Institutions internationales - Le « Sommet » de l'Organisation commune africaine et malgache (Ocam) - Les efforts de la Communauté économique européenne (CEE) - La mise en œuvre des décisions de La Haye - L'accord monétaire des « Six » - Le cinquantenaire de la Société des Nations (SDN)
Que le président de la République – Georges Pompidou – ait rappelé la mission humanitaire des Nations unies alors que l’on se demandait comment les populations biafraises allaient faire face aux exigences élémentaires de la subsistance, voilà qui a mis indirectement en lumière l’impuissance de l’Organisation internationale face à des problèmes qui paraissent pourtant être de son ressort. Certes, M. Thant était peut-être respectueux de la Charte lorsque, le 8 janvier à Monrovia, il déclarait que l’ONU ne tolérerait ni ne reconnaîtrait une sécession, au Nigeria ou ailleurs, ce qui équivalait à fermer une des dernières portes de l’espoir au Biafra. Il n’avait peut-être pas entièrement tort de déclarer que les « Nations unies ne veulent pas une répétition de la sécession katangaise, qui a coûté à l’Organisation plus de 500 millions de dollars ». Mais que devient l’aspect humain d’un drame de cette envergure ?
À partir d’un certain moment, il semble que le Droit ne connaît plus que ces « monstres froids » que sont les États et ces entités que sont les citoyens, et oublie les hommes… S’est-il agi d’un « accident » dans l’histoire de l’Afrique moderne, et peut-on dès lors espérer qu’avec le temps, les notions classiques du Droit s’imposeront aux attachements raciaux et tribaux comme, dans nos sociétés, le sentiment de la collectivité nationale s’est imposé aux enracinements provinciaux ? Faut-il au contraire craindre que, pour de multiples raisons, liées à la civilisation elle-même, les cadres juridiques soient mis régulièrement en cause par des groupes attachés d’abord à leur « moi » ancestral ? La question ne peut être que posée, et seul l’avenir lui apportera une réponse.
Tandis que se déroulaient ces tristes événements, que beaucoup oublieront très vite, se préparait à Yaoundé le sixième « sommet » de l’Organisation commune africaine et malgache – l’OCAM.
Le « sommet » de l’OCAM
Signée le 27 juin 1966 à Tananarive par les représentants du Cameroun, de la République Centrafricaine, du Congo-Brazzaville, du Congo-Kinshasa, de la Côte d’Ivoire, du Dahomey, du Gabon, de la Haute-Volta, de Madagascar, du Niger, du Ruanda, du Sénégal, du Tchad et du Togo, la charte de l’Ocam établissait une organisation régionale groupant les pays africains francophones. L’article 2 de cette Charte mentionnait : « L’Ocam est fondée sur la solidarité qui unit ses membres. Elle a pour but… de renforcer la coopération et la solidarité entre les États africains et malgache, afin d’accélérer leur développement économique, social, technique et culturel ». L’article 3 précisait : « À cet effet, l’Organisation s’efforce d’harmoniser l’action des États membres dans les domaines économique, social, technique et culturel, de coordonner leurs programmes de développement et de faciliter entre eux, dans le respect de la souveraineté et des options fondamentales de chaque État-membre, des consultations en matière de politique extérieure ».
Après Nouakchott (Mauritanie), Abidjan (Côte d’Ivoire), Tananarive (Madagascar), Niamey (Niger) et Kinshasa (RD Congo), c’est Yaoundé (Cameroun) qui a reçu ce « sommet » annuel.
