Aéronautique - Allocution du général Maurin à la cérémonie du cinquantenaire de la mort du capitaine Guynemer - Après le Salon du Bourget - Les leçons de l'exercice Alligator III - Le Transall
Allocution du général Maurin à la cérémonie du cinquantenaire de la mort du capitaine Guynemer
Le cinquantième anniversaire de la mort du capitaine Guynemer a donné lieu sur toutes les bases de l’Armée de l’air à des cérémonies particulièrement solennelles. Mais elles n’ont pris nulle part une aussi grande ampleur qu’à l’École de l’Air. Sous la présidence de M. Messmer, ministre des Armées, s’est déroulée une importante prise d’armes, suivie d’un défilé aérien. La dernière citation du héros a été lue par le commandant actuel de l’Escadrille des Cigognes.
Après la remise de décorations par le Ministre, le général Heurtaux, président de l’association nationale des As, a retracé le portrait de celui qui fut son compagnon. Puis le général d’armée aérienne Philippe Maurin, Chef d’état-major de l’armée de l’Air, prit la parole. Il montra d’abord que la devise de Guynemer : « Faire face », reprise officiellement par l’École de l’Air, était non seulement un idéal de combat, mais aussi une règle de vie incitant à rechercher les progrès dans tous les domaines et qu’elle avait été en fait celle de tous les pionniers et de tous les combattants de l’Aviation.
Le général, après avoir résumé l’action menée par tous, civils et militaires, de 1917 à 1945, pour donner à cette aviation la place et l’importance qui lui revenaient, a conclu ainsi : « Mais c’est aussi faire face que de lancer des programmes nouveaux, d’expérimenter des matériels, de développer des techniques hier encore inconnues : c’est par l’opiniâtreté des navigants et des ingénieurs que notre industrie aéronautique a pu, non seulement se relever de ses cendres, mais s’imposer comme une des meilleures.
« Alors il y eut ceux qui franchirent Mach 1, puis ceux qui dépassèrent Mach 2 ; ceux qui, l’année dernière, par un raid resté anonyme, relièrent la France à la Polynésie en Mirage IV ; ceux qui participent en ce moment aux expéditions polaires ; ceux qui inlassablement conservent à la France la liberté de son ciel ; ceux qui, en alerte auprès de leurs avions, sont prêts à toute mission offensive, comme ceux qui à tout moment, doivent pouvoir transporter au loin notre force d’intervention.
« Ils font face à l’avenir ceux qui s’apprêtent à mettre en œuvre nos engins stratégiques, ceux qui préparent l’avion Mach 3, ceux enfin qui travaillent longtemps à l’avance sur les techniques futures qui seront un jour mises en œuvre.
« Car telle est notre mission permanente : réaliser une arme de défense efficace, donc toujours renouvelée ; les techniques de pointe que nous dominons donnent lieu à des progrès multiples dont bénéficient de très nombreuses activités du pays.
« Servir notre arme, en l’air comme au sol, exige une âme, faite de vertus morales, d’esprit de sacrifice et de goût du perfectionnement professionnel.
« Conservons avec fierté l’héritage de Guynemer. Ainsi notre Armée de l’air restera-t-elle un outil primordial dans la défense, dans l’économie et dans le rayonnement de la France. »
Après le Salon du Bourget
Dans un de ses numéros d’août, une revue américaine spécialisée dans les questions aéronautiques revient à deux reprises sur le Salon aéronautique du Bourget. C’est dire que cette manifestation, pour avoir lieu dans un pays d’Europe, n’en revêt pas moins aux yeux des Américains une certaine importance.
Ainsi, font-ils observer, c’est une des trois rares fêtes aériennes où l’on puisse contempler les évolutions de 6 patrouilles acrobatiques militaires appartenant à 5 Nations différentes. Il est vrai, ajoutent-ils, que si on ne peut obtenir aux États-Unis une représentation internationale aussi variée, c’est dû au fait que beaucoup de formations européennes utilisent des avions légers d’entraînement, incapables de franchir l’Atlantique, à la différence des patrouilles de l’US Air Force et de l’US Navy.
Mais plus intéressantes sont les impressions des principaux exposants américains, deux mois et demi après le Salon. Dans l’ensemble, ils considèrent que les États-Unis ont fait cette année une démonstration beaucoup plus convaincante de leur primauté dans les techniques aérospatiales que lors des précédents salons et notamment de celui de 1965, où le prestige américain n’avait été sauvé qu’au dernier moment par le voyage impromptu des astronautes Mac Divitt et White, chaperonnés par le vice-président Humphrey. La plupart des sociétés interrogées pensent même qu’il faut s’en tenir dorénavant à une participation du même ordre, qui permet de bien montrer la supériorité américaine mais sans toutefois écraser les Européens et provoquer de leur part des réactions défavorables.
