Institutions internationales - « Relance » britannique à Bruxelles - La solidarité communautaire et l'agriculture - L'avenir du COMECON - L'agonie du Commonwealth
« Certes, la Communauté traverse une crise, et nous ne savons pas quand elle prendra fin. Mais je suis optimiste, car ma conviction profonde est que la Communauté vivra des crises successives, comme c’est d’ailleurs le cas pour les pays qui la composent. Nous avons surmonté la crise de 1954, celle de 1963, celle de 1965. Il n’y a pas de raison pour que celle de 1968 ne soit pas elle aussi surmontée. En particulier, il est excessif de craindre que la Communauté soit paralysée ou réduite à l’union douanière. » C’est par ces mots que M. Jean Rey, président de la Commission européenne (l’Exécutif commun des Communautés) ouvrait le bilan qu’il dressait de la vie de la Communauté au cours de l’année 1968.
Quelques jours plus tard, M. Thant, secrétaire général des Nations unies, devait ouvrir les perspectives de 1969 en évoquant les pendaisons de Bagdad, cependant que dans toutes les capitales l’inquiétude s’aggravait au fur et à mesure que se poursuivait au Moyen-Orient la tragique ascension de la violence.
Il ne saurait évidemment être question d’établir un quelconque parallèle entre les efforts que l’on mène à Bruxelles et dans les pays de l’Europe occidentale pour donner une « forme » à cette Europe qui doit être bâtie sans que pour autant soient détruites les personnalités nationales, et ceux que, tant à l’ONU que dans diverses capitales, l’on déploie pour que la paix du monde ne soit plus menacée par les explosions de la haine en un point du globe. Pourtant, on peut se demander si la considération simultanée de ces deux séries d’efforts ne permet pas de mieux comprendre notre monde : dans le même temps où certains pays s’efforcent d’établir entre eux un système communautaire qui exprime la communauté de leurs intérêts en même temps qu’elle respecte leurs « moi », d’autres pays sont engagés dans des luttes qui, par certaines des passions qui les animent, appartiennent aux temps les plus reculés. Les institutions internationales œuvrent au sein même de cette contradiction fondamentale entre deux temps de l’Histoire.
Les semaines qui viennent vont être dominées, d’une part, au sein des organismes européens, par les discussions sur les problèmes agricoles et sur la candidature britannique au Marché commun, d’autre part, au sein de l’ONU, par la crise chronique du Moyen-Orient. Dans l’une et dans l’autre de ces deux séries de discussions, l’action des Gouvernements sera prépondérante : il n’est pas question que la Commission européenne agisse comme si elle était investie de pouvoirs supranationaux, et il n’est pas davantage question que, pour des raisons de principe et des raisons d’efficacité, l’ONU puisse faire plus que donner sa caution et son appui à l’accord que réaliseront peut-être les quatre « Grands » pour tenter de bâtir la paix au Moyen-Orient.
« Relance » britannique à Bruxelles
La Grande-Bretagne, on le sait, après avoir considéré les premiers pas du Marché commun avec condescendance, s’est opposée à lui lorsqu’elle a compris qu’il possédait les plus grandes chances de s’affirmer comme une des grandes forces politiques et économiques du monde moderne – de ce monde des « grands ensembles » qu’évoquait le président Eisenhower. Puis elle a posé sa candidature. Nous ne reprendrons pas ici les raisons pour lesquelles la France a mis son veto à cette candidature : dans l’état actuel, d’une part du Marché commun, d’autre part de l’économie britannique, l’acceptation de cet « élargissement » signifierait le renoncement aux objectifs du Traité de Rome.
Mais la Grande-Bretagne ne s’est jamais considérée battue, et elle a « relancé » le problème de sa candidature, lors de la réunion du Conseil ministériel de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) à Luxembourg début février – l’UEO, on le sait, étant l’organisme créé par les Accords de Paris de 1954, et réunissant les « Six » du Marché commun et la Grande-Bretagne. Au nom du gouvernement italien, M. Nenni a repris l’essentiel du « plan Harmel » d’octobre 1968, en vue d’une collaboration plus étroite entre la Communauté économique européenne et la Grande-Bretagne sur trois plans : diplomatie, défense, technologie. M. Nenni a agi en plein accord avec Londres. En effet, il s’agit d’un plan d’action minutieusement mis au point.