Avec l’écrasement de la révolte biafraise a disparu un des thèmes de controverse entre les chefs des quinze membres de l’Ocam. En effet, tandis que la plupart des dirigeants de ces pays, notamment ceux du Congo-Kinshasa, du Tchad et du Niger, avaient pris nettement position contre le séparatisme biafrais, ou adopté à son égard une attitude réservée, la Côte d’Ivoire et le Gabon avaient reconnu l’éphémère République du Biafra. Cette différence d’attitude ne constitua cependant jamais un obstacle sérieux aux relations entre les États-membres de l’OCAM. Car, s’il existe des clivages au sein de ce vaste ensemble régional, un scrupuleux respect de la Charte de Tananarive évite les affrontements graves, les Quinze ayant décidé que l’application de politiques différentes à l’égard du reste du monde ne devait pas altérer les relations privilégiées qu’ils ont établies entre eux. Ainsi, la République populaire du Congo-Brazzaville coopère étroitement avec Pékin, tandis que la Côte d’Ivoire et la République malgache entretiennent d’excellents rapports avec Formose. Et le général Bokassa (République centrafricaine), qui avait pourtant rompu les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine à la fin de 1966, a pu procéder en septembre dernier à un échange d’ambassadeurs avec la Corée du Nord sans que ses collègues les plus résolument anticommunistes s’en inquiètent réellement. Sur les questions d’intérêt commun, les membres de l’Ocam s’efforcent cependant d’adopter une même ligne de conduite. Ainsi, lorsqu’il s’est agi de négocier la nouvelle convention d’association entre la Communauté économique européenne (CEE) et les États africains et malgache, un compromis fut élaboré entre les membres de l’Ocam.
Certes, quelques « querelles de famille » ont, parfois, ébranlé l’Organisation, mais des solutions furent rapidement trouvées. C’est sur cette volonté d’insister sur ce qui les unit plutôt que sur ce qui les divise que comptent les Quinze pour élargir leurs assises en attirant de nouveaux partenaires (ils envisagent d’accueillir la Guinée équatoriale, ils ont invité à titre d’observateurs les chefs d’État du Maroc et de la Tunisie, de la Mauritanie, du Mali et du Burundi). La majorité des questions figurant à l’ordre du jour de cette session de Yaoundé avaient un caractère économique, ou purement technique. L’évolution du continent au cours des dix dernières années a, en effet, prouvé qu’il était beaucoup plus aisé de s’entendre sur des problèmes concrets que sur de grandes options politiques, qui d’ailleurs engagent rarement de manière définitive ceux qui les prennent. Il n’en apparaît pas moins qu’entre ces pays de l’Ocam s’est établie une solidarité qui, au-delà des considérations raciales, doit l’essentiel d’elle-même à l’appartenance à l’influence française. C’est là une des plus belles réussites de la décolonisation. Il convient de souligner que c’est M. Tombalbaye, qui a été porté à la présidence de l’Ocam pour l’année en cours ce qui ne manquera pas de renforcer la situation du gouvernement tchadien.
Les efforts de la CEE
Ces pays africains et malgache sont associés au Marché commun. Le 20 janvier, M. Heinrich Hendus, directeur général de l’aide au développement de la Commission de Bruxelles, a dressé un bilan de l’aide financière distribuée depuis dix ans par le Fonds européen de développement (FED) aux 18 pays africains et malgache associés à la CEE. La Communauté a participé au financement de 750 projets, les subventions engagées s’élevant à 1 280 millions de dollars (plus de 7 milliards de francs). Sur ce total, 763 M$ (4,2 MdF) ont été payés et donc réalisés sur le terrain.
À quelques mois de l’entrée en vigueur de la nouvelle convention de Yaoundé, 60 % des projets ayant reçu l’agrément du FED ont été déjà exécutés, ce qui est un résultat assez satisfaisant, étant donné la complexité des procédures devant être suivies avant qu’un projet d’investissement ne prenne forme sur le terrain. À titre d’exemple, M. Hendus a cité ce fait : en 10 ans, la Commission a lancé 869 appels d’offres internationaux et contrôlé la passation et l’exécution de 4 500 marchés, devis et contrats.
Comment a été employé cet argent ? Les interventions du premier FED (1960-1964 – dotation de 581 M$) ont été principalement consacrées à l’amélioration de l’infrastructure : 44 % des subventions consenties. En revanche, le deuxième FED (1965-1969 – dotation de 730 M$), sans pour autant négliger l’infrastructure, a davantage mis l’accent sur la modernisation de l’agriculture : 45,2 % des dépenses. Finalement, un peu plus de 500 M$ (2,75 MdF) ont été consacrés en 10 ans à des opérations de travaux publics, l’essentiel de cet effort portant sur la construction de routes. À côté de cela, 460 M$ (2,53 MdF) ont été destinés au développement rural. La part réservée aux investissements industriels, qui, jusqu’ici, a été faible, est appelée à s’accroître sensiblement dans les interventions du troisième FED. Celui-ci, qui couvrira la période d’application de la nouvelle convention de Yaoundé, a été doté d’un capital de 900 M$.
