Conférence prononcée le 17 juin 1967 à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
Réalisations et projets de la recherche spatiale française
La France a, depuis cinq ans, un programme spatial national et elle occupe aujourd’hui — loin bien entendu derrière les États-Unis et l’Union Soviétique — la troisième place. Que ce résultat ait été acquis en cinq ans est un assez beau succès. Il faut admettre que ce n’était pas chose si facile quand on sait combien d’énergie et de dynamisme sont dépensés pour « faire de l’Espace » sans pour cela toujours aboutir à un succès aussi total que celui de l’industrie et de la technique françaises.
Pour comprendre cette « longue marche » qui a été la nôtre pendant six ans, il faut remonter à la source, c’est-à-dire à la fin de l’année 1961. C’est à cette époque que le Gouvernement français a pris la décision de lancer un programme spatial national.
L’Europe scientifique commençait alors à réfléchir au problème spatial. Sur l’initiative de personnalités françaises — en particulier du Professeur Auger — un groupe de savants avait entrepris de tenter la création d’une organisation spatiale européenne qui devait aboutir, près de deux années plus tard, à la formation de l’Organisation Européenne de Recherches Spatiales : le CERS-ESRO.
À côté de cette tendance scientifique européenne à essayer de « faire de l’Espace » et à regrouper les efforts, il existait une volonté britannique de réaliser un lanceur en commun avec les autres pays de l’Europe. Pourquoi cette volonté ? Les Anglais avaient entrepris la création d’une force militaire basée sur un lanceur sol/sol, monoétage, à liquide : « Blue Streak », qui devait constituer la force de dissuasion britannique. Ils y ont renoncé, en avril 1961 ; de là, la proposition faite par la Grande-Bretagne à l’Europe d’utiliser le « Blue Streak » comme premier étage d’un lanceur européen capable, étant donné la puissance du lanceur britannique, de mettre une tonne environ sur orbite basse ; il pouvait même, après certaines améliorations, modifications et adjonctions, lancer des satellites géostationnaires à 36 000 kilomètres.
À la fin de 1961, un certain nombre de pays — parmi eux la France — ont donc accepté de participer à cette entreprise importante qui était la construction d’un lanceur de satellites lourds.
Trois facteurs ont été déterminants pour la France : le CERS-ESRO était en train de se créer ; le CECLES-ELDO, l’organisation européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spaciaux, était pratiquement créé, grâce surtout au dynamisme britannique ; enfin, la France, par le fait de sa force de dissuasion, avait, avec une mise de fonds relativement faible, la capacité technique et industrielle de lancer un satellite par ses propres moyens ; autrement dit, elle pouvait transformer un lanceur intermédiaire, nécessaire à ses besoins militaires, en un lanceur de satellites : c’est la fusée « Diamant » qui permet de satelliser près de 80 kg à basse altitude.
Pour ces trois raisons, le Gouvernement français a décidé, en fin 1961, d’avoir un programme national de manière à mettre l’industrie et la technique françaises dans les meilleures conditions possibles face à la concurrence qu’elles allaient affronter dans le cadre des organisations européennes. Dans les faits, cette décision s’est traduite par la création du CNES suivant la méthode assez française qui consiste à considérer qu’à partir du moment où l’on a un objectif et une mission, il faut créer l’instrument capable de remplir cet objectif et cette mission.
Le CNES a donc été créé fin 1961 avec un double but :
— Premièrement : promouvoir la recherche scientifique spatiale en développant des équipes scientifiques capables de réaliser des expériences spatiales originales ;
— Deuxièmement : mettre notre industrie en position favorable face à la concurrence qui allait se développer en Europe.
Carte
LA RECHERCHE SPATIALE EN FRANCE
IMPLANTATION MÉTROPOLITAINE
LANNION (CÔTES DU NORD)
Centre de Recherches de Lannion (C. R. L.) et Station de télécommunications spatiales de Pleumeur-Bodou du CNET.
