Outre-mer - L'instauration d'un régime autoritaire au Lesotho provoque des inquiétudes spécialement en Afrique australe et en Grande-Bretagne - Proclamation de la République en Rhodésie
L’instauration d’un régime autoritaire au Lesotho provoque des inquiétudes spécialement en Afrique australe et en Grande-Bretagne
Les élections législatives qui se sont déroulées le 27 janvier dernier au Lesotho et les événements qui ont suivi ont à nouveau appelé l’attention sur ce petit pays qui vit à l’ombre de l’Afrique du Sud et où la scène politique est dominée, depuis l’indépendance, par le conflit qui oppose le Roi à son Premier ministre.
Devenue indépendante le 4 octobre 1966 sous le nom de Lesotho, l’ancienne colonie britannique du Bassoutoland est en effet depuis cette date une monarchie constitutionnelle enclavée dans le territoire sud-africain. Le peuplement est relativement homogène : un million d’habitants bantous d’origine, 2 000 Européens, un millier d’Asiatiques ou de métis vivent sur un territoire de quelque 30 000 km2, l’un des plus montagneux d’Afrique. Hormis quelques gisements de diamants, l’économie est pauvre. Elle repose essentiellement sur l’élevage et les cultures alimentaires et plus de 200 000 habitants en sont réduits à louer leurs services à l’étranger en République sud-africaine, dans les mines notamment, afin d’assurer la subsistance de leurs familles. Constamment déficitaire, le budget est resté jusqu’ici équilibré grâce aux subventions de la Grande-Bretagne. Les missions chrétiennes jouent un rôle important particulièrement dans le domaine de l’enseignement. L’Église réformée a été reconnue Église officielle en 1964 ; le collège de Rema, fondé en 1945 par des prêtres catholiques français, est devenu Université d’État. Une forte proportion de la population serait alphabétisée et l’intelligentsia qui se développe s’intéresse fort à la politique, d’autant plus que les militants pouvaient jusqu’ici agir sans trop de contraintes, et qu’un embryon de parti communiste était même toléré.
Ce jeune État correspond en réalité à une entité nationale qui date en fait du siècle dernier. Elle s’affirma notamment lorsque le chef Mosheh, ancêtre de l’actuel souverain, résista aux raids de ses voisins Zoulou puis à ceux des commandos Boers, avant de se placer en 1868 sous la protection des Anglais. Ce n’est qu’en 1884, quatorze ans après la mort de Mosheh que le pays devint colonie britannique.
Évoluant vers l’autonomie, il fut doté en 1964, à la suite d’une laborieuse conférence constitutionnelle tenue à Londres, d’une Constitution instituant un régime parlementaire bicaméral qui comprenait une Assemblée législative de 60 membres, élue au suffrage universel, et un Sénat de 22 chefs de tribus et 11 personnalités désignées par le « chef suprême » qui devait lors de l’indépendance devenir le Roi Moshoeshe II. Le pouvoir exécutif quant à lui était assumé par un Premier ministre, tandis que le représentant de la Grande-Bretagne conservait jusqu’à l’indépendance des « compétences réservées » en matière de politique étrangère, de défense, de sécurité intérieure, de finances et de contrôle de l’administration.
Ce système portait en lui les germes du conflit qui devait aussitôt opposer le Roi, devenu Chef d’État et désireux de jouer un rôle politique réel en conservant en particulier les « compétences réservées », et le futur Premier ministre, M. Leabwa Jonathan, chef du Lesotho National Party, parti politique considéré comme modéré, partisan d’une politique pro-sud-africaine, vainqueur aux élections de 1965 du Lesotho Congress Party, parti nationaliste dynamique, progressiste et panafricaniste, et du Maremathou Freedom Party, parti conservateur d’audience plus restreinte et appuyé par le Souverain. Cette lutte pour le pouvoir masquait en réalité de nombreux problèmes. C’était en fait, derrière le conflit des personnes, à la fois un problème de prestige et d’autorité pour le jeune roi qui se résignait mal à son rôle de figurant, et un problème de conception de l’avenir du pays, le libéralisme affiché par le souverain répondant à la prudence et au réalisme du Premier ministre.
Le conflit, depuis 1966, devait connaître de multiples péripéties. Il en est résulté des affrontements parfois violents : semi-détention du Roi et de ses conseillers, arrestations de certains leaders politiques et en définitive mise en tutelle en quelque sorte du souverain confiné dans son rôle insignifiant de monarque constitutionnel.
