Militaire - Le projet de budget militaire 1968 - L'engagement américain au Vietnam - États-Unis : la loi sur la conscription - Le différend anglo-espagnol au sujet de Gibraltar
Le projet de budget militaire 1968
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées a entendu M. Messmer, ministre des Armées, sur le projet de loi de finances pour 1968. Le montant des crédits militaires pour 1968 s’élève à 24 992 millions de francs, dont 12 982 MF pour le Titre V et 12 009 MF pour le Titre III. Les crédits concernant l’ensemble des forces nucléaires stratégiques (explosifs nucléaires, fusées, bases de lancement) représentent à peu près 47 % du Titre V.
La force de 1re génération est complètement constituée et opérationnelle. La tête nucléaire de la force de 2e génération (engins SSBS) a été expérimentée en 1966 ; les premières fusées de série seront tirées avant la fin de 1967 ; l’infrastructure est en cours de réalisation. La première unité sera opérationnelle avant la fin de 1969 ; les deux autres le seront en 1970 et début 1971, ce qui est conforme aux délais prévus.
S’agissant des forces maritimes, le sous-marin nucléaire lance-engins (SNLE) Redoutable sera opérationnel fin 1970 : le Terrible est en bonne voie de réalisation ; le 3e SNLE sera mis sur cale dès le lancement du Terrible. Le sous-marin expérimental Gymnote, destiné aux essais des missiles et de leurs moyens de lancement et de guidage, continue ses essais dans des conditions satisfaisantes. La fusée MSBS avance normalement (fusées de série prêtes avant la fin de 1967). La tête nucléaire sera essayée en 1968 au Pacifique. Fusées et têtes seront disponibles en même temps que les sous-marins. Le Ministre a souligné que la 2e et la 3e générations n’étaient pas destinées à se succéder, mais à coexister, comme c’est le cas en URSS et aux États-Unis.
De 1965 à 1968, les forces nucléaires stratégiques ont représenté, chaque année, en autorisations de programme, entre 44,5 et 47,8 % du Titre V, en crédits de paiement entre 47 et 51 %, soit un peu moins de la moitié du Titre V. Loin d’augmenter, la part des forces nucléaires stratégiques dans l’ensemble des crédits diminue, ce qui infirme les craintes de sous-estimation exprimées lors du vote de la 2e loi de programme. Si l’enveloppe globale est restée conforme aux prévisions, l’équilibre interne a subi des infléchissements : les dépenses atomiques ont été moins élevées qu’il n’avait été prévu ; inversement, les dépenses concernant les fusées avaient été sous-estimées. Cette sous-estimation et cette surestimation, légères toutes deux, se compensent.
Les effectifs des personnels servant dans les forces nucléaires stratégiques s’élèvent à environ 20 000 personnes, soit un peu moins de 4 % des effectifs militaires globaux. Ce chiffre n’augmentera pas sensiblement dans les années à venir.
Les crédits d’entretien des forces nucléaires stratégiques ne représentent que 5 % du Titre III. Au total ces forces absorbent 26 % du budget des Armées, soit un peu plus du quart. Les forces nucléaires sont donc moins onéreuses que les forces non nucléaires, qui exigent des dépenses toujours plus élevées de personnel et de matériel.
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Le Ministre a décrit ensuite la part faite aux forces non nucléaires dans le Titre V.
Dans le domaine aéronautique, l’année 1967 a été très importante pour le lancement des programmes : Airbus et Concorde pour les programmes civils, Jaguar pour les programmes militaires (le premier Jaguar volera en 1968). La préparation des programmes de chasseurs polyvalents F1 ou F2 est très avancée. Les programmes d’hélicoptères JFG-13 et SR-340 seront arrêtés en 1968. Des conséquences très importantes en résultent : il ne sera plus possible de lancer de nouveaux programmes avant la fin de l’année 1970. Les fabrications en série sont « figées » jusqu’en 1975. L’ensemble de ces programmes est caractérisé par une coopération franco-britannique de plus en plus étroite. Les liens entre les deux industries sont appelés à se renforcer encore.
Au 1er janvier 1968, le tonnage de la marine nationale dépassera légèrement 300 000 tonnes, objectif visé dès 1947. Les principaux navires mis en service en 1968 seront le Suffren, l’Orage et le bâtiment de mesures Henri Poincaré. Les principales mises en chantier concerneront la 2e et la 3e frégates lance-engins. Un problème de construction navale extrêmement sérieux se posera au moment de l’élaboration de la 3e loi de programme en 1970.
