Institutions internationales - De l'achèvement à l'élargissement de la Communauté - Les négociations avec la Grande-Bretagne - Le « bilan » de la commission européenne - L'Europe et la monnaie
« L’Europe monétaire prend un bon départ », telle est la conclusion que M. Giscard d’Estaing a tirée de la réunion des ministres des Finances des six pays de la Communauté économique européenne (CEE), le 24 février 1970 à Paris. Selon lui, il ressort de cette réunion « la certitude raisonnable que l’Europe aura une organisation monétaire et une personnalité monétaire dans les organisations internationales ». Est-ce suffisant pour parler d’une « monnaie européenne » ? Oui, peut-être, mais à condition de préciser très exactement ce que peut signifier cette formule. Toujours est-il qu’après l’accord sur le financement des marchés agricoles, cette réunion des ministres des Finances a ouvert de nouvelles perspectives aux décisions prises par les chefs d’État et de gouvernement des « Six » lors de la Conférence de La Haye (1er-2 décembre 1969).
De l’achèvement à l’élargissement de la Communauté
Le 7 février 1970, le Conseil des ministres de la CEE est parvenu à un accord sur les différentes questions liées à la mise au point définitive du règlement concernant le financement de l’« Europe verte ». L’accord du 22 décembre 1969 a donc été confirmé. Mais, pour entrer en application, ce texte doit être ratifié par les Parlements nationaux. Comme l’a déclaré M. Pierre Harmel, ministre belge des Affaires étrangères et président en exercice du Conseil, « en ne laissant rien en retrait et en ne laissant rien pour une autre séance », les « Six » ont respecté les engagements pris à La Haye au sujet de ce que l’on appelle « l’achèvement de la Communauté ». La voie est maintenant libre pour qu’ils consacrent leurs préoccupations à la fois au renforcement du Marché commun, c’est-à-dire à la mise en œuvre de nouvelles actions visant à renforcer la communauté économique déjà existante, et à son élargissement, autrement dit, à la préparation de la négociation avec la Grande-Bretagne et les autres pays candidats (Danemark, Norvège, Irlande). Selon un mot de M. Maurice Schumann, les « Six » ont « parachevé l’achèvement ».
Le problème le plus difficile à résoudre, à cause de ses incidences politiques, était la définition des pouvoirs budgétaires nouveaux que recevra le Parlement européen lorsqu’en 1971, la Communauté sera dotée de « ressources financières propres » échappant au contrôle des Parlements nationaux. Aucun des « Six » ne contestait que l’Assemblée européenne aurait alors, selon l’expression consacrée, le « dernier mot », puisque ce serait elle qui approuverait le budget, tandis qu’actuellement c’est le Conseil des ministres qui approuve les comptes en dernier ressort. Restait à déterminer le contenu exact de ce droit : le Parlement serait-il seulement (ce qui est déjà beaucoup) placé devant l’alternative d’accepter ou de refuser les dépenses qui lui sont proposées, ou bien aurait-il, en outre, le droit d’en proposer de nouvelles ? Ce droit d’initiative est, on le sait, refusé par la Constitution aux députés français – ce qui justifiait les positions en faveur d’une limitation des prérogatives des « députés européens » (1). Les Néerlandais faisaient savoir, de leur côté, qu’ils ne ratifieraient pas l’accord sur le financement de la Politique agricole commune (PAC) si le programme établi à La Haye, notamment en matière de renforcement du rôle du Parlement européen, n’était pas intégralement exécuté. Était-ce l’impasse ? Allait-on voir ressurgir la vieille querelle de la « supranationalité » ? Non, car on s’aperçut que l’enjeu était tout de même limité : il était en tout état de cause entendu, dès le départ, que le Parlement ne pourrait exercer son pouvoir d’amendement que sur les dépenses de fonctionnement de la Communauté (soit 3,5 % d’un budget total qui est actuellement de l’ordre de 15,5 milliards de francs). Surtout, aucun des six ministres des Finances n’était réellement prêt à accepter de se voir brusquement obligé, par un vote de l’Assemblée de Strasbourg, de transférer au budget communautaire une part plus importante que prévu des recettes nationales. Le compromis auquel on a abouti, sans résoudre tout à fait le problème soulevé, a au moins le mérite d’étouffer dans l’œuf un inutile conflit.
