Militaire - Ouverture des entretiens préliminaires russo-américains d'Helsinki - États-Unis : réévaluation des options stratégiques - Pacte de Varsovie : nouvelles mesures dans les armées tchécoslovaque, bulgare et hongroise - Inde et Pakistan : les activités militaires - Japon : la modernisation des forces terrestres japonaises - Chili : troubles dans l'armée
Ouverture des entretiens préliminaires russo-américains d’Helsinki.
Le 25 octobre dernier, le secrétaire d’État américain [William P. Rogers] * annonçait que l’Union soviétique avait donné son accord pour l’ouverture, le 17 novembre à Helsinki, d’entretiens préparatoires à des conversations soviéto-américaines pour une limitation concertée des armements stratégiques.
Attendues depuis près de 30 mois, ces conversations que les Américains désignent couramment par l’abréviation de SALT (1) ont fait l’objet de nombreuses spéculations. Aussi apparaît-il opportun de faire le point à leur sujet en présentant un bref rappel de leur origine, de leurs raisons, ainsi que des récentes déclarations d’intentions américaines.
* * *
L’idée d’une conversation sur la limitation des armements stratégiques a été lancée par les Américains.
Le premier « acte diplomatique » fut le fait du président Johnson lorsque, le 27 janvier 1967, il adressa aux autorités soviétiques un message proposant l’ouverture de négociations sur une renonciation concertée des deux pays aux armes antimissiles. Ce ne fut toutefois que lors de la rencontre Johnson-Kossyguine [Président du conseil des ministres de l’Union soviétique] à Glassboro [dans le New Jersey], du 23 au 25 juin 1967, qu’a été prise la décision de principe d’étudier les moyens propres à éviter une course aux armements stratégiques.
Lors de la signature du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, le 1er juillet 1968, le président Johnson fit état d’un accord américano-soviétique pour l’ouverture « rapide » de conversations sur les armes stratégiques. Mais l’invasion de la Tchécoslovaquie, le 22 août 1968, conduisit les États-Unis à ajourner ce projet.
M. Nixon relança l’affaire le 19 juin 1969 en proposant à l’URSS l’ouverture de ces conversations entre le 1er et le 15 août. En même temps, le Président désignait les cinq membres de la délégation chargée, sous la conduite de M. Gérard Smith, directeur de l’Agence fédérale pour le désarmement, de représenter les États-Unis.
Les Soviétiques n’ont répondu à cette invitation que le 20 octobre 1969, proposant que des entretiens préliminaires se tiennent à Helsinki à partir du 17 novembre. Washington a immédiatement accepté.
* * *
Les raisons qui, à l’origine, ont poussé le gouvernement américain à rechercher un accord avec Moscou sur la limitation concertée de leurs forces stratégiques nucléaires sont bien connues :
– Le coût ruineux d’une course aux armements illimitée.
– Les dangers résultant du déploiement d’un nombre toujours plus grand d’armes de destruction massive.
– Le risque d’une attaque préventive que pourrait provoquer l’apparition d’armes nouvelles venant « déstabiliser » l’équilibre actuel.
– La pression croissante de l’opinion et du Congrès.
Parmi ces raisons, il semble bien que celle de l’apparition d’armes nouvelles et en premier lieu des MIRV [Multiple Independently targeted Reentry Vehicle] (ogives à têtes multiples indépendamment manœuvrables) ait pesé d’un poids particulier. Les responsables américains considèrent en effet qu’il convient de donner « de toute urgence » un coup d’arrêté au développement de ces armes qui défient toute forme de contrôle autre que l’inspection sur place, à laquelle les Russes ne souscriront vraisemblablement jamais.
Les Soviétiques, de leur côté, bien qu’également convaincu de la nécessité d’un accord, n’ont mis aucun empressement à répondre à la dernière invitation américaine d’engager les négociations au plus tôt. Washington explique cette attitude par le fait que la préparation des entretiens sino-russes, qui ont commencé en octobre 1969, a vraisemblablement contribué à retarder la réponse du Kremlin.
* * *
À propos de la réunion d’Helsinki, si les Soviétiques conservent leur mutisme habituel quant à leurs intentions, les Américains en revanche ne sont pas avares de déclarations.
La Maison Blanche a précisé que le but de cette première phase est de définir un programme précis pour la seconde phase, celle des véritables conversations, et de se mettre d’accord avec les Soviétiques sur la nature et l’étendue exacte des sujets qui seront abordés, c’est-à-dire sur la liste des armements qui feront l’objet des SALT.
