Outre-mer - En Afrique orientale, mise en chantier de la ligne de chemin de fer Zambie-Tanzanie - Au Congo-Brazzaville, nouveau procès de comploteurs et mesures de nationalisation d'entreprises - Au Niger, la réélection de M. Hamani Diori confirme la stabilité politique du pays - Au Cameroun, l'arrestation de l'ex-évêque de Nkongsamba ravive dans le Nord du pays les rivalités religieuses
En Afrique orientale, mise en chantier de la ligne de chemin de fer Zambie-Tanzanie
Des chroniques antérieures (1) ont signalé en leur temps les efforts déployés par la Chine populaire pour accroître sa présence sur les rives de l’océan Indien et en particulier en Afrique orientale. C’est dans ce cadre que l’attention a été appelée notamment sur la volonté réaffirmée des dirigeants chinois de répondre au désir des gouvernements de Tanzanie et de Zambie en finançant et en construisant le chemin de fer qui doit relier les capitales de ces deux pays.
L’accent a été mis sur les avantages que chacun des partenaires escompte tirer de cette affaire. Pour les Zambiens, il s’agit de désenclaver leur pays, de disposer pour l’exportation de leur cuivre d’une voie commerciale sûre, indépendante des circuits actuels qui restent tributaires, d’une manière ou d’une autre, du bon vouloir intéressé des Portugais en Angola et en Mozambique, ou bien des Rhodésiens. Pour les Tanzaniens, il s’agit d’ouvrir à un développement prometteur les vastes régions du Sud et du Sud-Ouest du pays, appelées à exporter des minerais de fer et du charbon ainsi que des produits agricoles. Pour les Chinois, il s’agit de consolider leur présence en profitant des bonnes dispositions des Africains qui luttent contre la politique portugaise en Afrique et contre l’apartheid mais qui redoutent la puissance des régimes blancs d’Afrique australe. Aussi l’opération chinoise, qui se double d’ailleurs d’une aide militaire à la Tanzanie et aux mouvements de libération africains, prend-elle un caractère à la fois idéologique, politique et économique et s’efforce-t-elle de créer habilement des liens durables, susceptibles de servir avant tout la stratégie globale chinoise et d’être utilisés entre autres pour faire pièce dans ces régions aux influences occidentales ou soviétiques.
C’est dans ce cadre qu’il faut situer les cérémonies qui ont marqué le début officiel des travaux et qui viennent de se dérouler fin octobre en Tanzanie et en Zambie. Le bruit avait couru que le Premier ministre chinois Zhou En-Laï pourrait y assister. En fait, la délégation chinoise était conduite par le ministre chargé de la Commission des relations économiques extérieures, lequel ne manqua pas de rappeler au cours des allocutions prononcées à cette occasion la signification de la mise en œuvre du projet « pour le développement des nations indépendantes, pour la coopération économique entre Zambie et Tanzanie et pour l’affermissement de leur lutte commune contre l’impérialisme et le colonialisme ». Tandis que la presse et la radio chinoises célébraient les mérites des milliers de techniciens, ingénieurs ou ouvriers chinois déjà à pied d’œuvre en Tanzanie, les présidents Kaunda et Nyerere de leur côté ont pour l’essentiel souligné dans leurs déclarations « le grand impact attendu » sur le développement de cette partie de l’Afrique orientale et centrale.
Déjà cette vaste entreprise a été comparée à celle qui fut menée par les Russes en Égypte lorsqu’ils décidèrent du financement et de la construction du barrage d’Assouan. Déjà en Tanzanie, on parle du futur chemin de fer comme étant « le chemin de fer de la liberté ». C’est dire en peu de mots l’importance, l’attrait, l’exploitation qui peuvent être donnés à cette opération qui est prévue pour durer plusieurs années. Toutefois, il n’est pas exclu à la longue que les « réalités africaines » ne viennent entraver cette forme habile de pénétration.
Au Congo-Brazzaville, nouveau procès de comploteurs et mesures de nationalisation d’entreprises
Deux faits importants ont marqué ces derniers temps l’actualité à Brazzaville. Il s’agit d’un procès politique, dans lequel était impliqué un ancien ministre, directeur de l’Agriculture, et des mesures de nationalisation prises à rencontre de grandes Sociétés qui ont dû s’effacer devant une nouvelle Société nationale.
