Maritime – La Marine canadienne – Cession de matériel soviétique à la Marine indienne et pénétration navale soviétique dans l’océan Indien – Situation de la construction navale française au 1er juillet 1969
La Marine canadienne
Le 19 septembre dernier, le ministre canadien de la Défense [Léon Cadieux] a fait connaître dans une déclaration les mesures qui vont être prises progressivement pour répondre à la nouvelle orientation de la politique militaire du Canada, politique définie par le Premier ministre M. Trudeau, le 3 avril 1969. Cette politique qui prévoit, comme on sait, la réduction « concertée et progressive » des effectifs canadiens stationnés en Europe dans le cadre de l’Otan, accorde désormais la priorité à la défense du Canada et à celle du continent nord-américain en coopération avec les États-Unis.
Au cours de la prochaine décennie, le Canada va donc continuer à participer au NORAD [Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord] et aux accords de défense relatifs à la défense côtière, la détection anti-sous-marine et la coopération en matière d’armement. Dans le domaine naval, les mesures annoncées par le ministre de la Défense prévoient la mise en réserve du porte-avions léger Bonaventure au printemps prochain, le retrait du service, d’ici à 1973 au plus tard, des bimoteurs de lutte ASM [anti-sous-marine] S2F Tracker et le remplacement à partir de cette date des quadrimoteurs de patrouille maritime Argus par des appareils plus modernes. Les constructions neuves, refontes et modernisations en cours seront poursuivies. Toutes ces mesures ont pour but d’accroître la capacité anti-sous-marine des forces maritimes.
Rappelons que celles-ci dépendent de l’un des six grands commandements opérationnels intégrés, créés par la loi d’unification des forces armées. Cet organisme, le Maritime Command, groupe sous la même autorité l’ensemble des moyens de l’ex-Royal Canadian Navy et ceux de l’ancien Maritime Air Command (Coastal Command) de l’ex-RCAF [Aviation royale canadienne]. Il relève, comme les cinq autres commandements (1), de l’état-major intégré de la Défense qui a remplacé les états-majors de chacune des armées et qui est articulé en quatre branches : opérations, personnel, logistique et matériel, administration dont les effectifs ont été fournis par les trois armées proportionnellement à l’importance numérique de chacune d’elles.
Les forces maritimes canadiennes comprennent des forces navales et des forces aériennes.
Les premières se composent de :
– un porte-avions de 20 000 tonnes, le Bonaventure ;
– 24 escorteurs dont sept de 2 800 t de la classe St-Laurent achevés en 1955 et 1957 ; sept de 2 900 t de la classe Restigouche, entrés en service en 1959 (sont progressivement modernisés) ; quatre du type Restigouche amélioré (classe Mackenzie) achevés en 1963 ; deux du type Nipigon, également de 2 900 t, terminés en 1964 ; quatre plus anciens provenant de la refonte d’ex-destroyers ;
– quatre sous-marins dont trois de 1 600 t très récents du type Oberon achetés en Grande-Bretagne ; un ancien prêté par l’US Navy pour l’entraînement des escorteurs de la côte ouest.
À ces forces modestes mais remarquablement entraînées, il faut ajouter six dragueurs côtiers modernes et un petit train logistique dont le plus beau fleuron est le grand ravitailleur polyvalent moderne Provider de 20 000 t et 20 nœuds de vitesse.
Il convient de noter que neuf des escorteurs précités (les Nipigon et les St-Laurent) sont dotés d’un équipement de détection sous-marine très moderne comprenant un sonar de coque et un sonar remorqué à basse fréquence et d’un système d’arme ASM à grande portée composé d’un hélicoptère lourd Sea King porteur de torpilles et d’un sonar, ce qui permet de se porter sur un contact acquis par les sonars du bord, pour la phase analyse et attaque.
Ces forces sont présentement articulées comme suit entre les théâtres de l’Atlantique et du Pacifique.
Navires |
Atlantique |
Pacifique |
Total |
||
Active |
Réserve |
Active |
Réserve |
||
Porte-avions |
1 |
1 |
|||
Escorteurs |
13 |
1 |
7 |
2 |
23 (plus un en grande refonte) |
Sous-marins |
3 |
1 |
4 |
||
Dragueurs |
4 |
2 |
6 |
||
Logistiques et auxiliaires |
6 |
2 |
1 |
9 |
Les constructions neuves portent sur :
– Quatre escorteurs anti-sous-marins rapides de 4 300 tonnes (classe Algonquin) propulsés par turbines à gaz de vitesse et de croisière, système de propulsion que les Canadiens ont été les premiers à adopter. L’armement de ces bâtiments comprendra deux hélicoptères lourds anti-sous-marins Sea King, le système surface-air à courte portée américain Sea Sparrow et une tourelle simple de 127 antiaérien (AA) automatique du type italien Oto Melara ;
– Deux grands bâtiments de soutien logistique de 25 000 t et 20 nœuds ;
– Un hydroptère expérimental, le Bras d’or.