Centre d’Études Météorologiques Spatiales (C. E. M. S.) de la Météorologie Nationale.
PARIS ET RÉGION PARISIENNE
Centre Nationale d’Études Spatiales (CNES). a) siège à Paris
b) Centre Spatiale de Brétigny-sur-Orge (Essonne).
Service d’Aéronomie et de Physique cosmique du Centre Nationale de la Recherche scientifique (C. N. R. S.).
Centre d’Enseignement et de Recherches de Médecine Aéronautique (CERMA).
Centre National des Télécommunications (CNET).
Commissariat à l’Énergie Atomique (C. E. A.).
Groupe de Recherches Ionosphériques (G. R. I.).
Institut Géographique National (I. G. N.).
Laboratoire d’Océanographie Physique.
Laboratoire d’Aérothermique du C. N. R. S.
Laboratoire de Chimie Physique de la Faculté des Sciences de Paris.
Laboratoire de Physique de l’Atmosphère de la Faculté des Sciences de Paris (L. P. A.).
Laboratoire de Physique de l’École Nationale Supérieure.
Météorologie Nationale.
Observatoire de Paris-Meudon.
Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales (ONERA).
Institut de Physique du Globe.
Institut d’Astrophysique.
STRASBOURG (BAS RHIN)
Département de Physique corpusculaire du Centre de Recherches nucléaires du C. N. R. S.
Observatoire de Strasbourg.
RENNES (ILLE-ET-VILAINE)
Laboratoire de Radioélectricité de la Faculté des Sciences.
Laboratoire de Spectroscopie de la Faculté des Sciences.
BESANÇON (DOUBS)
Observatoire de Besançon.
GARCHY (NIÈVRE)
Centre d’Études géophysiques du C. N. R. S.
Station d’observation météorique par radar du CNET.
NANÇAY (CHER)
Station de Radioastronomie (Ministère de l’Éducation Nationale).
Station de sondage ionosphérique à grande puissance (réception) du CNET.
BORDEAUX (GIRONDE)
Observatoire de Bordeaux.
SAINT-SANTIN-DE-MAURS (CANTAL)
Sondeur ionosphérique à grande puissance (émetteur) du CNET.
AIRE-SUR-L’ADOUR (LANDES)
Centre de lancement de ballons.
GAP (HAUTES-ALPES)
Centre de lancement de ballons.
SAINT-MICHEL-L’OBSERVATOIRE (BASSES-ALPES)
Observatoire de Haute-Provence.
Station laser du service d’Aéronomie du C. N. R. S.
LA TURBIE (ALPES-MARITIMES)
Laboratoire d’antenne expérimentale du CNET : guidage d’ondes électriques haute fréquence dans l’exosphère.
NICE (ALPES-MARITIME)
Observatoire de Nice.
LA CRAU (VAR)
Station d’observation météorique par radar du CNET.
MARSEILLE (BOUCHES-DU-RHÔNE)
Laboratoire de Physique de l’Espace du C. N. R. S.
Laboratoire d’Astronomie Spatiale du C. N. R. S.
Institut de Mécanique des Fluides du C. N. R. S.
Observatoire de Marseille.
TOULOUSE (HAUTE-GARONNE)
Futur Centre Spatial du C. N. E. S.
Service d’Électronique Physique et Centre National d’Études des Rayonnements de la Faculté des Sciences.
Observatoire et Institut de Physique du Globe de la Faculté des Sciences.
BAGNIÈRES-DE-BIGORRE (HAUTES-PYRÉNÉES)
Observatoire du Pic-du-Midi
MONT-LOUIS (PYRÉNÉES-ORIENTALES)
Laboratoire de Recherches sur l’utilisation de l’énergie solaire du C. N. R. S.
La CNES et ses établissements
Autres organismes et laboratoires.