• Le 4 février, M. Stewart, secrétaire au Foreign Office, a rencontré en Forêt Noire son homologue ouest-allemand, M. Brandt, et l’on a annoncé que leurs entretiens seraient dominés par les questions de politique européenne et de défense – comme doivent l’être les entretiens que doit avoir M. Wilson avec le Chancelier Kiessinger du 11 au 13 mars. Selon des informations émanant d’une source « sûre », M. Wilson tenterait de jeter les bases d’un « axe politique et militaire anglo-allemand ». Début février, le ministre britannique de la Défense, M. Healey, a relancé l’idée d’une « entité européenne » au sein de l’Alliance atlantique, en faisant valoir que l’Europe n’aurait de chance de tenir tête à une agression soviétique que si elle accepte le préalable que constitue l’intégration de ses forces.
• Il apparaît dès lors évident que Londres s’apprête, au-delà de la réunion de l’UEO, à lancer une contre-offensive contre les thèses françaises. Mais le gouvernement britannique ne peut pas ne pas tenir compte de la position américaine, et il ne semble pas que M. Nixon veuille ouvrir sa présidence par un conflit avec l’un ou l’autre des alliés des États-Unis. M. Nixon n’a pas caché qu’il souhaite restaurer avec Paris un climat de compréhension, et Paris n’a pas caché son souhait de voir sinon se rétablir, du moins se renforcer un tel climat. M. Wilson ne dispose donc que d’une étroite marge de manœuvre, ne serait-ce précisément que parce que M. Nixon ne fera rien qui puisse donner l’impression d’une quelconque collusion anglo-américaine contre les positions françaises. C’est pourquoi son offensive « européenne » sera fondée sur les cinq arguments suivants :
– Chaque veto de l’Élysée compromet l’élan européen (argument pour le moins surprenant, de la part d’un pays qui a refusé d’abord de participer à la CECA, puis de s’y associer).
– Le Commonwealth n’est pas, pour Londres, une « solution de rechange » à l’Europe – et cet argument est sérieux, comme l’a bien montré la dernière conférence de Londres, qui s’est réjouie d’un résultat positif, à savoir le « non-éclatement » du Commonwealth.
– Il ne peut y avoir d’équilibre au sein de l’Alliance atlantique que si, politiquement, l’Europe peut se présenter en partenaire des États-Unis (mais l’on sait que, depuis la Conférence de Nassau – décembre 1962 – et le projet de force nucléaire multilatéral, la Grande-Bretagne n’a plus de véritable autonomie défensive).
– Sur le plan technologique, il est plus évident encore qu’il ne sera possible de relever le « défi américain » que par un effort soutenu mobilisant toutes les énergies du continent.
– Dans le domaine monétaire, la crise de novembre dernier a démontré la nécessité de consultations régulières entre les ministres des Finances non seulement des « Six », mais des « Sept », auxquels devraient se joindre les ministres des trois autres pays (Norvège, Danemark et Eire) qui ont fait acte de candidature à la Communauté européenne.
Lors des négociations de Bruxelles, la Grande-Bretagne, on s’en souvient, faisait valoir à la France qu’elle aurait en elle une solide alliée pour résister aux pressions de « souverainetés ». Mais c’est là une position dont elle n’a cessé de s’éloigner depuis dans ses contacts avec ceux des « Six » qui sont partisans de son adhésion, et il semble bien désormais qu’elle n’hésiterait pas, au besoin, à jouer la carte contraire. Quoi qu’il en soit, fondée sur les clauses mêmes du Traité de Rome et sur les réalités britanniques, la position française ne paraît pas devoir se modifier. C’est peut-être ce qui explique que M. Mansholt, vice-président de la Commission des Communautés européennes, et fervent partisan de l’adhésion britannique, n’hésite pas à parler d’une « Europe politique » qui pourrait se bâtir avec la Grande-Bretagne et sans la France si celle-ci maintenait son veto. La question est suffisamment grave pour que nous en rappelions la genèse. C’est au cours d’une conférence de presse que M. Mansholt a précisé ses vues. Il a d’abord déclaré : « Aucun pays membre de la CEE n’a tiré autant profit de la Communauté que l’Allemagne. C’est évidemment dû à la méthode, au sens d’organisation, au travail de l’Allemagne, mais l’Allemagne en a profité, et il est normal que d’autres pays membres en profitent. Et la France aussi, notamment en ce qui concerne le domaine agricole. Nous avons donc tous des intérêts et des objectifs communs. Que ceux-ci doivent nécessairement déboucher sur une communauté politique, cela ne fait aucun doute… Je suis contre une union politique réduite à l’Allemagne et au Benelux. » C’est alors que M. Mansholt a fait état de la théorie d’une communauté politique avec la Grande-Bretagne, fût-ce sans la France. Certes, M. Mansholt ne parlait pas au titre de la Commission, mais les fonctions qu’il y assume donnent à ses propos une signification qui ne pouvait pas ne pas être enregistrée dans les diverses capitales, où l’on a noté que même ceux qui ne sont pas d’accord avec le veto français, n’imaginent pas une communauté politique européenne qui exclurait la France.