La mise au point de cet hydroptère a donné quelques déboires, mais la Marine, après un moment d’hésitation, a décidé de poursuivre le projet, compte tenu de l’intérêt que représente cette formule. Équipé de missiles, l’hydroptère paraît en effet appelé à succéder dans les prochaines années aux vedettes lance-missiles en service ou en construction qu’il surclasse déjà largement dans la mesure où son intervention n’est plus, comme celle de ces vedettes, limitée aux eaux côtières.
Il est donc probable que beaucoup de marines s’intéresseront à ce type de bâtiment. Les pays, comme les États-Unis et le Canada, qui auront pris une avance technique dans ce domaine auront alors la possibilité d’en offrir sur le marché extérieur, perspective promettant de beaux bénéfices. Il est donc fort regrettable que notre marine, pourtant bien placée, ait dû renoncer faute surtout de crédits, à développer les hydroptères.
Rappelons que la Marine canadienne a entrepris, parallèlement à ces constructions neuves, la refonte des sept escorteurs de la classe Restigouche en dotant ces bâtiments de nouveaux radars, d’un sonar remorqué et d’une arme ASM de jet, l’Asroc américain de 10 000 yards de portée. Lorsque ce programme sera achevé, des marins canadiens auront à leur disposition pour la lutte contre les sous-marins, des escorteurs dotés d’une arme de jet à grande portée et d’autres équipés d’hélicoptères lourds porteurs d’armes et de moyens de relocalisation de l’objectif. Cela leur permettra de mettre en œuvre des combinaisons tactiques d’une efficacité certaine.
L’aviation maritime qui totalise environ 150 aéronefs, dont une centaine de première ligne, se compose de l’aviation embarquée et de l’aviation basée à terre. L’aviation embarquée comprend des bimoteurs du type S2F Tracker et des hélicoptères anti-sous-marins Sea King. Le Bonaventure embarque douze Tracker et six Sea King, les escorteurs modernisés, un Sea King comme il a été dit plus haut. Les flottilles du Bonaventure, lorsque celui-ci sera désarmé, seront basées à terre. L’aviation basée à terre comprend une trentaine de quadrimoteurs de patrouille et de lutte ASM Argus ainsi qu’un certain nombre d’aéronefs de servitude.
En 1973, l’aviation maritime canadienne ne comprendra plus que des hélicoptères lourds Sea King basés à terre ou embarqués sur les escorteurs et des grands avions de patrouille, probablement du type Orion de l’US Navy, car cet appareil, par suite des accords de coopération américano-canadiens, a toutes les chances de remplacer les Argus actuellement en service.
Pour clore enfin ce rapide survol de la marine canadienne disons que son personnel, uniquement composé d’engagés, se monte (celui de l’aviation basée à terre non compris) à environ 17 500 hommes dont 2 300 officiers ou assimilés (2). Sur ce total, le nombre des marins francophones est de l’ordre de 1 500. Ces derniers, du fait des difficultés de langage, sont surtout affectés à des spécialités non techniques, ce qui ne facilite pas leur recasement dans la vie civile à l’issue de leur contrat. Dans le but de remédier à cet état de choses et de donner à ces marins des chances et un intérêt de carrière analogues à ceux de leurs compatriotes anglophones, le chef d’État-Major de Défense, le général Allard, a demandé à la Marine d’embarquer à titre expérimental sur un navire de la flotte un équipage à majorité francophone. Cette expérience est en cours à bord de l’escorteur Ottawa. Son effectif est à 85 % composé de Canadiens français mais la majorité de l’encadrement est anglophone. Celui-ci a été forcé d’apprendre le français car l’anglais n’est utilisé à bord que pour communiquer avec les autres navires et les bases à terre. Il faut souhaiter que le général Sharp, qui a succédé le 12 septembre dernier au général Allard, continue, lui aussi, à porter de l’intérêt à cette expérience originale.
Cession de matériel soviétique à la Marine indienne et pénétration navale soviétique dans l’océan Indien
Selon la presse de New Delhi, la Marine indienne recevrait prochainement quelques vedettes lance-missiles d’origine soviétique qui viendront s’ajouter aux récentes livraisons que l’URSS a effectuées à cette marine. Ces livraisons ont porté sur :
– deux sous-marins modernes de 2 300 t du type F ; le Kalvari, livré en 1968, et le Kandari, cédé en 1969 ;
– un bâtiment-base de sous-marins de 7 000 t, l’Amba, livré il y a quelques mois ;
– deux escorteurs rapides de 1 100 t du type Petia, acquis cette année également ;
– deux bâtiments de débarquement cédés en 1968.
