là une conséquence assez inattendue de la crise israélo-arabe.
La Somalie est sans doute l’un des pays africains les plus durement frappés par la fermeture du canal de Suez, par le fait que ses difficultés économiques et financières étaient déjà auparavant particulièrement sérieuses. Mogadiscio voit maintenant se tarir deux sources importantes de revenus : ceux provenant de ses exportations de bananes et le produit des droits de douane à l’importation qui représentaient l’essentiel de ses recettes budgétaires. Grâce à des améliorations réalisées dans la culture, l’emballage et la commercialisation des bananes, le courant d’exportation s’était développé au point de rapporter de 5 à 6 millions de shillings au pays. Les délais d’acheminement vers l’Europe par le Cap entraînent désormais, d’après les dernières estimations, une perte de 50 % des cargaisons, ce qui annihile pratiquement tous les efforts de ces dernières années. Ne disposant pas de réserves monétaires suffisantes, côtoyant sans cesse le déficit, la situation est devenue dramatique et son redressement ne peut être espéré que de concours étrangers substantiels.
Le Kenya, lui aussi tributaire du canal de Suez pour son commerce extérieur et dont les ports bénéficiaient d’une importante activité de transit maritime, se voit durement pénalisé par le détournement du trafic par le Cap. 2 000 dockers ont dû être mis à pied à Monbassa. L’augmentation des taux de fret a provoqué en outre un renchérissement du coût de la vie. Une détérioration du climat social est perceptible, tandis que la presse se déchaîne contre l’Égypte qu’elle rend responsable de la prolongation du blocage de Suez.
Il y a enfin Madagascar qui subit le contrecoup de la situation actuelle, l’essentiel de son commerce extérieur se faisant avec l’Europe. La vulnérabilité de ses circuits d’échange ayant été ainsi mise en évidence et la situation actuelle menaçant de durer, la République malgache se doit d’envisager une réadaptation de son réseau commercial extérieur. Elle se trouve amenée à prospecter les possibilités qui s’offrent d’abord dans sa zone géographique en reconsidérant en particulier ses rapports avec l’Afrique Australe, où elle a la certitude de trouver l’essentiel de ce dont elle a besoin et sans doute la possibilité de vendre certains de ses produits dirigés jusqu’ici vers l’Europe. Le partenaire le plus intéressant de Madagascar est évidemment la République Sud Africaine. Jusqu’ici, malgré les avantages qu’il pouvait retirer de relations normales avec ce pays, le gouvernement de Tananarive avait évité de rompre la solidarité qui l’unit aux pays membres de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), qui a mis Pretoria au ban de l’Afrique et recommandé son boycottage. Mais, nécessité faisant loi et le Chef de l’État malgache ne sacrifiant jamais l’intérêt national à des considérations idéologiques, on doit s’attendre à une intensification des échanges commerciaux entre Madagascar et l’Afrique du Sud.
De tous les États riverains de l’océan Indien, la République Sud Africaine apparaît finalement comme la seule bénéficiaire de la situation résultant du conflit israélo-arabe : revalorisation de la route du Cap, augmentation très sensible du trafic des principaux ports. Durban a connu en juillet son record de fréquentation : 68 navires s’y sont ravitaillés en une seule journée alors que la capacité maximum était estimée à 60. De plus, Pretoria profite de ces circonstances favorables pour nouer de nouvelles relations avec les pays africains de son environnement, qui se trouvent amenés à mieux apprécier l’intérêt durable qu’ils peuvent avoir à coopérer avec la seule puissance économique du continent.
L’uranium du Niger
Aux termes d’un protocole signé à Paris le 7 juillet 1967 entre les deux gouvernements, la France et le Niger ont défini les modalités d’exploitation des gisements uranifères de l’Aïr découverts au cours des cinq dernières années par des géologues du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à la suite des recherches entreprises sur le territoire nigérien depuis 1954.
Compte tenu d’accords antérieurs et particuliers, sur les matériaux stratégiques, conclus avec le gouvernement de Niamey, il est convenu que notre pays sera le client prioritaire et privilégié et que l’excédent d’uranium pourra être exporté ailleurs mais avec l’assentiment préalable de la France.
Les accords du 7 juillet, fruit d’une persévérante négociation, sont l’aboutissement d’une politique constante concourant à couvrir la totalité de nos propres besoins, à assurer notre indépendance nucléaire et, dans un proche avenir, à placer l’uranium français sur le marché mondial.