Le problème va dominer les prochaines semaines (*).
La solidarité communautaire et l’agriculture
Dans la même conférence de presse, M. Mansholt s’est élevé avec véhémence contre le climat créé, notamment en Allemagne, par la dénonciation outrancière de son plan de réforme agraire. Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles, M. Debré a, à cet égard, rappelé les exigences élémentaires de la solidarité communautaire et les engagements pris par les « Six » en matière de politique agricole.
Si le Marché commun agricole a été mis sur pied, il s’en faut de beaucoup que tous les problèmes que pose son application soient réglés. M. Mansholt a posé la question de savoir si les « Six » pouvaient laisser continuer à augmenter leur production agricole au-delà de ce dont ils ont besoin et de ce qu’ils peuvent raisonnablement espérer exporter dans de bonnes conditions. La croissance annuelle de la production a été régulièrement de 3,3 % depuis 1957, à cause, notamment, de l’amélioration rapide de la productivité du travail dans l’agriculture, de 7 % supérieure à celle de l’industrie chaque année. On a dépassé le stade de l’« auto-approvisionnement », ce qui signifie que la Communauté a des excédents « structurels » pour plusieurs produits. Les conséquences financières sont graves : en 1960, le soutien des marchés agricoles coûtait aux six pays 500 millions de dollars. En 1963-1969, il coûtera 2 milliards $. Si l’on ajoute à ces sommes celles que les gouvernements dépensent pour l’amélioration des structures de production et de marché, on aboutit au total impressionnant de 4 Mds $. À ce rythme, les prévisions pour 1980 et 1985, si l’on ne faisait rien d’ici là pour tempérer le coût de la production agricole, conduiraient à des sommes fabuleuses, de l’ordre de 12 à 13 Mds €. Les choses ne peuvent pas continuer sur une telle lancée. Tôt ou tard, les pays qui contribuent le plus largement au financement de l’« Europe verte » proposeront des systèmes de limitation des dépenses qui aboutiraient au recloisonnement des marchés, empêchant ainsi la spécialisation rationnelle des productions, et à une érosion progressive des règles communes du Marché commun agricole, c’est-à-dire à la remise en cause du principe fondamental de la solidarité des États pour le financement des dépenses agricoles. Une échéance est proche, puisque le règlement financier provisoire, adopté en 1966, doit être renégocié avant la fin de 1969.
Pour sortir l’agriculture européenne de l’impasse, le « plan Mansholt » propose la réduction du nombre des agriculteurs par une retraite anticipée des plus âgés et la reconversion professionnelle des plus jeunes, un agrandissement considérable de la dimension des exploitations agricoles, enfin un meilleur équilibre des marchés par la stabilisation des prix, la réduction des cheptels laitiers et celle des surfaces cultivées.
Ce « plan Mansholt » fait l’objet de vives discussions, et il est peu vraisemblable qu’il soit accepté tel quel par les « Six » – et dans certains pays, en France notamment, certaines de ses clauses posent des problèmes économiques, sociaux, humains, qui ne peuvent être résolus au nom de la rationalité. Mais, en admettant qu’amendé ou pas, il soit mis en application, ses effets ne se feront sentir que progressivement, et d’ici là, le problème du financement demeurera posé. Il est exclu, pour des raisons politiques et morales, que l’on renonce au principe du financement communautaire des charges agricoles. Il ne peut y avoir de communauté que si toutes les charges sont équitablement partagées. Cette règle fondamentale avait été admise comme un principe de base lors de la création du Marché commun agricole – et l’on se souvient que la France avait fait de cette création une condition de la mise en œuvre du marché commun industriel. Certains, aujourd’hui, voudraient remettre en cause cette solidarité : le maintien du Marché Commun exige pourtant qu’elle soit maintenue.