Deux autres sous-marins du type F sont attendus. On parle aussi de la cession de deux escorteurs supplémentaires.
Par ces livraisons, les Soviétiques étendent leur emprise sur une marine jusque-là inféodée aux Britanniques du fait de sa formation initiale. Ceux-ci s’efforcent cependant de maintenir leur influence en continuant à apporter leur aide technique pour maintenir en état l’important matériel d’origine anglaise qui constitue encore le gros de la flotte :
– un porte-avions de 19 000 t, le Vikrant (ex HMS Hercules) achevé en 1961 ;
– un croiseur de 11 000 t, le Mysore (ex Nigeria) vieux de 28 ans ;
– un croiseur de 9 000 t, le Delhi, qui n’est autre que l’ex-HMS Achilles qui participa à la bataille du Rio de la Plata où fut gravement avarié le cuirassé de poche Graf Spee ;
– huit destroyers achevés en 1942 ;
– huit escorteurs de 1 300 à 2 700 t achevés en Angleterre il y a une dizaine d’années ;
– quatre dragueurs côtiers ;
– quatre dragueurs de petits fonds, dont deux construits en Inde sur plans britanniques, sont entrés tout récemment en service. Ce sont les premiers navires de guerre construits dans le pays.
Quelques bâtiments plus anciens sont en réserve ou servent à l’entraînement.
Trois frégates du type Leander de la Royal Navy sont en chantier aux Mazagon Docks de Bombay avec l’aide d’ingénieurs et de techniciens d’une firme britannique. La construction de trois unités supplémentaires du même type est projetée.
L’aéronautique navale qui constitue une branche autonome de la Marine se compose de quelques avions et hélicoptères basés à terre et d’un petit nombre de Bréguet Alizé embarqués sur le Vikrant. La valeur de ce matériel a incité l’état-major naval à s’intéresser à notre patrouilleur Atlantic et un appareil de ce type est allé récemment faire une démonstration à Poona.
Les effectifs de la Marine indienne se montent à environ 1 800 officiers et 18 000 hommes.
L’URSS ne s’est pas contentée de livrer du matériel à la seule marine indienne. C’est ainsi qu’elle a cédé à l’Irak plusieurs petits patrouilleurs et une vingtaine de vedettes rapides dont près de la moitié sont équipées de missiles surface-surface du type Styx. Le Yémen, de son côté, aurait reçu des patrouilleurs et des vedettes lance-torpilles. Dans ce pays, les Soviétiques participent à l’agrandissement du port d’Hodeïda.
Ces livraisons de matériel et la participation de l’URSS à de grands travaux portuaires ne sont pas les seuls domaines par lesquels elle s’efforce d’accroître sa pénétration maritime dans l’océan Indien. L’activité de sa marine marchande ne cesse de s’y développer malgré la fermeture du canal de Suez, mais sa flotte de pêche, par contre, s’y est encore peu manifestée. Depuis quelques années des navires hydrographes et océanographiques sont envoyés systématiquement dans cette région. En 1968 et 1969, des bâtiments spécialisés dans le Tracking des satellites y ont été observés. En septembre 1968, ils ont participé avec des hydrographes à la récupération du Zond V à 1 200 km de la Réunion. Leur activité principale, liée sans doute à l’observation des nombreux Cosmos lancés par les Soviétiques, se situe généralement dans un quadrilatère délimité par les îles Seychelles, les Mascareignes, Maurice et le Nord de Madagascar.
Mais c’est surtout en montrant le pavillon que l’URSS accroît son influence dans l’océan Indien. Depuis 1968, la flotte de guerre y est désormais présente en permanence avec des éléments plus ou moins importants. Cette année-là, deux groupes de navires ont séjourné dans le théâtre avec pour mission prioritaire d’y effectuer des missions de représentation. Le premier groupe, composé principalement d’un croiseur et de deux destroyers lance-missiles, venait de la flotte du Pacifique. Il a fait escale à Bombay et Madras et pour cette première visite en Inde, l’Amiral commandant en chef de cette flotte avait arboré sa marque sur le croiseur. Le groupe a ensuite touché Mogadiscio en Somalie, Oum Qasr en Irak, Karachi [au Pakistan], Bandar Abbas en Iran, Aden et Colombo. Le second groupe, beaucoup plus important, comprenait notamment un croiseur lance-missiles classe Kynda, des bâtiments légers et deux sous-marins. Ces navires appartenaient soit à la flotte de la mer Noire, soit à celle de la Baltique, soit à celle de l’Arctique. Le croiseur, lui, venait de Vladivostok. Le groupe est arrivé dans l’océan Indien en novembre 1968 et y a séjourné jusqu’en avril 1969. Quelques-uns des ports précédents ont reçu à nouveau des navires russes, mais ceux-ci ont aussi fait escale à Hodeïda, Massaoua [dans l’actuelle Érythrée], Dar es Salam [en Tanzanie], Port-Louis dans l’île Maurice et à Chittagong dans le Pakistan oriental [aujourd’hui Bangladesh]. À partir d’avril, ce groupe a été remplacé seulement par un destroyer lance-missiles accompagné d’un pétrolier, mais, depuis cet été, la Marine soviétique est à nouveau représentée dans le théâtre par un croiseur lance-missiles du type le plus récent (classe Kresta), un destroyer lance-missiles du type Kashin, deux bâtiments de débarquement et un pétrolier provenant de la flotte de la mer Noire.
