Institutions internationales - La Chine n'est pas admise à l'ONU - Pour une revalorisation du Conseil de sécurité - Le Conseil ministériel de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) - Travaux européens
La dévaluation de la livre sterling, la conférence de presse du général de Gaulle et la nouvelle tension gréco-turque à propos de Chypre ont, au cours des dernières semaines, dominé l’activité des institutions internationales, en ce sens que ces institutions ne pouvaient pas ne pas adapter leur attitude à ces trois faits majeurs. On s’en est rendu compte aux Nations unies, dans les organisations européennes, à l’OCDE.
La Chine n’est pas admise à l’ONU
Pendant longtemps, le débat annuel de l’Assemblée générale sur la question de la représentation chinoise a constitué un grand événement. Peu de tâches ont autant absorbé la diplomatie américaine que celle de réunir chaque fois une majorité contre l’admission de la Chine populaire et l’expulsion des représentants nationalistes. Cette année, le débat s’est déroulé dans un climat d’indifférence totale. Tout le monde avait compris qu’au moment où la révolution culturelle bat son plein en Chine et où l’escalade se poursuit au Vietnam, il n’était ni opportun ni réaliste d’engager un débat sur le point de savoir si Pékin doit ou non être représenté aux Nations unies. Le vote sur les différents projets de résolution n’a provoqué aucune réaction. Seuls les spécialistes se sont intéressés aux modifications d’attitude de certains pays.
La résolution préconisant l’admission de Pékin comme l’authentique représentant de la Chine et l’expulsion de la « bande de Tchang Kaï Chek » – patronnée par l’Albanie, le Cambodge et dix autres pays qui forment le groupe dit des « amis de Pékin » – a été rejetée par 58 voix contre 43 avec 17 abstentions. L’année dernière, la même résolution avait été rejetée par 57 voix contre 46. La majorité anti-maoïste s’est donc augmentée de deux voix. C’est surtout en Afrique que Pékin a perdu. Le Botswana, le Cameroun et le Tchad, qui s’étaient abstenus l’année dernière, ont voté cette fois-ci contre. Le Ghana s’est abstenu, alors qu’il avait voté pour l’année passée. En revanche, la Libye et l’Équateur, qui avaient voté l’année dernière contre l’admission de la Chine, ont préféré cette fois s’abstenir. La Barbarie, membre de l’ONU depuis cette année seulement, a volé contre. Quant à l’Arabie séoudite, elle n’a pas pris part au vote, alors qu’en 1966 elle avait émis un vote défavorable. Les changements sont donc minimes. Il est clair que la diplomatie américaine n’a pas eu besoin cette année de déployer ses habituels « efforts de persuasion ». Il faut dire que l’appui de l’URSS à la cause de Pékin a été plus tiède que jamais. Le discours de son représentant a été particulièrement bref et a été consacré pour l’essentiel à l’admission aux Nations unies de l’Allemagne de l’Est. Indéniablement, l’agressivité de la politique chinoise pèse sur les Nations unies, et cristallise une opposition à laquelle participent des pays qui souhaiteraient pourtant que cesse le non-sens de l’absence de Pékin.
Pour une revalorisation du Conseil de sécurité
Mais l’essentiel de l’activité des Nations unies au cours des dernières semaines se situe sur un autre plan.
Le 29 novembre, la France s’est prononcée contre le projet de résolution irlandais aux termes duquel le financement des opérations de l’ONU pour le maintien de la paix serait réparti, à concurrence de 70 %, entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Grande-Bretagne, Union soviétique, Chine, France). « Nous rejetons en particulier, a déclaré M. Armand Bérard devant la commission politique spéciale de l’Assemblée, au cours du débat sur le budget de l’Organisation, toute formule tendant à reconnaître une responsabilité spéciale aux membres permanents du Conseil, qui supporteront du reste, sur la base du barème ordinaire, plus de 60 % des dépenses. Nous rejetons de même l’idée d’une exonération automatique des victimes d’une agression, question qui, à notre avis, doit être laissée à la décision du Conseil ». Le gouvernement français, a ajouté M. Bérard, « est certes disposé à participer aux efforts qui pourraient être faits pour combler le déficit » des opérations de paix organisées par l’ONU « mais il entend bien agir en toute liberté ». M. Bérard a rappelé qu’en 1965 le gouvernement français n’avait pris aucun engagement, mais s’était borné à faire savoir qu’il lui paraissait d’abord nécessaire d’apprécier les difficultés de l’Organisation dans un contexte plus large et en harmonisation avec les efforts que pourraient consentir d’autres puissances.
