Les désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité
Écrit en 1965 pour l’Encyclopédie britannique [Britannica], doté d’une postface en 1967 et d’une importante préface en 1969, cet essai permet de suivre la pensée de l’auteur devant les événements les plus actuels, et l’approfondissement de sa thèse au contact des réalités les plus révélatrices, telle la crise de mai-juin 1968 en France, par exemple. Réduite à un schéma très simplifié, cette thèse fait état des oppositions que la « modernité » fait naître dans les esprits et dans les structures, causant ainsi une désillusion majeure : celle de l’impuissance du progrès à résoudre les problèmes personnels et sociaux, qui s’accompagne, sur des points particuliers, de bien d’autres désillusions corrélatives ou complémentaires.
L’aspiration à l’égalité est légitime et s’est manifestée depuis l’origine des temps, même si elle ne s’exprimait pas toujours de façon claire. À notre époque, le besoin d’égalité est évident ; et cependant il ne peut se réaliser, en raison de l’organisation sociale qui se montre incapable, quel que soit le régime politique et économique, de compenser l’inégalité « génétique » fondamentale contre laquelle la science ne peut encore rien. Au principe s’oppose donc la réalité, sans qu’aucun remède prochain ne puisse les faire correspondre. De même, les hommes aspirent légitimement à affirmer leur personnalité et leur originalité ; cependant, le monde s’organise de telle sorte que celles-ci tendent à se fondre dans une uniformisation qui devient une contrainte en même temps qu’une frustration pour l’individu. Les barrières nationales s’abaissent alors que les possibilités des transports et des communications se développent de plus en plus ; le monde s’unifie, mais chaque groupement humain se sent de plus en plus attaché à ce qui peut le distinguer des autres ; c’est une tendance à la division dans l’unité qui se manifeste impérieusement, sans que la tension qu’elle provoque puisse encore être atténuée ou supprimée.
Sur ce thème général, l’auteur développe des considérations abondantes et diverses dont il est impossible de donner ici le résumé. Ce livre, très riche de pensée sur les constatations auxquelles donne lieu la société moderne, demande une lecture attentive et soutenue ; on ne peut se contenter de le parcourir, sauf à risquer de perdre le fil du raisonnement et de la démonstration ; sa philosophie constate, explique, mais ne construit pas ; c’est au lecteur qu’il revient de conclure. ♦