Institutions internationales - L'Assemblée générale des Nations unies - Quels progrès pour l'Europe - Recours à l'Union de l'Europe occidentale (UEO) ? - ELDO (European Launcher Development Organisation) mis en sommeil - L'Assemblée général du Fonds monétaires international (FMI)
Les violences qui ont ensanglanté Mexico, la fin des dernières illusions tchécoslovaques après le voyage de MM. Dubcek, Cernik et Husak, le référendum grec, les incidents chroniques du Moyen-Orient, la poursuite de la guerre du Vietnam, les développements de la campagne électorale américaine, etc. ont, au cours des dernières semaines, retenu l’attention des observateurs et de l’opinion. Une nouvelle fois, les institutions internationales n’ont paru jouer qu’un rôle mineur dans le développement de ces événements. Pourtant, sur plusieurs points, leur rôle a été plus important que l’on ne pourrait à première vue le croire.
L’Assemblée générale des Nations unies
La 23e session de l’Assemblée générale des Nations unies s’est ouverte à New York le 25 septembre 1968 sous de sombres auspices. L’affrontement auquel se livrent partout dans le monde les plus grandes puissances, leur détermination de maintenir à tout prix leurs sphères d’influence dans la crainte que celles-ci ne se réduisent au profit de leurs adversaires, leur refus en conséquence de se plier à une règle commune et de se soumettre à un arbitrage quelconque, condamnent, en effet – plus encore que la dépendance apeurée des petites nations, pour la plupart faibles et instables – l’Organisation des Nations unies à une impuissance totale. Jamais l’ONU n’a été aussi incapable d’assumer la fonction essentielle qui lui a été dévolue par la Charte, celle d’assurer le maintien de la paix. Il est vrai que si les Nations unies s’enrichissent chaque année de nouveaux membres – le Swaziland et la Guinée équatoriale en sont devenus le 125e et le 126e – elles ne peuvent toujours pas prétendre à l’universalité, vu l’obstination que mettent les États-Unis à s’opposer à l’entrée de la Chine communiste dans l’Organisation internationale. Le gouvernement de Pékin ne sollicite d’ailleurs plus cette entrée.
L’Assemblée générale devait donc aborder tous les points que l’on retrouve habituellement à l’ordre du jour de chaque session : le désarmement, les problèmes coloniaux, la discrimination raciale, la Corée, les réfugiés palestiniens, etc. Dans cet ordre du jour n’apparaissent guère les grands conflits qui déchirent le monde, menacent l’existence de certains peuples et mettent en péril la paix mondiale. Certes, la question du Moyen-Orient restait-elle inscrite « en priorité », mais cette priorité n’a pas empêché que la 22e Assemblée se soit trouvée totalement dessaisie du problème par le Conseil de sécurité. On prêtait l’intention au Canada d’évoquer l’affaire du Biafra, mais l’Assemblée ne pouvait en principe accepter d’en discuter que si l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en était d’accord, ce qui semblait peu probable. Rien ne devait cependant empêcher que les deux grands problèmes qui préoccupent aujourd’hui l’opinion internationale – la guerre du Vietnam et l’occupation de la Tchécoslovaquie – ne tiennent une grande place dans les débats. C’est en vain qu’en ce qui concerne l’affaire tchécoslovaque, l’URSS tenterait de s’y opposer. Les pays de l’Amérique latine étaient bien résolus à l’évoquer, et ils n’étaient pas les seuls.
En d’autres termes, l’opinion générale parviendra malgré tout à s’exprimer à l’ONU. Elle pourra regretter, condamner, mais une fois de plus sa faiblesse ne lui permettra pas de se faire entendre et de décider les États concernés à consentir les compromis qui peuvent seuls mettre fin aux conflits actuels. Pis encore, il est à craindre qu’un vent de guerre froide ne souffle sur l’Assemblée et ne gèle pour une durée indéterminée les premiers progrès sur la voie de la détente Est-Ouest qu’on avait pu enregistrer au cours des précédentes sessions. Les débats sur le désarmement risquent de subir le contrecoup des événements de Tchécoslovaquie.
En définitive, il semble qu’au cours des prochains mois l’ONU ne pourra poursuivre avec fruit ses efforts de coopération internationale que dans des domaines généraux et techniques. On comprend dès lors que son secrétaire général, M. Thant, ne puisse prendre son parti de cette impuissance croissante dans le domaine politique, et qu’à la veille de cette Assemblée il ait lancé un cri d’alarme : « J’estime essentiel, a-t-il déclaré, qu’une troisième force vigoureuse et explicite s’élève, telle la voix de la conscience de l’humanité, pour convaincre tous les États-membres de recourir de plus en plus aux Nations unies pour maintenir la paix du monde ».
