Outre-mer - Au Mali, la persistance des difficultés économiques hypothèque l'avenir du pays - En Haute-Volta, la constitution du nouveau gouvernement confirme le processus de retour progressif vers un régime civil - À Singapour, les problèmes de ventes d'armes à l'Afrique du Sud
Au Mali, la persistance des difficultés économiques hypothèque l’avenir du pays
Le 18 novembre 1968, un groupe de jeunes officiers, conduit par le lieutenant Moussa Traore, et exprimant les désirs de très nombreux mécontents, profitait de l’absence de M. Modibo Keita, alors chef de l’État, pour renverser son gouvernement engagé depuis l’indépendance dans la voie du socialisme et d’une étroite coopération avec les pays de l’Est.
Prenant en mains les destinées du pays, un Comité militaire de libération nationale (CMLN) composé de 14 officiers assurait la totalité des pouvoirs, et un gouvernement provisoire mis en place dès le 22 novembre était chargé de mettre en œuvre la politique que devait définir ce Comité militaire. Pour répondre aux espoirs des populations qui l’appuyaient dans une très large mesure, le CMLN annonçait aussitôt un programme d’action axé sur quatre objectifs essentiels : il s’agissait en effet de rétablir les libertés individuelles, d’équilibrer le budget de l’État, de développer l’agriculture et de réorganiser les circuits commerciaux. Sur le plan extérieur, le retour à une politique de non-alignement devait permettre en même temps de retrouver dans les milieux occidentaux les aides qui étaient nécessaires pour l’assainissement d’une situation économique et financière qui n’était guère brillante.
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Le bilan du régime de M. Modibo Keita, reçu en héritage par le CMLN, était en effet particulièrement lourd : après huit ans d’une gestion de type marxiste, l’économie malienne était au bord de la faillite. Les productions agricoles qui constituaient pour une bonne part la grande richesse du pays étaient toutes, hormis le mil et le coton, en régression par rapport aux niveaux atteints en 1960. La commercialisation obligatoire, sous le couvert des coopératives d’État, avait provoqué une diminution constante des ventes et des exportations. D’autre part, les sociétés d’État qui employaient à peu près 80 % des salaires et qui réalisaient environ 70 % du chiffre d’affaires des entreprises industrielles et commerciales du secteur moderne, étaient à peu près toutes en déficit et ne subsistaient que grâce aux subventions gouvernementales. Sur le plan financier, la balance commerciale était déficitaire à plus de 60 % et la dette extérieure atteignait quelque 80 milliards de francs maliens. Cette situation critique n’avait d’ailleurs pas échappé au gouvernement de M. Modibo Keita qui, depuis 1962, s’était doté d’une monnaie nationale tout en créant son propre institut d’émission. Cependant, devant les difficultés croissantes il s’était résolu dès 1966 à négocier avec la France les conditions d’un retour dans la zone franc. Ce fut l’objet des conventions de mars 1968 qui fixaient le taux de convertibilité du nouveau franc malien, dévalué de 50 % depuis mai 1967, et qui portaient création d’un nouvel institut d’émission. Mais ces décisions lorsqu’intervint le coup d’État, n’avaient pas encore eu le temps d’être suivies d’effet.
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Quoi qu’il en soit, il appartenait au nouveau gouvernement militaire d’entreprendre rapidement une œuvre de redressement économique et financier absolument indispensable. La libéralisation des circuits commerciaux dans les campagnes, la suppression des collectes, des travaux obligatoires aux champs collectifs, la dissolution des organismes de contrôle ou de répression divers donnèrent sans doute satisfaction à l’opinion. Mais, au fond du problème, il s’agissait pour remettre en ordre l’économie malienne de réorganiser totalement les 29 sociétés d’État dont le déficit global était l’une des causes majeures des difficultés budgétaires du pays. Cependant la suppression ou la conversion de ces sociétés en sociétés d’économie mixte, ne pouvait se faire que dans le cadre d’un retour plus ou moins grand au libéralisme économique. Or, jusqu’ici le CMLN a semblé hésiter à prendre les mesures nécessaires, soucieux peut-être d’éviter de trop nombreux licenciements qui auraient provoqué de nouveaux mécontentements. Quoi qu’il en soit, il devait rencontrer à ce sujet l’hostilité grandissante d’un certain nombre de syndicalistes ou d’intellectuels groupés au sein de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Ce syndicat animé par des cadres qui furent formés dans les pays de l’Est, conservait la nostalgie du régime précédent. L’agitation s’accentuant, le CMLN fut contraint l’an dernier de dissoudre les organes directeurs de la centrale syndicale nationale et de remanier d’autre part l’équipe ministérielle.