Le CNES a commencé par voir quelles étaient les équipes scientifiques existantes et comment les développer en cas de nécessité. Il y avait deux manières de procéder :
— créer des équipes scientifiques dans son sein, avoir ses propres laboratoires et par conséquent faire ses propres expériences scientifiques ;
— ou bien animer des équipes existant déjà à l’état embryonnaire dans d’autres organisations comme l’Université, le C.N.R.S., le Commissariat à l’Énergie Atomique, etc… c’est-à-dire en fait les financer et les développer jusqu’à ce qu’elles deviennent des équipes de recherche spatiale ; car, pour ce type de recherche, il faut, peut-être plus que dans tout autre domaine — excepté la recherche nucléaire — faire de la technique. En d’autres termes, la physique spatiale nécessite des progrès techniques et une infrastructure technique très importants. Les laboratoires, tels qu’ils existaient il y a cinq ans et qui s’intéressaient aux questions spatiales, n’avaient pas la dimension suffisante. Un laboratoire qui ne compte pas 100 à 150 personnes est difficilement capable de faire de la recherche spatiale.
Nous avons estimé que la recherche devait mieux se développer à l’extérieur qu’à l’intérieur même du CNES — organisme très discipliné et très hiérarchisé puisqu’il doit réaliser des projets complexes à des dates déterminées. Nous avons donc choisi d’animer des laboratoires à l’extérieur du CNES et nous avons — parce que nos moyens étaient limités — fixé à six, pour la durée du Ve Plan, le nombre d’équipes que nous pouvions financièrement soutenir. Pour former les équipes, on commence par leur faire faire des expériences spatiales en ballons, ensuite sur fusées-sondes et enfin sur satellites ; autrement dit, la complexité technique va en croissant. C’est la raison pour laquelle nous attachons une grande importance à conserver, à côté du programme « satellites », un programme « ballons » et un programme « fusées-sondes ».
Pour que notre industrie fasse bonne figure devant la concurrence, pour qu’elle soit une des premières en Europe et pour rattraper le temps perdu (les Américains faisaient de la recherche spatiale depuis presque dix ans), une politique spatiale technique et industrielle n’était possible qu’avec la collaboration des États-Unis. Avec l’accord du Gouvernement, nous avons immédiatement cherché à collaborer avec la NASA. Cet organisme nous a réservé un très bon accueil. Juridiquement, nous avions été créés le 1er mars 1962 ; dès le 1er juillet, nous signions un accord de collaboration qui portait sur un satellite à réaliser en commun. C’est FR-1, satellite scientifique, conçu et fabriqué par le CNES et lancé par une fusée américaine « Scout » à partir d’une aire de lancement américaine.
Une des six équipes scientifiques dont j’ai parlé tout à l’heure a travaillé sur ce satellite. Pendant un an, une dizaine d’ingénieurs du CNES ont fait des stages dans différents centres techniques américains. C’est cette dizaine d’ingénieurs, dont la plupart sont encore au CNES, qui constitue actuellement le noyau de l’équipe des satellites, une des meilleures — je crois même la meilleure — qu’il y ait en Europe. Pour que FR-1 puisse être prêt dans les délais qui nous étaient fixés, il fallait avoir recours, en partie du moins, à du matériel américain (entré pour 40 % dans la composition du satellite). Nous souhaitions qu’à l’occasion de cet achat de matériel américain, les firmes françaises puissent collaborer avec des firmes américaines et fassent une sorte d’association avec certaines d’entre elles. Cela a été réalisé de manière que, par la suite, les satellites français soient équipés de matériel français. C’est pour cette raison que le programme « Diamant » a été développé parallèlement à FR-1. Il comprenait le lanceur français « Diamant » qui devait mettre sur orbite D-1 A ou « Diapason », satellite technologique entièrement français mais dans lequel un certain nombre d’équipements avaient été réalisés, grâce à cette collaboration avec les industries américaines qui avait été nécessaire pour FR-1. Ainsi par exemple : les cellules solaires sur FR-1 sont américaines, alors que celles de D-1 A sont françaises, fabriquées par Spectrolab dans le premier cas et avec l’appui de cette firme dans le deuxième. Il est à noter que la France possède actuellement en Europe une avance incontestable dans ce domaine : presque tous les satellites européens sont équipés de cellules solaires françaises — équivalentes aux américaines. Telle est la politique que nous avons essayé de mener et voilà pourquoi le programme « Diamant », qui comprenait le lancement de trois satellites, était absolument nécessaire.
