Conférence donnée à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à l'occasion de l'ouverture de la 24e session le 19 octobre 1971.
La France et sa défense
Traiter pour la troisième fois du même sujet, c’est courir le risque de se répéter. Je le prends. (1) Il convient en effet, chaque année, de rappeler aux auditeurs qui suivent la session annuelle de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale que l’effort d’attention et de réflexion qui leur est demandé a une raison d’être. Cette raison d’être est essentielle, au sens littéral du terme, pour l’existence des Françaises et des Français. Aujourd’hui comme hier, demain comme aujourd’hui, la France a un destin. Ce destin qui n’est point écrit à l’avance dépend du comportement de chacun, de chacune, donc de sa connaissance des obligations de la vie collective. Comme il est naturel, le comportement de ceux qui exercent des responsabilités ou une influence revêt une très grande importance.
À ce premier motif, un second doit être ajouté. Il est important que vous sachiez et que vous puissiez dire que notre politique de défense n’est pas un bric-à-brac de traditions poursuivies par paresse, d’innovations résultant de la volonté ou de la fantaisie de quelques-uns, de circonstances auxquelles le hasard donnerait un écho particulier. Notre politique de défense est un ensemble. Cet ensemble résulte d’un effort de réflexion globale qui est le premier devoir du gouvernement. Il en adapte les conclusions selon les circonstances du temps, mais en fonction des impératifs permanents de la Patrie.
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La France peut-elle avoir une défense ?
Je commencerai par un développement sommaire sur les termes mêmes de Défense Nationale.
Volontiers, les esprits superficiels disent ou écrivent qu’une nation comme la nôtre, telle qu’elle est, dans le monde tel qu’il est, ne peut avoir de politique de défense. On voit assez clairement les sources diverses de cette désolante affirmation.
Certains esprits sont encore marqués par les événements de la seconde guerre mondiale : la France faillit alors disparaître à jamais. Mais ce drame n’était pas fatal ; il avait des causes précises. Après la première guerre mondiale, les dirigeants responsables de la France n’ont pas pris conscience du redressement indispensable dans le triple domaine de la démographie, de la modernisation économique, de la solidarité sociale. Ensuite, nos conceptions stratégiques ont été, par rapport aux événements et aux progrès techniques, à proprement parler aberrantes. Le Colonel de Gaulle n’a pas été compris des chefs militaires, Paul Reynaud n’a pas été compris des chefs politiques. Enfin, lorsque les heures tragiques ont sonné, les commandements tant politiques que militaires ont été insuffisants. N’hésitons donc pas à dire que la tragédie de 1939 eût pu être évitée et il est trop facile d’oublier les fautes commises afin de donner du relief à l’inexacte conception que la France ne serait plus capable d’avoir une défense.
D’autres esprits considèrent que l’apparition dans notre univers de puissances considérables telles les États-Unis, la Russie soviétique et la Chine, enlève à toute nation qui ne peut prétendre au même rang, la moindre chance de disposer d’une autonomie d’action, voire de pensée. Les dirigeants de ces grandes puissances ne se font pas faute, le cas échéant, de répandre pareille affirmation et les esprits avides de soumission les écoutent aisément. Cependant, les faits contredisent ces vues trop simples. Israël a une politique de défense. L’Égypte en a une aussi. Le Nord Vietnam a marqué depuis plusieurs années une ténacité dans la résistance qui est désormais exemplaire dans l’histoire du monde. Sans doute peut-on dire des peuples dont je viens de parler qu’ils ont obtenu des soutiens extérieurs, que la très grande puissance qui a essayé de briser le Nord Vietnam n’a point employé les moyens ultimes dont elle dispose ; mais ces soutiens ou cette hésitation à user de l’arme suprême sont des éléments qui entrent en compte dans une politique de défense. Celui qui résiste provoque une coalition et la coalition rétablit une sorte d’équilibre. En certaines situations, l’emploi de l’arme nucléaire est un risque excessif par rapport à l’enjeu. En dehors de ces exemples, pourquoi la France n’aurait-elle point une politique de défense alors que la Yougoslavie en a une, que la Suède, que la Suisse n’hésitent point à affirmer la permanence de leur autonomie de pensée et d’action ? Bref, la politique de défense n’est en aucune façon un attribut des puissances dominatrices. Affirmer le contraire serait admettre que seules peuvent avoir une diplomatie et une armée les puissances ayant une volonté d’hégémonie et une capacité de conquête. Une telle contre-vérité est la négation à la fois de l’histoire et de la morale.
