Outre-mer - Ocam (Organisation commune africaine et malgache) : la 3e Conférence au sommet - Ghana : une mutation difficile - Congo-Kinshasa : les grands projets industriels
Ocam : la 3e Conférence au sommet
À Niamey s’est tenue du 22 au 24 janvier la 3e Conférence des chefs d’État de l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam). Celle-ci associe quatorze républiques francophones (Cameroun, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Dahomey, Gabon, Haute-Volta, Madagascar, Niger, République centrafricaine, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo) dans la recherche d’une harmonisation de leur politique et l’organisation d’une coopération dans tous les domaines où celle-ci peut décupler leurs chances de progrès.
Au cours des semaines qui ont précédé cette réunion, plusieurs événements étaient intervenus qui avaient fait craindre l’abstention de certains des États-membres, ce qui risquait de porter préjudice à la cohésion de l’organisation et de restreindre la portée des travaux de la conférence. Il s’agissait surtout du différend qui s’était élevé entre le Congo-Kinshasa et le Rwanda à propos du règlement du problème des mercenaires réfugiés dans ce dernier pays. Le gouvernement congolais a demandé officiellement leur extradition à Kinshasa afin de les juger alors que le Président ruandais marque sa préférence pour leur évacuation vers leurs pays d’origine. D’autre part, le renversement du général Soglo, chef de l’État dahoméen, survenu en novembre, avait créé un certain trouble principalement au sein de l’Entente, mais une réunion du groupe la veille de l’ouverture de la conférence au sommet donnait lieu à un franc échange de vues permettant de dissiper les malentendus.
Finalement, les 14 pays membres de l’Ocam se trouvaient représentés à Niamey par leurs chefs d’État à l’exception de la RCA dont le président, le général Bokassa, estimait préférable, pour des raisons assez obscures, de ne pas quitter sa capitale. Plusieurs États africains avaient délégué des observateurs à Niamey, notamment les pays du Maghreb et le Mali.
Parmi les nombreuses questions inscrites à l’ordre du jour soumis à l’examen des chefs d’État et arrêté quelques jours auparavant par le Conseil des ministres de l’Organisation, les plus importantes avaient trait à la définition d’une position commune en prévision des discussions auxquelles les États africains devaient participer d’une part à la Conférence mondiale du commerce de New Delhi en février et, d’autre part, pour le renouvellement de leur association avec les pays du Marché commun (Convention de Yaoundé). Les discussions ont permis de constater la volonté unanime des participants d’aboutir à des accords mieux adaptés aux impératifs de développement des pays africains.
Témoignant de la continuité et du réalisme de la politique de l’Ocam, les chefs d’État ont décidé, dans un souci d’efficacité, de reconduire dans ses fonctions de président en exercice M. Diori Hamani (Niger), qui possède une parfaite connaissance du dossier des négociations avec la Communauté économique européenne (CEE) et de celui du projet d’organisation de la « francophonie », dont il s’est fait le prosélyte à la suite des présidents Senghor (Sénégal) et Bourguiba (Tunisie).
Divers projets d’ordre plus technique, concernant le développement de la coopération entre les États-membres ont en outre été adoptés : création d’une agence de presse commune, aménagement du marché sucrier de l’Ocam, création d’un marché de la viande, coordination des transports aériens.
En marge de la conférence, deux sujets ont fait l’objet de discussions entre les chefs d’État : le problème des mercenaires et la situation découlant des coups d’État militaires dans plusieurs États appartenant au club. Sur ce dernier point, l’accord semble s’être fait sur l’appréciation que ces drames devaient être considérés comme des tentatives désespérées pour surmonter des difficultés économiques inextricables et que la solidarité agissante des autres États devait jouer en faveur des nouveaux régimes afin qu’ils puissent rétablir le plus tôt possible leur situation financière, relancer leurs programmes de développement et restaurer des institutions démocratiques.