Les crédits de paiement de l’Armée de terre sont les plus faibles de ceux qui figurent au Titre V. L’effort essentiel a porté depuis deux ans sur les matériels blindés :
— modernisation des AMX-13 (remplacement du canon de 75 par un canon de 90) ;
— remplacement des Patton par des AMX-30 à la cadence de 143 par an ;
— rééquipement des brigades d’artillerie du corps de bataille avec des 155 montés sur AMX-13 ;
— modernisation du matériel de transmissions.
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Le Ministre a étudié ensuite la concordance des crédits du Titre V avec les prévisions de la loi de programme. La loi de programme a été exécutée strictement pour les forces stratégiques : calendrier, consistance du programme, crédits. La concordance est moins parfaite pour les autres forces. Pour la Marine, le retard est de 18 mois sur le programme de corvettes ; pour l’Armée de l’air, on constate à la fois des retards et des amputations (abandon du programme d’avion à décollage vertical). Le retard des programmes terrestres peut être évalué à trois ans.
Les retards sont imputables d’abord à des hausses, techniques et économiques. Chaque année, le déficit qui en résulte pour les crédits du Titre V est d’environ 4,5 % par rapport aux prévisions. Le projet de budget des Armées pour 1968 a été amputé d’environ 350 MF par rapport aux prévisions de la loi de programme. La plus grande partie de ces économies a été prélevée sur le Titre V.
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M. Messmer a consacré la suite de son exposé au Titre III, dont les deux tiers des crédits sont des crédits de soldes et de charges sociales. Les effectifs budgétaires s’élèveront pour 1968 à 572 313 hommes, soit une diminution d’environ 6 800 par rapport à 1967 (328 504 pour l’Armée de terre, 108 599 pour l’Air, 68 876 pour la Marine, 66 334 pour la Section commune).
Le retrait de la plus grande partie de nos forces de Mers-el-Kébir est la principale cause de cette diminution. Le Ministre a exposé les motifs d’ordre politique, technique et stratégique qui ont entraîné la réduction de notre base de Mers-el-Kébir à une simple base aérienne (Bou-Sfer). Cette transformation n’entraîne aucune novation juridique par rapport aux accords d’Évian, la France conservant intégralement ses droits sur la base.
En ce qui concerne l’organisation et l’implantation des forces, la mesure importante sera pour l’Armée de terre la création de la 5e Division des forces de manœuvre, installée à Verdun. Cette création, qui n’entraînera aucune augmentation des effectifs, mais une simple redistribution, s’explique par la nécessité d’alléger les tranches divisionnaires dont les effectifs très lourds (30 000 h) nuisent à leurs possibilités de manœuvre.
Les mesures catégorielles prévues au Titre III envisagent l’augmentation des primes d’alimentation, d’éclairage et de chauffage, d’entretien des immeubles. Deux projets de lois concernant les corps de direction et les médecins militaires seront déposés prochainement. Aucune mesure concernant les sous-officiers et les officiers mariniers ne figure au Titre III une étude approfondie sur la situation indiciaire de ces personnels étant en cours.
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Le Ministre a répondu ensuite aux questions posées, il a dit notamment :
• Une révision de la loi de programme a été préparée au début de 1967. Elle a été remise en question à la suite des arbitrages budgétaires.
• La création d’une 5e Division s’imposait en raison de la trop grande lourdeur des structures actuelles. Même allégée, la tranche divisionnaire française restera plus étoffée que la tranche allemande et atteindra environ 25 000 h.
• L’option a été prise de construire un avion d’interception autour d’un moteur français (Atar 9 K 50). En ce qui concerne l’avion à géométrie variable, la décision a été prise de ne pas construire un avion de ce type avant 1975. Il s’agit d’une technique d’avenir qu’il n’est nullement question d’abandonner. Le prototype français de géométrie variable volera dans quelques jours, mais c’est seulement un avion expérimental qui ne donnera pas naissance à un avion de combat avant 1971 en prototype et avant 1975 en série. La France n’avait pas les moyens financiers de lancer trois programmes aéronautiques en même temps (Concorde, Air-Bus et géométrie variable).
• L’équilibre entre le Titre III et le Titre V n’a pas été rompu. La différence entre les deux titres est passée de 600 à 975 MF au profit du Titre V. Mais la comparaison entre l’année 1967 et l’année 1968 n’a qu’une portée relative en raison de la création du compte de commerce des constructions navales, qui s’est traduite par un transfert du Titre III au Titre V de la Marine d’un montant de 300 millions de francs environ.
• Le WG-18 est un hélicoptère moyen dont la construction en coopération avec la Grande-Bretagne s’explique par un souci d’équilibre, les trois autres types d’hélicoptères étant intégralement français.