D’autres esprits encore évoquent les nécessités impérieuses de la coopération internationale. Il n’y aurait de défense, notamment pour la France, qu’à la condition d’être une pièce cimentée à un ensemble, dont la solidité, née de certains abandons, serait la condition première de toute efficacité tant politique que militaire. C’est prendre un moyen pour une fin. C’est aussi habiller d’une apparence raisonnable une idéologie contestable. La vérité doit être dite alors même que les vérifications de chaque jour justifieraient qu’on ne se répétât point. « La France seule » n’est pas une doctrine et d’ailleurs n’a jamais pu l’être sérieusement — sauf sur un point, mais un point capital. Une nation est toujours seule devant son destin en ce sens qu’aucune nation ne peut attendre d’une autre qu’elle se batte pour elle sinon à deux conditions : que les intérêts de cette autre nation soient en cause et que la nation menacée fasse le nécessaire pour elle-même. Sur ce point bien des Français vivent d’illusions. On n’entraîne point contre son gré une nation plus puissante que soi. À cet égard, ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui. On raconte que M. Dean Rusk, du temps où il était Secrétaire d’État des États-Unis, entendit un jour un officiel français exprimer l’idée que nous pourrions obliger les États-Unis à venir non seulement en aide à la France, mais à l’Europe entière, en déclenchant l’arme nucléaire contre la Russie. La réponse du Secrétaire d’État fut rapide, catégorique et dans la nature des choses. Le premier réflexe des États-Unis en pareille circonstance, aurait-il dit, serait d’affirmer hautement leur réprobation et de s’associer avec l’Union Soviétique pour demander le châtiment du coupable. Il n’y a pas de protection automatique. Il n’y a pas d’assurance automatique. Il est vain de croire qu’un mécanisme d’intégration pourrait réaliser cette protection, aboutir à cette assurance. Le mécanisme d’intégration n’est autre chose qu’un ensemble de rouages techniques dépourvus de volonté ou placés au service de la nation la plus puissante qui ne les met en marche que sur sa décision et en fonction de ses intérêts. L’intégration en fin de compte est un protectorat, où le protégé n’est pas assuré que le protecteur vienne à son secours si ses intérêts propres ne le justifient pas.
Il est vrai : il existe de nos jours des esprits que n’a point éclairés l’évolution des dernières années et qui voudraient continuer à nous faire douter de ce que la France soit encore une nation.
Rassurez-vous. Je ne reprendrai pas mes développements habituels sur les curieuses, voire désastreuses déviations dont la grande idée européenne a été trop fréquemment victime. Je vous rappellerai simplement cette réalité fondamentale : l’expression la plus haute de l’Europe, c’est qu’elle est un ensemble de peuples où le respect du fait national, avec tout ce que comporte d’indépendance le mot « nation », est la sanction de l’attachement des hommes et des femmes d’Europe à la liberté. Au rappel de cette réalité, j’ajouterai l’observation des deux faits suivants.
Le premier est qu’à l’Est comme à l’Ouest, quand on parle de défense de l’Europe, on parle le plus souvent stratégie américaine ou stratégie soviétique. Pour ce qui concerne l’Est, la démonstration n’a plus à être faite, M. Brejnev, parlant récemment en Yougoslavie, a déclaré que sa thèse de la souveraineté limitée avait été mal comprise. Cependant nous savons bien le sens qu’il faut donner à l’intégration militaire telle que le Pacte de Varsovie en a fixé les règles. La valeur de ce Pacte vient de ce qu’il est l’expression de la politique russe établie en fonction de la conception que les dirigeants soviétiques ont de l’équilibre et de la sécurité en Europe. Peu importe l’accord ou l’éventuel désaccord des autres participants.
Pour ce qui concerne l’Ouest, aucune illusion ne doit davantage être autorisée. Le Pacte Atlantique fut l’expression d’un mouvement de solidarité occidentale face à la menace stalinienne. On le présente encore comme l’assurance de la « défense de l’Europe ». Cependant, l’opinion américaine refuse désormais d’accepter que le territoire de l’Europe de l’Ouest puisse être considéré du point de vue de la défense comme lié au territoire américain. M. Luns, le nouveau Secrétaire général de l’Organisation Atlantique, imagine qu’un mécanisme d’intégration militaire renforcée pourrait modifier ce courant politique. C’est une illusion. La défense de l’Europe est l’addition des efforts de défense que chaque nation européenne accepte de faire pour elle-même. Moyennant quoi et si les nations européennes ont de la paix une conception identique, et que cette conception oriente leur politique, elles peuvent associer leurs efforts tant pour leurs alliances extérieures que leurs plans militaires communs. C’est peut-être poser difficilement le problème de la défense de l’Europe, mais il n’y a pas d’autre manière de le poser.
Le second fait n’est pas suffisamment pris en considération, quoique à mes yeux il soit évident. Il renforce les conclusions que l’on doit tirer du premier dont je viens de parler.
L’union économique des nations européennes n’est, en aucune façon, l’assurance d’une union politique. Je serais tenté de dire : bien au contraire. En effet, dans la mesure où l’on multiplie les dispositions de nature à favoriser, par le développement des échanges et les mouvements de capitaux, la croissance de la capacité industrielle et de la richesse, on voit apparaître une meilleure prise de conscience des chances politiques diverses que peut donner la puissance économique. Une Allemagne, au creux de son désastre, était un objet que l’on guide. Elle se relève. Le Marché Commun l’aide à se relever. La voici en tête des nations industrielles et riches du monde. Quel mécanisme peut l’empêcher d’affirmer une volonté politique ? Voici la Grande-Bretagne, épuisée après la deuxième guerre mondiale comme nous le fûmes après la première et comme nous en souffrîmes durement pendant vingt ans, inapte à montrer dans la paix le courage affirmé dans la guerre. Débitrice de toutes parts, la Grande-Bretagne est dans l’ombre de la politique américaine. Qu’elle se redresse, que l’entrée dans le Marché Commun soit un tonique qui accroisse ses chances de redressement, aussitôt réapparaît une politique anglaise. Regardons-nous nous-mêmes. Voyons la France de 1950 et celle de 1971. Malgré les épreuves et simplement les hauts et les bas de la politique, notre redressement transforme les données de la politique nationale. Les plus grands orateurs ou artisans du renoncement ne trouvent plus les échos qui pouvaient les accueillir lorsque nous n’avions pas appris, par l’expérience, qu’une volonté de reconstituer notre puissance nous donnait une très grande liberté pour affirmer une politique qui nous soit propre. En bref, la renaissance économique des nations donne une force nouvelle aux tendances politiques qui leur sont naturelles.