Une autre affaire délicate était celle de l’organisation du marché du tabac : allait-on – comme le prévoit le Traité de Rome (1957) et comme le demandaient les Allemands, peu soucieux de contribuer sans contrepartie au financement du soutien des récoltes françaises et italiennes – décider qu’on pourrait vendre librement en France et en Italie des tabacs étrangers sans passer par l’intermédiaire des monopoles publics ? Quand on sait ce que représente la SEITA (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) dans la vie nationale, on se convainc facilement qu’une telle décision eut été vraiment révolutionnaire. Aussi ne l’a-t-on pas prise, l’échéance d’une éventuelle modification du régime des tabacs étant reportée à 1976.
Si le Conseil des ministres est allé plus vite que prévu, c’est sans doute parce qu’il redoutait que la crise politique italienne, pour ne pas parler des menaces qui pèsent sur la stabilité politique de la Belgique, ne retarde un accord qu’en référence aux conclusions de la conférence de La Haye, la France considérait comme un préalable à la négociation avec la Grande-Bretagne. Il ne pouvait être question d’engager les travaux préparatoires à cette négociation sans qu’ait été réalisé l’accord sur le financement de la PAC. C’eût été renoncer à l’achèvement au profit de l’élargissement, alors qu’il ne peut y avoir éventuel élargissement que s’il y a achèvement. L’accord du 7 février 1970 permet aux travaux de Bruxelles d’être subordonnés à la perspective de l’éventuel élargissement de la Communauté.
Mais si cet accord sur le financement de la politique agricole commune a été réalisé, les ministres de l’Agriculture ne sont parvenus à aucun accord, lors de leur réunion du 17 février 1970, sur les moyens destinés à mieux orienter les productions, c’est-à-dire à limiter les excédents agricoles. Français, Néerlandais et Luxembourgeois sont favorables aux propositions de la Commission pour parvenir à une meilleure maîtrise des productions excédentaires, mais Allemands, Italiens et Belges souhaitent le statu quo, c’est-à-dire le maintien des prix agricoles et des mécanismes de soutien actuellement en vigueur. À cette occasion, M. Jacques Duhamel a précisé la position française, en distinguant trois types d’interventions :
– les actions foncières, qui devraient être coordonnées à l’échelle de la Communauté, mais dont le financement resterait national ;
– les actions sociales, qui devraient bénéficier tant aux populations rurales quittant l’agriculture qu’aux paysans continuant à exploiter : les décisions devraient être prises à Bruxelles, mais le financement pourrait être assuré en large partie par les trésors nationaux ;
– les subventions visant à une meilleure organisation économique de l’agriculture européenne ; il s’agit, par exemple, des encouragements aux groupements de producteurs et aux coopératives, ou encore du financement d’investissements collectifs ; ces opérations devraient être supportées par le budget de la Communauté.
En attendant un accord, les stocks de produits excédentaires continuent de s’accroître : pour les céréales, ils s’élèveront en juillet à 12 300 000 tonnes, et le soutien du marché reviendra à 3 MdF ; les excédents de beurre, qui étaient de 302 000 t en décembre dernier, seront de 340 000 t à la fin de l’année – ce qui coûtera 2 MdF pour le soutien du marché, auxquels s’ajouteront les dépenses entraînées par les excédents de poudre de lait. Selon certaines informations, l’Union soviétique pourrait acheter des quantités substantielles de beurre, en raison de l’insuffisance de sa production – environ 100 000 t. Mais, en lui-même, le problème de la distorsion production-consommation reste posé.
Les négociations avec la Grande-Bretagne
La voie est libre pour un éventuel élargissement de la Communauté. Le mot « éventuel » est capital, car l’élargissement implique que les pays candidats acceptent le Traité de Rome, les réalisations obtenues, dans leur réalité économique et dans leurs finalités politiques. Ceci a été rappelé lors de la Conférence de La Haye, puis par M. Maurice Schumann, et aucune atténuation de cet impératif n’est à envisager. La parole est donc aux candidats.
En publiant un Livre blanc sur le coût d’une adhésion à la Communauté européenne, le gouvernement britannique a placé le peuple britannique devant ses responsabilités. Pour l’heure, cette adhésion est devenue l’un des thèmes de la bataille électorale entre travaillistes (Labour) et conservateurs. Le coût, notamment en matière de prix, est âprement discuté, et c’est sans doute ce qui explique que l’orientation « européenne » du Livre blanc sur la Défense n’ait suscité aucune controverse – il est vrai qu’il confirmait, d’une part celui de l’année dernière, d’autre part les grandes orientations de la politique britannique de défense depuis le dégagement à l’Est de Suez.