On se souvient en effet de la découverte le 10 août 1970, en l’absence du chef de l’État, d’une conjuration dans laquelle se trouvaient impliqués M. Bongo-Nouarra, ancien ministre des Travaux publics et directeur de l’Agriculture, ainsi qu’un certain nombre d’officiers et de personnalités civiles, hommes politiques, fonctionnaires ou magistrats. S’il est évidemment bien difficile d’établir les véritables motifs de la conspiration, on ne peut néanmoins s’empêcher de constater que ce complot ne ressemble apparemment en rien aux tentatives de coup d’État qui furent déjouées antérieurement ; ces dernières visaient en effet à renverser le régime du commandant Ngouabi et à remplacer celui-ci par une personnalité modérée, originaire du Sud ; or, le dernier complot a été fomenté par des individus originaires du Nord, comme le chef de l’État lui-même, et soupçonnés semble-t-il d’avoir eu l’intention, avec son accord ou non, de le débarrasser des extrémistes. Quoi qu’il en soit l’affaire, jugée en septembre, s’est limitée à trois condamnations à des peines relativement modérées. Il n’est pas impossible qu’à la suite de ce complot le commandant Ngouabi se soit décidé à s’engager un peu plus dans la voie d’une économie socialiste.
Le procès du directeur de l’Agriculture à peine terminé, deux ordonnances étaient signées, l’une nationalisant les Sociétés SIAN, Sosuniari et leurs filiales, l’autre portant création de la Société congolaise agro-industrielle destinée à prendre en charge leurs biens et la direction de leurs activités. Créée en 1958, la SIAN possède au Congo-Brazzaville des plantations, une raffinerie de sucre et une huilerie et ses investissements se montent à environ quatre milliards de francs CFA. Elle a produit en 1969, 33 000 tonnes de sucre cristallisé, 53 000 t de sucre raffiné et traité 6 000 t d’arachides. Elle contrôle de plus les Grands moulins du Congo dont la minoterie a une capacité de 20 000 t de farine, ainsi qu’une fabrique d’aliments de bétail et participe pour plus d’un tiers à la Société nationale d’élevage congolaise. Elle a en outre acquis en 1964 près du quart des capitaux de la Société sucrière du Niari (Sosuniari) qui peut fournir plus de 100 000 t de sucre brut. Son chiffre d’affaires représente 5 % du PNB congolais et elle rapporte au Trésor sous forme de taxes diverses plus d’un milliard de francs CFA. Ces deux sociétés ont connu depuis le début de l’année de graves difficultés avec leurs personnels et ont dû faire face notamment au début de septembre à une grève perlée des coupeurs de canne à sucre entraînant une baisse inquiétante de la production. L’agitation entretenue par les extrémistes a finalement amené le chef de l’État à prendre des mesures de nationalisation. La nouvelle société nationale agro-industrielle du Congo (SIA-Congo) a ainsi vu le jour dans des conditions difficiles.
Au Niger, la réélection de M. Hamani Diori confirme la stabilité politique du pays
Le 1er octobre 1970, M. Hamani Diori, chef de l’État du Niger depuis 1960, seul candidat du Parti progressiste nigérien (PPN), parti gouvernemental unique, a sollicité des électeurs le renouvellement de son mandat. Le scrutin qui s’est déroulé dans le plus grand calme l’a confirmé à la tête de l’État pour cinq nouvelles années en lui donnant plus de 99 % des suffrages exprimés.
Le Niger ne connaît pas d’opposition politique. Les tentatives faites autrefois par le parti Sawaba de M. Djibo Bakary se sont soldées par un échec, d’autant plus que, depuis la chute de N’Krumah, aucune aide subversive extérieure ne peut plus être escomptée. Cependant, le pays n’est pas à l’abri de tensions internes, notamment en raison des mécontentements nés de la stagnation de l’économie nigérienne ou des difficultés rencontrées dans l’administration des régions excentriques du Nord-Est. L’économie nigérienne reste en effet essentiellement agricole. Elle est basée sur l’arachide qui assure 75 % des ventes à l’exportation. Mais la production n’augmente guère et malgré une hausse des exportations en valeur, la balance commerciale est en déficit permanent. Les recettes fiscales étant par ailleurs limitées en raison du faible niveau des ressources, le déficit budgétaire est également chronique et les difficultés de trésorerie sont fréquentes. Ainsi les populations des villes et celles des zones rurales du « Niger fertile » voient-elles leur niveau de vie demeurer stationnaire. Tout en conservant leur confiance au chef de l’État, elles font preuve néanmoins de passivité à l’égard d’un parti et d’une administration assez souvent peu efficaces et où sévit la concussion.