Par des cessions de matériel et en envoyant dans l’océan Indien et le golfe Persique quelques-uns de ses navires les plus modernes, la Marine soviétique participe donc, dans une large mesure, à la pénétration militaire, politique et économique de l’URSS dans cette région. En l’occurrence, l’URSS profite au maximum du vide créé par le départ des Britanniques d’Aden [Yémen] et bientôt de Singapour et d’une présence navale américaine qui ne peut être que symbolique en raison du conflit vietnamien qui absorbe toutes les forces. Elle prend en même temps des assurances vis-à-vis de la Chine dont elle contre l’influence dans les pays du tiers-monde riverains de l’océan.
Des événements récents enfin, ont montré qu’une guerre entre les deux pays était une éventualité qu’on ne pouvait, hélas, écarter. Dans un tel conflit, le cordon ombilical du transsibérien étant très menacé, on peut supposer, en dépit des énormes efforts accomplis pour faire de l’Extrême-Orient russe une entité économique et industrielle se suffisant à elle-même, que c’est par la voie maritime que serait acheminée une grande partie du matériel et surtout du pétrole nécessaire aux opérations ; tout ce trafic devrait être protégé. Les amitiés que la Marine soviétique aura su nouer dans les ports visités, l’infrastructure et les dépôts qu’elle aura pu y créer en contrepartie de son aide technique lui seraient alors d’un grand secours et la flotte ne risquerait pas qu’on lui refuse toute escale, comme ce fut jadis le cas pour celle de l’Amiral Rodjesvensky en route pour son tragique destin.
Situation de la construction navale française au 1er juillet 1969
La demande de tonnage dans le monde, au cours du premier semestre 1969, a été inférieure à celle du deuxième semestre 1968. Le carnet de commandes mondial, qui s’élevait à près de 50 millions de tonneaux de jauge brute (tjb) au 1er janvier 1969, n’a atteint que 55 millions de tjb environ au 1er juillet dernier, soit un accroissement de 10 % contre 22 % pendant la période précédente.
Le carnet de commandes des chantiers français au 1er juillet 1969 était de 4 302 000 tjb, soit 7,8 % du total mondial. Bien que la baisse en pourcentage intervenue depuis le début de l’année soit peu sensible (de l’ordre de 0,7 %), la France passe cependant du 3e au 5e rang, dans le classement des pays constructeurs de navires, précédée par le Japon, la Suède, l’Allemagne de l’Ouest et la Grande-Bretagne.
Le tableau ci-après donne la comparaison des carnets de commandes des chantiers français au 1er janvier et au 1er juillet 1969 :
|
1er janvier 1969 |
1er juillet 1969 |
Pétroliers |
69,6 % |
66,34 % |
Cargos et transporteurs de vrac |
26,03 % |
27,8 % |
Transporteurs de gaz |
3,79 % |
4,64 % |
Divers |
0,58 % |
1,22 % |
Total en tjb |
4 215 000 |
4 302 000 |
Part exportation |
41 % |
39,87 % |
Les commandes récemment enregistrées ont porté principalement sur des navires spécialisés : car-ferries, cargos polyvalents, navires porte-conteneurs et transporteurs de gaz. Dans cette dernière catégorie, il convient de mentionner un méthanier de 75 000 m3 environ qui sera le plus gros navire de son espèce dans le monde. ♦
(1) Mobile Command qui est une force d’intervention aéro-terrestre. C’est le fer de lance des Forces armées canadiennes ; Air Transport Command ; Air Defence Command ; Training Command, groupe sous un commandement unique toutes les écoles des trois armées ; Material Command.
(2) Le recrutement et la formation militaire, intellectuelle et morale, sinon professionnelle sont communs aux trois armées.