Trois points particuliers méritent d’être soulignés.
• À la veille de l’ouverture de cette session de l’Assemblée générale, une vive controverse a opposé les États-Unis et M. Thant à propos des bombardements au Vietnam-Nord, et il ne semble pas que le secrétaire général des Nations unies pourrait, comme certains l’avaient laissé entendre, jouer un rôle plus actif dans les négociations qui, officielles à Paris, plus ou moins officieuses en d’autres capitales, se déroulent dans l’espoir d’arriver à la cessation des combats.
• Israël a décidé de ne pas collaborer avec l’envoyé spécial de l’ONU chargé d’enquêter sur le sort des Arabes vivant en territoires occupés. Selon Israël, cette mission du représentant de l’ONU s’inscrit dans le cadre de l’offensive qu’Arabes et Russes lancent contre l’État juif et pour laquelle ils utilisent l’ONU. On s’attend en Israël à un renouveau des initiatives anti-israéliennes au sein du Conseil de sécurité, où deux des membres, le Canada et le Danemark, considérés comme ayant des sympathies pour Israël, sont remplacés par deux pays aux tendances plutôt hostiles à Israël, l’Espagne (qui n’a jamais reconnu l’État d’Israël) et la Finlande (soumise aux pressions de Moscou).
• Toujours à propos du Moyen-Orient, M. Abba Eban, ministre israélien des Affaires étrangères, a déclaré : « Le Moyen-Orient n’est pas un protectorat international », et rejeté toute solution où l’accord entre les parties serait remplacé par un accord entre les « Quatre Grands ». Ceci paraît donc éliminer d’une part l’espoir que cet accord des « Grands » pourrait permettre l’élaboration d’une solution, d’autre part de nouvelles initiatives des États-Unis. Mais les Russes sont résolus, et les Américains résignés à faire de la question du Moyen-Orient une des épreuves majeures de la session de l’Assemblée générale, chacune des deux superpuissances entendant évidemment mener la discussion à sa façon en en tirant le maximum d’avantages pour elle-même. Mais certains espèrent en un miracle, qui pourrait se produire au cours de cette session de l’Assemblée Générale : une rencontre entre M. Abba Eban et M. Mahmoud Riad ou M. Abdel Monem Rifaï, ses collègues du Caire et d’Amman.
Quels progrès pour l’Europe ?
Tandis que s’engageaient les débats de l’Assemblée générale des Nations unies, les ministres des Affaires étrangères des « Six » se réunissaient à Bruxelles, et, une fois de plus, le problème de l’adhésion de la Grande-Bretagne figurait à l’arrière-plan des discussions, au point qu’un quotidien a pu écrire : « Le fantôme de la Grande-Bretagne ne cesse de s’allonger entre les “Six” comme le fameux personnage d’Ionesco. Depuis un an, la France essaie de s’en débarrasser pour faire repartir d’un bon pied la vie communautaire, mais ses partenaires le maintiennent toujours en place »… Une fois de plus, la délégation allemande essaya de jouer les médiateurs entre les partisans acharnés de l’ouverture des pourparlers avec les Anglais, et les Français, dont l’opposition à l’entrée rapide du Royaume-Uni dans le Marché commun reste aussi vive, les données du problème n’ayant pas changé. M. Willy Brandt, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne (RFA), souhaite l’élargissement de la CEE (Communauté économique européenne). Mais sa diplomatie ne se réduit pas à un « kriegspiel » élémentaire comme celle des quatre autres partenaires de la France, où les bleus manœuvrent contre les rouges, les bons contre les mauvais, et où la seule leçon à tirer de l’invasion de la Tchécoslovaquie est d’évidence l’abandon de la politique de détente et un retour à l’Europe atlantique. Du même coup, la position allemande est inconfortable, et c’est ainsi que sa tentative pour imaginer un programme d’action acceptable par tous l’a conduite à s’écarter des simples propositions d’arrangements commerciaux conçues jadis en collaboration avec la France mais jugées insuffisantes par les Anglais et leurs champions dans le Marché commun. M. Michel Debré, ministre des Affaires étrangères, a relevé l’écart existant entre le plan allemand et les thèses françaises. Paris se dressant, le Traité de Rome à l’appui, contre toute synchronisation entre le développement interne de la Communauté et son extension, MM. Harmel, Luns, Grégoire et Medici voulurent bien accepter « sans enthousiasme » le projet présenté par les Allemands, qu’ils considèrent comme « une plate-forme minimale ». Ce « front uni » des « Cinq » est des plus fragiles et les avis des uns et des autres divergent sur la meilleure méthode pour convaincre Paris ou pour commencer de façon autonome une coopération avec les Anglais. On s’en est aperçu lorsque M. Brandt, essayant de prêcher la conciliation, soumit un compromis de procédure prévoyant notamment la relance de la coopération scientifique à six bloquée sur initiative néerlandaise depuis le début de l’année : les Hollandais, les Belges et les Italiens, abandonnés cette fois par les Luxembourgeois, balayèrent cette suggestion !
