Outre-mer - Les États-Unis d'Afrique centrale - Les nouveaux accords monétaires franco-maliens - Le 3e Congrès du Parti du peuple mauritanien - Les découvertes minières en Haute-Volta
Les États-Unis d’Afrique centrale
À son retour de Niamey, où il avait assisté à la Conférence des chefs d’État de l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam), le général Mobutu a fait un court séjour à Bangui (République centrafricaine) où il a rencontré le 1er février le général Bokassa et le président Tombalbaye, chefs d’État de la RCA et du Tchad. Il a soumis à ses interlocuteurs, qui en ont immédiatement accepté le principe, un projet de création d’un groupement des trois pays qui prendrait la dénomination d’États-Unis d’Afrique centrale et serait ouvert à d’autres pays voisins parmi lesquels ont été cités : le Gabon, le Congo-Brazzaville, le Rwanda et le Burundi.
Un protocole fut aussitôt signé, définissant de façon très générale le but de l’entreprise : réalisation d’objectifs communs dans les domaines de l’économie, du commerce, des transports, des télécommunications, de la sécurité et des affaires culturelles. Dès la fin de février, les ministres des Affaires étrangères des trois pays se réunissaient à Kinshasa pour y discuter des premières mesures d’application des décisions de Bangui.
La soudaineté de la décision annoncée à Bangui a surpris et pourtant le projet n’est pas neuf. Il n’est que la résurgence d’une idée chère à M. Boganda, premier Chef du gouvernement de la République Centrafricaine indépendante, qui prônait la création d’une Union de l’Afrique centrale « latine ». Le général Bokassa, qui se considère comme l’héritier spirituel de son oncle Boganda, entend poursuivre sa « mission ». D’autre part, l’une des constantes de la politique du président Tombalbaye demeure l’intégration de son pays dans un ensemble capable de faire contrepoids aux pressions des pays à dominante musulmane qui l’enserrent. Enfin, le général Mobutu ne pouvait qu’être tenté et séduit par ce patronage d’une union régionale en Afrique centrale, où le potentiel humain et économique de son pays lui conférerait sans conteste un rôle prépondérant. Depuis son accession au pouvoir, le chef de l’État congolais n’a en effet jamais manqué une occasion de faire admettre Kinshasa comme l’un des pôles de l’Afrique, notamment en prenant l’initiative de plusieurs réunions inter-États et en obtenant que l’Organisation de l’unité africaine (OUA) y tienne sa conférence annuelle au sommet en septembre 1967.
Cependant, hormis le Burundi qui peut espérer tirer avantage d’une affiliation aux États-Unis d’Afrique centrale, les autres pays de la région, ouvertement sollicités par le général Mobutu, semblent manifester certaines réticences à adhérer à la nouvelle organisation. On notera d’abord leur surprise de l’initiative congolaise annoncée quelques jours après la réunion de l’Ocam à Niamey où le général Mobutu ne semble pas avoir fait part de ses intentions aux chefs des États francophones qui y étaient tous présents, sauf le général Bokassa. On se demande surtout comment pourra se concilier l’existence du nouveau groupement avec celle de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) qui lie déjà le Cameroun, le Gabon et le Congo-Brazzaville avec la RCA et le Tchad. Bien que l’UDEAC vise des objectifs moins étendus que les États-Unis d’Afrique centrale, on comprend mal à Yaoundé, à Libreville et à Brazzaville l’empressement de Bangui et de Fort-Lamy à s’intégrer dans un nouveau groupement, alors que toutes les possibilités de coopération sont loin d’avoir été épuisées au sein de l’Union existante. Certains craignent qu’une telle entreprise, peut-être encouragée de l’extérieur, ne porte atteinte à la cohésion de l’UDEAC et, au-delà de celle-ci, à l’Ocam, donc à la solidarité des États issus de l’ancienne communauté française. Rien ne permet actuellement d’étayer ces craintes, ni de soupçonner une manœuvre d’inspiration politique. Les promoteurs du projet ont d’ailleurs tenu à affirmer qu’il n’était pas question de remettre en cause ni les structures actuelles, ni les liens antérieurement noués. Quoi qu’il en soit, la signature du protocole de Bangui a suscité en Afrique équatoriale des réactions qui ont remis en lumière la traditionnelle opposition des points de vue entre les États continentaux, sans accès à la mer (Tchad, RCA) et les États côtiers dont les premiers sont tributaires pour leurs relations avec le monde extérieur (Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville) et qui sont souvent accusés d’exploiter cette situation avec un souci trop exclusif de leurs propres intérêts. Le Congo-Kinshasa peut ainsi apparaître à Fort-Lamy et à Bangui comme le « poumon » supplémentaire nécessaire à la réanimation et à la croissance de leur économie.
Dans cette perspective, la création des États-Unis d’Afrique centrale peut certes se révéler bénéfique, particulièrement pour les États de la région, confinés au cœur de l’Afrique ; mais, comme l’a déclaré l’un des ministres engagés dans la négociation, le cheminement peut être très long avant que ne se concrétisent la solidarité et la coopération régionale recherchées. Il importe de dominer à la fois les tendances égocentriques des pays les moins défavorisés et la pression des intérêts étrangers.