Parmi les États associés, c’est d’assez loin Madagascar qui a été le principal bénéficiaire de l’aide communautaire, avec 126 M$ de subventions en 10 ans. Ensuite, l’aide de la CEE a surtout profité, dans l’ordre, au Cameroun, au Sénégal, à la Côte d’Ivoire et au Congo-Kinshasa.
La mise en œuvre des décisions de La Haye
Ceci est un bilan. L’action européenne peut en établir bien d’autres, mais les bilans ne valent qu’en fonction des œuvres à accomplir, et c’est ce qui donne tant de prix aux discussions qui ont pour objet la mise en forme des décisions de la conférence qui, à La Haye, a réuni les chefs d’État et de Gouvernement des « Six ».
Après l’accord de principe sur le règlement financier agricole, les « Six » devaient, dans l’immédiat, s’attaquer à deux problèmes : le règlement régissant le fonctionnement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) à partir du 1er janvier, et l’entrée en vigueur progressive du Marché commun du tabac. Très rapidement, il est apparu que les questions politiques touchant à la nature même de la Communauté n’avaient pas été entièrement réglées.
De quoi s’agit-il ? Les décisions prises à la Conférence de La Haye (1er et 2 décembre 1969) et que le conseil des ministres de Bruxelles a mises en forme le 22 décembre, impliquent une modification de l’article 203 du Traité de Rome. Dans le courant de cette année, les Parlements nationaux seraient appelés à se prononcer sur cet amendement en même temps qu’ils auraient à approuver l’affectation directe à partir de 1975 au budget de la Communauté des prélèvements agricoles, des droits de douane et, éventuellement, d’une fraction (1 % au maximum) des recettes de la TVA dans les six pays. L’affectation de « ressources propres » à la Communauté implique un accroissement des pouvoirs budgétaires de l’Assemblée parlementaire de Strasbourg (improprement appelé « Parlement européen »), puisque les Parlements nationaux n’exerceraient plus de contrôle sur l’utilisation de sommes qui alimenteraient le budget propre de la CEE. Quels seraient ces pouvoirs budgétaires ?
Ces « pouvoirs budgétaires » aboutiraient à un renversement de la procédure en vigueur, prévue à l’article 203 du Traité de Rome : actuellement c’est le Conseil qui, après consultation de l’Assemblée de Strasbourg, arrête définitivement le budget. Après 1975, ce serait cette Assemblée qui aurait le « dernier mot ». En vertu de l’article 1999 du Traité de Rome, le budget de la Communauté « doit être équilibré en recettes et en dépenses », d’où il résulte que les recettes doivent être ajustées aux dépenses. Or qui décide des dépenses ? Le Conseil des ministres de la Communauté, dans une écrasante majorité des cas. C’est lui qui arrête les prix agricoles communs, les aides à apporter aux paysans, c’est lui qui fixe le programme de la recherche atomique, les traitements des « fonctionnaires européens », etc. Il continuerait d’en être ainsi après 1975. Mais la Commission garderait la haute main sur quelques catégories de dépenses, et l’Assemblée pourrait être tentée de les accroître : par exemple le budget « presse et information », dont l’importance politique est indéniable.
Plusieurs des partenaires de la France se soucient peu de voir l’Assemblée de Strasbourg dessaisir le Conseil du quasi-monopole qu’il détient en votant des crédits non prévus par lui. Iront-ils jusqu’à suivre le gouvernement français (qui avait mis une « réserve » sur le paragraphe du communiqué de La Haye relatif à cette question), gouvernement aux yeux de qui l’Assemblée de Strasbourg ne doit pas avoir l’initiative des dépenses ? Il serait illogique, semble-t-il, que les parlementaires « européens » aient ce droit, qui est expressément refusé aux députés français par l’article 49 de la Constitution. Une autre solution consisterait à limiter par avance les initiatives de l’Assemblée de Strasbourg, en leur fixant un certain plafond. Le problème est d’autant plus sérieux qu’un calcul même approximatif permet de s’apercevoir que le seul 1 % des recettes de la TVA forme déjà une somme considérable, de l’ordre de 16 MdF… Le problème des « pouvoirs budgétaires » de l’Assemblée de Strasbourg débouche sur celui de l’amorce de supranationalité que certains affirment exister dans ce contrôle d’une assemblée extra-nationale – et à cela il faut ajouter que l’Assemblée de Strasbourg n’est pas élue, mais émane des Parlements nationaux.