Dès 1945 les dirigeants français, pleinement conscients de la révolution qu’entraînerait dans le développement des différentes techniques l’utilisation de l’énergie nucléaire, conçurent un programme atomique et en confièrent l’exécution à un Commissariat. Dès lors commencèrent sur le territoire métropolitain les premières recherches du minerai d’uranium. L’insuffisance quantitative des réserves estimées en Vendée, en Limousin et dans le Forez (50 000 tonnes d’uranium pour l’ensemble des trois régions) incita à étendre immédiatement à l’Outre-Mer le champ des investigations. Aujourd’hui, grâce à un immense effort de prospection et d’exploitation, tant en France qu’en Afrique, à Madagascar et en Amérique du Sud (Brésil), notre pays se situe au quatrième rang des États producteurs d’uranium du monde occidental.
Au Niger, les géologues du CEA entreprirent d’explorer les plaines sahariennes qui s’étendent au pied du massif de l’Aïr dans la région d’Agades. La prospection aérienne commença en 1954 et permit de déceler les zones de radioactivité anormale. Ensuite on procéda à des explorations géologiques très poussées en utilisant les procédés et les méthodes des pétroliers. Ainsi fut mis à jour à Azelick un premier gisement d’une teneur de 3 ‰ et d’un volume approximatif de 6 000 t d’uranium. Ces résultats, excellents en eux-mêmes, n’eurent cependant aucune suite. La présence de carbonates de chaux dans le minerai et une couverture stérile de 100 mètres d’épaisseur obligèrent en effet à renoncer à toute intention d’exploitation.
En 1964-1965, un nouveau gisement fort riche en teneur d’uranium (8,5 ‰) est à son tour découvert à Madaouela – 6 700 t de métal à 70 m de profondeur. Mais, là encore, la présence de carbonates dans le minerai rend son traitement malaisé. On renonce donc à son exploitation immédiate, non sans continuer toutefois son exploitation.
Peu après cette seconde déconvenue, dans le courant de l’été 1965 et dans la même région, apparaît à Arlit un minerai à 2,5 ‰, dont les poches situées à une profondeur de 30 m dans le sol permettent d’envisager une exploitation à ciel ouvert. Les sondages effectués jusqu’à maintenant, et qui ne portent que sur une faible partie de la zone explorée, ont démontré l’existence de 20 000 t d’uranium métal, ce qui confère à Arlit la deuxième ou troisième position mondiale.
Carte des grandes routes et voies de chemin de fer du Niger (1967)
À Arlit, les différents gisements explorés ou en cours d’exploration ont été baptisés Ariette, Arlequin et Arnold. Pour le moment, Ariette occupe de très loin la première place en représentant à lui seul les 2/5e du total actuel des gisements contrôlés par le CEA. Outre le volume de ses réserves, sa teneur en uranium et la possibilité d’être exploité en carrière, Ariette offre encore l’avantage d’être situé à proximité d’une nappe aquifère fossile capable de fournir 6 000 mètres cubes d’eau par jour.
Toutes ces données réunies ont permis de conclure au caractère de rentabilité d’Ariette et déterminé la France et le Niger à entreprendre en commun son exploitation. Une concession minière de 75 ans pour une zone de 850 km2, dont Ariette ne couvre qu’une petite superficie, est consentie à une Société de droit nigérien qui vient d’être créée : la Société des mines de l’Aïr. Cette société réunit le gouvernement nigérien, qui détient 15 % des actions, le CEA qui en détient 45 % et deux sociétés privées françaises : la Compagnie de Mokta et la Compagnie française des minerais d’uranium qui est une filiale de Pennaroya. Ces deux entreprises sont actionnaires chacune à 20 %. Le capital social de la nouvelle société est fixé à 60 millions de francs.
Ainsi, après des années de recherches, le cap essentiel est franchi. L’accord d’exploitation est signé et la société exploitante est constituée. Cependant, de nombreux et importants obstacles restent encore à surmonter avant la production des premiers kilogrammes d’uranium. Ils sont essentiellement le fait des problèmes posés par l’état désertique de la région où se trouve localisé le gisement et de la très longue distance qui la sépare de la mer.
Étant donné la teneur en uranium du gisement d’Ariette, il faut traiter une tonne de minerai pour obtenir 2 à 3,5 kg d’uranium métal. C’est dire qu’il est exclu d’envisager le transport des millions de tonnes de minerai nécessaires à une production d’uranium concentré, tant les frais à supporter seraient disproportionnés à l’intérêt de l’opération. Aussi a-t-on choisi la seule solution raisonnable de l’exploitation sur place en construisant une usine de concentration sur les lieux mêmes du gisement. C’est, bien entendu, ce qui est prévu à Ariette où, dans un premier temps, une usine pilote entrera en service en 1970. Il en sortira un concentré d’uranium à 70-80 % qui, après traitement en Métropole, fournira annuellement 200 t d’uranium métal. Cette production sera quintuplée en 1973 à la suite de l’installation d’une seconde centrale thermique plus puissante. Autour de ce complexe industriel s’érigera en plein désert une nouvelle cité de 6 000 habitants abritant les techniciens européens, les travailleurs noirs et leurs familles. Tous ces problèmes ne présentent certes en eux-mêmes aucun caractère exceptionnel mais ici, dans un pays pratiquement dépourvu de tout, ils prennent un relief particulier.