Quoi qu’il en soit – et c’est aux Anglais à savoir s’ils veulent, ou non, accepter la Communauté telle qu’elle est et telle qu’elle doit évoluer – la négociation ne pourra s’engager qu’une fois l’accord du 7 février 1970 ratifié par les Parlements nationaux. « Une crise grave éclatera si les six pays du Marché commun ne ratifient pas d’ici à la fin de l’année l’accord sur le règlement financier agricole ». Ce propos, tenu par M. Maurice Schumann le 19 février 1970 devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, montre que le gouvernement français est bien décidé à ne pas transiger sur ce point. M. Schumann a même précisé que les négociations entre la Grande-Bretagne et le Marché commun ne pourraient entrer dans une phase active tant que l’accord de Bruxelles ne sera pas ratifié par les Parlements des « Six ». Le renforcement de la Communauté, préalable à son éventuel élargissement, ne doit pas rester lettre morte, ce qui exige sa ratification.
Qui conduira cette négociation au nom des « Six » – car il a été entendu que les « Six » seraient représentés par un seul négociateur ? Une prise de position intéressante à cet égard est celle de M. Paul-Henri Spaak, dont on ne peut suspecter les convictions européennes. Selon lui, il ne faut pas confier la direction de la négociation à la Commission : « Il faut respecter le traité, qui a instauré une procédure très claire. La commission est la gardienne des institutions et son rôle doit être de donner un avis lorsque les négociations seront terminées et qu’un projet d’accord lui sera soumis par les deux parties. Comment pourrait-elle, en effet, juger objectivement d’un travail dont elle aurait assuré la principale responsabilité ? »
Si, en dépit d’objections de cette nature, la représentation des « Six » était confiée à la Commission, donc, en fait à son président (qui représentait les « Six » lors du Kennedy Round), quel serait celui-ci ? En effet, la Commission des communautés va être modifiée. Lors de la fusion des « exécutifs » européens, le 1er juillet 1967, il avait été convenu que la Commission comprendrait, pendant trois ans, 14 membres, puis qu’à partir du 1er juillet 1970, ce nombre serait réduit à 9. Il faudrait l’unanimité des États-membres de la Communauté pour maintenir 14 membres. Mais il faut aussi décider si M. Jean Rey (Belgique), nommé pour deux ans en 1967, reconduit pour un an, reste président de la Commission ou si, en vertu du principe de la « rotation », il cède sa place à un représentant d’un autre pays. Si M. Rey quitte son poste, la présidence doit en principe revenir, selon un gentleman agreement, à une personnalité italienne, le premier président ayant été allemand (M. Walter Hallstein), le second « beneluxien » et le « tour » de la France venant après celui de l’Italie. On parle beaucoup de M. Colombo, beaucoup aussi de M. Colonna di Paliano (actuellement vice-président, chargé des questions de politique industrielle). Mais la crise politique italienne risque de compliquer le problème. La question de la présidence est, au demeurant, liée à celle du nombre des commissaires. Si l’Allemagne, la France, l’Italie sont favorables à la réduction de 14 à 9 membres, la Belgique se trouve, elle, devant un problème qui, malgré « l’accord communautaire intérieur » intervenu le 15 février, constitue une affaire d’État. Si la Belgique n’a plus qu’un représentant, au lieu de deux, il lui faudra choisir entre un flamand et un francophone, alors qu’actuellement, M. Rey (wallon) et M. Coppé (flamand) assurent « l’équilibre ». Ces questions institutionnelles que les « Six » doivent résoudre avant le 1er juillet 1970 vont faire l’objet de nombreuses discussions, et en toute hypothèse, la succession de M. Jean Rey s’annonce difficile.
Le « bilan » de la Commission européenne
C’est M. Rey qui a présenté le rapport général de la Commission sur l’activité des communautés européennes en 1969. Ce texte (de plus de 500 pages) recense d’abord les principales initiatives de la Commission : programme de coopération économique et monétaire (plan Barre) qui, pour l’essentiel, a été adopté par le Conseil ; projet de réorganisation du Fonds social européen ; programme de politique régionale ; propositions pour la PAC ; avis concernant l’élargissement de la Communauté. Parmi les résultats les plus significatifs obtenus au cours de l’année passée, la Commission met l’accent sur le renouvellement de la Convention de Yaoundé (1963, accord entre la CEE et les dix-huit États africains et malgache associés), et sur l’adoption, par le Conseil des règlements jetant les bases de la politique commerciale commune. Quelques mots méritent d’être cités.