Les exposants sont reconnaissants au gouvernement des États-Unis de leur avoir fourni le cadre d’un pavillon digne d’eux et de leur pays. Certains ont trouvé toutefois que le thème choisi : applications pacifiques des techniques de l’air et de l’Espace, était un peu trop visiblement hypocrite. Quant aux constructeurs d’avions légers, surpris par l’importance donnée par leurs rivaux européens aux présentations d’avions d’affaires, ils souhaitent que le gouvernement les soutienne davantage au prochain salon.
Les sociétés américaines estiment que la France et la Grande-Bretagne occupaient la seconde place. De l’avis général d’ailleurs, il faut désormais compter avec l’industrie aérospatiale des pays d’Europe qui ont fait de grands progrès sur le plan technique et même sur le plan purement économique, en multipliant les associations entre constructeurs et les programmes en coopération.
L’enthousiasme est moins grand pour ce qui touche les présentations en vol qui suscitent apparemment beaucoup moins de commandes que les présentations statiques. De plus les servitudes imposées par la situation du terrain du Bourget semblent avoir été à l’origine de nombreuses frictions entre les organisateurs et les représentants des sociétés participant à la fête aérienne dont certaines se sont plaintes de l’attitude des responsables français. Toutefois, le rédacteur de l’article reconnaît honnêtement que ces incidents paraissent dus à des problèmes de personnes et ne peuvent pas être attribués à un parti pris de mauvaise volonté.
Enfin certaines sociétés suggèrent que des organismes comme la National Aeronautics and Space Administration (NASA), la Communication Satellite Corporation (COMSAT) et d’autres du même genre augmentent en 1969 la qualité de leur participation, en déléguant au Bourget des responsables de leurs principaux programmes, susceptibles d’engager des conversations avec leurs collègues européens.
Les chalets d’accueil, qui permettaient de traiter hôtes et clients en puissance, ont été unanimement appréciés.
Que retenir de ces appréciations ? Satisfaction de l’ensemble des exposants américains qui ont été heureux de voir leur pays occuper à ce Salon la place qui lui revient parmi les autres nations dans les techniques aérospatiales : la première ; satisfaction notamment d’avoir effacé ce qu’ils appellent le « coup de propagande » de l’URSS en 1965 ; une certaine humeur contre les conditions d’exécution de la présentation en vol ; le désir bien affirmé enfin de la quasi-totalité des exposants de revenir dans deux ans.
Réjouissons-nous-en : c’est la preuve de la portée internationale du Salon du Bourget et c’est aussi la garantie de l’intérêt que revêtira pour nous celui de 1969.
Les leçons de l’exercice Alligator III
L’exercice franco-ivoirien Alligator III, placé sous la direction conjointe du général Kergaravat, commandant en chef en Afrique centrale, et du général Thomas d’Aquin, Chef d’état-major de l’Armée ivoirienne, s’est déroulé du 12 au 17 septembre 1967, sur le territoire de la Côte d’Ivoire. Les journaux se sont assez étendus sur le thème de la manœuvre et l’imposante participation des Armées de terre et de mer pour qu’on se contente ici d’évoquer la participation de l’Armée de l’air et les conditions de sa mise en œuvre.
Le transport du régiment Guépard en alerte a été assuré par des quadriréacteurs militaires, tandis que les Vautours d’appui se mettaient en place dans des délais extrêmement réduits, renouvelant la performance accomplie par d’autres Vautours au mois d’août.
Dans le même temps, un groupement de Noratlas amenait à Abidjan un Poste de commandement Air mobile ainsi que les moyens de soutien technique des Vautours et se trouvait en mesure de larguer le 13 septembre des parachutistes français et ivoiriens sur le terrain de Daloa, à une heure de vol d’Abidjan, malgré des conditions météorologiques défavorables.
Pendant toute la durée de la manœuvre, des missions d’appui feu et d’appui transport ont été exécutées au profit des troupes au sol et les Vautours, sous un climat tropical qui ne leur est pourtant pas habituel, ont été, ainsi que les Noratlas, constamment disponibles pour les missions demandées.