Tels sont les faits, et c’est sur ces faits, en fonction de ces faits, qu’il faut concevoir la défense. Le sentiment d’un sort commun aux nations européennes et aux nations occidentales conduit à des alliances, et en fonction de ces alliances, à des coopérations qui peuvent, qui doivent aller assez loin en matière d’armement, d’études stratégiques, de connaissance et de soutien réciproques. Mais alliances et coopération n’ont de valeur qu’en fonction de volontés qui demeurent des volontés nationales, c’est-à-dire des patriotismes sans lesquels il n’y a finalement aucune construction solide.
Pour ce qui nous concerne, nous Français, sachons en être conscients : notre responsabilité est totale à l’égard de nous-mêmes et nul ne participera à notre sécurité si d’abord nous n’assurons pas nous-mêmes au mieux notre politique de défense. À l’égard de l’Europe, voire de l’Occident, notre responsabilité est partagée avec d’autres qui feront face à leurs obligations dans la mesure où un petit nombre, auquel nous appartenons, donnera l’exemple. En fonction de cette certitude apprécions les éléments qui doivent nous permettre de dégager l’objectif de notre défense.
L’objectif de la défense.
Il nous faut d’abord assurer la sécurité du territoire national et de ses habitants. C’est là, à n’en pas douter, le cœur de la réalité politique, psychologique et morale de la défense. Politiquement, il s’agit de la nation et de son indépendance. Psychologiquement, il s’agit des foyers et de leur sécurité. Moralement, il s’agit des hommes, des femmes et de leur liberté.
Il nous faut ensuite participer à l’équilibre et à la paix en Europe et autour de l’Europe. En d’autres termes, défense nationale ne signifie pas simplement défense du territoire. La France fait partie d’un ensemble et le statut de cet ensemble est capital pour son destin. Sans doute, certaines nations peuvent jouer le jeu de la neutralité. Il faut que leur implantation géographique le leur permette. Il faut aussi qu’il y ait un consentement des autres nations. Les conditions politiques qui donnent ainsi à certains peuples du territoire européen un régime particulier, et qui assurent son respect par les autres, peuvent changer. Si Hitler avait triomphé, la neutralité suisse ou la neutralité suédoise aurait volé en éclats. Nous n’avons pas à nous poser de tels problèmes. Ni notre situation géographique, ni l’état d’esprit des puissances du monde, ni ce que nous sommes par notre nombre et nos besoins les plus élémentaires, ne nous permet de considérer que la neutralité ait pour nous un sens. Nous n’existons pas si l’ensemble du continent, dominé par une immense puissance, nous devient hostile. Nous n’existons pas si, du côté de la mer, qu’il s’agisse de l’océan ou de la Méditerranée, un blocus empêche nos communications, ou si une trop grande puissance maritime était en mesure de nous imposer sa volonté. Nous ne pouvons donc nous désintéresser ni de la situation continentale, ni de la liberté de l’Océan, ni de la sécurité en Méditerranée.
Une troisième exigence nationale inspire notre politique de défense. Nous sommes intéressés à ce qu’aucune puissance mondiale, par sa suprématie, n’altère nos intérêts ou notre influence. Nous possédons des territoires, ou pour mieux dire, les habitants de territoires lointains manifestent leur appartenance à la souveraineté française. Nous avons des engagements avec des États qui ont été forgés par nos lois et auxquels notre soutien apparaît comme une condition de leur indépendance. Nous avons, comme toute nation peuplée et industrieuse, des intérêts notamment d’ordre économique auxquels est attachée notre prospérité. Nous sommes solidaires d’un type de civilisation que l’on dit occidentale, marquée par un certain nombre de traits spécifiques, mais nous sommes bien conscients que cette solidarité ne peut nous faire perdre notre personnalité : l’affirmation, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Occident, de notre influence spirituelle, linguistique, est une part de notre définition nationale.
Sécurité du territoire et de ses habitants, participation à l’équilibre et à la paix tant en Europe qu’autour de l’Europe, volonté de maintenir et, le cas échéant, de promouvoir nos intérêts matériels, politiques, spirituels dans diverses parties du monde : telles sont les exigences de la politique de défense. Telle est ce que l’on peut appeler la stratégie globale à condition de ne point se tromper sur ces termes. La stratégie globale ne signifie point engagement dans le monde entier, aptitude à s’immiscer dans les affaires de tous les océans et de tous les continents, capacité de mener la guerre en quelque point du monde. Il y a là, pour ce qui nous concerne, une déformation qui finirait par faire douter de la notion même de défense. Nous appelons stratégie globale l’effort pour avoir une vue synthétique à la fois des menaces qui pèsent sur l’existence de la nation française et des exigences politiques dont le respect est une condition de notre développement national.