À « Diapason » ont succédé deux autres satellites toujours lancés par la fusée « Diamant » : « Diadème I » et « Diadème II ». Ces satellites qui emportaient, en plus, des expériences scientifiques de géodésie étaient, eux aussi, des satellites technologiques servant de banc d’essai à notre industrie.
Notre mission était d’essayer de mettre l’industrie française en bonne position vis-à-vis de l’Europe ; ce but est atteint aujourd’hui. Ainsi en électronique, si aucun facteur politique n’intervenait, s’il n’était tenu compte que des seules contingences techniques, toutes les commandes passées par l’Organisation Européenne de Recherches Spatiales le seraient exclusivement à notre industrie qui — soulignons-le au passage — reçoit en contrats du CERS plus du double du montant de la cotisation que nous versons à cette organisation. Cela montre la position de force qu’occupe l’industrie française vis-à-vis de ses concurrentes européennes.
Schéma - Le satellite DIAPASON dans la coiffe du lanceur DIAMANT.
Schéma des opérations de lancement et de mise sur orbite de DIAPASON.
La réalisation de ce programme, qui n’aurait pas été possible sans les Américains, nécessitait une infrastructure à la fois technique et industrielle. En fait, notre effort a porté sur deux types d’infrastructure :
— Un centre technique provisoire, construit à Brétigny, qui a pour responsabilité la maîtrise d’œuvre des satellites, c’est-à-dire qu’il est responsable de leur conception, de leur contrôle et de leurs essais. Il comprend un grand nombre d’équipements pour simuler l’ambiance spatiale extrêmement rude et nécessitant une technologie très raffinée.
SATELLITE DIADÈME.
— Les stations au sol, nécessaires pour recueillir les mesures et pour transmettre les ordres, c’est-à-dire des stations de poursuite, de télémesure et de télécommande. Elles sont disposées approximativement le long d’un méridien en Afrique, de manière qu’à chaque passage on puisse entrer en contact avec le satellite qui suit un itinéraire ouest-est. Cet ensemble de stations est également à la disposition des organisations européennes et sera utilisé lors des lancements de satellites européens.
* * *
Au début de 1966, quand commençait le Ve Plan, la première partie du programme se terminait. Nous sommes maintenant dans la deuxième phase que l’on peut appeler la phase Ve Plan et qui va de 1966 à 1970.
À la fin de 1965, le Gouvernement a pris une décision capitale : le CNES devait orienter son activité vers les satellites d’application — satellites de télécommunications, satellites météorologiques, etc… La science pure devait faire une place à la science d’application.
Quand on parle de satellites d’application, il faut bien comprendre que, pratiquement tous, qu’ils soient de télécommunications ou de navigation aérienne, sont des satellites gravitant à haute altitude, généralement 86 000 kilomètres, de manière à être fixes par rapport à la Terre. En d’autres termes, le CNES doit être capable de construire et de lancer des satellites à haute altitude, d’un poids de l’ordre de 150 kg. L’avenir des télécommunications est un avenir difficile à définir. Tout le monde parle de la télévision directe, mais les problèmes qu’elle pose sont nombreux : notamment elle représente des masses de 500 à 600 kg sur orbite géostationnaire. Par conséquent, parler de satellite d’application, c’est envisager un poids d’au moins 150 kg et pouvant éventuellement atteindre 500 à 600 kg.