• La réalisation d’un sous-marin de chasse est retardée d’un an en raison des dépassements financiers intervenus.
• La décision sur l’avenir du CEP (Centre d’expérimentations du Pacifique) après 1970 n’a pas encore été prise.
• La construction des engins téléguidés sol-sol antichars Hot et Milan, en coopération avec l’Allemagne, a été décidée.
• La DOT (Défense opérationnelle du territoire) doit être capable d’accomplir les missions suivantes :
– mettre à l’abri d’une agression l’infrastructure essentielle de notre force nucléaire,
– assurer par sa présence un renforcement de la dissuasion,
– s’opposer en temps de guerre aux éléments ennemis infiltrés. La DOT joue donc un rôle véritablement opérationnel.
• En ce qui concerne la durée du service militaire, le Ministre a indiqué qu’une proposition de loi était en instance de discussion. Les conditions permettant une réduction de la durée du service en 1968 ne sont pas, à ses yeux, réalisées. Ce qui ne veut pas dire, a-t-il ajouté, qu’elles ne le soient pas prochainement.
L’engagement américain au Vietnam
Le président des États-Unis a décidé de porter le corps expéditionnaire au Vietnam à 525 000 hommes avant l’été 1968. C’est dans cet esprit que va être mise sur pied par le Pentagone la division « Americal » (du nom d’une task force créée en Nouvelle-Calédonie pendant la Seconde Guerre mondiale) avec des éléments dont une grande partie est déjà stationnée dans le Pacifique, puisqu’il s’agirait, selon la presse militaire, des unités suivantes :
– la 196e Brigade d’infanterie au Vietnam,
– la 11e BI à Hawaï,
– la 198e BI au Texas,
– des éléments organiques divisionnaires prélevés sur les réserves générales du théâtre d’opérations vietnamien.
Cette division présentera la caractéristique de pouvoir absorber temporairement d’autres unités en vue d’une mission particulière.
Aux États-Unis, le Pentagone procédera, à partir de janvier prochain, à la mise sur pied d’une nouvelle division d’infanterie (la 6e Division) à 3 brigades, dont 1 à Hawaï.
Pour atteindre le chiffre de 525 000 h, le président Johnson a décidé d’envoyer au Vietnam un renfort de 45 000 h, dont 35 000 h de l’Armée de terre. Ces effectifs seront en grande partie prélevés sur les unités stationnées aux États-Unis, ce qui se traduira par un affaiblissement des réserves stratégiques. Au début de 1965, l’US Army comptait en métropole 8 divisions et 4 brigades d’infanterie : au milieu de l’année 1968, elle n’aura plus que 5 divisions et 4 brigades d’infanterie alors qu’entre ces deux dates 8 divisions nouvelles, 4 brigades d’infanterie et 1 brigade blindée de reconnaissance auront été créées. Le tableau ci-après donne le stationnement (actuel et possible vers l’été 1968) des Grandes Unités des forces terrestres des États-Unis :
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Armée de terre |
Marine Corps |
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DB (blindée) |
Div. Méca. |
DI (infanterie) |
DAP (aéroportée) |
Division aéromobile |
Brigade d’infanterie |
Brigade blindée de reconnaissance |
Divisions |
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États-Unis |
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1.10.1967 |
2 |
1 |
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2 (1) |
5 |
1 |
2 (3) |
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1968 |
2 |
1 |
1 (2) |
1 |
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4 |
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2 (3) |
Vietnam |
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1.10.1967 |
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4 |
1 |
3 |
1 |
2 |
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1968 |
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5 |
1 |
1 |
4 |
2 |
2 |
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RFA |
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1.10.1967 |
2 |
3 |
1 |
3 |
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1968 |
2 |
3 (4) |
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1 |
3 |
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Corée |
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1.10.1967 |
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2 |
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1968 |
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2 |
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Hawaï |
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1.10.1967 |
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1 |
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1968 |
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1 |
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Panama |
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1.10.1967 |
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1 |
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1968 |
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1 |
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(1) Moins une brigade de la 101e au Vietnam.
(2) Moins une brigade à Hawai.
(3) L’une a un régiment au Vietnam, l’autre un bataillon embarqué en Méditerranée et un autre en mer des Caraïbes.
(4) Moins deux brigades de la 24e DIM rapatriées aux États-Unis mais revenant annuellement en République fédérale allemande pour y effectuer des manœuvres.
