La visite du président de la République en Afrique noire
Le président de la République et Madame Georges Pompidou ont effectué du 3 au 13 février 1971 une visite officielle en Afrique noire au cours de laquelle ils ont été les hôtes :
– en République islamique de Mauritanie, à Nouakchott, du président Moktar Ould Daddah (3-5 février),
– au Sénégal, à Dakar, du président Léopold Senghor (5-7 février),
– en Côte d’Ivoire, à Abidjan, du président Félix Houphouet-Boigny (7-9 février),
– en République fédérale du Cameroun, à Yaoundé, du président Ahmadou Ahidjo (9-11 février),
– et en République gabonaise, à Libreville, du président Albert-Bernard Bongo (11-13 février),
et de leurs épouses.
Le président Pompidou était accompagné de MM. Roger Frey, ministre d’État et Yvon Bourges, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, ainsi que de M. Jacques Foccart, secrétaire général à la présidence de la République pour la Communauté et les Affaires africaines et Malgaches.
La visite fut limitée aux capitales. Toutefois, au Cameroun, le président Pompidou put se rendre, le 10 février, à Batchenga, en empruntant le Transcamerounais, dont le premier tronçon, long de 296 kilomètres et mis en service le 15 avril 1969, a été construit grâce à la coopération internationale (Cameroun, France, Communauté économique européenne – CEE –, États-Unis) et dont le second, long de 327 kilomètres et commencé en janvier 1970, atteindra une fois achevé Ngaoundere.
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L’accueil réservé au président Pompidou fut exceptionnellement chaleureux.
Accueil de nos compatriotes qui, mêlés à la foule sur le parcours du cortège, ne furent pas les derniers à exprimer leur satisfaction – parfois de façon pittoresque – et à applaudir le couple présidentiel. Par-delà les convictions politiques personnelles, c’était à la fois l’expression d’une profonde sympathie, l’approbation de la politique de Coopération et la fierté de saluer en la personne du chef de l’État leur patrie.
Accueil des populations, venues spontanément depuis les villages les plus éloignés et se pressant pour saluer le successeur du général de Gaulle. C’est que, au sud du Sahara, la démission du général de Gaulle, le 28 avril 1969, et sa disparition le 9 novembre 1970, vivement ressenties, avaient engendré des inquiétudes sur « l’avenir des rapports de Coopération entre la métropole et les anciens territoires devenus des États ». Survenant après les voyages aux États-Unis et en URSS, la visite du président Pompidou est apparue comme le signe de la volonté de maintenir la Coopération, « de l’estime que, selon sa propre expression, la France porte à ces pays pour l’effort qu’ils ont fait pour se créer en tant que Nations » et « de la reconnaissance de la France pour l’amitié qu’ils nous ont gardée ».
Accueil, enfin, des chefs d’États, qui, fidèles aux règles de l’hospitalité africaine, reçurent leurs visiteurs avec amitié et dignité, exprimèrent leur fidélité à l’héritage reçu du général de Gaulle et de la France et, avec tact et courtoisie, s’abstinrent d’évoquer les difficultés de la Coopération. Le président Houphouet-Boigny devait déclarer à son hôte le 7 février 1971 : « Nous sommes un vieux couple heureux, d’amis fidèles et sans drame, et notre histoire est belle parce qu’elle s’est nourrie de compréhension et d’estime réciproques, et notre histoire est féconde parce qu’elle s’enrichit, chaque jour, de contacts et de pensers nouveaux, et notre histoire est sereine, car elle est celle d’une certaine joie de vivre et d’être ensemble, en harmonie devant les grands problèmes de ce temps ».
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Le président de la République, dont les discours et les conférences de presse dans chacun des États faisaient écho aux discours de ses hôtes, a confirmé la politique de la France d’abord à l’égard des pays en voie de développement :
– Respect de leur indépendance et non-ingérence dans leurs affaires, « que ce soit, affirme-t-il à Nouakchott, dans leur politique extérieure ou dans la conception qu’ils se font de leur politique intérieure, de leur régime social, de leur régime politique. » Et, après avoir indiqué que la France « ne prétend, nulle part, avoir le monopole de la coopération », il ajoute qu’elle n’a pas « à s’étonner qu’on fasse appel à d’autres, pas plus à la République populaire de Chine qu’à n’importe qui. »
– Obligation morale pour les pays d’Occident ayant atteint le plus haut niveau industriel d’aider le reste de l’humanité : d’une part, ils sont appelés à « consacrer au moins 1 % de leur revenu national aux pays en voie de développement », d’autre part, dans le même temps, il faut stabiliser les prix des matières premières et faciliter la vente des produits qu’ils fabriquent. « Si les grandes puissances industrielles, dit-il à Abidjan, ne donnent pas aux États en voie de développement les garanties nécessaires en matière d’aide financière et de régularisation des marchés, ceux-ci ne pourront disposer ni des instruments d’une prévision économique, ni des moyens indispensables à leur croissance ». Il ne s’agit plus pour les riches de se limiter à quelques opérations d’appoint qui leur laisseraient bonne conscience, mais d’assurer les pays démunis d’une contribution importante, insérée dans des programmes réfléchis et cohérents, réellement justifiée par des impératifs de développement et rejetant toutes les actions de prestige.