L’avenir du COMECON
Tandis que se poursuivaient les discussions et les controverses sur l’extension éventuelle du Marché commun et sur le financement communautaire des dépenses agricoles, une organisation internationale tenait une session qui se voulait solennelle, et l’on n’a pas si souvent l’occasion de mentionner son activité pour ne pas lui consacrer quelques lignes. Il s’agit du COMECON.
C’est le 5 janvier 1945 que, pour donner une réplique au Plan Marshall et à l’Organisation européenne de coopération économique ou OECE (devenue depuis l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques, comme l’on sait) que Staline créa le Conseil d’aide mutuelle, plus connu en Occident sous le nom de COMECON. Pendant une longue période, ce Conseil n’eut aucune existence réelle. Staline se méfiait de toutes les tentatives de regroupement des satellites. Il voulait traiter directement avec chacun d’eux et n’entendait pas favoriser leur collaboration mutuelle. À sa naissance, le COMECON fut donc « mis en couveuse ». Il n’en sortit qu’en 1954, lorsque les Soviétiques instituèrent les premières commissions de travail. Mais, jusqu’ici, il ne fut guère actif. Les statuts ne pouvaient être modifiés que si tous les adhérents jugeaient nécessaire une transformation. En un temps où l’unanimité était automatique parce que tous les chefs communistes suivaient sans discuter les ordres du Kremlin, personne ne songeait à préciser les droits et les devoirs d’une minorité. Mais, lorsque les Soviétiques voulurent donner quelque consistance au COMECON, ils se heurtèrent aux textes qu’ils avaient établis. Un pays membre pouvait pratiquement mettre son veto à toute réforme substantielle. C’est ce que fit la Roumanie.
Le conflit éclata en 1962. M. Khrouchtchev avait alors compris que l’intégration économique ouest-européenne avait des avantages. Or les pays communistes, eux, se bornaient à juxtaposer leurs plans de développement. Le moment n’était-il pas venu d’aller plus loin, de coordonner véritablement les programmes sous l’autorité du Conseil d’aide mutuelle ; de réaliser une « division socialiste internationale du travail » ? La Roumanie, qui était partie avec quelque retard dans la course à l’industrialisation, mais qui avançait à pas de géant, s’inquiétait. En effet, la spécialisation prônée par M. Khrouchtchev aurait eu vraisemblablement pour conséquence de donner un avantage aux États qui avaient à leur disposition un héritage industriel, et de briser l’élan des autres. Les Soviétiques, affrontés à d’autres souci, n’ont pas poursuivi la campagne en faveur de cette intégration. Mais ils viennent de revenir à la charge, à la faveur de la remise en ordre générale provoquée par l’intervention militaire en Tchécoslovaquie. Dans leurs revues spécialisées, les économistes vantent les avantages d’une division internationale du travail… Très vite, Moscou a, dans cette campagne, été relayée par Budapest et par Varsovie… C’est ainsi, par exemple, que M. Kliszho, le principal adjoint du Premier secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais W. Gomulka (et qui a conservé son poste), a récemment plaidé en faveur de « nouvelles formes de l’intégration socialiste qui devraient permettre l’accélération de l’évolution scientifique et technique ». II a précisé que la « nouvelle attitude » de son pays à l’égard du COMECON était aussi inspirée par des motifs politiques. Dès le début de 1968, en effet, les Polonais affirmaient que le mouvement communiste international devait être en garde contre le révisionnisme et le dogmatisme, mais qu’il devait se méfier tout particulièrement, à l’époque actuelle, du nationalisme. Il pensait en premier lieu à la Roumanie.