Les nouveaux accords monétaires franco-maliens
Le 29 novembre 1966 était paraphé à Paris un aide-mémoire qui définissait les grandes lignes d’un éventuel accord entre la France et le Mali : le Mali y affirmait d’une part sa volonté d’adhérer librement à l’Union monétaire ouest-africaine, la France d’autre part acceptait d’aménager ses relations monétaires avec le Mali dans le cadre d’un accord bilatéral transitoire de durée limitée. Les négociations ouvertes sur ces bases deux mois après aboutissaient, le 15 février 1967, à la signature d’un accord prévoyant que le Mali devait procéder, pendant une période préparatoire, à l’adaptation nécessaire de ses structures économiques, financières et bancaires de façon à permettre sa réintégration dans la zone franc. Au terme de ce délai, qui devait expirer en principe le 9 mai 1968, les deux gouvernements se proposaient de conclure un nouvel accord bilatéral. Or, cet effort d’assainissement ayant abouti bien avant l’échéance prévue, il a été possible aux deux gouvernements d’entamer, dès le 7 décembre, de nouvelles négociations qui se sont achevées le 19 du même mois par la conclusion de deux importants accords, l’un prévoyant la libre convertibilité du franc malien, l’autre la création d’un institut d’émission géré paritairement.
De février à décembre, le gouvernement de Bamako s’est en effet attaqué avec la plus grande résolution et la plus grande rigueur à la remise en ordre de sa situation financière gravement obérée. Dès le mois de mai, il avait procédé à une dévaluation de 50 % de sa monnaie nationale et en novembre l’Assemblée nationale du Mali adoptait un plan de stabilisation comportant des mesures d’austérité très strictes. En quelques mois, le déficit budgétaire était réduit de 30 %, à la fois par la compression des dépenses improductives (fermeture d’ambassades, limitation ou suppression des déplacements officiels, réduction du train de vie des fonctionnaires) et par l’accroissement des recettes budgétaires. En même temps était entreprise la réorganisation d’une trentaine de sociétés d’État constituant l’armature du système économique malien, mais sans que soit remise en cause l’option socialiste, qui est la base de la politique du gouvernement de Bamako.
Par l’accord du 19 décembre, le gouvernement français a pu ainsi s’engager à assurer, au plus tard le 31 mars 1968, la libre convertibilité de la monnaie malienne sur la base de la parité actuelle du franc malien par rapport au franc français (un franc malien valant un ancien franc français). Simultanément, est créé à Bamako un institut d’émission qui sera géré paritairement et bénéficiera d’un compte d’opérations auprès du Trésor français, c’est-à-dire qu’il pourra s’approvisionner librement en devises étrangères. Cet institut est tenu d’observer les disciplines financières de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), notamment en matière d’émission. Il est distinct de la Banque nationale du Mali qui ne conserve que les attributions d’une banque de développement.
Les États francophones d’Afrique occidentale associés au sein de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ont accueilli avec grande faveur la conclusion de ces accords qui vont désormais permettre le développement de la coopération économique et des échanges commerciaux avec le Mali, maintenant sorti d’un isolement monétaire qui a failli lui être fatal.
Le 3e Congrès du Parti du peuple mauritanien (PPM)
Du 23 au 27 janvier 1968 s’est tenu à Nouakchott le 3e Congrès du Parti du peuple mauritanien (PPM). En sa qualité de Secrétaire général, le président Moktar Ould Daddah a présenté le rapport, qui contenait à la fois un réquisitoire assez sévère contre la colonisation française et un énoncé des options politiques et des objectifs économiques que se propose le parti, donc le gouvernement.
C’est ainsi que le président a d’abord caractérisé la situation actuelle de la Mauritanie, résultante du « lourd héritage colonial et précolonial » :
• Les structures sociales archaïques ont été perpétuées par le colonisateur, « qui a confirmé le pouvoir temporel des chefs religieux et renforcé leur autorité, contribuant à développer l’égoïsme, le goût des intérêts matériels sordides, le népotisme, le tribalisme, le régionalisme et le racisme ».
• « L’absence de formation de l’homme mauritanien est une autre séquelle de l’action du colonisateur » mais, à la décharge de celui-ci, le rapporteur veut bien admettre que les Mauritaniens ont une part de responsabilité en raison de leur ostracisme à l’égard de l’école moderne qu’ils qualifiaient d’« école de l’infidèle ».
• L’économie de la Mauritanie, « incluse dans une fédération de territoires dans laquelle elle était le parent pauvre », est passée du stade de l’archaïsme à celui du régime colonial, puis néo-colonial.
Cependant, le rapporteur reconnaît que la colonisation a eu « des aspects positifs, tels que le rétablissement de la paix intérieure et l’ébauche de l’État mauritanien ».
Le chef de l’État mauritanien a ensuite présenté et fait adopter les grandes lignes du programme d’action du Parti, donc du gouvernement, qui doit s’appliquer à la réalisation de trois grands objectifs :
– « la repersonnalisation de l’homme mauritanien » ;
– la réorganisation des structures de la Société et de l’État ;
– un développement économique moderne.