Lors du Conseil des ministres des « Six », le 20 janvier à Bruxelles, la position française a été rappelée : le « Parlement européen » garderait un contrôle très analogue à celui des Parlements nationaux, il pourrait, en dernier ressort, refuser de voter le budget – la France acceptant par ailleurs que la décision du Conseil sur le total du budget soit prise non pas à l’unanimité, mais à la majorité, ce qui est spécifiquement « européen ». L’ampleur de tels problèmes a incité les « Six » à ajourner leur accord final sur le financement du règlement agricole, avec l’espoir que les dernières difficultés pourraient être surmontées lors de la session plénière du Conseil, les 5 et 6 février 1970 (1).
C’est à cette session de février que les ministres avaient décidé d’évoquer pour la première fois la préparation de la négociation avec les quatre pays désirant adhérer au Marché commun (Royaume-Uni, Irlande, Danemark et Norvège). Il semblait probable qu’ils n’auraient guère le loisir de se consacrer à cette tâche, sans d’ailleurs que ce contretemps puisse faire craindre un report de la date d’ouverture des pourparlers. Le communiqué publié à l’issue de la conférence « au sommet » de La Haye expliquait que les ministres des Affaires étrangères devaient trouver la meilleure manière de réaliser des progrès dans le domaine de l’unification politique, dans la perspective de l’élargissement de la Communauté – et il était entendu que les ministres devaient présenter des propositions à ce sujet avant le mois de juillet. Ils évoqueront ces problèmes de coopération politique en marge du conseil des ministres, les 6 et 7 mars à Bruxelles.
Lors de sa visite à Londres le 22 janvier 1970, M. Maurice Schumann a déclaré à ce propos : « L’élargissement de la Communauté européenne est le souhait irréversible de la France », et il a précisé que l’entrée des candidats dans la Communauté suppose :
– qu’ils acceptent le Traité, les décisions intervenues depuis son entrée en vigueur et les choix arrêtés pour son développement futur ;
– que les « Six » adoptent une position commune sur les « adaptations » que pourra entraîner l’adhésion de l’Angleterre et des autres pays candidats (sans oublier les pays qui ne peuvent pas faire acte de candidature comme l’Autriche et la Suisse) ;
– que cette position commune soit défendue par un négociateur commun, donc qu’il y ait une seule négociation, dans un cadre unique, avec un seul mandataire des « Six ». Il semble ainsi que les problèmes tenant à la nature même de la Communauté aient créé plus de difficultés que ceux tenant à son éventuel élargissement. Pourtant, un accord extrêmement important est intervenu dans le domaine monétaire, contribuant au renforcement de la Communauté.
L’accord monétaire des « Six »
Les difficultés rencontrées par certaines monnaies européennes, et le caractère strictement national des décisions prises par les États concernés par ces crises, avaient montré les dangers de l’insuffisance de la coopération monétaire. Le Marché commun ne devant pas être une simple union douanière, devant devenir une véritable union économique, la monnaie ne pouvait rester hors de l’action communautaire. Certes, il est vain de parler d’une « monnaie européenne » en l’absence d’un pouvoir politique européen, le droit de « battre monnaie » étant l’une des prérogatives fondamentales de l’État. Mais, à côté de cette « monnaie européenne » qui, suivant l’idée que l’on a quant à la structure politique de l’Europe, est soit un espoir, soit une utopie, il y a place pour des solutions intermédiaires, visant à une harmonisation des politiques monétaires, et, plus encore, à la mise sur pied d’accords de coopération.
Une importante contribution aux travaux sur la mise en place de l’union économique et monétaire, prévue dans le communiqué de La Haye, avait été apportée à la mi-décembre par un nouveau rapport du professeur Robert Triffin au « Comité d’action pour les États-Unis d’Europe ». Depuis des années, M. Triffin plaide pour la création d’un fonds de réserve européen. Mais il ne prêchait plus dans le désert puisque, le 2 décembre à La Haye, les « Six » avaient décidé de « faire examiner la possibilité d’instituer un fonds de réserve européen ». Ils s’appuyaient sur ce l’on appelle le « plan Barre », du nom de son inspirateur, le vice-président (français) de la Commission de Bruxelles. Ce « plan Barre » (dont le principe avait été adopté le 17 juillet 1969) comportait quatre chapitres :
– consultation en matière de politique conjoncturelle ;
– coordination des politiques à moyen terme ;
– soutien monétaire à court terme en faveur d’un pays en difficulté ;
– concours financier à moyen terme.