Cette décision gouvernementale devait avoir des conséquences importantes :
— La première a porté sur la politique des lanceurs. À partir du moment où l’on doit lancer un satellite lourd à 86 000 kilomètres, il faut disposer d’un lanceur plus puissant que celui nécessaire à la mise sur orbite basse du même poids. Or, au moment de la décision, tant du côté des États-Unis que du côté de l’U.R.S.S., il existait déjà une capacité de lancement considérable. Ces deux pays, pour des raisons politiques ou des raisons de prestige, avaient conçu, pour leur programme lunaire, un équipement capable de produire des lanceurs énormes, mais dont, au fond, ils n’ont pas un besoin très clair. Le programme Apollo par exemple, malgré les difficultés qu’il rencontre actuellement, est considéré comme terminé par les gens qui conçoivent et réalisent les premiers travaux sur les lanceurs ; on en est au stade de la fabrication en série. Mais que va-t-il se passer après le programme Apollo ? C’est un grave problème pour les États-Unis (il existe également pour l’Union Soviétique) : capacité de production et personnel sont en place, il faut les utiliser — d’où cette idée, tant américaine que soviétique, de céder des lanceurs à l’Europe. On pouvait penser — et personnellement c’est mon avis — qu’il fallait au maximum utiliser les lanceurs des autres et garder notre argent pour construire des satellites — je parle là, bien entendu, du point de vue scientifique et non pas du point de vue militaire.
Avec les satellites d’application, un nouveau problème se pose. Car, pour ces satellites, ni les États-Unis (cela est certain), ni l’URSS (c’est probable), n’acceptent de vendre des lanceurs ou d’en donner puisqu’ils ne veulent pas de concurrence, tout particulièrement dans le domaine des télécommunications.
Dire qu’on fait des satellites d’application, c’est dire que l’on s’oriente vers une politique de lanceurs plus importante que celle adoptée au départ. Deux thèses peuvent s’affronter :
— une politique de lanceurs nationaux,
— une politique de lanceurs européens fondée sur l’utilisation du lanceur ELDO-PAS (EUROPA).
La position du CNES est très claire. Il estime que la France n’a pas les moyens financiers de faire un lanceur national capable de lancer des satellites d’application. Il a soutenu, devant le Gouvernement, l’opinion qu’il fallait utiliser la fusée « Europa » et mettre le CECLES-ELDO en mesure de lancer des satellites d’application. Cette thèse a été reconnue et admise par le Gouvernement qui l’a soutenue à son tour devant le CECLES aux conférences ministérielles de cette année et de l’année dernière. Le programme du CECLES comprend maintenant le lancement de satellites stationnaires d’un poids de l’ordre de 170 kg.
La deuxième conséquence était la nécessité de créer un centre de lancement équatorial afin de profiter au maximum de la rotation de la Terre, étant donné que des lanceurs comme l’« Eldo-Pas » ne sont pas de la taille des gros lanceurs américains ou russes.
À la suite du départ de Colomb-Béchar, la France n’avait plus de centre de lancement à sa disposition ; il lui fallait en créer un autre. Tout naturellement, elle a recherché un emplacement dans les régions équatoriales. Ainsi est né le Centre Spatial Guyanais dont l’utilisation par les Européens a été approuvée, il y a un an, par le CECLES.
Carte du CENTRE SPATIAL GUYANAIS
Enfin, toujours dans le cadre des satellites d’application, le Gouvernement décidait qu’il était souhaitable de voir l’industrie participer de plus en plus à la fabrication de ces satellites, autrement dit d’en devenir de plus en plus le maître d’œuvre, charge assumée exclusivement par le CNES pour les premiers.
Cette décision gouvernementale relative à la nouvelle orientation du CNES s’est traduite par deux programmes de satellites :
— un premier programme purement scientifique : D-2 choisi de sorte que du point de vue technique — c’est un satellite stabilisé — il puisse être utile aux satellites de télécommunications. Il sera lancé en 1969 à partir de la Guyane.