L’exercice Alligator III a donc démontré que quelques dizaines d’heures après une demande d’intervention, un pays lié à la France par des accords de défense était assuré de recevoir en renfort l’effectif d’un régiment et les moyens aériens d’appui feu et transport correspondants, les uns et les autres en mesure d’être engagés immédiatement. Or les crises susceptibles de se développer en Afrique appellent beaucoup plus une intervention rapide de moyens limités, qu’une aide massive mais survenant après plusieurs semaines.
La composante air de la force d’intervention a fait la preuve de son efficacité dans ce genre de crise : arrivée rapide à pied d’œuvre, adaptation facile au climat et à la topographie africains, capacité d’opérer dans un secteur quelconque du pays attaqué.
Le maintien ou l’amélioration des moyens d’intervention française en Afrique dépend donc seulement de l’évolution qu’on fera subir, en qualité comme en quantité, à cette composante aérienne.
Le Transall
Les premiers avions franco-allemands de transport moyen C-160 Transall vont être remis sous peu à l’Escadron de transport 1/61 Touraine à Orléans-Bricy. L’occasion est favorable pour rappeler les principales caractéristiques de cet appareil et évoquer quelques-uns des problèmes qui se sont posés, tant pour mener en commun entre techniciens ou militaires allemands et français les essais de l’appareil, son expérimentation et l’instruction du personnel, que pour adapter le transport aérien militaire français à ce matériel aérien nouveau.
Le Transall (Transport-Alliance) est un bimoteur à aile haute équipé de turbopropulseurs Rolls-Royce Tyne 22, développant chacun 5 665 chevaux au décollage. Les hélices ont 5,40 m de diamètre.
Mis en œuvre par 4 membres d’équipage (deux pilotes, un navigateur, un mécanicien), il peut décoller au poids maximum de 49 tonnes.
Sa soute, d’un volume de 140 m3, est au gabarit international des chemins de fer, et se prolonge par une rampe de chargement intégrée à la structure de l’avion. Elle permet l’emport de 16 t de fret au maximum, ou de 80 passagers, ou de 66 parachutistes équipés, ou enfin de 62 blessés sur civières.
Les missions types, effectuées à la vitesse de 500 km/h, sont les suivantes :
– Mission tactique : Décollage d’un terrain sommairement aménagé de 600 m, avec 8 t de charge, vers un autre terrain analogue, situé à 1 200 km, et retour sans ravitaillement en carburant.
– Mission stratégique : Décollage d’un terrain normal (piste en dur) avec 8 t de charge. Parcours de 4 500 k à 8 000 m d’altitude et atterrissage sur terrain de 600 m. L’équipement des derniers avions de série avec des réservoirs supplémentaires structuraux leur permettra de voler 5 500 km avec une charge de 5 t.
– Mission à courte distance : Emport de 16 t sur 1 400 km.
L’avion, pressurisé et climatisé, possède un équipement complet de vol aux instruments et de navigation. Ses instruments de pilotage, comparables à ceux des avions de transport les plus modernes, sont « intégrés », c’est-à-dire qu’ils permettent au pilote, en maintenant simplement des repères alignés, de suivre soit un cap et une altitude donnés, soit un axe balisé par un moyen radioélectrique. Cette tâche peut d’ailleurs être assumée directement par un pilote automatique couplé aux instruments, en particulier pendant la phase d’approche d’un terrain à l’ILS (« Instrument Landing System »), l’arrondi et l’atterrissage devant toutefois être exécutés par le pilote. Parmi les moyens d’aide à la navigation, il faut signaler un calculateur d’estime, un radar météorologique et un radar à effet Doppler. Le trafic radioélectrique peut être assuré entièrement en radiotéléphonie, notamment grâce à un émetteur-récepteur de haute fréquence à bande latérale unique.
La construction de l’avion a été assurée par la firme Transall qui groupe deux sociétés allemandes – la Vereinigte Flugtechnishe Werke G.M.B.H. (Brème) et la Hamburger Flugzeug Bau (Hambourg) – et une société nationale française – Nord-Aviation.
Les essais et l’expérimentation ont été menés en commun :
– les essais sur 3 prototypes, propriété des deux pays, par des équipages français et allemands ;
– l’expérimentation sur 6 avions de présérie, 3 français et 3 allemands.
Cette dernière, qui a eu lieu au Centre d’expérimentations aériennes militaires de Mont-de-Marsan, s’achèvera vers le milieu de 1968.