• Les consultations en matière de politique conjoncturelle auront lieu préalablement à toute décision ou mesure importante d’un État-membre ayant une influence sur l’économie des autres pays du Marché commun ou sur son propre équilibre interne ou externe, ou risquant de provoquer un écart notable entre l’évolution de l’économie d’un pays et les objectifs à moyen terme définis en commun. De telles consultations ont d’ailleurs déjà eu lieu, par exemple avant l’adoption du plan français de redressement, lorsque le mark était « flottant », ou lorsque le gouvernement belge a demandé le report de la date d’application de la TVA.
• La coordination des politiques à moyen terme est la clef de voûte de l’édifice. La dévaluation du franc et la réévaluation du mark ont eu pour une part leur origine dans les politiques économiques divergentes de Paris et de Bonn depuis 1966 – mais pour une part seulement, la cause majeure étant l’inflation consécutive aux troubles de mai 1968. Les ajustements de parité de 1969, a souligné M. Barre, ont permis de corriger les divergences : « Ils laissent pour l’avenir une marge de manœuvre. Si l’on veut éviter de nouvelles tensions et de nouvelles secousses, il faut que cette marge ne soit pas gaspillée ». Il convient donc que les gouvernements de la CEE choisissent d’un commun accord des politiques économiques qui soient compatibles entre elles.
• Le soutien monétaire à court terme en faveur d’un pays en difficulté est spectaculaire. On en avait déjà parlé, mais les gouverneurs des banques centrales des « Six » restaient très prudents tant que les États ne s’étaient pas mis d’accord sur la coordination de leurs politiques économiques, c’est-à-dire tant que les risques d’utilisation de leurs deniers n’étaient pas réduits dans toute la mesure du possible. Un milliard de dollars sera affecté à des prêts automatiques à trois mois renouvelables une fois. Un autre milliard pourra être mobilisé à la demande de l’un ou l’autre des États-membres mais il s’agira de prêts conditionnels, c’est-à-dire assortis de consultations et de recommandations sur la politique de redressement à mener par le pays « tireur », la décision étant attribuée aux gouverneurs des banques centrales.
• En ce qui concerne le concours financier à moyen terme, il s’agit de créer un mécanisme, valable cinq ans et renouvelable, par lequel chaque État-membre s’engagerait à fournir à ses partenaires des ressources financières importantes (sous condition bien entendu).
À La Haye, il avait été décidé d’aller « au-delà du plan Barre ». Il était donc de bonne méthode de commencer par adopter celui-ci. Quand le moment sera venu de franchir les étapes supplémentaires, les négociations avec la Grande-Bretagne seront sans doute engagées, et dans ce domaine plus encore que dans d’autres l’élargissement de la Communauté changera les données de nombreux problèmes. Mais « tout se tient ». On ne peut sérieusement parler de politique industrielle commune sans une étroite coopération monétaire, et il ne peut y avoir de politique industrielle commune entre des partenaires qui ne seraient pas d’accord sur la politique agricole… Les ministres des Finances ont confronté leurs vues sur la politique économique à mener par les États-membres au cours de l’année 1970. Ils ont partagé l’analyse faite par la Commission des Communautés, et adopté ses conclusions : une désinflation rapide et vigoureuse doit être engagée dans l’ensemble de la Communauté, afin de retrouver les équilibres fondamentaux de l’économie en évitant la cassure de l’expansion. Cela rejoint les préoccupations du gouvernement français, selon M. Giscard d’Estaing, qui déclara : « Notre objectif est de créer en France un microclimat de stabilité dans un monde pour le moment encore entraîné dans l’inflation ».