En ce qui concerne ce dernier point, les pays de l’Otan, et en particulier l’Allemagne, désirent que les 700 IRBM [missile balistique à portée intermédiaire] et MRBM [missile balistique à moyenne portée] soviétiques menaçant l’Europe soient inclus dans cette liste. Il est permis de penser que le Groupe de planification nucléaire de l’Otan n’a pas manqué d’évoquer ce problème au cours de sa réunion du 11 novembre à Washington consacrée à la politique d’emploi des armes nucléaires tactiques. Le chef de la délégation américaine, M. [Gerard C.] Smith, a par ailleurs informé le Conseil de l’Otan, le 14 novembre, de la position de son gouvernement à propos des préliminaires d’Helsinki.
Le secrétaire d’État américain a exprimé le souhait que les SALT puissent s’ouvrir deux ou trois semaines après ces entretiens, de préférence à Vienne. Il lui serait alors possible de proposer l’adoption commune d’un accord visant à interdire les MIRV, avant que leur développement ne soit trop avancé. D’une manière générale, lors des véritables conversations, les États-Unis poursuivront trois objectifs :
– Maintien d’un état d’équilibre stable entre l’URSS et les États-Unis.
– Arrêt de la course aux armements.
– Établissement d’un contrôle efficace.
De plus, ils souhaitent l’instauration d’un dialogue permanent entre les deux parties.
De leur côté, les Soviétiques semblent considérer ces négociations comme un moyen tactique pour reprendre le contact avec les États-Unis et pour aborder la question du désarmement général et complet. La limitation des armements stratégiques, qui aboutirait à « geler » le rapport de forces soviéto-américain à son état actuel, est une exigence minimum pour Moscou, qui a toujours en vue un désarmement réel dont les modalités ont été précisées dans son mémorandum du 1er juillet 1968.
L’URSS ne saurait, en effet, mettre en danger sa sécurité en limitant volontairement son armement stratégique, alors que la Chine continuerait à développer son potentiel nucléaire. Pour les Soviétiques, la question de la limitation des armements restera au deuxième plan tant qu’ils ne parviendront pas à un règlement politique général des problèmes de sécurité d’abord en Europe, puis dans le monde, et cela explique sans doute l’insistance de Moscou et de ses satellites pour entamer le plus rapidement possible une conférence sur les problèmes de sécurité européenne.
États-Unis : réévaluation des options stratégiques
Pour calmer l’opposition grandissante aux États-Unis à une politique de défense impopulaire en raison de son coût, et surtout pour faire face à l’inflation, le président [Richard] Nixon, peu après son entrée en fonction, décidait de réduire de façon importante le montant des dépenses militaires américaines.
À côté de mesures immédiates telles que l’économie de 4,1 milliards décidée sur le budget de l’exercice en cours, le Président annonçait pour l’avenir sa volonté de pratiquer une politique de défense moins dispendieuse en limitant la portée des engagements américains dans le monde. Dans ce but, il ordonnait en mars dernier un réexamen complet de la stratégie des États-Unis dont les résultats viennent de lui être remis.
Ce réexamen a visé à rechercher la moins onéreuse des diverses options stratégiques compatibles avec la sécurité des États-Unis, étant entendu que le niveau moyen des futurs budgets militaires devrait se situer pendant une période de cinq ans aux environs de 70 à 75 milliards de dollars, et ceci, en dépit des pressions inflationnistes prévisibles et de la nécessité de procéder à la modernisation de certains équipements conventionnels retardée par le conflit vietnamien.
Dirigée par M. [David] Packard, secrétaire adjoint à la Défense, la commission, chargée de ce travail depuis mars dernier, vient de remettre son rapport final au président Nixon. Selon la presse, elle a tout d’abord établi que les États-Unis devront maintenir, en tout état de cause, la valeur dissuasive de leur potentiel nucléaire stratégique. Il est intéressant de remarquer à ce propos que les mesures d’économie décidées sur le budget militaire n’ont porté que sur les matériels et les munitions classiques et n’ont affecté aucun des programmes majeurs de la Défense. En particulier ni le programme MIRV (17 milliards de dollars) ni le programme ABM [Anti-Ballistic Missile] (10,8 milliards) n’ont été touchés.
La commission a examiné, entre autres, les deux options suivantes :
– Maintien du concept stratégique actuel qui envisage, pour les États-Unis, la possibilité de faire face à la fois à deux conflits d’envergure, dont un en Europe, et à un conflit limité. Dans ce cas, les forces armées seraient réduites de 900000 hommes après la fin de la guerre au Vietnam et ainsi ramenées à l’effectif de 2 600 000 hommes qui était le leur en 1965.
