L'auteur, historien (spécialiste des relations internationales) et collaborateur fidèle de notre revue, s'est attaché depuis un an à faire le point et l'historique des relations de l'URSS avec ses voisins d'Asie ou d'Extrême-Orient (Turquie, Iran, Japon). Son prochain article portera sur les relations de l'URSS avec l'Indonésie et avec le monde malais.
L'URSS et le sous-continent indo-pakistanais
Au moment où l’Inde accédait à l’indépendance, la politique étrangère était loin d’être son souci dominant. La nécessité de sauvegarder et poursuivre l’unification largement amorcée par l’occupation britannique, de surmonter les épreuves dues à la sécession pakistanaise, celle de procéder à la modernisation d’une économie dont le développement restait entravé par les conservatismes d’ordre social et religieux, de se libérer des empreintes du passé colonial tout en restant fidèle à la philosophie profonde de l’hindouisme, l’incitait déjà à choisir une politique de non-engagement. Les nouveaux dirigeants restaient cependant attentifs à la fois aux menées des puissances occidentales toujours à l’affût des possibles défaillances du nouvel État et intéressées à y retrouver une place privilégiée, et aux possibilités de propagande, en ces moments difficiles, d’une Union soviétique rendue plus ambitieuse par sa victoire et à qui les succès du communisme en Chine pouvaient ouvrir d’immenses perspectives en Asie. L’U.R.S.S. avait envoyé des délégués de six de ses républiques orientales à la conférence des peuples asiatiques qui s’était tenue à New-Delhi en mars 1947, et dès avril, avant même la proclamation officielle de l’indépendance indienne, des relations diplomatiques normales avaient été établies entre les deux États.
Mais les rapports demeuraient distants. Du fait que l’indépendance n’avait pas été acquise par une révolution de type communiste selon un processus prévu par la stratégie marxiste et contrôlé par l’U.R.S.S., que l’Inde continuait d’appartenir au Commonwealth, Staline n’avait vu là qu’un événement s’intégrant dans l’évolution du monde capitaliste et, davantage préoccupé par les imbrications de la guerre froide en Europe, il n’y avait porté qu’un intérêt limité. Les nouveaux dirigeants indiens étaient dénigrés dans la presse comme les hommes liges des milieux d’affaires et des propriétaires fonciers, et les sympathies pour un certain socialisme affichées par le président Nehru, issu de la haute bourgeoisie et façonné par ses contacts avec le monde britannique, étaient dénoncées comme simple trompe-l’œil. On doutait de la sincérité et du réalisme du non-alignement et on s’interrogeait sur la solidité d’institutions démocratiques calquées sur celles des États occidentaux et appliquées soudain à un pays analphabète à 80 %, aussi divers dans ses populations, ses couches sociales, ses castes, que dans ses croyances, ses anachronismes et l’état de passivité de ses masses miséreuses et affamées. Les chances d’une propagande appropriée ne pouvaient pas être totalement écartées. Des révoltes paysannes à caractère collectiviste s’étaient étendues dès 1947 dans plusieurs États et n’allaient être réprimées qu’en 1951.
De leur côté les Indiens, loin des conflits occidentaux et mal informés en raison du petit nombre de journaux et de postes de radio, étaient eux-mêmes peu impressionnés par la main-mise de l’U.R.S.S. sur les États de l’Est de l’Europe et étaient davantage sensibles à la condamnation par Moscou du plan Marshall, qualifié de nouvelle forme de colonialisme, et par les guerres coloniales qui s’ouvraient encore au Viet-Nam et en Indonésie. Le fait, toujours souligné par la propagande, que le peuple russe avait conquis et affirmé son indépendance et reconstitué son économie par ses propres moyens et malgré les ostracismes de l’étranger, les touchait plus directement. Ils ne se sentaient nullement concernés par la menace d’un quelconque impérialisme de l’U.R.S.S., celle-ci n’ayant d’ailleurs pas de frontière commune avec l’Inde. Les relations entre les deux puissances restaient donc correctes, mais prudentes, réduites aux rapports officiels et à quelques échanges culturels.
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