Ceci est d’autant plus important que les experts de l’OCDE prévoient pour 1970 un ralentissement de la croissance de l’économie occidentale. Il ne s’agit pas d’une récession – mais aucun pays n’est à l’abri des répercussions de l’économie américaine, le produit national brut des États-Unis représentant plus de la moitié de la production de l’ensemble de la zone OCDE. Que chaque État mène la politique économique qui lui paraît la plus adéquate, c’est normal, mais nul ne peut ignorer ce proverbe chinois : « Il ne peut pleuvoir chez mon voisin sans que j’aie les pieds mouillés ».
Le cinquantenaire de la Société des Nations
Il y a eu cinquante ans en janvier, naissait la Société des Nations, qui faisait l’objet du dernier des quatorze points que le président Woodrow Wilson avait donnés comme buts de guerre aux alliés. L’idée n’était pas nouvelle : à l’issue de tous les grands conflits, l’humanité a senti le besoin de mettre fin au désordre et aux violences par une organisation susceptible de lui procurer la sécurité et la paix. Les projets ne se comptent pas. Mais, à la fin de la Première Guerre mondiale, pour la première fois une organisation, au sens strict du terme, fut mise sur pied – sa mission était de faire en sorte qu’un perturbateur ne puisse pas plonger le monde dans une nouvelle guerre. Préparé par le colonel House, le projet fut définitivement approuvé par la conférence de la paix, et inséré sous le nom de « Pacte » en tête du Traité de Versailles. La SDN naquit officiellement lors de l’entrée en vigueur du Traité de Versailles, le 10 janvier 1920.
Sur le plan des possibilités d’action, l’essentiel du Pacte était son article 16, qui établissait qu’en cas de guerre ou de menace de guerre la SDN devait déterminer les mesures capables de sauvegarder efficacement la paix, et utiliser au besoin des sanctions militaires, économiques et financières… Il n’est pas dans l’objet de cette chronique de rappeler la triste histoire de la SDN, du désaveu infligé à Wilson par le Congrès, jusqu’en septembre 1939… La Seconde Guerre mondiale incita dès 1941 les États-Unis et la Grande-Bretagne à rechercher les moyens de bâtir une organisation internationale plus efficace. L’ONU naquit de cet effort. Contrairement à la SDN, elle ne contractait aucun lien avec les traités de paix, et elle n’avait donc pas l’allure d’un « syndicat des vainqueurs ». Contrairement à la SDN, elle portait le cachet de l’universalité : 50 adhésions initiales, dont celles des États-Unis et de l’URSS. Le Conseil de sécurité, sous l’impulsion des grandes puissances, avait le devoir de maintenir la paix, et il disposait d’une initiative et d’une autorité susceptibles d’imposer une contrainte, en cas de menace dirigée par un État contre la paix. L’Assemblée générale devait créer le climat de la paix… Mais les pères de l’Organisation sont partis du principe que les conditions de la paix étaient remplies, qu’elles existaient objectivement, que les différends à prévoir ne recèleraient pas la guerre dans leurs flancs, et ils accordèrent généreusement à l’ONU la licence d’aborder tous les problèmes internationaux, jusqu’à la limite du national, de les régler tous – sauf sans doute les plus explosifs. Or le postulat de l’entente des grandes puissances, sur lequel reposait la construction entière, s’est révélé faux presque dès le point de départ. Il en est résulté que l’Assemblée générale, au lieu de constituer une Amphictyonie à l’ombre des oliviers, est devenue l’une des principales tribunes de la guerre froide – et l’ONU ne s’en est pas relevée…
Il en est des institutions internationales comme des constitutions nationales : quelle que soit la valeur de leurs textes et des procédures qu’elles établissent, elles valent moins par elles-mêmes que par l’usage qui en est fait. Le cinquantenaire de la SDN, et les réflexions sur l’ONU qu’il peut inspirer, n’incitent guère à l’optimisme. Aussi longtemps que les grandes puissances ne s’entendront pas, par les moyens de la concertation, pour s’opposer aux perturbateurs, une institution internationale, quelle qu’elle soit, restera pratiquement impuissante. Une institution internationale n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen, créé par les États au service des États. Il se peut qu’un jour il en soit autrement. Pour l’heure, ce qui se veut pouvoir intrinsèque d’une institution internationale n’est qu’utopie. ♦
(1) L’analyse des résultats, très importants, de cette session du Conseil fera l’objet de notre prochaine chronique.