C’est alors que l’on arrive à l’essentiel. Se basant sur l’article 11 de la Charte, M. Bérard a indiqué que, selon le gouvernement français, le Conseil de sécurité devrait disposer d’une compétence exclusive sur toute opération de maintien de la paix. « La compétence du Conseil ne saurait de ce fait être restreinte aux seules actions coercitives prévues au chapitre 7 de la Charte ». « Pour le gouvernement français, a précisé M. Bérard, ce domaine recouvre aussi le vaste champ des agressions perpétrées sous le camouflage de troubles intérieurs et de guerres civiles, dont la responsabilité est certes plus grande que celles que je qualifierai d’agressions classiques ». Le représentant de la France a souligné en outre qu’en dépit de l’estime portée au Secrétaire général de l’ONU, rien dans la Charte ne vient appuyer la thèse de ceux qui voudraient en faire le deus ex machina des opérations de maintien de la paix.
Pourquoi cette déclaration présente-t-elle une grande importance ?
La Charte de San Francisco reposait, entre autres principes, sur celui d’après lequel la paix pouvait être sauvegardée par l’accord des Grands, susceptibles d’imposer leur volonté commune de paix à un éventuel perturbateur. Les cinq Grands firent donc, à titre permanent, partie du Conseil de Sécurité, lequel était l’organisme le plus important de l’ONU. Afin de renforcer le pouvoir de ces cinq Grands, la Charte établissait qu’ils ne pourraient prendre une décision qu’à l’unanimité, et que chacun d’eux disposait d’un droit de veto. Certains n’ont que très rarement utilisé ce privilège, ainsi la France et la Grande-Bretagne. L’URSS, au contraire, s’en est servi très fréquemment. Elle en a usé jusqu’à 7 fois en une même séance le 13 septembre 1949, et l’a utilisé pour la centième fois le 22 juin 1962 à propos du règlement du différend entre l’Inde et le Pakistan quant au Cachemire. Le Conseil de Sécurité pouvait donc avoir son fonctionnement bloqué par l’usage abusif de ce droit de veto. Le règlement initial qui fixait les attributions respectives du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale fut donc modifié : ce fut l’objet de la résolution du 8 novembre 1950, portant le numéro 877.
L’article 12 de la Charte pose le principe de la primauté du Conseil de sécurité, en stipulant : « Tant que le Conseil de sécurité remplit à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande ». Le fonctionnement du Conseil de sécurité n’avait pas été bloqué, dans l’été 1950 (lors du déclenchement de la guerre de Corée) par le veto soviétique, dans la mesure où l’URSS avait décidé de ne pas y siéger, mais les résolutions du Conseil des 25 et 27 juin ne pouvaient pas être considérées comme des décisions du Conseil, puisque l’abstention d’un membre permanent ôte toute valeur juridique à la résolution adoptée (*). Le représentant de l’URSS étant au cours de l’automne revenu siéger au Conseil pouvait bloquer par son veto toute décision. Aussi M. Dean Acheson réussit-il à faire voter la résolution 877 par l’Assemblée générale, qui décida « que dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée, en cas de besoin, pour rétablir la paix ou la sécurité internationales ». Ainsi l’Assemblée pouvait-elle se substituer au Conseil paralysé.
Il est bien certain que l’attitude de l’Union soviétique dans l’été 1950 paralysait le Conseil de sécurité, et qu’en empêchant le fonctionnement normal de ce Conseil, elle condamnait à l’impuissance les Nations unies, qui se trouvaient pourtant devant une rupture de la paix. Mais les pouvoirs du Conseil – organisme restreint – se trouvaient ainsi conférés à une Assemblée nombreuse, régie par la règle de la majorité, qui possédait les défauts les plus graves du parlementarisme, et qui servait à beaucoup plus de tribune que de lieu de réflexion.
La situation n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était en 1950, et sans doute conviendrait-il de revenir à ce que prévoyait la Charte quant aux attributions respectives du Conseil et de l’Assemblée. Dès l’instant où l’on reconnaît – et il n’est pas possible de ne pas le reconnaître – que la paix ne peut être assurée que par l’accord des Grands, il est logique que l’on préconise que l’organisme créé précisément pour concrétiser cet accord au sein des Nations unies, retrouve l’intégrité de ses attributions.
Quant au rôle du Secrétaire général, il redeviendrait par là même ce qu’il devait être : le Secrétaire doit agir au nom et sur instructions du Conseil de sécurité, alors que depuis l’automne 1950 il a parfois agi sous l’impulsion de l’Assemblée. C’est à une remise en ordre des Nations unies qu’il conviendrait de procéder.
