Cet article est la première partie d'une conférence prononcée au cours la 9e réunion annuelle de l'Institute for Strategic Studies (ISS) de Londres. Le professeur Albert Wohlstetter devait développer, au cours de la même réunion, le point de vue d’un Américain sur le même thème.
Les implications stratégiques de l’innovation technologique (I) Le point de vue d'un Européen
Il ne s’agit pas d’un point de vue général exprimé par un Européen, mais de l’examen, du point de vue de l’Europe (1), des conséquences des progrès technologiques sur sa stratégie. Or la stratégie n’existe que par suite des antinomies inhérentes à la pluralité des projets politiques, qui se reconnaissent ou se nient, et dont les réalisations entraînent un jeu permanent d’actions et de réactions plus ou moins rigoureusement maîtrisées et gouvernées. Nous posons donc en postulat à cette étude, que le pluralisme des projets politiques, c’est-à-dire le pluralisme des centres de décisions autonomes, est une donnée, au moins dans les années 1975 (horizon que vise à couvrir cette présentation). L’état de tension résultant de ce pluralisme constitue, d’ailleurs, un catalyseur puissant du progrès technologique et c’est donc dans un tel contexte que je voudrais situer mon exposé.
Les classes de puissances
On conçoit que la dynamique politique propre à chaque État — ou groupement d’États — est commandée par l’ampleur de ses projets, par l’ambition et la complexité des buts qu’il se fixe. Ces buts sont définis non seulement par les possibilités et les ressources de toute nature dont comptent disposer ces États mais aussi par celles que pourraient leur opposer — ou leur ajouter en cas d’alliance — les autres puissances. Le projet politique résulte déjà d’une certaine dialectique conflictuelle et on ne saurait donc imaginer ceux qui pourraient convenir à l’Europe sans examiner quelle est sa position relative dans l’ensemble international.
Pour définir cette position on peut tenter de procéder à l’analyse détaillée des divers facteurs de la puissance à l’aube du XXIe siècle : taux de croissance démographique et économique, stabilité des structures institutionnelles, dynamisme idéologique, potentiel intellectuel, capacité d’invention et d’innovation en matière technologique, etc… Mais, quand il s’agit de se projeter dans le futur, cette analyse est d’autant plus aléatoire qu’elle peut être remise en cause par le progrès technologique dont il s’agit justement ici d’étudier les effets. En se plaçant alors à un niveau plus synthétique, on constate que c’est la totalisation de ces facteurs qui confère aux nations leur place dans la hiérarchie actuelle ou prévisible. C’est pourquoi, il nous a paru suffisant de retenir trois classes de puissances, trois classes qui existent déjà et continueront d’exister :
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