Sans doute peut-on dire, et doit-on dire, qu’il existe entre les trois exigences que je viens de formuler, une hiérarchie. C’est exact. On peut en esprit supprimer de la politique de défense tout effort pour nos territoires outre-mer ou nos engagements extérieurs, renoncer à défendre nos intérêts, abdiquer toute influence même à l’intérieur de l’Occident. La France existerait encore, dit-on. On peut abandonner toute volonté de prendre notre part dans l’équilibre des forces en Europe, autour du bassin méditerranéen, face à l’Océan Atlantique. La France existerait encore, dit-on.
Si le monde s’orientait vers l’immobilisme de toute chose où certains croient trouver la paix et le bonheur, cette réduction de notre politique de défense serait concevable. Mais qui peut penser que le monde est voué à l’immobilisme ? Tout est mouvement. Tout est changement. Ni la liberté, ni la paix ne sont toujours les objectifs des mouvements et des changements que nous observons. Bien au contraire. Dès lors, le repli sur l’hexagone, s’il devait être accompagné de la montée des périls, tels que nous avons le devoir de les imaginer, de la rupture des équilibres politiques grâce auxquels nous pouvons nous affirmer, serait bientôt une entreprise décevante et dangereuse. En fait, compte tenu des circonstances, il n’est point de politique de défense si les trois exigences ne sont satisfaites et la hiérarchie naturelle que l’on doit établir entre elles, à juste titre, n’empêche point qu’elles forment un tout auquel est attachée la continuité française.
Les moyens de la défense.
Dans le monde tel qu’il se présente, tel qu’il évolue, cet objectif est-il au-dessus de nos moyens ?
À cette seconde question, je répondrai par des propos que j’ai déjà tenus devant les auditeurs des deux sessions précédentes de cet Institut. Une politique de défense est faite d’une politique intérieure, d’une politique étrangère et d’une politique militaire. Aucune de ces politiques ne nous est interdite.
La définition de notre politique intérieure, c’est d’affirmer notre développement et notre unité. La définition de notre politique extérieure, c’est d’affirmer notre personnalité nationale. La définition de notre politique militaire, c’est d’affirmer notre capacité de dissuasion et d’intervention. Ces trois affirmations sont en notre pouvoir.
Affirmer notre développement et notre unité est une phrase qui paraît banale, c’est le moins que je puisse dire. Est-elle inutile ? En aucune façon.
Nous avons connu le malthusianisme économique et si, depuis vingt-cinq ans, on constate un renversement, n’en doutez pas, ce renversement n’est pas irréversible. Voyez la politique américaine. Les États-Unis, champions, au moins en paroles, du libéralisme, instaurent le protectionnisme. Qu’apparaisse une vraie crise économique, et nous verrons très vite resurgir de vieux démons dont il sera ensuite difficile de se débarrasser. Sans doute, en ce domaine, comme en tous autres, la France, pas plus que d’autres nations, n’est à l’abri des courants qui traversent le monde et modifient le comportement des gouvernements. Mais il faut que nous sachions à quel point notre développement économique est indispensable à l’affirmation de notre personnalité, à notre indépendance, bref à notre défense.
Il en est de même du développement démographique. Je n’insisterai pas. Mes opinions sont connues et je suis quelque peu lassé d’expliquer que le phénomène de la surpopulation de l’Inde, de la Chine ou de l’Indonésie ne justifie en aucune façon des mesures de diminution ailleurs, et notamment en Europe. Les Russes l’ont bien compris : ils étudient les mesures à prendre pour maintenir la croissance du groupe slave par rapport aux autres composants de leur empire. C’est qu’en effet l’humanité ne s’apprécie point dans son ensemble : elle n’est point unique, ni au regard de la puissance, ni au regard de l’esprit. En outre, la diminution de la force démographique des pays développés, ou simplement leur moindre croissance relative, altère leur capacité de production, diminue leurs chances d’aide aux pays en voie de développement. Compte tenu de ce qu’elle est, compte tenu de ce qu’elle peut, la France dispose présentement d’une marge considérable. À quatre-vingts millions, notre niveau de vie aujourd’hui serait supérieur, donc la vie de chacun plus aisée et la France mieux défendue. Un nombre croissant d’enfants sera, demain, pour la France, assurance de trouver du travail à chacun, un revenu en hausse pour tous — et la sécurité pour la Nation. La décroissance, même une faible croissance, au contraire !