Cependant les partis d’opposition ne désarmèrent pas pour autant et l’évolution politique fut telle qu’aux dernières élections le Roi, assez paradoxalement d’ailleurs, apparaissait comme le leader d’une coalition à majorité progressiste, lancée dans la conquête du pouvoir que personnifiait de plus en plus M. Jonathan, Premier ministre. C’est dans cette ambiance que se sont déroulées les élections du 27 janvier 1970. La compétition, pour l’essentiel, fut circonscrite entre le National Party, le vainqueur de 1965, et le Congress Party. Il est bien difficile de dire si le Congress Party, soutenu par certains pays socialistes, URSS ou autres, fut sur le point de remporter la victoire. Mais l’annonce imprudente et en tout cas prématurée d’un succès que contredisaient les informations officielles du moment, échauffait à un point tel les esprits que le Premier ministre, fort de l’appui de la Police à encadrement britannique, en profita, sous un prétexte de maintien de l’ordre public, pour prendre le pouvoir.
On en connaît la suite : annulation des élections, incarcération des opposants, saisie des journaux, proclamation du couvre-feu, suspension de la Constitution et finalement déchéance du Roi. Soulignant les irrégularités et les violences qui, selon lui, avaient faussé les élections, le chef Jonathan a justifié son coup d’État par la crainte de voir son pays submergé par le communisme, ce qui évidemment n’est pas de nature à déplaire à ses puissants voisins sud-africains.
Cette situation n’a pas manqué de créer quelque embarras ou quelque inquiétude à l’étranger. L’Afrique du Sud est en effet embarrassée : elle ne peut que souhaiter le maintien au pouvoir d’un parti dont elle connaît le désir de collaboration, de préférence à l’autre dont le programme est basé sur plus d’indépendance à son égard. Elle ne peut qu’espérer, sous peine de discréditer le chef Jonathan aux yeux des Africains, qu’aucune aide ne lui sera nécessaire. Mais, en République sud-africaine, l’opposition profite de cette situation nouvelle pour critiquer et remettre en question la politique gouvernementale des Bantoustans, car d’après elle, le Lesotho n’est en définitive qu’une forme particulière de Bantoustan souverain.
La Grande-Bretagne est tout aussi embarrassée : c’est elle qui a mis en place ces institutions démocratiques qui se révèlent aujourd’hui inadaptées, et comme elle ne veut pas courir le risque de se voir accusée de soutenir un gouvernement qui n’aurait pas l’appui de la majorité, elle a menacé de suspendre son aide économique en attendant que la crise soit résolue.
D’autres États en Afrique australe sont également inquiets, craignant avec des troubles au Lesotho, l’exemple et la contagion de menées subversives. Certains pensent faire appel à l’arbitrage du Commonwealth, d’autres songeraient déjà à recourir à l’OUA.
Quoi qu’il en soit, le Lesotho, moins de quatre ans après l’indépendance, se prépare une nouvelle Constitution qui doit donner naissance à un nouveau régime autoritaire.
Proclamation de la République en Rhodésie
Ancienne colonie de la Couronne britannique, la Rhodésie s’est transformée très discrètement le 2 mars 1970 en une nouvelle République. L’événement, sur place, a fait bien peu de bruit : pas de cérémonie officielle, pas de réjouissances publiques. Car en réalité le changement de structure n’était, aux dires du chef du gouvernement rhodésien, qu’une simple formalité, consacrée par la seule publication d’une décision gouvernementale annonçant, dans le cadre de la nouvelle Constitution, la dissolution du Parlement et la convocation pour le 10 avril 1970 du corps électoral, appelé à élire la première Assemblée de la nouvelle Rhodésie.
Cette décision n’a donc pas surpris : elle s’inscrit dans la suite logique des dispositions institutionnelles qui visent à mettre en application la Constitution républicaine, telle qu’elle a été approuvée par l’électorat blanc, lors du référendum du 20 juin 1969. Nous avions déjà eu l’occasion d’en parler (cf. chronique d’outre-mer, AS 1969).
On peut noter incidemment qu’elle intervient quelques jours après que la Rhodésie se soit dotée d’un système monétaire à base décimale qui a pour effet de donner au dollar rhodésien (1 dollar rhodésien : 7,80 francs français) la même parité que le Rand sud-africain.