– Nécessité, enfin, de la paix et de la tolérance : « La France appelle de ses vœux une société internationale sans exclusives, d’où les condamnations radicales seraient bannies et où chacun se contraindrait à dépasser ses préférences doctrinales ou culturelles… la paix et le bonheur des peuples méritent cet effort. Nous nous y appliquerons pour notre part… ».
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Le président Pompidou a rappelé les principes de la Coopération offerte par la France :
– Maintien de l’aide et de l’assistance technique sous toutes ses formes au niveau actuel pendant le VIe Plan. Progressivement, à une « aide de gestion » qui fut celle du passé, sera substituée une « aide de formation » : ainsi, aux enseignants, on substituera peu à peu des formateurs d’enseignants, la coopération universitaire s’orientera vers l’enseignement supérieur. L’aide, uniforme il y a dix ans, sera diversifiée en fonction de l’évolution des pays auxquels elle s’adresse.
– Poursuite du développement économique, moteur de tout progrès, et dont il « est indispensable qu’il s’accompagne d’un développement dans le domaine social ». À cet effet, il affirme l’opportunité pour les États de maintenir une agriculture importante et rémunératrice pour la stabilité économique et pour l’équilibre général et la nécessité pour eux de disposer, en échange des produits alimentaires, des matières premières et des produits de base, de ressources garanties et, si possible, accrues pour acheter les biens d’équipements et les biens industriels. En outre, l’exploitation pure et simple des matières premières doit faire place à la création d’industries de transformation.
– Ouverture sur le monde extérieur. Si la France adhère au « mouvement francophone », ce n’est pas pour en faire un univers fermé et replié sur lui-même, mais bien pour améliorer la connaissance que nous avons les uns des autres, enrichir notre patrimoine et, par cette ouverture, nous mettre en mesure de mieux connaître et de mieux comprendre les autres hommes. C’est la reconnaissance des « multiples contributions » que d’autres pays apportent à l’Afrique francophone, la France étant hors d’état d’assumer le monopole de la Coopération.
En outre, le président de la République a invité de façon pressante les investisseurs privés français à prendre une part plus considérable dans les opérations de développement en participation avec les intérêts privés locaux et à travailler avec ceux qui sont sur place en sorte qu’ils « se trouvent étroitement associés à tous les niveaux à la marche des affaires ». À Yaoundé, il a fait part de son intention « de demander au Centre national du patronat français [CNPF] d’organiser dans les pays d’Afrique […] une mission d’hommes d’affaires, de banquiers et d’industriels choisis parmi ceux qui jusqu’ici ne travaillent pas en Afrique ». Partout, il souligne que « l’investisseur doit se rappeler que se soumettre à l’intérêt général dans un pays africain, c’est aussi et d’abord se soumettre à la loi d’africanisation » : suivant les exemples donnés, les entreprises doivent contribuer directement à la formation des cadres et du personnel dont elles ont besoin pour exercer et développer leurs activités et, de plus en plus, africaniser non seulement leurs cadres moyens et, à plus forte raison, leurs cadres inférieurs mais aussi leurs cadres supérieurs et leur direction, dès lors que la formation nécessaire a été donnée.
S’agissant des relations privilégiées avec la CEE et de son élargissement à la Grande-Bretagne, ainsi qu’aux autres pays qui ont demandé à en devenir membres, le président de la République affirme à Yaoundé : « La France […] interviendra le moment venu auprès de ses partenaires du Marché commun pour que l’élargissement de la Communauté ne remette pas en cause les avantages que les pays africains et malgaches retirent de l’association » et il formule le vœu que ceux-ci mènent une action cohérente et concertée auprès des États-membres de la CEE.
De même, il évoque les grands problèmes auxquels les États sont confrontés, telle la normalisation du système monétaire international, indispensable pour parvenir à une détente sensible des taux d’intérêt qui aggravent le poids de leur endettement dans des proportions préoccupantes, et l’inflation qui sévit dans le monde, dangereusement relancée par le dérèglement de ce même système monétaire international auquel des expédients provisoires n’ont pas permis de retrouver l’équilibre.
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Ce voyage a rencontré un écho très favorable dans les autres pays francophones d’Afrique noire. Ainsi, les présidents Hamani Diori, du Niger, Hubert Maga, du Dahomey, Lamizana, de Haute-Volta et Eyadema, du Togo, se sont rendus le 8 février à Abidjan pour saluer l’hôte du président Houphouet-Boigny, leur partenaire au sein du Conseil de l’entente. À Madagascar, le vice-président du gouvernement, M. Tsiebo, a exprimé l’optimisme provoqué par les « déclarations du président Pompidou sur le renforcement de la coopération et en faveur de l’aide aux pays francophones ». Et, à la veille du voyage, le ministre des Affaires étrangères de l’Île Maurice, M. Gaétan Duval, avait déclaré que le gouvernement et le peuple mauriciens seraient heureux et fiers d’accueillir le Chef de l’État.
Dans les pays de la CEE, le succès de la visite du président de la République fut très favorablement commenté : notamment, la presse allemande et, dans une moindre mesure, la presse italienne représentèrent que, pour l’Europe, c’était une bonne chose.
Dans sa dernière conférence de presse, avant de quitter Libreville, le président de la République devait lui-même tirer l’un des principaux enseignements de son voyage… « J’espère que plus personne n’osera présenter la Coopération avec les États d’Afrique comme une aide jetée en pure perte, représentant en quelque sorte un gaspillage des deniers français… La Coopération est un fait durable et, croyez-moi, elle durera… ». ♦