L’unité française ne fait aucun doute. Il convient cependant de prendre garde aux abus de la liberté. Rien n’est jamais acquis pour toujours et il faut savoir, et vous devez savoir, qu’un pays divisé est un pays qui perd la notion des priorités, c’est-à-dire qui oublie la priorité de la défense. Or la division n’est pas seulement géographique, elle peut être sociale. Un technocrate au service de Hitler, Speer, a fait récemment état, à la surprise de certains, de l’infériorité de la dictature sur la démocratie : les méthodes totalitaires, bonnes pour préparer la guerre et surprendre l’adversaire, n’assurent pas la cohésion nationale indispensable pour surmonter les épreuves. La remarque est justifiée. Mais elle n’est pas neuve et surtout elle dépasse le temps des crises : elle est en effet permanente. Pour accepter les servitudes qui sont celles de la défense, chaque citoyen doit se sentir concerné. Sans tomber dans les absurdités démagogiques qui conduisent à supprimer toute capacité de décision et toute structure sociale, il faut comprendre la valeur de l’adhésion populaire à la nation. Vraie en tout temps, cette valeur de l’adhésion l’est davantage encore de nos jours. La dissuasion nucléaire fait réfléchir l’adversaire. Celui-ci est alors tenté de donner une importance accrue aux méthodes de subversion ou de désagrégation internes. Voilà pourquoi chaque Français doit être appelé à prendre conscience de sa responsabilité solidaire de citoyen à l’égard des autres citoyens. À ce titre, justice sociale, promotion et participation font partie d’une politique de défense. C’est dire qu’il ne faut pas hésiter à vouloir sans cesse rénovation et progrès.
Affirmer notre personnalité extérieure se traduit par une politique diplomatique. La nôtre, depuis l’orientation et l’animation que lui a données le Général de Gaulle, se définit par une volonté de non-alignement sur les grandes puissances, par une définition précise, donc limitée, de nos engagements, enfin, par un effort diversifié de coopération internationale.
Le non-alignement est l’élément de base. Il est inexact de prétendre que la paix ou la guerre dans le monde dépendent de la seule volonté des très grandes puissances, mais c’est par leur volonté (ou absence de volonté) qu’un conflit peut s’étendre ou demeurer circonscrit. Constatons que la force des choses fait que chaque grande puissance exprime à sa manière un type de civilisation, un système politique et économique. Le fait que la grande puissance américaine est l’expression la plus forte de la civilisation occidentale et du système politique et économique auquel, pour l’essentiel, cette civilisation se réfère de nos jours, crée entre les États-Unis et nous des liens particuliers, témoignage moderne d’une alliance à laquelle l’Histoire, à différentes reprises, a donné une force particulière. Mais toute grande puissance a tendance à résumer la civilisation dont elle se porte gardienne à ses seuls intérêts. Ainsi, le communisme permet à la Russie d’atteindre des objectifs russes et une certaine conception du libéralisme permet aux États-Unis de définir des objectifs américains. La politique du rouble, la défense des intérêts industriels soviétiques, la promotion de la langue russe ont, dans le monde occidental, leur équivalence : la politique romaine du dollar, la politique de la langue anglaise, la prédominance technologique et industrielle des États-Unis.
Dans notre politique de défense, il convient de mesurer la part qui revient à l’appartenance occidentale, donc au souci de bonnes relations avec notre puissant partenaire et allié naturel et le fait que les intérêts français ne sont pas les intérêts américains et même qu’ils leur sont souvent opposés : d’où le fait qu’aucune intégration, et pas seulement l’intégration militaire, n’est supportable.
Cette appréciation n’est pas figée. Nous le voyons sous nos yeux. Du côté de Washington, on note un désengagement, parallèle à la priorité absolue désormais donnée à l’équilibre des forces et à la coopération avec la Russie. Dès lors, la sécurité de l’Europe ne peut plus être traitée comme elle le fut il y a vingt ans, lors de l’application du traité de l’Atlantique Nord. Cette nouvelle vision fait de la France un élément important de l’équilibre et de la stabilité. Nous avons donc le devoir de préciser les relations qui peuvent exister en matière de défense avec nos principaux voisins et partenaires. Nous avons également le devoir d’examiner les perspectives de la sécurité européenne avec l’Union Soviétique dont la politique est une des clefs de l’avenir du continent. Le non-alignement devient ainsi une condition de notre politique européenne et une de nos chances.
Il en est de même pour nos positions extérieures à l’Europe. Les blocs, soudés en temps de crise, se désagrègent et notre intérêt, par exemple pour une politique musulmane, capitale au regard de la Méditerranée, est bien d’apparaître avec nos conceptions particulières et notre aptitude à les appliquer avec ténacité.
La limitation de nos engagements est à la fois une suite du non-alignement et une conséquence d’un autre fait : c’est que les menaces de conflit n’ont désormais plus de frontières. Il fut un temps où seules les grandes querelles européennes troublaient gravement la paix du monde. La conquête et le maintien de terres lointaines étaient faciles car seules pesaient sur elles des menaces locales. L’effort pour les défendre n’engageait point dans leurs profondeurs les ressources nationales. Il n’en est plus ainsi et présentement tout conflit, où qu’il soit, par un enchaînement qui est la marque de notre siècle et sans doute du siècle à venir, peut amener un engagement total. Facilement, un conflit lointain peut mettre en jeu l’équilibre universel. Dès lors, il faut mesurer nos obligations diplomatiques et ne pas recommencer cette tragique erreur qui, faisant de nous en termes politiques les garants d’une grande part de l’Europe centrale et orientale, nous a menés à Munich par inaptitude à mesurer notre puissance militaire à nos engagements et réciproquement. Il nous faut donc fixer à notre politique extérieure des objectifs qui soient conformes à nos exigences. Sans doute faut-il vouloir se dépasser. Il n’est point de politique sans efforts, ni même sacrifices. Nous ne devons cependant pas surestimer nos possibilités. Des engagements à l’égard de la sécurité de l’Europe, des engagements pour éviter certaines dominations dans le bassin méditerranéen, en Afrique et en quelques lieux du monde où flotte notre drapeau : voilà l’essentiel, et qui est déjà fort important.