Au début de cette année, le Comité militaire semble s’être résolu à porter des coups sensibles à ses détracteurs et un certain nombre d’arrestations ont été opérées notamment parmi des enseignants qui tentaient de reconstituer clandestinement les organismes syndicaux dissous. Si ces mesures ont renforcé l’audience du CMLN parmi les populations rurales, elles n’ont pas résolu pour autant un problème économique de base qui nécessiterait une option politique clairement définie et résolument appliquée.
D’autre part sur les plans économique et financier, le CMLN s’est efforcé, depuis sa prise de pouvoir, de relancer l’économie du pays et de rétablir les équilibres fondamentaux de la balance commerciale et du budget. Dans le cadre d’un plan triennal qui porte sur la période 1970-1972, les productions agricoles sont en progression mais le paysan malien a peine à renoncer à la pratique de l’économie de subsistance à laquelle l’avait contraint de revenir le régime de M. Modibo Keita. Le développement des cultures d’exportation a cependant été prévu ainsi que l’amélioration de la rentabilité de nombreuses entreprises. Diverses opérations de prospection ont également été menées mais, bien que le Mali dispose d’importants gisements de bauxite, de fer, de manganèse et de phosphates, aucune exploitation nouvelle n’a pu être envisagée pour les années qui viennent. Néanmoins quelques projets industriels sont en cours de réalisation dont, en particulier, le complexe textile de Itema, financé par des industriels français. D’une manière générale, les taux de croissance prévus au plan sont de l’ordre de 5 % pour la production intérieure, 10 % pour les exportations et 4 % pour les importations. Mais sa réussite repose à la fois sur la limitation des dépenses salariales et sur la régularité des investissements étrangers.
Sur le plan financier le déficit budgétaire n’a pas réussi à être résorbé car les difficultés de trésorerie proviennent des dépenses excessives de personnels et des déficits des sociétés d’État qui grèvent le budget national. C’est dire qu’en définitive la situation de l’économie malienne est sans doute plus saine aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps du régime précédent, mais elle présente encore bien des incertitudes qui handicapent encore son avenir immédiat. N’ignorant pas que le rétablissement de cette situation économique et financière dépend pour une bonne part de l’aide que lui apportera la France, le CMLN s’est employé à resserrer les liens entre les deux pays, tandis qu’il améliorait d’autre part ses relations avec les États-Unis, l’Allemagne fédérale (RFA) et le Marché commun. Ceci n’a pas empêché le Mali de conserver des liens avec les pays de l’Est qui sous le régime Modibo Keita avaient acquis à Bamako une influence alors prépondérante. L’URSS a consenti l’an dernier à retarder de quatre ans les échéances venues à expiration en 1970, sans toutefois offrir une assistance nouvelle. La Chine de son côté aurait accordé en décembre 1970 un moratoire de cinq ans et proposé, dit-on, le développement de sa coopération.
Sur le plan africain, le Mali, en s’efforçant de promouvoir une politique de bon voisinage avec tous ses voisins, s’est employé aussi à garder sa liberté d’action sur la scène africaine tout en cherchant localement à normaliser ses échanges commerciaux.
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En bref, d’une manière générale les difficultés économiques auxquelles se heurtent les dirigeants maliens restent nombreuses et très variées. Elles nécessitent, pour y faire face de réorganiser sans remous les structures de base dans une optique opposée et d’imposer une période d’austérité pour redresser une situation financière héritée d’un régime antérieur.