Le COMECON et le Pacte de Varsovie devraient donc être transformés pour devenir les « instruments de la cohésion du camp socialiste ». Les Roumains ont senti le danger. Ce n’est pas par hasard si, sous couleur de critiquer le Marché commun, leur presse dénonçait fin janvier les « fausses vertus de l’intégration ». L’Union soviétique parviendra-t-elle à bâtir quelque chose de comparable à ce que, d’eux-mêmes, ont bâti les « Six » ? On ne peut que poser la question, car il est bien évident que les conditions psychologiques et politiques sont complètement différentes, et de même que l’on doit se défier de la fausse similitude Otan-Pacte de Varsovie, on ne peut pas considérer le COMECON comme le « symétrique », ni du Marché commun, ni de l’OCDE.
L’agonie du Commonwealth
Peut-être certains lecteurs seront-ils surpris qu’il soit fait allusion au Commonwealth dans une chronique consacrée aux institutions internationales. Certes, le Commonwealth n’est pas une « institution » au sens juridique que l’on donne de plus en plus à ce terme, certes, ses structures n’ont jamais été très « serrées », et elles se distendent régulièrement. Pourtant, il s’agit bien d’une institution – et, qui plus est, son évolution explique, dans une mesure non négligeable, la « tentation européenne » de la Grande-Bretagne. Le 17 janvier, après dix jours de discussions, la conférence des Premiers ministres du Commonwealth a pris fin à Londres sans avoir résolu aucun des problèmes, ni même les avoir rapprochés d’une solution, sauf peut-être en ce qui concerne la guerre civile au Nigeria, qui, justement, n’était pas à l’ordre du jour. « Les vingt-huit délégations ont discuté de tout et pratiquement rien réglé », écrivait à ce propos le Times. Certains pensent que c’est peut-être l’utilité d’un « club » qui, à la différence d’une institution rigide, permet une discussion libre des problèmes en s’efforçant d’arrondir les angles et de préparer d’éventuels compromis. Il n’en demeure pas moins que hormis leur « anglicité », les pays du Commonwealth voient leurs intérêts et leurs conceptions diverger de plus en plus. Cela tient à l’évolution générale du monde, mais aussi à ce que l’Angleterre n’est plus ce qu’elle était. Avant 1939, chaque Anglais s’identifiait au « Rule Britannia », aujourd’hui, l’Angleterre des Beattles frappe à la porte de l’Europe… Le 27 février 1967, on s’en souvient, par 372 voix contre 62, la Chambre des Communes adopta un projet de loi restreignant très sévèrement les conditions d’entrée en Grande-Bretagne des immigrants originaires des pays du Commonwealth et, à ce titre, porteurs d’un passeport britannique. Jusqu’à cette date, Londres était la capitale d’un ensemble multiracial, le Commonwealth, qui avait su s’adapter aux conséquences des grands mouvements d’émancipation depuis l’accès de l’Inde à l’indépendance le 27 avril 1949… Il n’y a plus à Londres un ministère particulier chargé des relations avec le Commonwealth : tous les services ont été transférés au Foreign Office, ne traitant plus d’« affaires de famille », mais d’« affaires étrangères ».
Le 25 janvier dernier, le leader de l’opposition, M. Heath, a prononcé un violent discours sur le problème de l’immigration. Sans doute n’a-t-il pas, comme le souhaitait son adjoint M. Powell, demandé la création d’un « ministère du rapatriement », mais il a annoncé l’octroi d’une « aide généreuse » à tous ceux qui voudraient rentrer chez eux.
Toutes les anciennes références du rôle historique de la Grande-Bretagne, pays refuge, ont disparu. Il est encore trop tôt pour apprécier les conséquences politiques de cette évolution. Toujours est-il qu’elle pourrait favoriser la mutation au terme de laquelle l’Angleterre sera prête pour entrer dans le Marché commun, mutation dont la France, dans l’intérêt même de la Communauté européenne, a souvent souligné la nécessité. ♦
(*) Cette chronique a été rédigée lorsque survint l’intempestive réunion de l’UEO. Les exigences techniques de l’imprimerie ne nous permettent pas d’en faire état. Dans notre prochaine chronique, nous nous efforcerons de « faire le point » sur cette question qui concerne, d’une part une institution internationale qui, à la suite de l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), se voulait un relais vers l’unification européenne, d’autre part les moyens que certains utilisent pour forcer la main au gouvernement français.