— un deuxième programme, de satellites météorologiques d’application : le programme Éole. Le satellite sera lancé par une fusée américaine « Scout ». Il permet également de poursuivre notre collaboration avec les États-Unis.
* * *
Passons à la période 1970-1975, celle du VIe Plan.
Il est clair que toutes ces phases se chevauchent quelque peu. Ainsi, dès maintenant, on commence à préparer des satellites pour le VIe Plan, c’est-à-dire pour après 1970. La tendance à faire des satellites d’application reste toujours aussi ferme. La position du CNES — il faut le dire — est plus nuancée. Nous essayons de démontrer qu’un organisme comme le CNES doit avoir, dans l’intérêt général, un programme équilibré de satellites d’application et de satellites scientifiques.
Nous estimons, étant donné qu’un satellite d’application doit absolument fonctionner, que les ingénieurs seront plutôt amenés à choisir, pour un satellite de ce type, des solutions acquises, des solutions sûres. Le satellite scientifique, lui, est générateur de progrès, tant du point de vue scientifique que du point de vue technique.
Pour la période du VIe Plan, le Gouvernement souhaite, pour des raisons financières et des raisons de politique industrielle générale, que notre effort se fasse soit dans un cadre européen, soit dans un cadre bilatéral. Il est de plus en plus fréquent que nous soyons amenés à construire des satellites en commun avec d’autres pays.
Dans cette optique, deux projets sont actuellement en cours. L’un est un satellite scientifique, l’autre est un satellite d’application. Le premier, « Roseau », entre dans le cadre de la coopération franco-soviétique. Les conversations techniques avec les Russes se poursuivent. Le rythme d’exécution des travaux dépendra des moyens financiers qui seront mis à notre disposition du côté français. C’est un satellite excentrique, d’un poids de l’ordre de 300 kg, qui sera lancé par une fusée soviétique à partir d’une base de lancement soviétique. Le deuxième, « Symphonie », est l’objet de la convention franco-allemande, signée le 6 juin 1967 à Paris, sur la construction, le lancement et l’utilisation en commun d’un satellite expérimental de télécommunications. Son lancement à partir de la Guyane, à l’aide d’une fusée « Europa », est prévu pour 1971.
Nous pensons qu’à la fin de 1969 ou au début de 1970, des conversations extrêmement importantes auront lieu avec les États-Unis portant sur l’organisation mondiale des télécommunications. Il est donc indispensable de faire la preuve, le plus rapidement possible, de nos capacités dans ce domaine. L’Europe, elle, sera prête, selon nous, en 1975-1980. À cette date, il y aura longtemps que tous les accords auront été signés. Pour aller vite il faut agir d’abord dans un cadre bilatéral, en l’occurrence le cadre franco-allemand. Mais si, en définitive, l’Europe décide de faire un satellite de télécommunications, nous sommes prêts à apporter notre participation. Ce sera d’ailleurs probablement un satellite plus complexe, offrant de plus grandes possibilités, si l’on tient compte de cette date de 1975-1980.
Carte - Les premières orbites de DIAPASON.
Les premières études que nous avons faites sur les retombées technologiques montrent que les industriels ont déjà tiré des avantages des financements que nous avons faits. Cela tant à l’intérieur du domaine spatial — où la chose est évidente — qu’à l’extérieur ; les industriels l’affirment et notre enquête le confirme. C’est pourquoi une politique comme celle que nous menons est à la mesure de notre pays, de ses moyens. Elle est non seulement possible, mais sans aucun doute, utile. Elle doit être poursuivie.
Répartition par secteurs d’activité des contrats passés par le C.N.E.S. en 1965 (en %).
Engins spatiaux et électronique embarquée 24,63
Étranger 4,87
Laboratoires scientifiques 15,08
Mécanique Électrique 5,23
Bâtiment Génie Civil 16,77
Électronique au sol 33,42