États-Unis : la loi sur la conscription
Chaque année, 2 millions de jeunes Américains parviennent à l’âge de 19 ans, c’est-à-dire à l’âge à partir duquel ils peuvent être appelés sous les drapeaux. 60 % remplissent les conditions nécessaires, soit 1 200 000 sur lesquels 150 000 à 300 000 seulement sont incorporés, en principe les célibataires ayant arrêté leurs études et dont l’âge est compris entre 19 et 26 ans. C’est dire l’inégalité qui marquait la loi en vigueur sur la conscription : le « Universal Military Training and Service Act » de 1951, qui était reconduit tous les quatre ans et qui est venu à expiration le 30 juin 1967.
La guerre du Vietnam et les inconvénients du système en vigueur ont incité le gouvernement à modifier cette loi et à créer une commission consultative de 20 membres pour proposer des améliorations. De son côté, la Chambre des Représentants prenait une initiative identique. Mais les deux commissions sont parvenues à des conclusions différentes.
Le président Johnson, tenant compte des unes et des autres, a adressé un message au Congrès pour demander la reconduction de la loi de 1951 mais en se réservant le droit de prendre certaines mesures de sa compétence :
— institution d’un système de recrutement par tirage au sort ;
— incorporation en premier lieu des jeunes gens âgés de 19 ans ;
— suppression des sursis accordés aux étudiants diplômés à l’exception des médecins, dentistes et ministres du culte.
S’inspirant de ce message, le Congrès a proposé une nouvelle loi qui a pris effet le 1er juillet 1967. Elle cherche avant tout à diminuer les fraudes et les inégalités ; mais elle écarte le principe du tirage au sort ; ses principaux aspects sont les suivants :
• Les jeunes gens pourront être appelés lorsque leur sursis aura pris fin et quel que soit leur âge. Tout motif personnel, jusque-là autorisé, ne peut plus être pris en considération.
• Les tribunaux ne peuvent plus modifier la catégorie d’appel attribuée à un jeune homme. Ils ont le devoir d’accélérer l’instruction et le jugement des litiges concernant la conscription.
• La nouvelle loi met fin à certains sursis ; elle assujettit les médecins et dentistes étrangers à la loi de conscription américaine.
• L’objecteur de conscience est désormais défini par son éducation et ses croyances religieuses.
• La nouvelle loi accorde au président des États-Unis le pouvoir d’appeler sous les drapeaux les réservistes qui ne participent pas d’une façon satisfaisante aux stages d’entraînement.
Si cette loi ne donne pas pleine satisfaction au président Johnson et si elle ne règle pas toutes les inégalités, par contre elle n’inquiète pas outre mesure l’opinion publique tout en réorganisant un système de conscription qui permettra, pour le moment, de satisfaire aux exigences du conflit vietnamien.
Le différend anglo-espagnol au sujet de Gibraltar
Le 10 septembre 1967 a eu lieu, à l’instigation de la Grande-Bretagne, un référendum à Gibraltar où la population avait à choisir entre deux décisions :
– passer sous souveraineté espagnole en gardant la nationalité anglaise,
– conserver, avec la Grande-Bretagne, les liens actuels, mais en disposant d’institutions locales propres.
Sur 12 250 Gibraltariens ayant droit de vote, 12 138 se sont prononcés pour la deuxième solution, contre 44 pour la première. Le gouvernement espagnol a ignoré ce référendum, ce qui risque de provoquer, étant donné les résultats, une nouvelle tension entre les deux pays. Le gouvernement espagnol bénéficie en effet du soutien de l’ONU. Il a proposé à Londres de reprendre les négociations et comme il n’entend pas revenir sur le principe de la souveraineté espagnole sur Gibraltar, il est peu probable que ses propositions, qui se résument comme suit, puissent être acceptées :
– respect de la nationalité anglaise des habitants de Gibraltar et des intérêts des entreprises commerciales britanniques ;
– location de la base navale suivant un statut comparable à celui établi pour la base de Rota au profit des Américains.
On peut s’attendre à ce que de nouvelles mesures soient prises par l’Espagne à l’encontre des Britanniques, telles que :
— interruption du bac reliant Algésiras à Gibraltar ;
— restrictions à l’accès par mer du port britannique ;
— fermeture complète de la frontière, même aux ouvriers espagnols qui vont travailler chaque jour à Gibraltar et qu’on peut évaluer à environ 5 000.
Ces mesures compléteraient celles déjà prises : fermeture de la frontière à tout trafic de véhicules et de marchandises en octobre 1966 ; interdiction aux avions de survoler les eaux territoriales espagnoles et les régions avoisinant Gibraltar en mai 1967.
Quant à la Grande-Bretagne, elle vient de procéder au renforcement de sa garnison qui est passée de 700 à 1 100 h par l’envoi, fin septembre dernier, de deux compagnies de fusiliers et de deux détachements du Génie et des Transmissions.