L’administration des régions excentriques du Nord et du Nord-Est qui sont pratiquement désertiques pose d’autre part des problèmes au gouvernement de Niamey. Peuplées de nomades Toubou et Peulh, et de sédentaires vivant dans les oasis ou les villages de la savane, ces régions sont sous-administrées, particulièrement dans le Nord-Est du lac Tchad et dans le Kaouar où les Toubous nigériens, tchadiens ou libyens se déplacent sans entraves. Quelques incidents qui relèvent d’un banditisme chronique, ont entraîné ces mois derniers des opérations de contrôle notamment dans le massif de Termit à quelque 300 km au Nord-Ouest du lac Tchad. Cependant, au Nord, les Touareg sont jusqu’ici demeurés calmes, mais ceux qui nomadisent entre le Mali, l’Algérie et le Niger échappent en fait à tout contrôle.
Quoi qu’il en soit le Niger demeure stable. Ces difficultés ne peuvent compromettre l’unité nationale et le Président qui vient d’être confirmé par l’immense majorité des électeurs a toujours conservé toute son autorité aussi bien dans le parti que dans l’armée. L’expansion économique présente d’ailleurs des perspectives prometteuses puisque la commercialisation de l’uranium d’Arlit qui doit débuter en 1972 doit augmenter de près de 10 % les recettes fiscales nationales. Cette stabilité et ces perspectives appellent les investissements étrangers nécessaires au développement de l’agriculture et de l’infrastructure. Les prochaines années se présentent donc sous des auspices favorables pour peu qu’un sang nouveau vienne stimuler l’appareil administratif du pays.
Au Cameroun, l’arrestation de l’ex-évêque de Nkongsamba ravive dans le Nord du pays les rivalités religieuses
Le 19 août 1970, Ernest Ouandié, dernier chef important de la rébellion upéciste, était capturé par les forces camerounaises à Mbanga dans le département du Mungo. Les révélations qu’il devait faire et les documents qui furent saisis sur lui amenèrent le 27 août l’arrestation de Mgr Ndongma qui venait, d’autre part, d’être suspendu par Rome un mois auparavant en raison de ses activités dans une société dont il était le gérant et dans les locaux de laquelle des armes auraient été découvertes. L’ex-évêque se trouve aujourd’hui accusé de collusion avec la rébellion upéciste et de complot contre la personne du président Ahidjo.
Cette affaire assez complexe a évidemment causé une certaine émotion dans les milieux catholiques et politiques camerounais et a entraîné également quelques répercussions dans le Nord du pays.
C’est qu’en effet la place des Églises chrétiennes dans la vie nationale camerounaise est importante et leur rôle est actif. Sur les six millions d’habitants que compte à peu près au total le Cameroun, on estime généralement que 35 à 40 % d’entre eux sont chrétiens, 20 % environ sont musulmans et le reste – plus de 40 % – animistes. Cependant les chrétiens, dont un peu plus de la moitié sont catholiques, sont majoritaires dans les départements du Sud. Les musulmans de leur côté prédominent au Nord de l’Adamaoua, mais il existe dans ces régions des taches de christianisation importantes. Les animistes pour leur part occupent les régions frontières du Centreafrique, le Nord du Cameroun occidental et plus particulièrement l’extrême nord du pays où les groupes Kirdis sont un enjeu important pour l’Islam et le Catholicisme.
Sur le plan politique, le Cameroun a réalisé un parti unique. Mais celui-ci apparaît encore à certains comme placé sous l’influence d’hommes du Nord, musulmans très solidaires les uns des autres et appartenant à un groupement de populations qui, si on lui incorpore les animistes, est majoritaire. Par contre, l’administration et la fonction publique sont entre les mains d’hommes du Sud, plus instruits que ceux du Nord, chrétiens pour la plupart, mais divisés sur le plan religieux et plus encore sur le plan tribal comme sur celui de leurs intérêts particuliers. Enfin un fait est souvent constaté : parmi les fonctionnaires originaires du Sud et nommés dans le Nord, nombreux sont ceux qui sont assez mal admis par les populations.
