Conflits internes et sécurité collective
Georges Scelle déplorait cet « illogisme vivant » : le droit des gens moderne, dans le temps même où il en vient à prohiber la conquête par la force des compétences internationales, continue implicitement d’admettre la conquête par la force des compétences internes. Le droit international, en effet, ne condamne pas la guerre civile : le soulèvement armé n’est illégal que dans l’ordre juridique interne ; l’interdire dans l’ordre international serait même, selon certains, nier le droit des peuples à se déterminer librement, dans l’attente, du moins, d’un hypothétique contrôle de la société internationale sur le jeu des institutions constitutionnelles internes. Des tentatives peuvent, certes, être esquissées par les tierces puissances en faveur de la paix : elles ne conduisent que rarement au but.
Les États non participants peuvent bien estimer de leur mission d’amener la réconciliation entre les parties au conflit interne — tel le gouvernement français qui, pendant l’insurrection polonaise de 1830, comme en novembre 1862 pendant la guerre de Sécession, préconise une médiation collective des grandes puissances ; tels aussi, pendant la guerre civile espagnole, l’Uruguay en août 1936, puis la France et la Grande-Bretagne en décembre, dont les suggestions et les efforts seront salués par la Société des Nations dans sa résolution du 12 décembre 1936 ; tel, plus récemment, le gouvernement de Londres qui, en août 1967, proposait sa médiation dans le conflit interne du Nigeria. En fait, les deux parties combattent avec une telle violence que chacune d’elles subordonne le rétablissement de la paix à la totale réalisation de ses objectifs : « tout le monde sait qu’entre le gouvernement espagnol et la révolution actuelle aucun arrangement n’est possible s’il n’a pas pour base la reconnaissance de Cuba », déclarait, en mai 1896, l’animateur de la seconde insurrection cubaine, Estrada Palma ; de même, le chef du gouvernement fédéral du Nigeria posait, dans son message de Noël 1967, « la renonciation des rebelles à l’état de sécession » comme condition préalable à toute réconciliation.
Pourtant, l’évolution de la guerre civile dans sa nature même, les racines qu’elle plonge dans les tensions internationales globales et qui la dépouillent de plus en plus de son caractère purement interne, imposent une réglementation internationale du conflit armé — ne serait-ce que pour prévenir son extension au-delà des frontières de l’État divisé, et par là même la violation de l’interdiction du recours à la force entre États. Déjà, l’article 11 du Pacte de la S.D.N. établissait que « toute guerre ou menace de guerre intéresse la société tout entière » et crée à l’organisation le devoir de « sauvegarder efficacement la paix des nations » : on pouvait penser que les conditions d’une « menace de guerre » se trouveraient réunies quand une guerre civile aurait produit une tension internationale telle que la paix du monde aurait pu paraître menacée. En l’absence même de « menace de guerre », la guerre civile pouvait apparaître comme une « circonstance de nature à affecter les relations internationales » : l’article 11, alinéa 2, aurait donc pu autoriser la Société à se saisir d’une telle affaire, au moins en qualité de médiatrice. Il est vrai que la grande faiblesse manifestée par la S.D.N., au moment même où les conflits internes prenaient une tournure internationale, ne permit aucune interprétation pratique répondant au but véritable de ces dispositions…
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