La transformation de l’homme mauritanien sera recherchée par :
– une nouvelle organisation de l’enseignement sur les bases du bilinguisme, faisant une large place à la formation rurale et à la promotion des femmes ;
– une politique rationnelle de formation des cadres, planifiée de telle sorte que, dans un délai approximatif de 20 ans, les besoins de la Mauritanie en ce domaine soient couverts, donc que le pays acquière une véritable indépendance ;
– une protection sanitaire accrue des enfants et des adultes, avec un effort particulier sur la prévention ;
– un retour aux sources de la religion par une lutte contre les coutumes dépassées et nuisibles, et spécialement contre celles qui perpétuent la condition dégradée de la femme.
Des réformes de structures doivent être opérées dans la magistrature, l’administration et l’armée qui devra devenir une « armée populaire, intégrée à part entière au PPM », comme la gendarmerie, la garde nationale et la police. La mauritanisation sera accélérée et la centralisation politique sera accentuée avec la disparition de fait des chefferies traditionnelles au fur et à mesure des décès ou des démissions des titulaires.
Une voie mauritanienne du développement sera définie afin d’assurer la promotion de la population dans tous les domaines et de conserver à l’État le bénéfice du travail de ses citoyens et de ses ressources nationales.
Le chef de l’État considère qu’une transformation de la mentalité des Mauritaniens s’impose afin d’éliminer les conceptions antiéconomiques traditionnelles telles que le mépris du travail dû à la division de la société traditionnelle en castes, le goût de paraître entraînant des dépenses excessives ruineuses ou le conservatisme du monde rural.
Les petites industries nationales seront multipliées et l’extension de l’infrastructure routière accélérée. Le développement de la grande entreprise s’organisera par la création de sociétés nouvelles avec participation obligatoire de l’État. Les compagnies étrangères engagées dans l’exploitation des ressources minières et la pêche industrielle seront astreintes à s’intégrer dans l’économie mauritanienne : achat des productions locales pour leur vie courante (viande, légumes, fruits), formation de cadres mauritaniens appelés à relever progressivement les étrangers, investissements sur place dans des industries de transformation chaque fois que cela est possible.
En conclusion, le chef de l’État a souligné que, pour ménager la transition nécessaire, le prochain plan de développement économique « ne serait pas encore un plan socialiste », mais il n’a pas caché qu’à plus long terme tel était bien son objectif, car « cette voie correspond parfaitement aux options politiques et aux aspirations du PPM ».
Les découvertes minières en Haute-Volta [Burkina Faso]
L’important effort de prospection minière poursuivi dans toute l’Afrique de l’Ouest par divers organismes, tant officiels que privés, continue à porter ses fruits. Après la Mauritanie et le Sénégal, le Niger est en voie de devenir un important fournisseur d’uranium (cf. numéro d’octobre 1967) et le Dahomey fonde de grands espoirs sur les premiers résultats des recherches pétrolières offshore entreprises à proximité de ses côtes. La Haute-Volta voit à son tour s’ouvrir de très intéressantes perspectives. Intervenant après la découverte du gisement de manganèse de Tambao, la présence de cuivre vient d’être révélée dans la région de Gaoua, à 300 km au Sud-Ouest de Ouagadougou. Sur des indices mis en évidence depuis plusieurs années par le bureau minier du ministère de la France d’outre-mer, le Fonds spécial des Nations unies avait depuis lors financé une campagne de prospection qui vient de confirmer l’existence d’un gisement de caractère exceptionnel. De nouvelles investigations sont certes encore nécessaires pour déterminer avec précision l’importance des réserves et les possibilités d’exploitation. C’est pourquoi le Bureau français des recherches géologiques et minières étudie actuellement avec le gouvernement voltaïque les conditions de création d’un consortium minier qui pourrait prendre la relève, dès le 30 juin, du programme du Fonds spécial des Nations unies.
En ce qui concerne le manganèse de Tambao, les réserves sont estimées à 9 millions de tonnes et le rythme de production envisagé est de 480 000 t par an, échelonnées sur une vingtaine d’années. Les études préliminaires sont terminées, mais le début de l’extraction demeure encore conditionné par deux préalables :
– la constitution d’une société d’exploitation ;
– la prolongation du chemin de fer de Ouagadougou jusqu’au gisement (250 km au Nord-Est), et éventuellement sur Niamey.
Des négociations sont en cours avec le gouvernement de la Haute-Volta pour la mise sur pied de la Société d’exploitation avec l’Union Carbid et un groupe japonais. Elles n’ont pas encore abouti car la Haute-Volta souhaite y détenir la majorité du capital, alors que l’Union Carbid propose seulement 29 % des actions à l’État voltaïque, elle-même se réservant 51 % et le groupe japonais souscrivant pour les 20 % restants.
Le projet de prolongation du chemin de fer semble par contre réalisable à brève échéance depuis que le Conseil de l’Entente a donné son accord pour apporter sa contribution au financement de l’opération.
L’avenir économique de la Haute-Volta se révèle donc plein de promesses pour le plus grand bénéfice non seulement du pays mais également du Groupe de l’Entente.