Outre-mer - La visite spectaculaire au Malawi du Premier ministre d'Afrique du Sud souligne le réalisme de la politique du président Banda et la volonté d'ouverture des Sud-africains vers les États noirs modérés - En Haute-Volta, adoption d'une nouvelle constitution qui maintient pour 4 ans l'influence de l'Armée dans les affaires du pays
La visite spectaculaire au Malawi du Premier ministre d’Afrique du Sud souligne le réalisme de la politique du président Banda et la volonté d’ouverture des Sud-Africains vers les États noirs modérés
La visite spectaculaire qu’a effectuée en juin 1970 au Malawi, M. Vorster, Premier ministre d’Afrique du Sud quelques semaines à peine après son récent succès électoral, a appelé l’attention sur ce petit pays qui, sous l’impulsion énergique de son Président, le Docteur Banda, n’a pas craint d’adopter une politique originale dans ses rapports avec l’Afrique du Sud et le Mozambique. Cette prise de position réaliste lui a déjà valu de nombreuses critiques en Afrique Noire et même certaines difficultés diplomatiques.
Gardant le souvenir de Livingstone, l’ancien protectorat britannique du Nyassaland a repris en 1964 au moment de son indépendance, le nom de Malawi, royaume africain du XVe siècle qui s’étendait alors tout autour du lac Nyassa. Aujourd’hui dépourvu de façade maritime, le Malawi, bordé au Nord par la Tanzanie, à l’Ouest par la Zambie, à l’Est et au Sud par le Mozambique, s’étale du Nord au Sud sur plus de 800 km en une série de hauts plateaux qui dépassent parfois 2 000 m. Ceux-ci enserrent le lac à l’ouest sur une profondeur variant de 80 à 160 km. Le Malawi est peuplé par environ quatre millions d’habitants, bantous d’origine, auprès desquels on compte un peu plus de 8 000 Européens et quelque 16 000 Asiatiques ou Métis. Ces populations sont pour moitié chrétiennes mais l’Islam reste vivace chez les tribus Yaos où l’on compte encore près de 400 000 adeptes. D’une manière générale, ce pays offre un exemple d’harmonie raciale dont ses voisins pourraient bien s’inspirer. Il doit son succès à son Président qui l’émancipa de la tutelle des Blancs de Rhodésie au moment de l’effondrement de la Fédération d’Afrique centrale et qui le conduisit ensuite à l’indépendance en le dotant d’institutions qui se révélèrent stables, et d’un plan de développement très réaliste.
Le système parlementaire de style britannique légué lors de l’indépendance fut remplacé dès 1966 par une Constitution de type présidentiel, garantissant sans doute les libertés fondamentales, l’égalité raciale, l’unité africaine, mais instituant un parti unique et concentrant tous les pouvoirs entre les mains du chef d’État. Celui-ci, dans ce cadre, est élu par un collège électoral fortement politisé comprenant les cadres nationaux et régionaux du Parti unique, le Malawi Congress Party, la Ligue des femmes malawites, l’Organisation des jeunesses malawites et les parlementaires (tous membres obligatoires du Parti). Aux termes de cette Constitution les 50 députés élus et les 4 ou 5 membres européens nommés par le Président qui constituent l’Assemblée nationale, n’ont pas l’initiative des dépenses budgétaires. Ils sont soumis à diverses dispositions qui ont pour effet de limiter les risques d’opposition individuelle. De sorte que le pays n’a pu s’affaiblir par des luttes intestines et que le Président, en s’appuyant sur le Comité central du Parti, sur les Chefferies rénovées ou sur les masses populaires a su fort habilement, en 1964-1965, dominer la rébellion de quelques-uns de ses ministres, de tendance progressiste, dont les appétits personnels étaient grands. Ceux-ci se sont d’ailleurs exclus eux-mêmes de la vie politique en démissionnant ou en se réfugiant à l’étranger, en Zambie ou en Tanzanie où ils ne constituent plus une menace très sérieuse. Cependant il n’empêche que, comme dans bien d’autres pays d’ailleurs, des malaises sont perceptibles chez certains fonctionnaires mal payés, chez les étudiants plus ou moins politisés, chez certaines tribus du Nord quelquefois réticentes à l’égard de celles du Sud. L’affaire des meurtres rituels de Blantyre inquiète aussi périodiquement l’opinion. Mais d’une manière générale le régime apparaît comme stable et fort et le Président est craint et aimé tout autant.