L’exploitation du gisement d’Ariette, à la cadence de 1 000 t/an d’uranium métal à partir de 1973, implique d’importer chaque année de la métropole à Arlit 30 000 t de produits divers, dont 10 000 t de fuel et 15 000 t de réactifs. Or, Arlit est situé à vol d’oiseau à 3 600 km de Marseille et ne dispose, à proximité, d’aucun aérodrome important. Il en résulte que le fret devra être acheminé par mer jusqu’au port dahoméen de Cotonou et ensuite par voie de terre jusqu’au terminus. Cette deuxième partie du transport s’effectuera sur 400 km de rails jusqu’à Parakou, 1 600 kilomètres de routes à peu près correctes jusqu’à Tahaoua et environ 400 kilomètres de pistes à aménager entièrement pour atteindre Arlit. Au total, le CEA estime à plus de 200 M de francs les fonds qui devront être investis jusqu’en 1978.
Pour le Niger, pays pauvre et ne possédant pratiquement aucune ressource en dehors de l’arachide, l’exploitation des gisements d’uranium de l’Aïr ne peut se traduire que par un bilan positif. Les avantages à en attendre sont de nature à transformer son économie. Les accords de Paris reconnaissent à l’État nigérien 50 % des bénéfices de l’exploitation. À cela il convient d’ajouter le revenu des actions sur la Société des Mines de l’Aïr, soit 15 %, et les impôts divers que percevra le Trésor nigérien.
Pour la France, les perspectives de l’opération ne sont pas moins encourageantes. En 1973, les mines du Niger fourniront chaque année 1 000 t d’uranium au même prix que celui de la métropole. À cette date, compte tenu des 1 000 t extraites au Gabon et à Madagascar, notre pays produira annuellement 2 400 t d’uranium pour une consommation de 2 000 t. Ainsi, pour la première fois, la France peut espérer être en mesure, non seulement de pourvoir à l’approvisionnement de son programme atomique sans débourser de devises, mais encore de placer sur le marché mondial l’excédent de ses besoins.
L’Île Maurice au seuil de l’indépendance
Les élections législatives organisées à l’Île Maurice le 7 août 1967 ont marqué l’étape décisive sur la voie de l’accession à l’indépendance de l’une des dernières colonies de la couronne britannique. Le parti de l’indépendance ayant emporté la majorité absolue des sièges de l’Assemblée législative, les dispositions arrêtées par la Grande-Bretagne en septembre 1965 doivent permettre à l’Île Maurice d’accéder à la souveraineté internationale dans un délai de 6 mois.
Découverte par les Portugais, occupée ensuite par les Hollandais, l’île devient française en 1715 sous le nom d’île de France. Elle fut conquise par les Anglais en 1810 en même temps d’ailleurs que sa voisine l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion) et fut attribuée en 1814 par le Congrès de Vienne à la Grande-Bretagne tandis que La Réunion était rétrocédée à la France. Devenue dès lors colonie de la Couronne sous le nom d’Île Maurice, elle fut, jusqu’en 1903, administrée avec les Seychelles comme un seul territoire. Elle fut dotée alors d’une Constitution, plusieurs fois amendée en vue d’assurer une participation plus démocratique de ses habitants à l’administration. C’est en juin 1961 qu’une première conférence constitutionnelle réunie à Londres traçait les grandes lignes d’un nouveau statut politique de la colonie qui, à l’instar de l’évolution entreprise à la même époque dans l’Empire français, aboutissait en 1964 à l’octroi d’une large autonomie interne. En septembre 1965, après une période de troubles engendrés par le désaccord des partis locaux sur l’avenir de l’île, une seconde conférence constitutionnelle amenait le gouvernement de M. Wilson à décider d’accorder au territoire son indépendance au terme d’une procédure assez complexe, dont l’élection au suffrage universel d’une Assemblée législative devait constituer l’avant-dernière et la plus décisive des étapes. Il appartient en effet à la nouvelle Assemblée de demander la complète indépendance de l’île pour qu’elle soit acquise au terme d’une période d’autonomie d’une durée de six mois après les élections.
Or le résultat du scrutin ne laisse aucun doute sur la volonté des habitants qui se sont prononcés à la majorité absolue en faveur du « parti de l’indépendance », celui-ci étant représenté par 43 députés sur les 70 que compte l’Assemblée. Les 27 sièges restants ont été acquis par le Parti mauricien social-démocrate, opposé à la formule de l’indépendance complète et partisan d’une autonomie interne avec le maintien d’une association étroite avec la Grande-Bretagne qui aurait la charge de la défense et des relations extérieures. Deux autres formations de tendance extrémiste se disputaient les suffrages des Mauriciens mais n’ont recueilli qu’un nombre infime de voix. Il s’agit de l’« All Mauritius Hindu Congress », préoccupé uniquement par la défense de la communauté hindoue et animé des sentiments les plus racistes et les plus violents, et du Parti communiste.