À nouveau, la Communauté risque une crise grave. La France espère la surmonter par les travaux à six, et les sujets en sont nombreux et importants : harmonisation fiscale, financement des dépenses de la politique agricole commune, coopération scientifique et industrielle, accord sur une société commerciale de type européen, etc. Mais cette bonne volonté de Paris se heurte à ceux (les mêmes) qui transposent le débat sur le plan spécifiquement politique et parlent de supranationalité (qu’ils ne paraissent d’ailleurs plus disposés à accepter pour eux-mêmes !).
Recours à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ?
Lors de cette réunion des ministres des Affaires étrangères des « Six », M. Harmel (Belgique) a proposé, pour sortir la construction européenne de l’a enlisement » d’exploiter les traités de Bruxelles et de Paris instituant l’Union de l’Europe occidentale (qui groupe les « 6 » et la Grande-Bretagne) dans quatre domaines : la politique, la défense, la technologie et la monnaie. Cette exploitation devrait être conduite à sept. Selon le ministre belge des Affaires étrangères, la Communauté est « enlisée » à propos de la question de l’élargissement (l’adhésion britannique). Après le constat de désaccord du 19 décembre 1967 sur l’ouverture de négociations immédiates avec Londres, et après la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères, « nous savons qu’il faudra de nouveaux trésors d’imagination pour découvrir et établir des relations d’attente avec les pays candidats ». Nous n’avons, a poursuivi M. Harmel, « ni le pouvoir ni la volonté de faire entrer la Grande-Bretagne dans la Communauté quitte à laisser la France en sortir ». Il a souligné en outre que « ni l’Europe des Six ni l’Europe des Sept ne peuvent connaître en leur sein de solidarités préférentielles. La lettre et l’esprit des traités seraient violés si on voyait s’instaurer au Marché commun ou à l’UEO des coalitions contre un pays membre ou si un ou deux pays entendaient imposer aux autres une volonté hégémonique. Il peut y avoir beaucoup de raisons, parfaitement valables, pour lesquelles un État n’est pas disposé à franchir une étape alors que d’autres le sont. Cela ne peut agir comme un frein permanent, ou alors il faut renoncer une fois pour toutes à faire progresser l’intégration européenne. »…
Cette suggestion d’utiliser l’Union de l’Europe occidentale pour développer la coopération européenne pourrait en effet aboutir à des résultats positifs. Mais il semble que ses inspirateurs voient en elle un moyen détourné de favoriser, par la voie fonctionnelle, l’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun – alors que la France pose des problèmes politiques. Cette suggestion ne paraît pas, ainsi, avoir de sérieuses chances d’être prise en considération. Quant à « l’intégration européenne » qu’évoquait M. Harmel, elle postule une supranationalité à laquelle il est exclu que la France souscrive (et à laquelle aucun gouvernement des « 6 » n’est d’ailleurs prêt à souscrire).
ELDO mis en sommeil
Marquée par de longues et laborieuses négociations, la réunion du Conseil des ministres de l’ELDO – l’Organisation européenne qui construit des lanceurs de satellites – a abouti à une mise en sommeil. Une fois encore, la survie de l’organisation est temporairement assurée, au moins jusqu’à la Conférence spatiale européenne qui doit se tenir le 11 novembre 1968.
Le compromis auquel on a abouti n’est guère satisfaisant. La Grande-Bretagne s’est abstenue sur l’ensemble du communiqué final. La France, pour sa part, n’a pas officiellement présenté son plan de remplacement du lanceur existant par une nouvelle fusée construite sans la participation de la Grande-Bretagne. Elle a néanmoins maintenu ses revendications fondamentales. En fait, chaque partenaire est resté sur ses positions : l’ELDO se trouve dans une véritable impasse. Il apparaît néanmoins qu’existe parmi certains pays membres de l’ELDO une volonté réelle de poursuivre une politique spatiale à long terme. C’est ainsi que la Belgique et ses partenaires du BENELUX (Pays-Bas et Luxembourg) ont insisté pour que soient posés certains grands principes généraux, qui pourraient éventuellement permettre de relancer la coopération technologique en Europe sur des bases plus saines et plus satisfaisantes pour chacun des États.