– Adoption d’un concept plus modeste selon lequel les États-Unis ne seraient plus en mesure que de mener un conflit majeur et une guerre limitée. Le conflit d’envergure pourrait se dérouler soit en Europe, soit en Asie. La priorité serait cependant donnée à la préparation en vue d’une guerre en Europe. Le système de forces nécessaire comprendrait essentiellement, à côté de moyens nucléaires de dissuasion, un corps d’intervention puissant et mobile stationné aux États-Unis destiné aux conflits d’envergure et un élément plus léger apte à intervenir dans les conflits limités.
Dans ses recommandations au Président, la Commission aurait marqué sa préférence pour cette dernière solution, information qu’une récente déclaration du Secrétaire à la Défense tendrait à confirmer. Au cours d’une conférence de presse, M. [Melvin] Laird a en effet indiqué qu’il considérait comme manquant de réalisme la notion selon laquelle les États-Unis sont capables actuellement de mener à la fois deux guerres majeures et une guerre limitée. « Nous sommes plus probablement en mesure, a-t-il ajouté, de faire face au premier choc d’une guerre majeure en Europe tout en accordant notre soutien à un conflit limité en Corée ou dans le Sud-Est asiatique ».
M. Laird n’a pas précisé plus avant ce que pourrait être dans l’avenir la stratégie militaire des États-Unis. On peut tenir pour certain cependant que celle-ci a amorcé un tournant.
C’est un fait acquis en ce qui concerne l’Asie. M. Nixon a fait connaître sans ambiguïté son intention de modifier la politique des États-Unis dans cette partie du monde en y réduisant la portée des engagements américains. Le Président a cependant réaffirmé la volonté de son pays de demeurer une puissance du Pacifique, mais cette vocation s’affirmera désormais bien plus par la maîtrise de l’air et de la mer que par la présence de forces terrestres nombreuses sur le continent asiatique.
En ce qui concerne l’Europe, il est peu probable qu’un retrait important intervienne avant plusieurs années en raison des accords de compensation signés avec la RFA [République fédérale d’Allemagne] et de l’opposition des militaires américains. Ceux-ci pourraient néanmoins modifier leur position lorsque seront mis en service des moyens de mobilité stratégiques, tels que la flotte d’avions géants C5A.
Quoi qu’il en soit, les Américains entendent maintenir une force de dissuasion ayant une capacité de seconde frappe, adaptée en permanence aux menaces nucléaires adverses.
Pacte de Varsovie : nouvelles mesures dans les armées tchécoslovaque, bulgare et hongroise
L’armée tchécoslovaque est en cours de réorganisation ; elle passe à un système d’incorporation biannuelle et le nombre de ses grandes unités va être réduit ; il subsistera deux régions militaires, l’une à l’ouest avec deux armées subordonnées, l’autre à l’est.
Il était donc nécessaire de reprendre les programmes d’instruction pour harmoniser l’état de préparation des forces avec celui des autres armées, en particulier des Soviétiques qui appliquent la loi de 1967 sur le service de deux ans.
L’instruction se poursuit sérieusement en liaison avec les forces soviétiques ; après des exercices qui se sont déroulés au début d’octobre, une activité soutenue a continué en Tchécoslovaquie, les unités soviétiques et tchécoslovaques y ont procédé à diverses manœuvres.
En Bulgarie, dirigeants et chefs militaires rappellent à toute occasion leur alignement, et soulignent que les forces armées sont organisées et instruites selon les normes soviétiques ; une grande partie des officiers sont formés en URSS, d’où viennent les manuels et les règlements en vigueur ; en récompense, le matériel russe le plus moderne débarque depuis un an dans les ports de mer Noire. L’armée bulgare va être désormais en mesure de remplir sa mission de « défense des intérêts de tous les pays socialistes dans les Balkans et dans la zone méditerranéenne », selon les termes employés par le général Kossev, vice-ministre de la Défense, dans un article récent.
Par contre, en Hongrie les résultats de l’année d’instruction 1969 ont été jugés mauvais ; le commandant des forces aériennes, le directeur de l’Académie militaire ont été relevés de leurs fonctions, sous la pression des Soviétiques. Au reste, les relations entre les officiers des deux pays ne sont pas excellentes. Au GFSS [Groupe des forces soviétiques du sud], le général [Konstantin] Provalov a discrètement passé son commandement à son adjoint [Boris Ivanov].
La comparaison entre la situation des forces hongroises et celle des forces bulgares vient à l’appui des pressions exercées par les Soviétiques sur les dirigeants roumains pour les amener à remplir leurs obligations dans le cadre du Pacte de Varsovie.