L’un des résultats les plus remarquables de cette élection est qu’elle a assuré à l’Assemblée une représentation des différentes communautés composant la population de l’île qui correspond assez exactement à l’importance de chacune d’elles. D’une superficie de 1 865 km2 (dépendances exclues) l’île comptait en effet au 1er janvier 1967 un peu moins de 800 000 habitants dont 51,3 % d’Hindous, 29,1 % d’Européens ou créoles, 16,4 % de Musulmans et 3,2 % de Sino-Mauriciens. Or la répartition ethnique des sièges à la nouvelle assemblée est la suivante : communauté hindoue 35, européens ou créoles 22, communauté musulmane 11, communauté chinoise 2, soit respectivement 50 %, 31,4 %, 15,7 % et 2,8 %.
En dépit de ces résultats qui peuvent satisfaire les promoteurs du plan d’émancipation, réalisé sans aléa sérieux jusqu’à sa phase ultime, l’avenir du jeune État se présente sous un jour assez préoccupant. Deux facteurs principaux jouent en effet dans un sens défavorable à sa stabilité et à sa sécurité :
– la pression démographique,
– la conjoncture économique.
L’Île Maurice connaît un taux d’accroissement moyen de la population de l’ordre de 3 % par an. Si ce rythme se maintient, l’île comptera plus de 2 millions d’habitants à la fin du siècle. Il faut noter en outre que le déséquilibre entre les ethnies va s’accentuant, les communautés hindoue et musulmane étant les plus prolifiques. Par son aspect et par ses mœurs, l’île a déjà pris un caractère asiatique qui ne fera que se préciser. Elle conserve cependant de son long passé sous colonisation française de profondes affinités pour la culture et la langue française, parlée par environ 20 % des Mauriciens. Elle fait partie du Commonwealth britannique dont la majorité issue des élections n’a pas l’intention de se retirer. Mais la prépondérance de la communauté asiatique, qui va tendre à devenir écrasante, risque, après la disparition du contrepoids de la métropole dans la direction des affaires du jeune État, de provoquer des déchirements internes et des troubles politiques et sociaux pour peu que l’équipe dirigeante initiale ne parvienne pas à maîtriser les difficultés économiques qui menacent le pays.
Or l’Île Maurice ne peut pratiquement compter que sur une seule richesse : la canne à sucre, cultivée depuis le XVIIIe siècle et qui a assuré la prospérité de l’île. Produit à 30 £ la tonne alors que le cours mondial est descendu à 20 £, le sucre mauricien bénéficie au sein du Commonwealth d’un tarif préférentiel applicable jusqu’en 1972. Mais il n’est pas certain que cette situation se perpétue et c’est toute la vie de l’île qui en dépend. Dès à présent, les finances mauriciennes sont en difficulté et le budget de 1966 s’est soldé par un déficit. D’autre part l’augmentation annuelle de la population arrivant à l’âge de l’emploi est de plus en plus difficilement absorbée. On compte aujourd’hui environ 30 000 chômeurs. Le mouvement d’émigration s’est certes accéléré l’an dernier (2 845 contre 2 000 en 1965), mais il intéresse surtout les Blancs qui vont de préférence en Australie et en Afrique du Sud.
Une répartition plus équitable des ressources du pays pourrait être l’objectif du futur gouvernement par le moyen d’une réforme agraire, car les terres productrices de canne à sucre (la moitié de la superficie de l’île) sont entre les mains de grands propriétaires fonciers. Toute mesure ressemblant à une nationalisation risquerait alors de décourager les investissements privés et c’est à de nouveaux bailleurs de fonds ou de crédit qu’il faudrait faire appel.
Le chef de l’actuelle majorité, le Docteur Rangoolam, qui a toutes chances d’être le premier chef de gouvernement du futur État indépendant, est bien décidé à s’attaquer aux deux graves problèmes qui conditionnent l’avenir de l’Île :
– pour enrayer la poussée démographique, mise en œuvre d’un programme de limitation des naissances et d’une politique d’émigration ;
– pour empêcher la dégradation du niveau de vie, large appel à la coopération avec l’étranger et en particulier avec la France et les pays francophones et avec les pays du Marché commun auquel l’Île Maurice demanderait son admission.
De la réussite de ces projets va dépendre l’avenir du futur État mais de toute manière, celui-ci n’en demeurera pas moins étroitement tributaire de, l’étranger.