Le Conseil ministériel de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)
Tandis que l’attention se portait surtout vers les dangers de la situation à Chypre, vers la signification de la démission de M. McNamara et vers les conséquences de la dévaluation de la livre sterling, le Conseil ministériel de l’OCDE se réunissait à Paris. Certes, le communiqué final n’a pu qu’enregistrer certains désaccords : « Des opinions divergentes ont été exprimées sur la part plus ou moins grande de responsabilité des différents pays dans la recherche de l’équilibre des balances des paiements »… C’est qu’en effet M. Michel Debré avait rappelé combien les déficits anglais et américains perturbent l’économie mondiale. Il avait rappelé que depuis dix ans les États-Unis ont connu un déficit annuel moyen de 3 milliards de dollars et la Grande-Bretagne de 250 millions. Ce déficit a été financé par un endettement massif de ces deux pays, conduisant à une accumulation d’avoirs en sterlings et en dollars chez les créditeurs. Cette situation a libéré ces deux pays de l’obligation pourtant salutaire de régler leurs déficits au moyen de leurs réserves et les a incités à une politique de facilité financière tandis que les détenteurs de ces monnaies de réserve s’interrogeaient de plus en plus sur leur valeur. Or ces déficits permanents perturbent le développement des économies mondiales : ils facilitent les exportations massives et inflationnistes de capitaux américains puisqu’ils permettent aux États-Unis d’avoir des déficits sans tirer sur leurs réserves. Il était exclu que la France modifiât à cette occasion l’attitude qu’elle a adoptée depuis longtemps en matière monétaire.
Mais, en dépit de ces divergences de vues, qui n’ont rien de nouveau, le Conseil ministériel de l’OCDE est parvenu à un accord : pour la première fois, un accord est intervenu entre les principaux pays industriels du monde pour accorder un régime douanier préférentiel aux produits fabriqués dans le Tiers-Monde.
Cette décision, préparée depuis deux ans, répond à une demande des pays du Tiers-Monde formulée à la conférence d’Alger, et qui sera renouvelée en février prochain à la conférence mondiale du commerce de New-Delhi. De quoi s’agit-il ? Tout le désarmement douanier de l’après-guerre fut dominé par la clause « de la nation la plus favorisée », c’est-à-dire par l’idée que tous les pays doivent être des concurrents égaux entre eux dans l’accès à chaque marché national. La plus grande opposition au Marché commun vint de ce qu’il dérogeait à ce principe en accordant à ses membres européens et à ses associés africains un traitement préférentiel sur le marché des autres membres. Or les pays en voie de développement demandent des préférences pour la vente, sur les marchés des pays industriels, de leurs produits fabriqués. En d’autres termes, ils estiment que si l’on veut leur permettre de financer leur développement par leurs propres moyens, au lieu de demander de l’aide, il faut qu’un tissu fabriqué au Pakistan par exemple, paie moins de droits de douane à l’entrée aux États-Unis que son concurrent, qui vient de France ou d’Angleterre. L’inconvénient de ce système, c’est que les industries du tiers-monde sont une concurrence pour les industries nationales. Pourtant tout le monde reconnaît que c’est une des voies qui s’ouvrent pour le développement des pays attardés. Après de longues hésitations, les pays industriels ont accepté de déroger au dogme de la nation la plus favorisée, et c’est fort important. Mais lorsque le Conseil a abordé les modalités du régime nouveau, une divergence de vues est apparue entre les États-Unis et la communauté des « Six ». Pour les États-Unis, les préférences instituées doivent être générales, c’est-à-dire accordées par l’ensemble des pays développés à l’ensemble des pays en voie de développement, indistinctement : ils veulent notamment éviter les préférences régionales, afin de résister à la pression des pays d’Amérique latine, qui voudraient obtenir d’eux les mêmes avantages que l’Europe accorde aux Africains. D’autres se dressèrent contre les « préférences inverses », c’est-à-dire contre les régimes douaniers spéciaux accordés par certains pays moins développés à des pays industriels, notamment par les pays d’Afrique francophone à ceux du Marché commun. Au nom de la France, M. Nungesser s’opposa à ces thèses. Il se déclara partisan de préférences généralisées qui n’excluraient pas celles que s’accorderaient entre eux différents pays pour lesquels elles sont plus intéressantes que le régime général. Enfin, M. Nungesser reprit la thèse française sur la nécessité de stabiliser le prix des matières premières et des produits tropicaux, approuvé en cela, au nom de la Communauté des « Six », par MM. Rochereau et Martineau.
