Militaire - La crise tchécoslovaque - Les réactions militaires des pays de l'Ouest - L'activité soviétique en Méditerranée - Budget de défense de l'URSS
La crise tchécoslovaque
Le 21 août 1968 des forces soviétiques, polonaises, Est-allemandes, hongroises et bulgares pénétraient en Tchécoslovaquie, pour arrêter l’évolution politique en cours, évolution qui, selon Moscou, conduisait le pays à sortir peu à peu de la communauté socialiste.
Les dirigeants soviétiques, appuyés notamment par les leaders polonais et Est-allemands, ont estimé que l’orientation prise à Prague pouvait entraîner, à moyen terme, une modification du statu quo européen au détriment de l’URSS et de ses alliés et que, sur le plan doctrinal, l’expérience tchécoslovaque d’un « socialisme humaniste » ne pouvait se poursuivre sans danger majeur pour l’avenir des régimes des pays de l’Est, URSS comprise.
Les mesures d’intimidation, mises en application dès le mois de mai, n’ayant abouti à aucun résultat, leur échec conduisit à l’épreuve de force, que Moscou justifie par un droit collectif d’intervention, reconnu à la Conférence de Bratislava le 8 août par les pays membres du Pacte de Varsovie, à l’exclusion de la Roumanie, pour la sauvegarde du socialisme dans toute la zone couverte par le Pacte.
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L’opération militaire, déclenchée par surprise dans la nuit du 20 au 21 août 1968, a mis en œuvre initialement 2 divisions aéroportées et une vingtaine de divisions, articulées en 5 armées, soit au total : 12 à 15 divisions soviétiques, 1 à 2 Est-allemandes, 8 polonaises, 1 hongroise et quelques éléments bulgares.
L’ensemble était placé sous le commandement du général Pavlovski, vice-ministre de la Défense de l’URSS et commandant en chef des forces terrestres soviétiques.
Un deuxième échelon vint renforcer le premier, à partir du 22 août, portant ainsi l’effectif global à 28 divisions dont 6 des pays satellites.
Après les conversations soviéto-tchécoslovaques à Moscou des 3 et 4 octobre 1968, un certain allégement du dispositif est prévisible ; il sera fonction de la « normalisation » ; par contre, les Tchécoslovaques ont dû consentir au maintien, pour une période indéterminée, d’un volume de forces, actuellement estimées à 7 ou 8 divisions, appuyées par une armée aérienne tactique.
Cette situation, sans modifier de façon fondamentale le rapport des forces en Europe, améliore très sensiblement la position stratégique des forces du Pacte de Varsovie sur le plan qualitatif. En effet, la participation tchécoslovaque antérieure serait désormais assurée par des forces soviétiques, avec un volume d’une dizaine de divisions, donnant ainsi à l’ensemble du premier échelon opérationnel des forces du Pacte une plus grande homogénéité.
L’intervention militaire en Tchécoslovaquie a provoqué de très sérieuses réactions en Roumanie, en Yougoslavie et en Albanie ; des mesures de précautions ont été prises dans ces trois pays, pour des raisons apparemment plus politiques que militaires. Dans l’ensemble, ces mesures n’ont pas été rapportées.
L’Albanie s’est retirée officiellement du Pacte de Varsovie. L’opposition entre Moscou et Belgrade semble devoir se prolonger de façon durable ; quant à la Roumanie, elle se trouve de plus en plus isolée à l’intérieur du Pacte de Varsovie.
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Les dernières négociations soviéto-tchécoslovaques de Moscou font apparaître que l’URSS demeure intransigeante et n’est disposée à aucune concession. Elle poursuit « à froid » en Tchécoslovaquie les objectifs, que l’intervention du 21 août ne lui avait pas permis de réaliser « à chaud », faute, semble-t-il, de préparation politique suffisante et d’erreurs d’appréciation de la situation.
Les réactions militaires des pays de l’Ouest
Grande-Bretagne. – Tout en refusant, d’une part de prendre des mesures qui pourraient porter atteinte aux relations économiques avec l’URSS, d’autre part de suivre les Conservateurs dans leur proposition de remettre en cause la politique de défense britannique, notamment à l’Est de Suez, le gouvernement de M. Wilson a renvoyé, dès le 6 septembre 1968, la 6e Brigade d’infanterie, rapatriée au cours du premier trimestre 1968, en Allemagne fédérale pour y parfaire son instruction. Certes, cette mesure, prévue dans le Livre blanc sur la Défense, était envisagée dès juillet 1968 ; cette brigade devait en effet participer à des manœuvres Otan. Mais en raison de la situation économique et des restrictions qui s’ensuivirent, on pouvait envisager la suppression de cette dépense. Cette décision semble avoir eu pour but de satisfaire une opinion publique sensibilisée par l’invasion de la Tchécoslovaquie et par les mesures militaires soviétiques prises à l’égard d’autres pays de l’Europe centrale.
Cette brigade d’infanterie doit séjourner en RFA jusqu’en novembre. Elle s’intégrera dans la 2e Division – dont elle fait toujours partie – qui est implantée dans la région de Lübbecke (PC). Elle compte 3 bataillons d’infanterie et un régiment d’artillerie, son régiment de chars, les deux tiers de ses véhicules tous terrains, ses stocks de mobilisation ayant été maintenus en Allemagne.
Belgique. – L’état-major belge a profité de la situation en Europe centrale pour tenter de remettre en cause certaines réformes décidées par le gouvernement précédent et confirmées par le gouvernement actuel, telles que :
– le rapatriement, le 15 octobre 1968, de 2 bataillons stationnés en RFA ;
– la suppression des divisions de réserve ;
– la réduction du nombre de brigades ;
– le rapatriement d’une brigade stationnée en Allemagne ;
– la réduction progressive de la durée du service militaire.