En Haute-Volta, la constitution du nouveau gouvernement confirme le processus de retour progressif vers un régime civil
En application de la Constitution approuvée par voie de référendum en juin dernier, des élections législatives ont eu lieu le 20 décembre 1970 en Haute-Volta amenant la victoire du parti du Rassemblement démocratique africain (RDA) qui enlevait 37 sièges à l’Assemblée nationale, devant 12 attribués au Parti du regroupement africain (PRA), 6 réservés au Mouvement de libération nationale (MLN) et 2 à des Indépendants. Réunie le 16 janvier, l’Assemblée a élu un bureau entièrement RDA, tandis que PRA ou MLN ont refusé de participer au vote. Il a fallu cependant plus d’un mois pour que le nouveau gouvernement soit mis sur pied. Ce n’est en effet que le 13 février 1971 que M. Ouedraogo, désigné comme Premier ministre par le général Lamizana, chef de l’État, a reçu l’investiture de l’Assemblée et ce n’est que le 22 février que le nouveau gouvernement a été officiellement constitué.
Selon les termes de la Constitution, la nouvelle équipe ministérielle comprend un tiers de cadres militaires, soit 5 postes sur les 15 de la nouvelle équipe, le RDA se réservant 8 portefeuilles et le PRA s’en voyant octroyer 2. C’est ainsi que les ministères des Finances, de l’Agriculture, de l’Information, de l’Intérieur, de la Jeunesse et des Sports ont été confiés à des militaires qui conservent ainsi le contrôle de postes clés.
Compte tenu d’un habile dosage de la représentativité des autres ministres et de la composition de la majorité parlementaire, le nouveau ministère est assuré d’une cohésion et d’un soutien satisfaisant. Tout porte à croire dans ces conditions que le nouveau gouvernement a toutes les chances de durer et que l’amorce d’un retour progressif vers un régime civil, dans le cadre qui a été prévu par la Constitution, est ainsi commencée.
À Singapour, les problèmes de ventes d’armes à l’Afrique du Sud
La 8e Conférence des chefs de Gouvernement du Commonwealth s’est tenue à Singapour du 14 au 22 janvier 1971 et les 31 pays qui y étaient intéressés y étaient représentés par leurs chefs d’État ou leurs Premiers ministres. L’ordre du jour comportait essentiellement des discussions sur la politique générale et la situation économique du monde ou sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun européen. Mais bien qu’elle n’ait pas été inscrite officiellement au programme de ces discussions, la question des ventes d’armes à l’Afrique du Sud a été au centre des débats de la réunion.
Dès le premier jour en effet M. Kenneth Kaunda, président de la Zambie, se faisant le porte-parole des États anglophones de l’Afrique orientale, a déposé un projet de déclaration de principes, modéré sans doute dans le ton mais pour le moins embarrassant pour le Premier ministre britannique. Ce dernier ne s’est pas laissé impressionner par la manœuvre, pas plus que sa détermination n’avait été entamée auparavant ni par les objections qui lui avaient déjà été présentées par d’autres membres du Commonwealth, ni par l’opposition déclarée des Travaillistes à sa politique de rapprochement avec Pretoria. On sait en effet l’insistance avec laquelle le gouvernement de M. Heath avait récemment encore invoqué les clauses de l’accord de Simonstown conclu en 1955 en soutenant qu’elles comportaient l’obligation pour le Royaume-Uni de fournir à l’Afrique du Sud les armements indispensables à sa défense maritime. Cette interprétation est cependant fermement contestée par l’opposition, animée par M. Wilson, qui soutient au contraire qu’au temps de son gouvernement, les autorités de Pretoria elles-mêmes n’avaient jamais fondé leurs demandes d’achat d’armements sur l’arrangement évoqué aujourd’hui. À la vérité, les termes de l’accord sur l’utilisation de la base de Simonstown, tels qu’ils sont connus, ne sont pas suffisamment clairs pour que l’on puisse en toute certitude se faire une opinion sur les deux thèses.