Qu’un tel accord ait pu se réaliser au sein de l’OCDE met une nouvelle fois en lumière le rôle extrêmement intéressant que joue cette institution qui, si elle ne peut ignorer les problèmes spécifiquement politiques, n’est pas soumise à eux.
Travaux européens
Tandis que les remous provoqués par la conférence de presse du général de Gaulle fournissaient le thème dominant du colloque, d’habitude assez académique, qui réunit chaque année le Parlement européen, la Commission et le Conseil des ministres des Communautés, à Bruxelles, un nouveau résultat positif paraissait s’esquisser. En effet, on distingue mieux, maintenant, comment les « Six » comptent s’attaquer au problème de l’aide financière du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) en faveur de la modernisation de l’équipement rural. Les « Six » estiment (avec, toutefois, une réticence de la part des Italiens) qu’au stade actuel d’intégration du marché commun agricole, il ne faut pas se montrer trop ambitieux. Ce n’est qu’au printemps que la Commission soumettra au Conseil des ministres ses réflexions sur les méthodes à suivre pour améliorer de façon concertée l’efficacité de l’agriculture européenne. Cela étant, les « Six » se disent d’accord pour essayer de trouver un moyen d’éviter de transmettre à Bruxelles les projets d’investissements pour lesquels ils sollicitent l’aide du FEOGA en ignorant ce que prépare le voisin. Les gouvernements paraissent donc disposés à accepter pendant une période de transition une certaine concertation des actions de développement agricole.
Les Allemands souhaiteraient scinder en deux les sommes dont dispose le FEOGA : un montant déterminé serait affecté à des « mesures spéciales communautaires », le reste – réparti équitablement – serait à la libre disposition des États-membres. Ce point de vue a été rejeté. M. Edgar Faure a préconisé une formule plus nuancée, qui a été bien accueillie par le Conseil des ministres : toutes les actions entreprises avec l’argent du Fonds devraient revêtir un caractère communautaire, cela afin de donner un minimum d’harmonie aux plans nationaux de modernisation. Mais, suivant les cas, ce caractère communautaire pourrait être plus ou moins contraignant. De véritables programmes du type proposé par la Commission pourraient être retenus pour la réalisation d’opérations d’un intérêt indiscutable et ne risquant pas, par conséquent, d’être remis en cause lorsque sera définie la politique européenne de réforme des structures. Il y a là un premier pas sur la voie de la coordination des investissements. Lorsque cette étape aura été franchie, un nouveau pas aura été fait vers la réalisation d’une Europe fonctionnelle, solide parce que bâtie sur les réalités.
Cet effort pour la coordination des investissements dans le domaine de l’agriculture ne pouvait que donner satisfaction au Parlement européen qui, le 30 novembre, après un débat sur les résultats du Kennedy Round, a voté à l’unanimité une résolution demandant que les communautés européennes s’opposent efficacement à toutes les tentatives de retour à des protectionnismes nationaux, aux États-Unis en particulier.
Certes, bien des difficultés devront encore être surmontées, mais il ne se passe guère de mois sans que l’on n’ait à enregistrer de nouveaux progrès sur la route européenne.
(*) On sait que pour protester contre la présence au Conseil de Sécurité d’un représentant de la Chine nationaliste, l’URSS s’est abstenue de siéger au Conseil de Sécurité du 18 janvier au 1er août 1950. Or le Conseil, à la suite de l’invasion de la Corée du Sud le 25 juin 1950, a adopté le 25, puis le 27 juin, deux résolutions. La seconde a servi de base juridique à l’intervention des Nations unies en Corée, encore qu’avant même la délibération les forces des États-Unis aient reçu du Président Truman l’ordre d’intervention.
On ne peut considérer comme juridiquement valable la délibération du 27 juin 1950, acquise par 8 voix avec 2 abstentions, un membre permanent étant absent. On a présenté parfois cette délibération comme une simple recommandation qui aurait été acceptée par les États et qui aurait donc été distincte d’une décision véritable, pour laquelle il aurait fallu le vote affirmatif de l’URSS. On peut admettre cette interprétation, mais elle a pour conséquence d’enlever tout caractère d’intervention des Nations unies aux opérations militaires en Corée entre le 27 juin et le 3 novembre 1950, date à laquelle le vote de la résolution 877 réinséra l’intervention collective dans un cadre juridiquement inattaquable