Militaire - Le budget de défense américain 1968-1969 - À propos du retrait des forces britanniques du golfe Persique - Les accords de compensation germano-britanniques et germano-américains - Intégration interarmées en Grande-Bretagne - L'explosion nucléaire chinoise du 24 décembre 1967 - Les bases américaines en Espagne
Le budget de défense américain 1968-1969
Fin janvier, donc un mois avant de quitter son poste de Secrétaire d’État à la Défense, M. Robert McNamara a déposé le projet de budget de son département pour l’exercice qui s’étend du 1er juillet 1968 au 30 juin 1969. Les dépenses s’élèvent à 79,8 milliards de dollars, soit 42,9 % du budget fédéral (qui se chiffre à 186,1 Mds) et 9 % du produit national brut (évalué à 870 Mds de dollars pour la période couverte par cet exercice budgétaire).
À titre d’indication, pour l’exercice en cours 1967-1968, les dépenses concernant la Défense sont évaluées à 76,5 Mds de dollars, soit 45 % du budget fédéral global et 9,8 % du PNB. Le budget de Défense 1968-1969 est donc supérieur de 8,8 Mds de dollars à l’exercice précédent mais, en valeur relative, il est en légère diminution.
Compte tenu de l’aide militaire accordée aux divers pays et des diverses autres dépenses affectées au budget de la Défense telles que celles concernant le stockage des matériaux stratégiques, le budget de la Défense 1968-1969 proprement dit s’élève à 76,658 Mds de dollars, dont le tiers, soit 25,784 Mds, est consacré au Vietnam.
Le tableau ci-dessous souligne l’accroissement constant des dépenses concernant la guerre au Vietnam (en Mds de dollars) :
Exercice budgétaire |
Dépenses militaires |
Assistance économique |
TOTAL |
1964-1965 1965-1966 1966-1967 1967-1968 1968-1969 |
0,103 5,812 20,138 24,581 25,784 |
– 0,282 0,424 0,458 0,480 |
0,103 6,094 20,557 24,989 26,264 |
Au cours de son exposé, M. McNamara a révélé que le nombre d’ICBM (missiles balistiques intercontinentaux) soviétiques avait doublé en 1967 (720 silos opérationnels), mais que les États-Unis, avec 1 710 missiles et 465 bombardiers, disposaient encore d’une importante marge de sécurité. Il a ajouté que, pour des raisons de mise au point, l’entrée en service des Minuteman III, et des avions General Dynamics F-111B serait retardée de plusieurs mois, d’où le maintien en service des Minuteman I, Titan II et des avions B-52.
Par contre, au cours de l’année 1968-1969, 6 sous-marins nucléaires (SNLE) seront équipés de missiles Poseidon et, d’ici 1978, 25 autres seront modifiés pour permettre de les doter de ces nouveaux missiles à tête multiple.
Un nouveau programme sera lancé pendant cette période fiscale : il comportera la mise au point d’un nouvel engin intercontinental plus évolué tandis que seront améliorés les moyens de pénétration des défenses adverses, les têtes de rentrées multiples et pilotables, et que continueront les recherches concernant un engin air-sol appelé à remplacer le Hound-Dog.
Les systèmes de détection et de contrôle seront modernisés. Un nouveau système d’armes, le F-106-X, dérivé du Convair F-106 Delta Dart, sera développé. Il comportera : un nouvel engin air-air, un contrôle automatique de tir, un radar destiné au repérage des cibles volant à basse altitude. En revanche, le nombre d’escadrons d’intercepteurs sera progressivement ramené, au cours de l’année 1968, de 26 à 19.
1 200 millions de dollars sont affectés au système antimissile Sentinel contre la Chine, qui comportera des radars PAR (Perimeter Acquisition Radar) et MSR (Missile Site Radar) couplés avec des missiles à longue portée Spartan pour la défense sur zone et Sprint pour la défense à courte portée. Ce système devrait être installé pour 1970 et pourrait conserver une certaine efficacité jusque vers 1985.
La part du budget réservée à chacune des trois armées traduit la décision du Pentagone de réduire au maximum les dépenses nouvelles.
L’Armée de terre dont les crédits sont majorés de 7 %, doit moderniser ses équipements ; en outre, 1 804 aéronefs sont prévus pour compenser les pertes au Vietnam. Ses effectifs seront réduits d’environ 27 000 hommes tandis que ses réserves seront réorganisées pour pouvoir être utilisées rapidement en cas de guerre limitée. Le nombre de pilotes passera, au cours de l’année fiscale, de 16 000 à 21 000. 8 500 d’entre eux sont au Vietnam et il est impossible actuellement de leur appliquer la règle de passer deux années en métropole ou en Europe entre deux séjours au Vietnam.