Si l’événement n’a entraîné aucun trouble en Rhodésie même, il n’en a pas moins soulevé aussitôt à l’étranger de nombreux commentaires et souvent des critiques acerbes ou des condamnations sévères. À Londres, la décision a été qualifiée d’illégale, au même titre que le fut en son temps la déclaration unilatérale d’indépendance du régime rhodésien. La proclamation, devait-on préciser, ne modifiait d’ailleurs en rien les principes définis par la politique britannique, tant en ce qui concerne les modalités d’accès à l’indépendance de l’ancien territoire, que la politique des sanctions économiques à laquelle le gouvernement de M. Wilson entend rester fidèle. La décision de Salisbury, ajoutait-on, n’était qu’un épisode, alors que l’angoissant problème des rapports des Blancs et des Noirs restait toujours en suspens. Les États-Unis, qui venaient pourtant de condamner une fois de plus les théories de l’apartheid, mais dont les intérêts en Rhodésie sont loin d’être négligeables, donnaient quant à eux l’impression d’hésiter, ne sachant s’ils devaient, comme le leur demandaient les Anglais, fermer ou non leur Consulat rhodésien. Les Africains pour leur part, ont réagi très rapidement par la voix notamment de leurs ministres des Affaires étrangères justement réunis à Addis-Abeba. Certains n’ont pas hésité à condamner les Occidentaux, et particulièrement la Grande-Bretagne, pour leur passivité dans cette affaire. D’autres ont constaté l’échec de toute tentative de dialogue, et à la satisfaction des Comités de libération, se sont prononcés pour l’intensification de la lutte armée. D’autres enfin, plus modérés, se sont contentés de suggérer d’inviter toutes les Nations du monde à ne pas reconnaître la nouvelle République. Le Conseil de sécurité de l’ONU en a été saisi. Mais ces menaces n’ont troublé en rien le nouvel État qui vit d’ailleurs de plus en plus dans l’orbite sud-africaine.
On peut se demander pourquoi les sanctions économiques et financières votées par l’ONU au lendemain de la sécession rhodésienne sont restées pratiquement sans effet. Certes la Rhodésie a dû se rationner, notamment en essence et ses plantations de tabac connaissent toujours des moments difficiles. Mais des circuits nouveaux se sont créés ou renforcés à partir de l’Afrique du Sud et du Mozambique dont la « neutralité bienveillante » a permis d’éviter l’étouffement. Aujourd’hui, face à l’Afrique du Sud qui s’industrialise, le pays est resté agricole et bien que l’industrie minière rhodésienne connaisse une réelle expansion, l’avenir n’est pas aussi serein que les dirigeants de Salisbury l’affirment. L’insuffisance des apports financiers de l’extérieur freine le développement. La politique d’apartheid ne résout pas les problèmes d’emploi qui se posent à une jeunesse autochtone de plus en plus nombreuse ce qui ne doit pas manquer, avec le temps, d’engendrer bien des mécontentements. Mais actuellement les masses autochtones sont encore toutes amorphes, l’opposition politique est pratiquement insignifiante, les mouvements de libération sont déchirés par des luttes intestines, l’Armée et la Police, qu’appuieraient éventuellement de nombreux réservistes, sont bien organisées. « Nous sommes convaincus, déclare M. Smith, que les Blancs et les Noirs veulent vivre dans leurs communautés respectives, conformément à leurs différents modes de vie. » La nouvelle République, qui risque de devenir un jour une sorte de satellite de son puissant voisin sud-africain, ne peut être vraiment menacée que par une intervention de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ce qui est présentement hors de question, ou par un soulèvement populaire africain notamment dans les villes, ce qui est tout autant exclu à l’heure actuelle. Il est bien probable que le 10 avril 1970 le corps électoral confirmera au pouvoir le gouvernement de Mr Smith. Ainsi la nouvelle République a-t-elle des chances de durer. Mais en réalité elle n’est qu’un pion dans l’immense échiquier que constitue l’Afrique australe à laquelle s’intéressent évidemment les Russes et les Chinois et qui pourrait bien, dans les dix ou vingt années qui viennent, poser à l’Occident, du fait de l’apartheid, de très embarrassants et très sérieux problèmes. ♦