La coopération internationale, troisième caractère de notre politique extérieure, est également la marque d’une diplomatie au service de la défense. À juste titre, notre coopération prend, compte tenu de l’état du monde, quatre directions, et le même mot reflète, comme il se doit, des actions très différentes les unes des autres, mais toutes animées de la même volonté de participer à la sécurité.
Coopération avec les États-Unis d’Amérique dans l’esprit que je disais tout à l’heure, c’est-à-dire compte tenu de la solidarité occidentale qui est ou devrait être un des éléments de l’équilibre mondial et du considérable soutien que la puissance américaine est en mesure d’apporter, dès qu’elle ressent cette solidarité. Coopération avec l’Union Soviétique, compte tenu de cet objectif qui est d’intérêt commun aux Français et aux Russes : la durable stabilité de l’Europe. Coopération avec les États européens, nos voisins, qu’ils aient été hier nos alliés ou nos adversaires, en fonction d’une quasi-identité de destin, malgré la spécificité de chacun et de ses aspirations. Coopération enfin avec les nouveaux États d’Afrique du Nord, d’Afrique Centrale et de Madagascar, soit qu’il convienne de les aider dans leur évolution, soit qu’il soit nécessaire d’éviter que leur relative faiblesse les fasse chanceler ou disparaître au profit d’un mouvement dangereux pour la paix.
Aucune de ces coopérations n’est, à les pratiquer les unes et les autres sérieusement, chose facile. Au contraire, des contradictions même peuvent apparaître. C’est le propre de toute politique de déceler ces contradictions et de les surmonter en connaissant nos priorités de sécurité, c’est-à-dire nos exigences nationales.
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Enfin, vient la politique militaire. Riposte et défense d’abord, intervention en Europe et hors d’Europe ensuite, ce schéma que je crois maintenant classique, la résume dans ses orientations essentielles que domine la notion de dissuasion.
Il faut bien comprendre la dissuasion dont l’objet est de faire sentir à l’adversaire, afin qu’il renonce à son entreprise, les risques qu’il court s’il persiste à donner corps à sa menace. C’est pourquoi la dissuasion prend d’abord, et en priorité, l’aspect de la riposte nucléaire. C’est pourquoi la dissuasion a un second aspect qui est la volonté populaire de ne pas céder. La puissance américaine, pour prendre l’exemple du plus fort État du monde, assure sa sécurité par une force nucléaire terrifiante. L’État yougoslave, pour prendre l’exemple d’un peuple pauvre en moyens, assure sa sécurité par une ardente défense populaire sans esprit de compromis. Entre les deux, la France a l’ambition de recourir, à sa mesure, à l’un et à l’autre moyens : une force nucléaire crédible, une défense populaire efficace. Les deux moyens sont étroitement associés et notre sécurité ne peut se contenter de l’un d’entre eux. Se satisfaire de la seule crainte qu’inspire notre armement nucléaire est insuffisant : la plus forte puissance de destruction que nous soyons à même de mettre en œuvre manquera son effet si l’adversaire ne sent pas Françaises et Français en état matériel et moral de résister aux pires pressions et de n’accepter aucun renoncement. Se contenter de la seule défense conventionnelle de notre sol manquera son effet si l’adversaire, susceptible d’user d’une force considérable, ne voit pas se lever devant lui la puissance de notre armement, puissance qui apporte un soutien nécessaire à la fermeté des hommes et des femmes. Telle est notre doctrine désormais définie et à laquelle nous nous attachons à donner, chaque année, une meilleure consistance.
Notre dissuasion repose d’abord, comme ce fut le cas pour toutes les puissances nucléaires, sur les armes dites de destruction massive : bombes lancées d’avions, puis engins balistiques stratégiques sol-sol et mer-sol. Nos Mirage IV sont opérationnels depuis cinq ans ; le plateau d’Albion est opérationnel depuis trois mois ; le premier sous-marin le sera avant la fin de l’année. Aux termes de notre troisième loi-programme, nous maintenons nos Mirage IV en état ; nous complétons le plateau d’Albion ; nous construisons quatre autres sous-marins. À ces armes s’ajoutera bientôt l’armement anti-forces : les bombes appelées tactiques et les engins dits Pluton. Cette répartition de notre armement nucléaire est importante. Certes, une puissance telle que la France ne peut appliquer aisément la stratégie de riposte graduée décrite par les dirigeants américains — notre situation ne nous permet pas une telle souplesse — mais notre dissuasion est crédible dans la mesure où nous marquons notre volonté de mettre tout en cause. La crédibilité de la dissuasion française se trouvera ainsi renforcée par l’addition d’une capacité anti-forces dont la disposition, au même titre, dépend du pouvoir politique car, présentement, la dissuasion nucléaire ne se divise pas. L’expression « stratégique » ou « tactique » en ce domaine, prête à confusion. La variété des armements, nécessaire pour une dissuasion globale, s’accompagne d’une unité dans la décision d’emploi, décision qui est politique et qui ne peut venir que de la plus haute autorité légitime de l’État, laquelle décide à la fois l’ouverture du feu nucléaire et ses objectifs.