Sur le premier sujet par contre – celui des mercenaires – les efforts de médiation n’ont pas abouti à une conciliation des thèses respectives des présidents Mobutu (Congo-Kinshasa) et Kayibanda (Rwanda). La majorité des chefs d’État s’est nettement prononcée en faveur d’une solution d’apaisement impliquant la clémence de la part des autorités congolaises, allant ainsi dans le sens de l’opinion rwandaise. Après la conclusion de la conférence, le président Hamani Diori devait notamment exprimer le mécontentement des membres de l’Ocam contre les déclarations faites à ce sujet à la presse le 22 février à Niamey par M. Diallo Telli, Secrétaire général de l’OUA. Celui-ci a en effet réclamé la mise en jugement des mercenaires et la réparation de leurs exactions par leurs pays d’origine. Il a même poussé l’outrance jusqu’à blâmer le comportement de la Croix-Rouge internationale dans son action humanitaire en leur faveur. Une telle attitude a été d’autant plus critiquée que l’atmosphère qui n’a cessé de régner à Niamey pendant la conférence était empreinte de sérénité et de sérieux. Les responsables de l’Ocam ont toujours eu le souci de bannir de leurs assises les effets spectaculaires et les manifestations de propagande. Le président Hamani l’a bien souligné à l’issue de la session en rappelant que l’Ocam « ne voulait pas faire les choses à moitié et refusait de se payer de mots ». Au sein de l’organisation, les solutions progressent lentement et la solidarité se concrétise un peu plus chaque année. L’Ocam montre la voie dans laquelle l’Afrique doit s’engager et M. Diallo Telli n’a pu s’empêcher de reconnaître qu’une place de choix revenait à l’organisation francophone sur la scène politique africaine. Une telle attitude témoigne du chemin parcouru en cinq années par le groupe, puisqu’en août 1963 le diplomate guinéen condamnait formellement les chefs d’États francophones pour leur refus de dissoudre leur première association au sein de l’Union Africaine et Malgache, qu’il accusait de tentative de division de l’Afrique.
Ghana : une mutation difficile
Depuis le renversement de Kwame N’Krumah en février 1966, le Ghana est à la recherche d’un nouvel équilibre. Les chefs de l’Armée et de la Police, qui ont pris alors, sous le couvert du Conseil national de libération (CNL), les responsabilités du pouvoir, n’ont pas cessé de proclamer qu’ils ne nourrissaient aucune ambition personnelle et qu’ils se donnaient pour seule mission la restauration d’un régime constitutionnel, démocratiquement accepté par le peuple, et l’institution, en corollaire, d’un gouvernement civil. Or, deux ans ont passé sans que se concrétisent ces intentions. Au préjugé favorable dont bénéficiait l’équipe du général Ankrah de la part de la grande majorité de la population, s’est substituée peu à peu, dès les premiers mois de 1967, une certaine méfiance, puis un doute sur son désir, voire sur sa capacité à apporter une solution aux problèmes fondamentaux du pays sur les plans politique, économique et social. Des rivalités de personnes, de clans et de fractions tribales ont resurgi.
Le 17 avril 1967, la tentative de putsch d’une poignée de jeunes officiers, qui n’échoua que de justesse par suite de l’impéritie et de la légèreté de ses auteurs, révéla à l’opinion ghanéenne, comme à l’étranger, les faiblesses du régime. Le CNL en sortit fort dévalué, non seulement du fait de la perte du général Kotoka, Commandant des Forces Armées et l’une des personnalités les plus capables du CNL, mais aussi par la manifestation d’une crise grave au sein de l’Armée, qui décontenança les Ghanéens et ébranla profondément la confiance de ceux-ci en leurs dirigeants. Les diverses fractions d’opposition politique, demeurées jusqu’alors fort discrètes, commencèrent à se manifester ouvertement. Durant le second semestre 1967, un vaste mouvement s’est développé en faveur d’une nécessaire et prompte réorganisation des structures institutionnelles de l’État : la tendance majoritaire ne demandant pour l’instant qu’un élargissement à la base de la représentation du CNL par une participation à ses décisions de personnalités politiques qualifiées, tandis qu’une fraction minoritaire, mais cependant représentée au sein du conseil, allait jusqu’à réclamer la relève rapide de ce dernier par un gouvernement élu. Malgré les manifestations d’impatience de plus en plus nombreuses chez les politiciens et l’amplification d’un malaise social qui s’est traduit par toute une série de grèves, le CNL n’est guère sorti de son immobilisme depuis la crise d’avril 1967 sauf lorsque les événements ou les courants d’opinion se sont faits trop pressants :
– désignation de commissaires civils à la tête des différents départements ministériels sauf pour la Défense, les Finances et les Affaires étrangères dont la responsabilité reste confiée aux principaux dirigeants du CNL (général Ankrah, Vice-Président Harley, brigadier Afrifa) ;
– constitution d’un « comité national consultatif » formé de personnalités désignées et figurant une sorte d’assemblée parlementaire sans autre attribution que celle de donner des avis ;
– création d’un « Centre national d’éducation civique » confié au docteur Busia, principale personnalité politique rentrée d’exil après la chute de N’Krumah, et dont le rôle est de tenter de « moraliser la vie publique et d’initier la population aux devoirs, aux droits et aux procédures de la démocratie parlementaire » – ce qui constitue une tâche considérable…
– réorganisation des forces armées afin de réparer les graves lésions résultant du putsch d’avril et leur rendre leur efficacité, les dépenses militaires inscrites au budget de 1968 ayant été accrues à cet effet de près de 30 % par rapport à l’exercice précédent.