Inde et Pakistan : les activités militaires
En Inde, l’annonce de la création de l’Eastern Fleet [flotte de l’Est] basée à Wishaknapatnam a coïncidé avec le début de manœuvres navales autour des îles Laquedives et la tournée du croiseur Delhi dans le Sud-Est asiatique. Ainsi se trouve réaffirmé le désir de Delhi de jouer un rôle dans l’océan Indien.
La couverture radar du nord de l’Assam, installée avec l’aide américaine, serait terminée.
M. Swaran Singh, ministre de la Défense, accompagné d’officiers généraux des trois armées, est à Moscou depuis le 19 octobre pour négocier divers contrats d’armement et obtenir des garanties sur la non-livraison de nouvelles armes au Pakistan.
L’actuelle visite en Arabie saoudite du général Abdul Hamid Khan (2), venu discuter d’un accroissement de l’aide militaire fournie par le Pakistan, s’inscrit dans une action d’ensemble menée par ce pays auprès des pays musulmans pour devenir leur instructeur militaire et s’affirmer comme première puissance islamique. Les écoles militaires pakistanaises sont à 50 % fréquentées par des Jordaniens, Saoudiens, Iraniens, Irakiens, Ghanéens et Tanzaniens. En outre, plusieurs centaines de techniciens (pilotes, mécaniciens, transmetteurs et médecins) servent à titre de conseillers dans les armées étrangères.
Japon : la modernisation des forces terrestres japonaises
Alors que le problème de la reconduction après 1970 du traité de sécurité mutuelle avec les États-Unis revêt une importance capitale dans la vie politique japonaise, le gouvernement de M. [Eisaku] Sato mène une politique militaire tendant à accroître la responsabilité de son pays dans la protection du territoire national.
Cette politique, essentiellement défensive, s’est matérialisée par l’adoption en 1966 d’un 3e plan quinquennal de défense qui, arrivant à son terme en 1972, sera suivi d’un 4e plan quinquennal en cours d’élaboration. Ces plans visent à améliorer sensiblement le potentiel des Forces armées japonaises, celui des Forces terrestres en particulier.
Objectifs des plans de défense
Troisième puissance industrielle mondiale, le Japon a entrepris de remplacer les matériels de ses Forces terrestres pour une bonne part d’origine américaine, arrivant à bout de souffle ou périmés, par des matériels plus modernes de conception nationale ou fabriqués sous licence.
Amélioration du potentiel des forces terrestres
Elle se fera par la modernisation de l’ensemble des matériels selon des réalisations japonaises, ainsi que par la création d’unités nouvelles et par une légère augmentation des effectifs.
Le renouvellement du matériel touche toutes les armes, en particulier :
– Les blindés, avec des matériels de conception nationale M61 et VTT M 60.
– L’artillerie de campagne antichar et antiaérienne, grâce à la mise au point par le Japon d’obusiers automouvants, de missiles et de roquettes.
– L’aviation légère, au moyen de l’accroissement substantiel du nombre des hélicoptères (versions japonaises de modèles américains) et de la mise en service de quelques avions légers (version militaire de l’avion japonais Mitsubishi MU 2).
Par ailleurs de nouvelles unités dotées de ces matériels modernes ont été créées ou le seront au terme du 3° plan, c’est-à-dire en 1972.
Au cours du 4e plan quinquennal, l’effort doit porter notamment sur la création d’unités améliorant la mobilité et l’observation aériennes ainsi que l’augmentation de la puissance de feu de l’artillerie.
Réalisation des objectifs
Le Japon sera-t-il en mesure d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés pour les Forces terrestres en respectant l’exécution des 3e et 4e plans ?
Dans le domaine de la conception et de la mise au point des matériels, les Japonais font appel aux techniques les plus élaborées.
Par leurs caractéristiques, les armements semblent pouvoir soutenir la comparaison avec ceux dont sont dotées les armées modernes occidentales ou celles des pays de l’Est. Ils paraissent supérieurs à ceux des Forces terrestres de la République populaire de Chine.
Pour leur construction, le Japon dispose des usines nécessaires.
Il faut néanmoins souligner deux points :
– La part relativement faible du budget consacré aux forces armées par rapport au budget général (8 % environ) et au Produit national brut (moins de 1 %) du Japon.
– Une certaine désaffection pour le métier des armes de la jeunesse, qui trouve dans le secteur civil des situations plus lucratives et moins astreignantes. C’est pourquoi la réalisation des effectifs posera des problèmes délicats.