Quoi qu’il en soit, les discussions provoquées par cette affaire ont été vives, qu’elles aient été consécutives à l’initiative de M. Kaunda ou qu’elles résultent des relances effectuées dans le même sens par le président de la Tanzanie (Julius Nyerere) ou par celui de l’Ouganda (Milton Obote). Ni la menace d’un retrait de ces trois pays du Commonwealth, ni même l’appui que l’Inde a apporté à ceux-ci à cette occasion, n’ont pu ébranler le chef du gouvernement britannique qui a su habilement sortir de l’impasse en profitant du pragmatisme et de la souplesse qui caractérisent la communauté anglophone. Les modérés, Canada en tête, ont finalement fait triompher un compromis en faisant adopter une déclaration réaffirmant les principes fondamentaux de l’association, notamment celui de l’égalité raciale, tandis qu’un groupe d’études était chargé d’évaluer la menace que fait peser sur la route du Cap la présence grandissante des Soviétiques et des Chinois dans l’océan Indien.
C’est qu’en réalité le poids économique des États d’Afrique orientale à l’intérieur du Commonwealth est faible et la pression politique qu’ils ont voulu exercer est restée à la mesure de ces réalités. Sans doute M. Obote a bien pu menacer la Grande-Bretagne de sanctions économiques, en faisant ressortir que des pourcentages importants des importations des États d’Afrique orientale provenaient d’Angleterre et qu’une forte part de leurs exportations étaient destinées au Royaume-Uni. Mais s’il est bien exact que le commerce des États du (Kenya, Ouganda et Tanzanie) avec la Grande-Bretagne représente de 20 à 40 % de leurs propres importations ou exportations, il est exact aussi que les mêmes chiffres bruts rapportés au volume des échanges globaux de l’Angleterre ne constituent plus que 0,2 à 1,3 % des importations ou exportations britanniques. Encore s’agit-il de produits que celle-ci pourrait sans grand dommage se procurer ailleurs.
C’est qu’en réalité aussi les Britanniques qui viennent de confirmer leur intention de se retirer du golfe Persique avant la fin de cette année, s’inquiètent des progrès réalisés depuis quelque temps par les Soviétiques et les Chinois en océan Indien. Les Soviétiques en effet sont désormais implantés en mer Rouge, que ce soit en Égypte où ils se sont établis à la faveur du conflit israélo-arabe, au Soudan, en Somalie ou au Sud-Yemen où ils développent leur coopération, au même titre qu’ils l’ont déjà fait au Kenoutan ou en Zambie, et qu’ils viennent d’autre part dans le golfe Persique de signer un accord de transit avec l’Iran ce qui va leur permettre de déboucher dans le Golfe. Ils sont actifs aussi à Maurice et ils entretiennent quelques navires de guerre qui affirment leur présence sur ces mers à proximité de la route du Cap que les Britanniques considèrent comme vitale pour leurs communications et pour leurs intérêts. Les Chinois de leur côté ont marqué aussi des progrès en Tanzanie et en Zambie de même qu’au Soudan, en Somalie ou au Sud-Yémen, mais bien qu’ils soient là en rivalité avec les Soviétiques, il n’en reste pas moins que leur pénétration en Afrique orientale anglophone est de nature à inquiéter les Britanniques.
Ces inquiétudes rejoignent les préoccupations des Sud-Africains qui se sont déjà retirés du Commonwealth, mais qui y conservent toujours des intérêts importants.
Cependant, les Africains, pour leur part, restent polarisés par le problème des ventes d’armes à l’Afrique du Sud. À Singapour, M. Kaunda avait déclaré qu’il n’avait accepté un compromis avec la Grande-Bretagne que pour permettre au Commonwealth de subsister. II s’était d’ailleurs hâté d’ajouter que la conférence n’avait été que le début d’une longue bataille contre le racisme. Il l’a répété à son retour à Lusaka : « La bataille qui se prépare aura lieu, devait-il préciser, mais vous n’aurez pas à y participer sans ordres ». Déjà le même problème a été inscrit à l’ordre du jour de la conférence des ministres des Affaires étrangères de l’OUA qui s’est réunie fin février à Addis-Abeba mais qui a dû s’ajourner à l’été prochain en raison des problèmes posés par la représentativité du nouveau gouvernement de l’Ouganda.
En attendant, ces diverses prises de position n’ont pas empêché les Britanniques d’annoncer la vente d’hélicoptères aux Sud-Africains, décision qui a été aussitôt désapprouvée par la quasi-unanimité des gouvernements africains. C’est dire le malaise qui existe en Afrique à ce sujet, spécialement en Afrique orientale, et qui est loin d’être dissipé. ♦