Ces décisions, de portée limitée et à effet différé, ne donnaient que très partiellement satisfaction à ceux qui réclament un élargissement rapide des assises du pouvoir et le retour de l’armée dans ses casernes pour s’y consacrer à ses tâches spécifiques. L’année 1967 s’est ainsi terminée sans que la principale question, celle du transfert des pouvoirs, ait été réglée.
Une certaine opposition s’est, d’autre part, manifestée contre la politique étrangère du général Ankrah. En effet, depuis décembre, on a pu noter le déclenchement d’une campagne de presse antiaméricaine qui rencontre un écho favorable dans les milieux universitaires notamment. Il s’agit d’une réaction contre le renforcement de la présence des États-Unis au Ghana. En reconnaissance de l’effort financier que Washington a consenti en faveur d’Accra depuis la chute de N’Krumah (soit la majeure partie de l’équivalent des 15 milliards de francs CFA reçus par le Ghana) et de la promesse de fourniture de produits alimentaires valant 3 Mds CFA en 1968 (faite par le vice-président Humphxey lors de sa visite en janvier), le chef de l’État ghanéen a accepté l’envoi de nouveaux experts américains (leur nombre atteindrait 250 dès cette année) et la participation accrue des sociétés d’Outre-Atlantique à l’activité économique et industrielle de son pays. À ce propos, le CNL a commencé à montrer sa résolution de réprimer avec vigueur les attaques de l’opposition et les manifestations ouvertes d’hostilité.
En fait, le comportement des actuels dirigeants d’Accra se ressent toujours de la crainte latente d’un retour de l’ancien président N’Krumah, qui a conservé dans le pays de nombreux partisans et que l’on soupçonne de préparer, depuis sa retraite de Guinée, la reconquête du pouvoir avec l’aide de concours étrangers. Ainsi s’expliquent les offres de collaboration étroite faites par le Ghana à ses voisins francophones (Côte d’Ivoire, Haute Volta, Togo et Dahomey) afin de constituer autour de ses frontières un glacis de protection contre les entreprises subversives de l’extérieur. De même, Accra demeure extrêmement vigilant en ce qui concerne la stabilité intérieure de ces pays par crainte que les désordres qui pourraient s’y produire ne soient exploités par les n’krumaistes pour masquer leurs préparatifs. Pour les mêmes raisons, le général Ankrah s’inquiète de la prolongation du conflit interne du Nigeria, qui lui semble propice à un renforcement, en Afrique de l’Ouest, de l’influence des pays socialistes, accourus au secours des autorités de Lagos. Mais ceci ne l’a pas empêché d’accepter le retour à Accra d’un Ambassadeur soviétique car il lui était difficile, dans l’intérêt de son pays, de ne pas faire cette concession, de portée politique limitée, à l’un des principaux acheteurs du cacao ghanéen.
L’année 1968 s’est finalement ouverte par un engagement du CNL à préparer le transfert de ses pouvoirs. Dans son message de nouvel-an, le général Ankrah avait en effet annoncé que son gouvernement mettait au point les mesures destinées à la réalisation, en cours d’année, de cet objectif. Ces intentions se sont concrétisées dès le 26 janvier par la présentation au CNL d’un projet de constitution dont les dispositions essentielles prévoient :
– un pouvoir exécutif exercé par un président de la République et un Premier ministre, le Président contrôlant lui-même certains départements et organes gouvernementaux qui doivent rester autant que possible indépendants du gouvernement, un Conseil d’État aidant et conseillant le chef de l’État dans sa tâche ;
– un pouvoir législatif constitué par une assemblée de 140 membres élus au suffrage universel mais à laquelle pendant 15 ans ne pourront présenter leur candidature ceux qui ont servi le « Parti de la convention du peuple » de l’ancien président N’Krumah ;
– un pouvoir judiciaire totalement indépendant des deux précédents.
Les délais nécessaires à la transformation du régime ne permettent cependant pas d’envisager la mise en place des nouvelles institutions avant 1969 : désignation d’une assemblée constituante chargée de mettre au point la constitution, organisation du référendum populaire pour son approbation, élections de l’assemblée parlementaire, etc. Il faut relever par ailleurs que le CNL n’a pas encore décidé, semble-t-il, de lever l’interdiction des partis politiques édictée depuis deux ans, ce qui ne crée pas des conditions très favorables à l’instauration du régime vraiment démocratique promis.
La question reste donc posée de savoir si l’opinion publique qui manifeste de plus en plus son impatience devant l’attitude jugée souvent trop temporisatrice du CNL acceptera d’attendre le déroulement méthodique du programme annoncé. De son côté, l’armée saura-t-elle dominer ses difficultés internes et restaurer sa cohésion afin d’être en mesure d’apporter le soutien indispensable au général Ankrah en cette phase de mutation du régime ?