Pays essentiellement agricole, le Malawi est dans l’ensemble habitué à vivre en économie de subsistance, et hormis quelques cultures ou produits vivriers, il exporte surtout thé, tabac, coton ou arachide, alors que son sous-sol à peine exploré n’offre généralement pas des conditions d’exploitation faciles en raison notamment des difficultés de transport. La main-d’œuvre malawite est toutefois appréciée. L’émigration est une nécessité presque vitale : près de 60 % des travailleurs salariés trouvent leurs emplois dans les pays industrialisés voisins, Rhodésie, Zambie ou Afrique du Sud. C’est dire les liens de sujétion qui peuvent en résulter. Quoi qu’il en soit, soucieux de développer son pays, le Docteur Banda a mis au point divers projets qui portent sur la transformation de l’agriculture, l’éducation des masses, le développement des voies de communication. L’aide étrangère est aussi une nécessité, qu’elle provienne de Grande-Bretagne, des États-Unis, d’Allemagne fédérale, de Formose ou bien d’Israël. La France y participe modestement pour sa part dans le domaine culturel notamment. Mais si l’aide britannique demeure prépondérante – le budget restant subventionné – les voisins immédiats, Afrique du Sud et Portugal, voient leur influence se développer au travers d’une politique de bon voisinage qu’expliquent des relations commerciales et économiques très étroites. Le Mozambique contrôle, de par sa position l’accès du Malawi à la mer et la puissance de l’économie sud-africaine se fait sentir à Blantyre qui n’a pas craint d’accepter l’aide sud-africaine pour la construction d’une seconde voie ferrée reliant la capitale à Boira. En 1969 le Malawi a même reçu la première visite que des parlementaires sud-africains rendaient à un État noir indépendant.
Ce rapprochement avec Pretoria et Lisbonne a assombri les rapports avec la Zambie et la Tanzanie et entraîné l’hostilité des nationalistes noirs d’Afrique Orientale et Centrale, occasionnant ainsi des difficultés au sein de certaines organisations internationales africaines. Le Président s’est expliqué au cours de diverses conférences de presse : nationaliste ardent, il a milité autrefois aux côtés de N’Krumah et de Jomo Kenyatta ; il fut longtemps pour les colons de Rhodésie, au moment notamment de l’écroulement de la Fédération, un agitateur dangereux qui obtint d’ailleurs l’indépendance de son pays sans l’aide de l’étranger. Aujourd’hui, méfiant à l’égard des approches de Pékin ou de Moscou, il considère, sans rien perdre sans doute de ses convictions antérieures, que l’apartheid est condamnable tant en Afrique du Sud qu’en Rhodésie. Mais il faut selon lui demeurer réaliste. Il faut, comme il le répète volontiers aux Noirs de Rhodésie, savoir négocier tout en restant unis pour « démanteler pierre par pierre les murailles de Jéricho du colonialisme et de la discrimination raciale ». Ainsi la raison et les impératifs du développement commandent sa politique étrangère. Aussi reste-il fidèle au Commonwealth, admet-il comme utile la présence des Blancs, des Indiens, des Pakistanais, rejette-il comme illusoire l’emploi de la force pour résoudre les problèmes de libération d’Afrique Australe. Aussi estime-t-il qu’en définitive le temps travaille pour les Noirs et croit-il à l’efficacité d’une politique ouverte de contacts humains, de relations commerciales, de persuasion et d’exemple.