Si certaines d’entre elles, comme le retrait d’unités d’Allemagne, seront retardées dans leur application, il semble que les mesures envisagées ne puissent être remises en cause.
Allemagne fédérale. – Les problèmes de sécurité occupent à nouveau la première place des préoccupations gouvernementales. Moscou considère en effet Bonn comme le responsable de l’évolution de la Tchécoslovaquie qui a conduit aux événements du mois d’août ; en outre, il interprète les propos du chancelier Kiesinger, souhaitant que le statu quo de l’Europe soit un jour dépassé, comme une remise en question des frontières actuelles de la RFA et comme une déclaration de guerre au camp socialiste. Aussi les Allemands éprouvent-ils un sentiment de crainte devant les divisions soviétiques qui occupent la Tchécoslovaquie et qui s’ajoutent à celles stationnées en Allemagne de l’Est. L’opinion publique a été impressionnée par la rapidité avec laquelle les 6 000 à 7 000 chars soviétiques ont été transportés en Europe centrale, et d’autre part par l’absence de réactions américaines.
Tandis que les rapports Bonn-Moscou sont au point mort (dialogue sur la renonciation à la violence, conversations économiques), la RFA tente d’obtenir le renforcement de l’Otan et de faire progresser l’unification de l’Europe, avec intégration de la Grande-Bretagne. Des lois seraient en préparation pour revaloriser la condition militaire et augmenter les effectifs des cadres subalternes, sans toutefois que ces mesures se traduisent par une augmentation des crédits de défense.
États-Unis. – Malgré l’émotion soulevée dans l’opinion publique par l’opération tchécoslovaque, le gouvernement américain ne semble pas vouloir modifier sensiblement sa politique de défense. Certes, l’action soviétique intéresse la sécurité des États-Unis ; elle compromet le rapprochement Est-Ouest et la ratification du Traité de non-prolifération nucléaire par le Sénat américain. D’autre part, Washington confirme l’envoi d’éléments d’infanterie et d’aviation (12 000 hommes) pour participer aux manœuvres interalliées de 1969, dont la date d’ailleurs a été avancée. Mais cette mesure, prévue depuis un certain temps, ne saurait être interprétée comme découlant de l’invasion de la Tchécoslovaquie. L’expérimentation des missiles à tête multiple et la construction du système de défense anti-missiles Sentinel, considérées comme des atouts dans les discussions en cours, seront poursuivies.
Washington n’estime pas la menace comme assez sérieuse pour justifier des mesures importantes en Europe. S’il n’envisage pas d’augmenter les effectifs américains sur notre continent en raison sans doute de la faiblesse de ses réserves stratégiques, il va demander un effort aux nations membres de l’Otan, notamment en ce qui concerne les délais de mise en œuvre de leurs forces.
L’attitude soviétique reste cependant préoccupante et incompréhensible : elle rapproche les pays de l’Otan ; elle inquiète les Allemands en évoquant la possibilité d’intervention des troupes russes en RFA en vertu des accords de Potsdam et de la Charte des Nations unies ; elle incite le chancelier Kiesinger à ne pas ratifier le Traité de non-prolifération des armements nucléaires ; elle contraint le maréchal Tito à prendre des mesures militaires.
Il n’est pas concevable que le Kremlin prépare un conflit. Quoique tendant vers l’égalité, les moyens nucléaires soviétiques sont encore inférieurs aux moyens américains, en quantité, et surtout dans la qualité des vecteurs.
L’activité soviétique en Méditerranée
Depuis le début d’août, l’escadre soviétique en Méditerranée compte une trentaine de bateaux dont six à huit sous-marins et trois navires lance-missiles. En général, elle évolue dans la partie orientale de la Méditerranée ; cependant quelques-uns de ses navires assurent une permanence dans le triangle Sardaigne–Sicile–Nord de la Tunisie.
La presse américaine a fait état de la surveillance par cette flotte soviétique, de l’exercice Otan baptisé Deep Furrow qui s’est déroulé du 15 au 20 août 1968 dans la région de Cythère. Elle a également signalé des reconnaissances photographiques et électroniques effectuées par des bombardiers soviétiques sur des unités de la VIe Flotte.
On peut rapprocher cette activité de celle constatée en mer du Nord entre les Îles Britanniques et l’Islande où une flotte de trois à quatre bâtiments de guerre semble avoir eu pour mission de surveiller les manœuvres Otan, baptisées Silver Tower qui ont commencé le 18 septembre 1968.
Budget de défense de l’URSS
Dans une déclaration récente, M. Kossyguine, Président du Conseil des ministres soviétique, a annoncé le montant des dépenses de l’URSS pour sa défense en 1968. Elles peuvent être évaluées entre 200 à 230 dollars par habitant. Ce qui représente un budget militaire de l’ordre de 47 à 54 milliards de dollars, soit les deux tiers de celui des États-Unis pour un produit national brut évalué aux 2/5.
D’autre part, l’URSS continue ses efforts pour la mise au point d’un missile à tête multiple. Une expérimentation a eu lieu dans le Pacifique en août 1968, concernant un missile à 4 têtes de 1 000 à 1 200 kg chacune et d’une portée de 5 000 km environ. On peut rapprocher ces essais de ceux effectués pour la mise au point de bombes orbitales et en conclure que les Soviétiques cherchent à perfectionner le bombardement du territoire américain en tenant le plus grand compte de la nouvelle défense anti-missiles des États-Unis.