Ces incertitudes politiques empêchent encore de prévoir quand le Ghana, qui est l’un des rares États africains économiquement viables, pourra connaître une situation florissante et jouer le rôle prépondérant qui est à sa mesure dans cette partie du continent. On peut cependant estimer que les concours étrangers nécessaires ne feront pas défaut à Accra, étant donné l’importance de l’enjeu pour les grandes puissances.
Congo-Kinshasa : les grands projets industriels
La publicité donnée par le gouvernement de Kinshasa à l’ouverture du chantier de construction du barrage d’Inga reflète l’attention que porte le général Mobutu aux grandes réalisations susceptibles d’accroître à terme la capacité de production du pays. Cette préoccupation n’est pas nouvelle puisque, au lendemain même de l’avènement du nouveau régime, fin 1965, le chef de l’État congolais avait mis l’accent sur la nécessité de restaurer l’appareil économique congolais, notamment dans le domaine agricole, et qu’il prescrivait l’élaboration d’un plan quinquennal de développement couvrant la période 1968-1972.
Le barrage d’Inga, qui entre aujourd’hui dans la phase des réalisations dans les délais prévus par ce plan, est au nombre des grands projets industriels qui y sont inscrits. L’utilisation des énormes ressources hydro-électriques que peut procurer l’aménagement de ce site, constitué par des chutes naturelles sur le cours aval du fleuve Congo à soixante kilomètres environ au Nord du port de Matadi, n’est certes pas une idée nouvelle puisque, longtemps avant l’indépendance du Congo, des études précises menées par la Belgique avaient abouti à des conclusions extrêmement positives quant aux possibilités techniques de réalisation et surtout à la rentabilité de l’ouvrage. L’aménagement complet de ce site permettrait en effet de produire annuellement 230 Mds de kWh et de disposer d’une puissance permanente de 28 millions de kW. Il suffit de rappeler, à titre de comparaison, que le premier chiffre équivaut aux trois cinquièmes de la consommation totale d’électricité de la Communauté européenne et que le second représente près de dix fois la puissance des plus grands barrages exploités aujourd’hui. Cette démesure même, eu égard aux besoins, jointe aux graves crises qui ont agité le Congo et différé les projets envisagés, avait retardé jusqu’à présent leur mise à exécution.
Au stade actuel, la réalisation d’une première tranche est seule prévue et ne constituera qu’une exploitation très partielle des possibilités du site. À l’issue des travaux, soit vers 1972, la puissance installée sera de 800 000 kW. Les travaux sont exécutés par une firme italienne qui opère par l’intermédiaire d’une filiale commune avec le Congo, la Société italo-congolaise d’activités industrielles ou SICAI. Des facilités financières ont été accordées par l’Italie qui pourrait porter intérêt à la construction d’un complexe chimique et d’une usine sidérurgique, représentant, avec une usine de traitement de l’alumine, également envisagée, les principaux utilisateurs de l’énergie ainsi disponible. Le problème essentiel est moins, en effet, la production d’énergie que son utilisation puisque seuls de grands consommateurs industriels peuvent assurer la rentabilité des installations.
Des études sont actuellement menées dans ces domaines. L’usine sidérurgique envisagée pourrait être implantée près de Kinshasa et fournirait 200 000 tonnes annuelles de produits. Ces projets requièrent toutefois des investissements considérables auxquels le Congo ne pourra participer que dans une faible proportion. Aussi les concours étrangers, publics et privés, sont-ils activement recherchés. Ils supposent que soient définitivement restaurées les conditions nécessaires de stabilité et de sécurité ; les fournisseurs de capitaux, très réticents aussi longtemps que la situation leur apparaissait insuffisamment assainie, ont été, en effet peu encouragés, récemment, par les mesures touchant les entreprises étrangères exploitant au Congo, en particulier l’Union minière du Haut-Katanga.
La confiance semble aujourd’hui renaître. La construction d’une raffinerie de pétrole a débuté après de longs pourparlers, avec la participation de l’Italie. Des sociétés japonaises portent actuellement un grand intérêt à la prospection et peut-être à l’exploitation de nouvelles ressources minérales, dont le Congo est abondamment pourvu. En tout état de cause, doté déjà, au Katanga, d’un ensemble industriel basé sur l’extraction et le traitement du cuivre qui n’a guère d’équivalents en Afrique noire, amorçant aujourd’hui la mise en exploitation de richesses hydro-électriques sans égales, le Congo est sans doute l’un des États africains les mieux placés dans la compétition pour le développement industriel. Ces perspectives d’avenir très positives, trop longtemps assombries par des remous internes, déboucheront sur des réalités dans la mesure où l’effort d’assainissement entrepris par le gouvernement du général Mobutu dans tous les domaines, en particulier en matière politique et financière, sera mené à bien.