L’URSS devant la nouvelle puissance japonaise
La rapidité et l’ampleur du redressement économique du Japon suscitent à Moscou des sentiments mêlés qui s’expliquent par le caractère assez paradoxal des rapports établis entre les deux pays. N’ayant toujours pas conclu de traité de paix, séparés par des différends idéologiques, politiques et territoriaux alimentant de fréquentes controverses et notes diplomatiques, le Japon et l’U.R.S.S. entretiennent néanmoins, dans une alternance de confiance et de suspicion, des rapports économiques croissants allant jusqu’à la contribution directe de l’une de ces puissances, le Japon, à la mise en valeur des ressources de l’autre. Le lent processus de leur rapprochement avait d’ailleurs été d’une tout autre nature que le prompt établissement après-guerre de liens spéciaux entre le Japon et les États-Unis, soucieux de ne pas perdre toute l’Asie orientale en ajoutant à une Chine devenue ennemie un Japon qui serait demeuré résolument hostile.
L’U.R.S.S. n’avait pas reconnu le traité de San Francisco de 1951, rétablissant la paix entre le Japon et ses anciens adversaires occidentaux, bien que ce traité entérinât en fait les décisions prises à Yalta et Potsdam par les trois Grands, en raison notamment de la convention nippo-américaine signée le même jour qui mettait fin au statut d’occupation et associait militairement les États-Unis et le Japon, introduisant de ce fait celui-ci dans le vaste champ des antagonismes soviéto-américains. Les Japonais eux-mêmes ressentaient toujours l’amertume de l’attaque de dernière heure, qualifiée par eux de félonie, perpétrée sans risque, après la bombe d’Hiroshima, par les Russes contre leur pays, en dépit du pacte de neutralité d’août 1941 qui avait été respecté tout au long du conflit avec Hitler. Ayant chassé les Japonais de Mandchourie, de Corée, de Port-Arthur, de Sakhaline et des Kouriles, considéré comme butin de guerre le matériel et les stocks qui s’y trouvaient, capturé les garnisons, ayant envisagé même une occupation de territoires japonais que seule la puissance américaine avait alors permis d’empêcher, les Russes s’étaient obstinés à vouloir isoler le Japon, et à mettre leur veto à son entrée aux Nations-Unies. La guerre de Corée allait encore accentuer les antagonismes entre les deux pays.
Cependant, de part et d’autre, le désir d’un apaisement se manifestait. Au début de 1952, à la demande du chef du parti socialiste nippon, Staline adressa au peuple japonais un message de vœux pour le succès de ses efforts en vue de maintenir l’indépendance du pays et pour la victoire des forces démocratiques. Des contacts discrets allaient permettre d’envisager la reprise des exportations de charbon de Sakhaline vers le Japon, de constructions de bateaux japonais pour l’U.R.S.S., et de conclure des accords sur les pêcheries. Mais les Russes avaient saisi plus de cinquante bateaux de pêche japonais et retenu une centaine de pêcheurs, et les relations de voisinage restaient tendues. Il faudra attendre l’armistice de Pan Mun Jom, en 1954, l’introduction de la détente dans la politique extérieure soviétique après la mort de Staline, la pression des intérêts économiques et commerciaux, la recherche d’un contre-poids psychologique et politique à la pesanteur du contrôle américain, pour favoriser de part et d’autre de nouvelles ouvertures. À la fin de 1954, le nouveau président du Conseil japonais, le démocrate Hatoyama, exprima le vœu que prît fin une « situation hautement anormale et absurde ». Après des contacts officieux avec un délégué commercial soviétique, les ambassadeurs à Londres, MM. Malik et Matsumoto, eurent des entretiens en vue de la conclusion d’un traité de paix. Mais les positions respectives demeuraient trop distantes. La presse soviétique insistait sur les dommages que la « tutelle » américaine imposait aux relations nippo-soviétiques et invitait le Japon à la rejeter. Interrompus en mai 1956, repris en juillet, les pourparlers aboutirent à la double constatation de l’impossibilité de rapprocher les positions sur les points fondamentaux, comme la question des Kouriles, le statut des pêcheries et le traité nippo-américain, et sur l’utilité de retrouver pourtant une forme de coexistence pratique. Le 19 août 1956, MM. Khrouchtchev et Hatoyama acceptèrent un compromis et signèrent une déclaration qui stipulait la cessation de l’état de guerre, la reprise des relations diplomatiques, l’admission du Japon aux Nations Unies, la ratification des projets d’accord relatifs aux pêcheries, le développement des rapports culturels et commerciaux. Moscou promettait le retour au Japon des îles Habomai et Shikoku (immédiatement au nord d’Hokkaido), sitôt après la conclusion du traité de paix, les négociations en vue de celui-ci demeurant ouvertes. Les autres questions restaient en suspens.
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