Toutefois, même si les buts des 3e et 4e plans ne doivent pas être totalement atteints, l’essentiel sera réalisé dans les délais prévus et l’on peut penser raisonnablement qu’à échéance de moins de dix ans, le Japon disposera de Forces terrestres en mesure d’assumer au sein des Forces armées le rôle qui leur revient dans la sauvegarde de l’intégrité du Territoire national.
Chili : troubles dans l’Armée
Le 21 octobre, des troubles graves éclataient dans l’armée chilienne où plusieurs unités se mettaient en état de sédition.
La rébellion, qui n’aura duré que deux jours, est restée localisée dans le nord du pays, n’affectant que certaines garnisons et notamment celle de Santiago où les officiers de l’École de guerre se joignaient au mouvement. Tête de la sédition, le général [Roberto] Viaux, a fait sa soumission dès le 22 octobre, après avoir reçu satisfaction sur les deux points de ses revendications :
– Promesse d’amélioration immédiate de la condition militaire.
– Remplacement du ministre de la Défense [Tulio Marambio] et du commandant en chef de l’armée [Sergio Castillo Aránguiz], accusés, le premier de n’avoir pas tenu ses promesses de revalorisation des soldes, le second, d’avoir ignoré les intérêts de l’armée et d’en avoir négligé l’équipement.
Bien que plutôt favorables à l’action du général Viaux, les autres armées et la majorité de l’armée de Terre sont restées dans l’expectative. Le mouvement n’a pas suscité de violences en dehors d’une courte fusillade qui fit une quinzaine de blessés à Santiago.
Dès le début de la crise, le gouvernement avait décrété l’état de siège et lancé un appel « aux forces populaires, aux syndicats et aux partis politiques ». La Centrale unique des travailleurs, d’obédience marxiste, décidait aussitôt une grève illimitée suivie par tous les syndicats. Il convient de souligner toutefois qu’en dépit de cet appui la grande masse a assez peu réagi et que le Président [Eduardo Frei Montalva] a dû céder aux revendications des rebelles, en justifiant ainsi le bien-fondé.
La tentative du général Viaux, la première de cet ordre au Chili depuis le coup d’État militaire de 1924, doit être replacée dans le cadre plus large d’une agitation sociale qui se développe depuis deux ans dans le pays en raison des charges qui pèsent sur les classes moyennes au sein desquelles les membres des Forces armées sont les plus défavorisés (3).
À la mi-68, à la suite d’une importante augmentation des traitements civils, les militaires qui comptent un nombre élevé de personnels de carrière recevaient du ministre de la Défense la promesse formelle d’un relèvement des soldes dans les trois mois. Un an après, cet engagement était resté lettre morte. L’Armée manifestant son mécontentement, le gouvernement, en réponse, prononçait la mise à la retraite d’office de sept généraux dont le général Viaux et de vingt-deux colonels ; c’est alors que les cadres ont décidé de passer à l’action, non dans le but de renverser le gouvernement, selon le chef du mouvement, mais pour obtenir enfin la revalorisation de leurs soldes.
Bien que la médiocrité de la condition des militaires suffise à expliquer les événements et que le général Viaux se défende de toute visée politique, il est permis de penser que les exemples bolivien et péruvien ont pu influencer les mutins.
On a pu noter, par ailleurs, à l’occasion d’événements récents, une tendance nouvelle des forces armées chiliennes à intervenir, quoique fort discrètement, dans la vie publique.
La crise a embarrassé le gouvernement. Celui-ci a laissé pourrir la situation et commis l’erreur de sanctionner celui des chefs de l’Armée dont le prestige est le plus grand parmi les jeunes officiers. En faisant appel aux forces populaires non militaires, il a montré sa défiance vis-à-vis des Forces armées et donné aux mouvements d’extrême gauche l’occasion unique de se présenter en garants de la Constitution.
En revanche, les Forces armées auront pu prendre conscience de l’importance de leurs moyens de pression dans un pays qui traverse une période d’instabilité sociale, et ceci à la veille de l’élection présidentielle de 1970.
* Les éléments entre crochets ont été ajoutés en décembre 2019.
(1) SALT : Strategic Arms Limitation Talks ([Discussions] sur la limitation des armements stratégiques).
(2) Chef d’état-major de l’Armée de terre, administrateur adjoint de la loi martiale, intime et second du général Yahya Khan.
(3) À titre d’exemple, la solde de base d’un lieutenant-colonel serait de 357 francs. La solde nette d’un officier de ce grade, marié avec sept enfants, est de 1 495 francs.