Les crédits de l’Armée de l’air ont été augmentés de 8 % En ce qui concerne les matériels, il est prévu de poursuivre la construction de l’avion de transport C-5A Galaxy dont le premier escadron devrait être opérationnel en 1970-1971. Les appareils North American F-100 Super Sabre et Republic F-105 Thunderchief seront, au fur et à mesure de leur remplacement par des LTV A-7 Corsair II, affectés à l’Air National Guard.
La Marine, dont les crédits sont augmentés de 13,5 % (23,35 Mds de dollars au lieu de 21,11 en 1967-1968), procédera, au cours de l’année fiscale, au réarmement du cuirassé New Jersey, et maintiendra en service 6 sur 8 de ses porte-avions ASM (anti-sous-marins) et les flottilles embarquées correspondantes, qui devaient être réformés.
Mais l’ensemble de ce budget est d’ores et déjà dépassé car il a été établi sur un effectif maximum de 3 500 000 h, dont 525 000 au Vietnam. Le rappel de 15 000 réservistes et l’envoi en Extrême-Orient de 10 500 h en janvier 1968 doivent augmenter sensiblement les dépenses de défense. D’ailleurs, les militaires avaient demandé 100 Mds de dollars.
À propos du retrait des forces britanniques du golfe Persique
La décision annoncée aux Communes, le 16 janvier 1968, par le Premier ministre M. Wilson, de retirer, d’ici 1971, les forces britanniques stationnées dans le golfe Persique, pose d’importants problèmes en raison de l’instabilité qui peut s’instaurer dans cette région. On risque en effet de voir renaître les revendications territoriales de l’Arabie saoudite sur certaines parties des Émirats de la côte de la Trêve (ou « Trucial Coast » dite aussi « Côte des Pirates ») et du sultanat d’Oman et de Muscate, et celles de l’Iran sur l’archipel de Bahrein que Téhéran considère comme la 14e province de l’Empire. En outre, le plateau continental fait l’objet de convoitises des pays riverains en raison des richesses pétrolières qu’il contient.
À ces facteurs de dissension, on peut opposer la nécessité, pour les nombreux petits États féodaux du golfe, de s’unir pour s’opposer aux visées prêtées à Nasser, le président égyptien, dont les entreprises subversives pourraient s’appuyer sur la présence dans cette région d’enseignants, de techniciens ou de fonctionnaires.
En présence de cette situation, une personnalité américaine a suggéré, comme solution aux problèmes de défense qui vont se poser, la création d’une alliance militaire qui grouperait la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Pakistan et le Koweït. Mais la plupart de ces États ont manifesté leur désapprobation à un tel projet : l’Iran s’estime capable d’assurer seul la défense de cette région et craint que les autres nations moins développées ne soient obligées de faire appel à des assistants étrangers. Ce dernier argument vise aussi bien la RAU (République arabe unie, c’est-à-dire l’Égypte) que les États-Unis et l’Union soviétique.
Quant aux petits Émirats de la côte de la Trêve, qui ne disposent que de moyens militaires trop faibles pour entrer dans une telle alliance sur un pied d’égalité, ils se méfient d’une protection saoudienne. Aussi les révélations d’un journal anglais qui prétend que ces petits États ont demandé à Londres de maintenir les effectifs britanniques sous réserve qu’ils paieraient les frais de stationnement, semblent-elles dignes de crédit.
Reste le domaine économique au profit duquel pourrait se réaliser une coopération des petits États arabes, mais les plus riches ne paraissent pas disposés à se lier avec ceux qui sont moins bien partagés.
Actuellement, l’Angleterre continue à livrer du matériel à certains États arabes pour la modernisation de leurs armées. C’est ainsi que des chasseurs Lockheed P-38 Lightning et des missiles antiaériens Thunderbird Mark I sont en cours de livraison à l’Arabie saoudite tandis que trois nouveaux aérodromes vont être construits en 1968 dans le Sud du pays. Ultérieurement, le gouvernement de Riyad portera son effort sur les unités blindées et sur les régiments d’artillerie.
Le Koweït a acheté, en 1967, 12 chasseurs Lightning et 4 Hawker Hunter. Cet achat doit être complété par celui de matériels blindés pour une valeur de 45 millions de livres sterling.
La Libye a engagé des négociations avec Londres pour l’achat de moyens de détection radar, d’intercepteurs Lightning et d’engins sol-air.
Par contre, d’autres nations du Moyen-Orient s’équipent en matériels soviétiques, telles que la Syrie, l’Égypte et le Yémen.
Les accords de compensation germano-britanniques et germano-américains
De nouvelles négociations viennent de commencer pour fixer le montant de l’aide en devises à verser par l’Allemagne fédérale (RFA) à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, afin d’équilibrer les dépenses effectuées par leurs troupes stationnées outre-Rhin. On évalue à 4 Mds de dollars les sommes versées de juillet 1961 à juillet 1967 par la RFA aux divers Alliés.
