Annuaire de l’URSS : 1969
On ne saurait trop louer ce remarquable travail dû à l’équipe et aux correspondants du « Centre de recherches sur l’URSS et les pays de l’Est » qui est rattaché à la Faculté de droit des Sciences politiques et économiques de Strasbourg et associé au CNRS. Le directeur en est le Professeur Pierre Lavigne et la secrétaire générale Mme Marie Lavigne, sa femme. Les études qui composent cet important volume émanent des meilleurs soviétologues ; elles se répartissent en quatre groupes couvrant respectivement la société, le droit et l’économie soviétiques ainsi que les relations internationales de l’URSS. Les auteurs s’attachent à la compréhension profonde des phénomènes qu’ils étudient et au sens de leur évolution au cours de l’année 1968. Dans l’impossibilité d’énumérer les titres de tous les chapitres, bornons-nous à signaler ici les plus évocateurs.
Sous le titre « Révolution culturelle ou révolution technologique et scientifique ? » A. Bourmeyster analyse à travers les études des revues soviétiques (Voprosy Filosofii notamment) les oppositions du maoïsme, du gauchisme et du marxisme face à l’élaboration d’une nouvelle société dans le cadre de la « révolution technologique et scientifique » et il se demande si on n’est pas en train d’assister à l’apparition en URSS d’un nouveau profil d’homme animé de besoins intellectuels de création, d’initiative et d’épanouissement de ses propres potentialités. Le même auteur décrit dans une autre étude, nourrie de faits et statistiques, « Le rôle de l’intelligentsia et l’avertir de la jeunesse » dans une « société soviétique en mutation ».
Le lecteur ne regrettera sûrement pas la lecture des « Itinéraires caucasiens » du Professeur Robert Triomphe, notes pittoresques de voyage et tout à la fois analyse pertinente et passionnante du génie du peuple géorgien, de son histoire, de son folklore et de sa langue.
Notons également dans cette section l’étude de Dominique Lapparent sur « La semaine de cinq jours » ses effets sur la vie quotidienne et culturelle des Soviétiques. On y relèvera bien des similitudes avec les problèmes que posent le même phénomène aux sociétés démocratiques occidentales mais aussi les nombreuses contradictions de la société soviétique.
Ce sont également les contradictions et les ambiguïtés du système juridique soviétique que révèle l’étude de Pierre Lavigne sur « La spécificité organique et fonctionnelle de l’arbitrage d’État », ambiguïtés difficilement compréhensibles pour un juriste formé dans un système autre que le système socialiste.
Chantai Kourilsky consacre un article à « la loi de 1968 et l’évolution du Droit soviétique de la famille » d’où il ressort qu’après les excès du libéralisme des années 1930 et le brusque coup d’arrêt donné à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le législateur de 1968 semble avoir trouvé les conditions nécessaires pour favoriser à la fois « la formation du sens des responsabilités envers la famille » et « la protection des intérêts de la mère et de l’enfant ».
Il ne faut pas manquer la lecture de l’étude de Tikhodoumoff sur « la réforme du service militaire ». Là encore on constatera que les problèmes du service militaire et de l’appel du contingent présentent des aspects semblables pour les puissances nucléaires quelles que soient leurs tailles, mais que l’égalité des sujets devant la loi est loin d’être réalisée en URSS : les jeunes gens provenant des établissements de l’enseignement supérieur font un an de service ou bien, après avoir suivi avec succès les cours militaires spéciaux organisés dans les universités, ils sont nommés directement sous-lieutenants, exemptés du service militaire actif et versés dans la réserve.
Il faudrait pouvoir citer tous les titres de la très importante partie consacrée à la vie économique, car ils sont de grande valeur. Retenons les plus significatifs à défaut de pouvoir les mentionner tous. Il s’agit d’abord de l’article de Monique Meyer sur « La réforme économique et l’entreprise industrielle ». L’auteur constate les progrès de la croissance dus à cette réforme, mais les obstacles auxquels elle se heurte appellent une prise de position sur le rôle et le domaine impartis aux liaisons marchandes en économie socialiste. Signalons ensuite d’une part l’étude de Marie Lavigne sur « Les aspects de l’impôt sur le capital en URSS » et les résumés d’autre part, qu’elle présente de trois articles d’auteurs soviétiques sur « La formation des cadres supérieurs de l’économie ». Hélène Mescheriakoff présente une analyse très documentée des « Problèmes de l’emploi en URSS » tandis que, dans un article sur « Le système et les problèmes de la distribution des produits intermédiaires en URSS », Zénaïde Frank-Ossipov, après un rappel historique montrant l’assouplissement progressif des formes de distribution, met en évidence les problèmes et les tendances qui se dessinent.
La partie relative aux « Relations internationales de l’URSS » est l’œuvre collective des chercheurs du Centre. S’agissant de l’année 1968 on se doute que l’essentiel en est constitué par l’étude du drame tchécoslovaque mais le conflit sino-soviétique est aussi largement traité ainsi que les relations avec l’Asie du Sud et du Sud-Est et les implications de plus en plus fortes de l’URSS au Moyen-Orient ; de même un développement important est consacré aux relations avec la France. Cette partie se termine sur une étude remarquable de Zygmunt Jedryka sur « Les relations soviéto-japonaises depuis la deuxième guerre mondiale » : l’auteur ne cache pas ses craintes à l’égard d’un Japon appelé à être, du fait de sa position stratégique et économique, le fournisseur d’une Chine dont les intentions à l’égard de l’URSS sont loin d’être pacifiques.
Les deux cents dernières pages de l’ouvrage rassemblent des documents, une chronologie, des statistiques, des textes constitutionnels, législatifs et réglementaires ainsi qu’une abondante documentation sur la recherche et les sciences humaines en URSS.
On ne saurait trop souligner que cet Annuaire de l’URSS, dont c’est le cinquième volume, constitue avec ses aînés l’ouvrage de base pour tous ceux qui à un titre quelconque s’intéressent à l’un ou à l’autre des aspects de la « patrie du socialisme », aussi bien que les lecteurs désireux d’acquérir ou de mettre à jour une connaissance objective de la grande puissance russe, en dehors de toute prise de position partisane. ♦