– À propos de la Conférence de La Haye : « Au terme de plusieurs années d’hésitation et de désaccord, les décisions prises consacrent la volonté retrouvée et proclamée avec éclat de reprendre avec un nouvel élan la politique d’achèvement de la construction communautaire à l’intérieur et à l’extérieur de la Communauté actuelle ».
– À propos des désordres monétaires de l’été (dévaluation du franc) et de l’automne (réévaluation du mark) : « Ils ont mis en lumière l’absence de cohérence des politiques économiques des États-membres et la fragilité de l’infrastructure monétaire de la Communauté par rapport à l’ensemble des politiques communes en cours d’élaboration ».
– À propos des problèmes institutionnels : « Les institutions communautaires qui suffisaient à l’origine sont devenues trop faibles et trop limitées au moment où il s’agit d’achever la Communauté et de la gérer dans des domaines de plus en plus étendus ».
À cette occasion, M. Rey a affirmé que la Communauté européenne « doit affirmer de nouveau son devoir de rechercher avec l’Europe de l’Est, et en premier lieu avec l’URSS, l’organisation de rapports de coexistence et de coopération ». Cette « ouverture » devrait faire partie d’un réexamen de « l’ensemble des relations extérieures de la Communauté », l’amenant notamment à définir de nouveaux rapports avec l’Asie et l’Amérique latine, et à surmonter avec les États-Unis « trop de difficultés, trop d’oppositions d’intérêts qui se sont accumulées ». Par ailleurs, il a annoncé que la Commission allait proposer un mémorandum sur la politique industrielle.
C’est aussi à la Commission que revient le mérite de la conclusion positive des négociations avec l’Espagne et Israël en vue de la conclusion d’accords commerciaux préférentiels. Le Marché commun, qui depuis longtemps entretient des relations privilégiées avec la Grèce et la Turquie, qui, récemment, a signé des accords préférentiels avec le Maroc et la Tunisie, poursuit donc une politique d’ouverture méditerranéenne. Les « Six » n’ont d’ailleurs pas l’intention de s’arrêter en chemin, puisque des pourparlers sont en cours avec Malte, l’Algérie, la République arabe unie (RAU – NDLR : l’Égypte), le Liban et Chypre. Tout ceci est important, mais paraît disparate, les négociations avec les pays non-membres étant engagées et menées au gré des circonstances et des possibilités. Dans quelle mesure la Communauté pourrait-elle définir une politique d’intervention cohérente dans le bassin méditerranéen ?
L’Europe et la monnaie
Dans notre dernière chronique, nous faisions état de l’accord monétaire intervenu entre les « Six », sur la base du « plan Barre ». La base de la coopération s’est, depuis, étendue et renforcée, puisque l’on parle maintenant d’une « monnaie européenne », qui pourrait voir le jour en 1980. Les ministres des Finances des « Six » n’ont en effet pas laissé refroidir les idées émises lors de la conférence de La Haye sur la création d’une union économique et monétaire. Lors de leur réunion du 24 février 1970 à Paris, trois d’entre eux ont présenté des plans en bonne et due forme : MM. Schiller (Allemagne), Snoy et d’Oppuers (Belgique) et Werner (Luxembourg).
M. Schiller a eu au départ la vedette, parce qu’avant même son arrivée à Paris, il avait fait diffuser l’essentiel de son projet, qui apparut à la première lecture non seulement comme un plaidoyer pour l’union monétaire, mais comme un échafaudage savamment dressé pour parvenir jusqu’à ce qu’il appelle « les Champs-Élysées de l’Europe », c’est-à-dire la monnaie commune. Mais, en regardant de plus près son calendrier, les actions qui sont demandées aux États dans le sens de l’intégration économique, avant de passer à la phase monétaire, apparaissent tellement contraignantes qu’on peut s’interroger sur le réalisme du processus envisagé. M. Schiller propose que, sans attendre, les « Six » coordonnent leurs objectifs économiques à moyen terme. Puis il faudra traduire dans la pratique les objectifs communs, et, dans une troisième phase, réaliser l’union économique et monétaire. Cette troisième phase renforce des éléments de supranationalité. Il est notamment prévu qu’on en arrive peu à peu à une sorte de Federal Reserve System, que l’on réduise progressivement les marges entre le cours maximum et le cours minimum des monnaies avec l’idée de supprimer totalement ces marges. Durant cette période, les taux des changes ne pourraient être modifiés qu’avec l’assentiment général. Le mécanisme d’assistance à moyen terme serait transformé par la création d’un fonds de réserve pour la Communauté, auquel seraient transférées par étapes les réserves en devises. En dernier lieu, les compétences économiques et financières des États seraient transférées aux organes monétaires. La commission des gouverneurs des banques centrales deviendrait le conseil de la Banque centrale européenne (BCE), qui prendrait ses décisions à la majorité. Entre les États-membres, les parités des changes deviendraient absolument fixes. Pour couronner cette œuvre, serait introduite une unité monétaire européenne.