L’instruction des mécaniciens appelés à entretenir le Transall est réalisée par un organisme franco-allemand : l’Ensemble mobile d’instruction, implanté initialement à Mont-de-Marsan. Équipé de bancs d’instruction qui reproduisent tous les circuits de l’avion, mis en œuvre par des instructeurs français et allemands, cet organisme reçoit les mécaniciens français et allemands en stages distincts : il a fallu en effet tenir compte des différences existant entre les méthodes de formation initiale des spécialistes dans les deux pays, mais en les réunissant en un même lieu, on a pu se contenter de réaliser chacun des bancs en un seul exemplaire. Or, il s’agit pour un avion de cette classe d’un appareillage fort coûteux.
La France a commandé 50 exemplaires de l’avion. La commande initiale de la République fédérale (RFA) était de 110 appareils. Il semble désormais, après une période d’incertitude où des réductions de crédits avaient conduit la Luftwaffe à remettre en question le volume de sa commande, que ce nombre sera maintenu. D’autre part, l’Afrique du Sud désire acquérir quelques avions de ce type. L’arrivée des Transall va rendre disponibles une cinquantaine de Noratlas qui serviront à remplacer la plupart des C-47 Dakota encore en service dans l’Armée de l’air.
Un simulateur de vol Transall a été commandé. Il permettra de faire des économies importantes sur les heures de vol d’entraînement et de limiter strictement le nombre d’avions consacrés à cette tâche.
La capacité d’emport de l’avion, sans commune mesure avec celle du Noratlas, rend obligatoire l’adoption de nouvelles méthodes de chargement : les charges seront conditionnées au sein des escales sur des palettes, c’est-à-dire des plaques sur lesquelles le matériel sera assujetti par des filets. Amenées au contact de l’avion sur des remorques équipées de chemins de roulement, elles glisseront facilement dans la soute munie elle aussi de galets et seront amarrées par des crans adaptés à des tenons solidaires de l’avion. De ce fait, les opérations de chargement pourront être effectuées rapidement, à condition qu’une planification bien étudiée des missions permette de mettre en place à l’avance les palettes dans les escales voulues.
De plus, l’importance des problèmes de chargement dans un pareil avion justifie la présence permanente d’un chef de soute en sus de l’équipage normal, rôle qui pourra être assuré par un mécanicien à l’instruction qui fera ainsi un stage préalable à son emploi comme mécanicien navigant.
Pour utiliser à plein et dans les meilleures conditions d’économie sa flotte de Transall, le Commandement du transport aérien (Cotam) utilisera son centre d’opérations en cours de mise sur pied, grâce aux liaisons en radiotéléphonie à grande distance qu’autorisera l’équipement de l’avion. Il pourra suivre et éventuellement modifier pendant le vol les missions en cours, en fonction des demandes de transport qu’il recevra, éviter le plus souvent les retours à vide et les doubles emplois.
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La mise en service du Transall augmentera dans des proportions considérables la capacité d’emport du Cotam et plus encore sa capacité d’intervention à longue distance au profit des pays avec lesquels la France a signé des accords de coopération. Équipés de réservoirs supplémentaires, les Transall pourront desservir le nouveau champ de tir de la Guyane. Autrement dit, le rayon d’action de ces avions constitue pour le Cotam une revalorisation beaucoup plus considérable que, vers 1954-1955, le remplacement des C-47 par les Noratlas. Équipant comme ce dernier à la fois les unités de transport françaises et allemandes, il permettra de poursuivre les fructueux échanges d’équipages qui contribuent à une meilleure compréhension entre militaires des deux pays et amènent à confronter les méthodes employées, prolongeant ainsi les effets de l’expérimentation et de l’instruction menées en commun.
Pour les missions du temps de guerre, la faculté d’utiliser l’avion sur des terrains courts et sommairement aménagés, sa capacité d’emport de parachutistes et de blessés en feront un outil de valeur, tandis que le radar Doppler qui l’équipe permettra à son équipage de s’affranchir en partie des moyens fixes d’aide à la navigation, vulnérables à la guerre électronique.
Cet avion est donc bien, comme on avait désiré, un compromis entre les deux besoins contradictoires de l’Armée de l’air française : exécuter des missions à destination des pays africains d’expression française et participer, sur un théâtre d’opérations européen, à l’action des Forces armées ; certaines insuffisances de rayon d’action qui ont conduit récemment à étudier l’éventualité d’acheter quelques quadriréacteurs montrent toutefois qu’il existe des limites à la polyvalence d’un avion.