Quoi qu’il en soit, les Églises chrétiennes camerounaises sont florissantes dans le Sud. Elles s’appuient sur une partie importante des populations qui disposent d’une infrastructure sociale et éducative assez bien développée et dans l’ensemble bien réparti. Elles bénéficient de la sympathie d’une grande partie de l’élite intellectuelle car deux tiers des évolués ont été formés par les Missions, et le clergé très bien considéré, surtout dans le Sud, constitue une force avec laquelle les pouvoirs politiques et publics se doivent de composer. En fait, chaque diocèse s’est constitué sa propre personnalité au sein de laquelle jouent bien souvent des considérations ethniques, voire politiques. C’est ainsi que le ralliement au Parti unique de certains leaders du Sud – catholiques ou upécistes – ne prouve pas qu’ils ont abandonné toute idée de contester la prédominance des musulmans du Nord. Enfin une minorité assez agissante de catholiques n’est pas éloignée de certaines des thèses des Upécistes, de celles touchant par exemple aux problèmes d’une décolonisation qu’elle voudrait plus radicale et de celles concernant l’économie qu’elle voudrait plus nationale. Cette minorité se recrute en partie en milieu Bamiléké, dont l’ex-évêque de Nkongsamba était originaire. On comprend donc pourquoi il n’est pas impossible qu’il ait pu entretenir des relations avec les Upécistes malgré les violences commises par cette rébellion moribonde et leur peu d’efficacité.
Dans le Nord, constitué par une fraction de l’ancien empire peulh d’Ousmane dan Folio, qui couvre également la partie septentrionale du Nigeria, l’influence des chefs traditionnels demeure prépondérante. Ceux-ci freinent le prosélytisme des missionnaires en matière d’évangélisation et de réalisations sociales. L’enjeu est la conversion des Kirdis, populations animistes refoulées en zone montagneuse et aride. Ces derniers conservent une animosité tenace contre les descendants des conquérants Foulbé et se laissent par contre approcher plus facilement par les missions chrétiennes. Ils s’avèrent plus réceptifs que les Foulbé à l’enseignement, mais vivent toujours dans un dénuement extrême. Ils prennent néanmoins conscience petit à petit des bienfaits de la civilisation et surtout de leur importance numérique. À plus ou moins brève échéance, ils pourraient en effet, sur le plan électoral, et en raison même de leur nombre, créer une situation nouvelle en renversant en leur faveur l’équilibre actuel qui est bénéfique aux musulmans. Cette évolution a toujours été l’un des objectifs des anciens partis politiques d’opposition. Aussi, depuis l’indépendance les musulmans du Nord ont-ils toujours profité de toutes occasions pour limiter dans les zones qu’ils estiment être leur domaine traditionnel, l’influence des missions chrétiennes et l’installation chez eux des Camerounais originaires du Sud.
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Il n’est donc pas surprenant que dans ces conditions des réactions se soient produites dans le Nord, après l’arrestation de l’ancien prélat. Dans le courant du mois d’octobre plusieurs incidents ont eu lieu en effet dans les régions de Mokolo, Mora, Guider, Tchollire, incidents au cours desquels des cases de catéchistes et des chapelles ont été détruites. Dans le Sud par contre, l’arrestation de l’ancien prélat a provoqué d’une part l’indignation des sections de l’UNC – Union nationale camerounaise, parti unique – qui ont renouvelé leur soutien au chef de l’État et d’autre part l’inquiétude des Bamiléké et des catholiques en général qui craignent qu’une réprobation populaire n’atteigne l’ensemble du clergé.
Le gouvernement de M. Ahidjo, qui s’est toujours efforcé, avec d’ailleurs la participation de l’archevêque, de concilier les conflits et les malentendus dans le sens de l’intérêt national, a souligné dès le 27 août qu’il continuerait à garantir aux Églises, et à l’Église catholique en particulier, « le libre exercice de leur mission spirituelle dans le respect des institutions nationales établies ». Si la tâche du président Ahidjo n’est certes pas facile, on peut compter néanmoins sur son autorité, son esprit de tolérance et son sens de la mesure pour calmer au mieux les esprits. ♦
(1) Cf. Revue de Défense Nationale - Chronique d’Outre-Mer : janvier, mars et octobre 1970.