C’est là, je le signale à votre attention, une des raisons qui ont conduit le Général de Gaulle à proposer l’élection du Président de la République au suffrage universel, une des raisons qui imposent désormais le maintien de cette règle institutionnelle et, le cas échéant, si la question devait se poser, le raffermissement des pouvoirs du Chef de l’État. L’aptitude du système politique à décider de la dissuasion nucléaire est un élément capital de crédibilité. La force que donne de nos jours, l’élection populaire, est donc un impératif de notre politique de défense.
La dissuasion, dans son aspect dit conventionnel et de résistance, dépend à la fois de la promptitude et de la profondeur de l’action. La promptitude est assurée par nos forces d’intervention sur lesquelles je reviendrai, mais dont le rôle, s’agissant notamment des forces de manœuvre et des forces aériennes tactiques, est important dans la dissuasion. La profondeur est assurée par une défense du territoire où la mobilisation joue un rôle essentiel, au point qu’il n’est pas possible de parler vraiment de défense du territoire si l’armature n’est pas faite de cet appel aux réserves qui éclaire, par l’action populaire, la volonté de la nation.
Il est nécessaire, en effet, de marquer une volonté d’engagement total qui, en son genre, exprime une résolution analogue à celle qui résulte de la mise en jeu de l’armement nucléaire. Il s’agit, en d’autres termes, d’être en mesure, au-delà des frontières, aux frontières, le cas échéant sur le territoire même, à la fois d’imposer de très cruelles épreuves à un assaillant et de prouver, avant tout déclenchement, une telle résolution de ne pas s’incliner, quels que soient les sacrifices exigés, et une telle affirmation de riposte, qu’aucun succès immédiat ne justifie de la part de l’assaillant la réalisation de sa menace.
Les missions des unités mobilisées, leur composition, leur armement, les modalités d’appel des réserves et leur encadrement, constituent à cet égard un complément indispensable aux unités prêtes en permanence, non seulement afin d’augmenter leur puissance, mais également pour marquer l’adhésion populaire à cette stratégie.
À cet égard, on peut dire que le service militaire universel présente une valeur analogue, pour la défense, à l’élection au suffrage universel du Chef de l’État, maître de la force nucléaire. Chaque citoyen doit le service : petite phrase, mais capitale. Il m’est arrivé de redire récemment, devant les deux Assemblées du Parlement, à l’occasion de la grande loi de codification votée et promulguée cette année, que le service militaire est destiné tout autant à fournir à la nation les hommes indispensables à l’aptitude opérationnelle de l’armée qu’à mettre par la mobilisation, notre potentiel militaire au niveau des exigences du temps de crise. Cette constatation nous paraît banale. Elle ne l’est pas. Elle résulte certes de la doctrine de la nation armée que nous devons au XIXe siècle et notamment à l’œuvre militaire des dirigeants de la IIIe République. Mais de nos jours, et dans l’esprit de notre stratégie, il faut à la fois adapter et dépasser cette doctrine : l’adapter, c’est-à-dire, mettre la mobilisation en conformité aux exigences et aux possibilités exactes des armées, en tenant compte, en outre, des impératifs de notre capacité industrielle de guerre ; la dépasser, en mettant cet effort national à son niveau de dissuasion comprise et acceptée. Conscription et réserves représentent cette adhésion populaire sans laquelle, présentement, pour une nation comme la nôtre, la défense manquerait l’un de ses éléments essentiels. Les adversaires en attaquant à tour de rôle armement nucléaire et service national savent ce qu’ils font : ils visent notre défense, c’est-à-dire notre indépendance, en son cœur.
Les réflexions que je viens d’exposer indiquent certaines des grandes tâches actuelles de nos armées, notamment de l’armée de terre. Donner tout son sens à la défense militaire du territoire par la valeur opérationnelle d’un nombre accru d’unités ; assurer, par un constant effort, l’accord national à l’exécution du service et au perfectionnement des réserves utiles : ces orientations sont aussi importantes que celles qui, par la recherche scientifique et technologique, permettent d’améliorer les matériels et d’inventer de nouvelles armes. Une fois de plus en matière de défense, tout va de pair.
La capacité de riposte est le premier volet de notre politique militaire ; la capacité d’intervention est le second.
Nos forces, à cet égard, comprennent les deux corps d’armée que groupe la 1re armée, la force aérienne tactique, la force terrestre d’intervention, c’est-à-dire la 11e division parachutiste et ses éventuels compléments, des forces aériennes et maritimes, enfin nos éléments stationnés outre-mer.