C’est dans cet esprit qu’il a reçu tout dernièrement le Premier ministre d’Afrique du Sud qu’il a remercié pour son aide financière et technique, soulignant qu’il s’efforçait de maintenir des relations amicales avec tous les peuples, Afrique du Sud comprise. M. Vorster de son côté, avant de se rendre en Rhodésie, a réaffirmé son désir d’établir de bonnes relations avec d’autres pays sans interférence dans les affaires intérieures des uns et des autres. II a profité de l’occasion offerte lors d’une conférence de presse pour démentir vigoureusement les rumeurs récentes qui faisaient état d’installation à Lilongwe, future capitale du pays, d’une base militaire sud-africaine, au sein de l’aérodrome actuellement en voie de modernisation grâce à l’aide et aux crédits sud-africains.
Quoi qu’il en soit, au moment où le Président Banda voyage en Europe, le renforcement des relations du Malawi avec l’Afrique du Sud, qualifié par certains « d’événement historique » entraîne une méfiance grandissante de la Zambie et de la Tanzanie, et il n’est peut-être pas impossible que cette hostilité trouve des échos dans d’autres pays et même à l’Organisation de l’union africaine (OUA). Il n’empêche que la cordialité qui a entouré la visite de M. Vorster à Blantyre témoigne naturellement de la confiance que la population malawite porte toujours à son Président.
En Haute-Volta, adoption d’une nouvelle constitution qui maintient pour quatre ans l’influence de l’Armée dans les affaires du pays
Le 15 novembre 1969, le général Lamizana, président de la République de Haute-Volta [Ndlr 2020 : Burkina Faso] depuis le coup d’État militaire du 5 janvier 1966, annonçait sa décision d’autoriser sans délai la reprise des activités politiques en vue de permettre fin 1970 le déroulement d’élections ouvrant ainsi progressivement la voie au retour à un régime civil. Il annonçait en même temps qu’une nouvelle Constitution serait proposée à l’approbation populaire lors d’un référendum à organiser dans le courant du deuxième trimestre 1970. C’est dans ce cadre que les électeurs voltaïques viennent de se prononcer, en adoptant à une confortable majorité le projet de Constitution qui leur a été soumis le 14 juin 1970.
L’élaboration du texte de cette constitution ne s’est cependant pas faite sans difficultés. Le 19 février 1970 en effet, le Conseil supérieur des Forces armées avait mis sur pied un projet qui prévoyait la mise en place d’un système présidentiel tempéré d’un certain parlementarisme mais associant également de façon très étroite l’Armée à l’exercice du pouvoir. L’entrée d’officiers dans tous les rouages de l’État avait été prévue pour cinq ans tandis que la présidence de la République devait être assurée dans le même temps par un officier choisi par l’Assemblée nationale entre deux candidats présentés par l’Armée.
Soumis à l’examen d’un Comité constitutionnel de 50 membres représentant les différentes catégories sociales du pays, le projet initial fut vivement critiqué et finalement rejeté au début d’avril, par 38 voix sur 50, groupant les représentants du monde rural, des syndicats et des partis. Un nouveau projet élaboré depuis a repris, pour l’essentiel et sous une forme un peu différente, les dispositions du projet initial, prévoyant notamment que durant une période de quatre ans, c’est-à-dire jusqu’au 1er janvier 1975 « les charges et prérogatives du Président de la République seront assurées par la personnalité militaire la plus ancienne dans le grade le plus élevé », alors que le gouvernement comprendra « des personnalités militaires dans la proportion d’un tiers de ses membres ».
Ainsi la désignation du chef de l’État, qui devient en fait durant la période transitoire une simple formalité, n’est plus laissée à la discrétion du Conseil supérieur des Forces armées et il n’est plus question d’imposer des militaires au sein des autres grands rouages de l’État. Sans doute le général Lamizana, dont la pondération et le libéralisme sont unanimement reconnus sera-t-il ainsi élu mais il sera atteint par la limite d’âge de son grade en 1973, et la question de son remplacement éventuel à cette date n’est pas clairement tranchée. Quoi qu’il en soit une Assemblée nationale doit être élue d’ici la fin de l’année 1970 et un nouveau régime de type parlementaire sera mis en place tout au début de l’an prochain. Ainsi les militaires conservent-ils encore pour quatre ans un droit de regard dans les affaires du pays. ♦