Le dernier accord entre Bonn et Washington prévoyait l’achat par l’Allemagne, avant le 30 juin 1968, de bons du Trésor américain à moyen terme, pour un montant de 500 M$ ; mais Washington demande, pour la période suivante, juillet 1968-juillet 1969, une compensation égale à 700 M$.
Pour le gouvernement de Bonn, ce problème de compensation est particulièrement difficile en raison de la situation de l’économie allemande :
– d’une part, il lui faut dégager les sommes nécessaires ;
– d’autre part, déterminer les matériels dont il a besoin, étant donné que la Bundeswehr est saturée de matériels américains et que l’Allemagne fédérale dispose encore aux États-Unis d’un crédit de 800 M$ (3,2 Mds de deutsche mark).
Quant aux Britanniques, ils sont au moins aussi exigeants que les Américains. L’an dernier déjà, les tractations entre Londres et Bonn avaient été particulièrement difficiles. Alors que Londres demandait 72 M£, Bonn n’avait accepté que des achats en Grande-Bretagne pour seulement 52 M£ et à condition que ces achats portent à la fois sur des matériels civils et militaires. Les États-Unis avaient accepté de compenser la différence, soit 20 M£ par des achats en Angleterre. Or, cette année, la Grande-Bretagne réclame 90 M£ tandis que la RFA semble très réticente et que Washington renoncerait à renouveler son geste. Peut-être une solution sera-t-elle trouvée en étalant sur plusieurs années les achats correspondant aux frais d’entretien de l’armée britannique, notamment par des commandes dans l’industrie aéronautique. Du résultat des négociations dépend le maintien ou non sur le sol allemand, des effectifs actuels : 220 000 soldats américains et 57 000 soldats britanniques.
Intégration interarmées en Grande-Bretagne
Dans le cadre de la politique d’intégration interarmées, le ministre de la Défense britannique, M. Healey, vient de grouper en un organisme central, au niveau du Defence Staff, les bureaux Plans qui existaient dans chacune des armées.
Ce nouveau service sera placé sous les ordres d’un Assistant Chief of Defence Staff for Policy (ACDS), dépendant directement du chef d’état-major de la Défense.
L’ACDS disposera de trois adjoints : le premier pour les questions de personnel, le second pour les affaires Otan, le troisième pour les autres questions non-Otan. Cette nouvelle organisation aura pour conséquence des économies de personnels, notamment la suppression dans chaque armée du Vice-Chief of Staff et du Second Parliamentary Under Secretary of State.
L’explosion nucléaire chinoise du 24 décembre 1967
La présence de lithium 6 parmi les déchets radioactifs prélevés dans l’atmosphère après l’explosion de la bombe nucléaire chinoise le 24 décembre 1967 laisse supposer aux Américains que, seule, l’amorce de cette bombe aurait fonctionné.
M. McNamara, dans une déclaration du 1er février 1968, a indiqué, qu’à son avis, la Chine serait en retard dans la mise au point des ICBM mais que, dès cette année, elle pourrait déployer des MRBM (missiles balistiques à moyenne portée).
Quant à la fabrication de sous-marins, les Britanniques estiment que la construction du type G (sous-marin lance-missiles balistiques à propulsion classique) serait abandonnée et que l’effort porterait sur le type R en remplacement du type W (tous deux sous-marin classiques) ; les Japonais, au contraire, pensent qu’un deuxième sous-marin d’un type G serait en voie d’achèvement bien que les missiles surface-surface appelés à l’équiper ne soient pas encore disponibles. D’autres bruits circulent au Japon selon lesquels les recherches se poursuivent à Dairen pour la mise au point d’un sous-marin à propulsion nucléaire alors que d’autres rumeurs précisent que cette construction serait très avancée, voire même qu’un tel sous-marin effectuerait déjà des essais entre Tien Tsin et Shanghaï.
Les bases américaines en Espagne
À la veille de négociations sur le renouvellement des accords hispano-américains, le gouvernement espagnol a interprété l’escale à Gibraltar de 18 bâtiments de la 6e Flotte comme une prise de position américaine dans l’affaire du Rocher. Il a adressé à Washington un aide-mémoire menaçant d’apporter des restrictions à l’usage de ses ports par la marine américaine.
Cette manifestation d’indépendance de l’Espagne à l’égard des États-Unis pourrait s’accompagner d’une amélioration des rapports de Madrid avec certains pays communistes. Les échanges de bateaux de pêche et de matériels agricoles contre du sucre et de la viande annoncés entre l’Espagne et Cuba semblent marquer en outre une extension des relations commerciales entre les deux pays.