Ces unités d’intervention ne participent pas seulement à la dissuasion pour la bonne raison que les éléments de notre organisation militaire doivent avoir un caractère polyvalent : elles constituent, en tant qu’éléments d’action à l’extérieur un complément indispensable, car on ne peut concevoir que la dissuasion de notre territoire soit « crédible » si nous restons passifs en face de menaces qui, pesant sur des terres ou des populations hors de nos frontières, nous touchent cependant directement. C’est ici que l’on voit bien qu’une nation, telle la France, n’est pas neutre, ne peut pas être neutre. Que nous restions insensibles à telle ou telle modification profonde de l’équilibre européen ou aux conditions de la sécurité méditerranéenne et il ne fera guère de doute à l’auteur de ces changements que la France, renonçant à un état de choses capital pour son indépendance, décline à l’avance l’usage de sa puissance. Peut-être cet adversaire se trompera-t-il, mais nous aurons nous-mêmes porté atteinte à la valeur de notre résolution, donc à la valeur de notre dissuasion.
Sans doute convient-il de marquer notre prudence, c’est-à-dire de mesurer notre capacité d’intervention. Tel événement grave qui nous bouleverse loin d’Europe ou en Europe même, ne peut nous mener à l’intervention, car il n’est pas en notre pouvoir de lutter avec succès et nous nous épuiserions en vain. Tel autre, au contraire, nous atteint, mais il convient d’agir en coopération avec des alliés. Tel autre, enfin exige, fussions-nous seuls, que nous marquions notre résolution, c’est-à-dire que nous intervenions. Le choix est le fait de la politique, mais dire que le choix existe, c’est en même temps affirmer que si l’abstention est parfois la loi, dans d’autres cas c’est l’action qui s’impose, et il convient d’être prêt.
Nous avons évoqué, précédemment, nos intérêts extérieurs. Pour certains d’entre eux, par exemple l’avenir des terres lointaines qui s’affirment françaises, des unités stationnées provenant des trois armées, ou prêtes de toute évidence à intervenir, seront renforcées, à l’avance, afin de faire comprendre notre volonté à qui prétendrait s’y tromper. Nous avons également évoqué nos engagements à l’égard de certains États, au premier chef, les États francophones d’Afrique et de Madagascar. En répondant à des demandes qui nous sont adressées, nous manifestons un souci d’honorer notre signature qui donne du poids à celle-ci. Pour ce qui concerne l’Afrique, il est certain qu’en soutenant les indépendances que nous avons accordées, par une coopération, le cas échéant militaire, il nous arrive et nous arrivera de nous opposer à des mouvements de subversion dont le commandement est souvent loin d’Afrique. C’est une contribution positive à la solidarité occidentale. Celle-ci peut être amenée à jouer dans des conditions très différentes au cas où, face à de graves problèmes communs, la résolution des nations signataires du Pacte de l’Atlantique Nord devra être à la hauteur des propos tenus par leurs dirigeants. Pour notre part, le Président de la République, renouvelant les affirmations du Général de Gaulle, a redit notre souci, en fonction de l’exécution des engagements réciproques qui ont été contractés, de faire face à nos obligations à l’égard de l’alliance.
Les circonstances changent, le monde est remué par de grands mouvements, notre siècle avant de déboucher sur le suivant connaîtra de nouvelles évolutions et révolutions : autant de faits qui ont et auront des conséquences sur notre attitude, mais je demeure persuadé que notre volonté de paix, notre besoin de paix, conditions de notre redressement durable, sont fonction du respect des orientations militaires dont je viens de vous résumer les principes.
Politique intérieure, politique diplomatique, politique militaire chacun de ces éléments en particulier, et leur ensemble sont en notre pouvoir. Capacité économique et financière, capacité intellectuelle, capacité psychologique et morale de notre pays et de notre peuple sont en mesure de supporter cette politique de défense, ainsi définie. En même temps, comme il se doit, et comme il est capital que vous le sachiez, une politique de défense est un des ciments de l’unité, du courage de la fierté d’un peuple. Renoncer à se défendre, c’est renoncer à être soi-même, c’est-à-dire donner à d’autres le commandement de soi-même.
Il est ingrat, peut-être certains le diront ou le penseront-ils, de tant parler défense, c’est-à-dire effort intérieur, indépendance extérieure, armées et armement. Après tant d’épreuves tragiques, l’humanité à soif, nous dit-on, de repos et c’est appeler le malheur que de ne pas vouloir prendre des voies neuves — par exemple le désarmement, fût-il unilatéral.
Il serait certes plus facile d’user d’un tel langage. Mais ce langage est menteur. Tout nous laisse prévoir, au contraire, que le destin sera, comme il le fut toujours, sévère aux nations qui s’abandonnent et quand nous disons « nations » nous pensons aux personnes et aux foyers qui les composent. Il convient certes de ne manquer aucune chance d’entente, de coopération, de limitation des armements : tel est bien, en effet, notre politique. Mais une expérience plus que millénaire nous apprend que le respect de la liberté n’est pas dans la nature des hommes, pas plus que le respect de la paix n’est dans la nature des peuples. Le respect de la liberté des Français et le respect de la paix de la France passent par une politique de défense, adaptée à la haute idée que nous nous faisons de la liberté, de la paix, des Français et de la France. ♦