Du même coup, les propositions de M. Barre (car la Commission a aussi un plan) qui, dans un premier temps, paraissaient plutôt timides, prennent un relief nouveau. M. Barre pousse l’idée qu’un parallélisme doit être sauvegardé entre les initiatives collectives d’ordre économique et monétaire, les unes étayant les autres. Mais doit-on s’engager dans cette voie avant de savoir si la Communauté sera élargie ? En d’autres termes, faut-il travailler « à 6 », ou doit-on attendre le moment où il faudra travailler « à 7 » ou « à 10 » ? Par ailleurs, il est difficile d’imaginer un tel processus sans un accord sur les finalités politiques. Une « monnaie européenne » suppose un État européen, donc une organisation supranationale d’essence fédérale.
Actuellement, comme le disait M. Barre, « la monnaie européenne, c’est le dollar ». N’est-ce pas le moment d’essayer de sortir de cette situation ? Répondant à un journaliste au National Press Club, M. Georges Pompidou déclarait le 24 février 1970 : « La monnaie européenne deviendra-t-elle un point d’équilibre par rapport au dollar ? C’est possible, mais nous n’en sommes pas là ».
Pour l’heure, la Commission des communautés va faire la synthèse des diverses propositions. M. Barre a précisé les vues de la Commission en ce domaine. Au cours des huit prochaines années, la progression pourrait se faire parallèlement dans trois directions :
– Le renforcement de l’homogénéité du marché par la suppression des entraves subsistant dans les échanges intra-communautaires. Le programme de la Commission concerne en particulier l’harmonisation fiscale et la constitution progressive d’un marché financier communautaire.
– La coordination des politiques économiques et monétaires. La Commission porte une attention particulière à la réduction des marges de fluctuation des taux de change entre les monnaies des États-membres. L’objectif serait de parvenir à des taux de change fixes vers 1978.
– La création progressive de mécanismes d’intervention communautaire destinés à se substituer aux instruments d’intervention nationaux. Il s’agirait de faire en sorte que les principales décisions en matière économique soient, chaque année, davantage prises de manière cohérente, c’est-à-dire en tenant compte des besoins et des possibilités de l’ensemble de la Communauté. En matière monétaire, cette volonté de concertation systématique pourrait se traduire par la création d’un conseil des gouverneurs des banques centrales, qui serait habilité à prendre des décisions qui, aujourd’hui, sont de la compétence nationale.
Mais il faut être réaliste, et distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. Il est possible de doter l’Europe d’une unité de compte, à l’usage des États, de créer un Fonds commun par des prélèvements sur les encaisses des Banques centrales, de renforcer la solidarité des monnaies, etc. Mais, avant longtemps, il ne sera pas possible d’avoir une monnaie unique de paiement, parce que celle-ci suppose l’uniformisation, sinon la fusion, des politiques du budget, du crédit, des plans, des taux de croissance, des prix, des salaires, des revendications syndicales, etc., et l’on en est très loin. Il y aura encore bien du chemin à faire avant d’arriver à ce que les mêmes billets de banque circulent entre tous les pays liés par le Traité de Rome. Mais si, lors de la première génération, la PAC fut le ciment de l’Europe des Six (et c’est pourquoi la France s’y est autant attachée) et conduisit à dépasser les motivations nationales, c’est la monnaie qui, pour la deuxième génération, paraît devoir être le ferment communautaire. ♦
(1) Cette expression « députés européens » est équivoque. En effet, le « Parlement européen » n’est pas élu. Ses membres sont désignés par les Parlements nationaux, en fonction de l’importance numérique des différents groupes politiques.