Mais subsiste-t-il vraiment des solutions réelles valables à long terme ? À vrai dire, seule la suggestion française de passer à la réalisation d’un nouveau premier étage en remplacement du Blue-Streak britannique permettrait actuellement d’assurer un avenir à l’Europe spatiale, si elle s’accompagnait de programmes de satellites adéquats. Mais cette proposition paraît dépasser les possibilités financières et techniques des pays qui seraient conviés à l’accepter : la RFA, la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie. La véritable cause de l’impasse est le refus de la Grande-Bretagne de participer plus avant à l’entreprise – ceci au moment même où elle proclame qu’elle tient à entrer dans la Communauté.
La Conférence des ministres de l’ELDO a décidé de créer un nouveau comité de hauts fonctionnaires qui est chargé de proposer aux gouvernements les grandes lignes d’un programme spatial, mais sur des bases nouvelles. Le communiqué final mentionne expressément trois grands principes : « La détermination d’objectifs précis engageant la solidarité des États depuis le stade de la recherche jusqu’à l’exploitation des résultats ; l’organisation d’une structure industrielle inter-États de nature à garantir l’efficacité de l’exécution des programmes ; l’établissement d’un dispositif institutionnel garantissant en permanence le soutien politique des États à la formation des objectifs et au financement des actions ».
Est-ce à dire que ce nouveau comité va procéder à une réflexion profonde sur de nouvelles modalités de coopération ? Il n’en aura guère le temps, puisqu’il doit remettre son étude avant la Conférence spatiale du 11 novembre. D’autre part, le communiqué mentionne que les propositions devront tenir compte des travaux effectués à ce jour, et des désirs de l’Europe de développer des lanceurs et des satellites d’application. L’ELDO, tout en désirant s’évader et dépasser ses problèmes actuels, reste néanmoins prisonnier de son passé et des projets d’avenir qu’il a déjà faits. En outre, les pays membres désirant participer à ce comité doivent faire connaître le nom des représentants qu’ils délégueront, et l’on ignore si l’Angleterre y participera.
L’Assemblée générale du FMI
La réunion à Washington de l’Assemblée générale du Fonds monétaire international a été notamment marquée par les discours de M. Henry Fowler, secrétaire américain au Trésor, et de M. François-Xavier Ortoli, ministre français de l’Économie et des Finances. Le plus intransigeant a été M. Fowler. Est-ce parce que, ayant annoncé son départ (même en cas de victoire démocrate) il n’a plus intérêt à faire des concessions ? Le secrétaire américain, après avoir mentionné l’amélioration de la balance des paiements de son pays (sans faire allusion à la souscription par les pays créanciers de bons du Trésor à moyen terme, qui masque le déficit comptable) s’est de nouveau prononcé en faveur d’une création rapide de droits de tirage spéciaux. Sans se soucier de la lettre et de l’esprit de l’Accord de Bretton-Woods, il a repoussé tout projet visant à instaurer un prix-plancher pour l’or (comme si l’existence d’une parité-or n’était pas une garantie de prix). M. Ortoli, tout en rappelant que les Accords de Bretton-Woods font de l’or le fondement de tout le système, a noté des signes d’amélioration dans la situation internationale et le retour vers un équilibre pouvant permettre de faire jouer aux droits de tirage spéciaux le rôle qu’on avait conçu pour eux à Rio il y a un an (et que la France avait approuvé) et qui avait été dénaturé par la suite à Stockholm (ce que la France avait désapprouvé). La position française a, une nouvelle fois, été définie sans la moindre ambiguïté : « L’or reste le fondement du système monétaire international ».
Le vice-président de la Commission des communautés européennes, M. Raymond Barre a, quant à lui, posé le problème monétaire européen : « S’il ne paraît pas possible, en l’état actuel du développement de la Communauté européenne, de créer une union monétaire, il y a cependant pour le présent et le proche avenir des progrès à faire dans le domaine des relations monétaires entre les pays membres… Notre objectif principal doit être de parvenir à une meilleure coordination des politiques économiques et monétaires des États-membres ».
Mais cette coordination, indispensable prélude à l’instauration d’une monnaie européenne, n’est-elle pas un des éléments de cette « progression interne » de la Communauté que, précisément, souhaite la France ?