Maritime - La Marine italienne - Dans l'Otan : l'exercice Dawn Patrol 1971
La marine italienne
Née de la fusion en 1860 des modestes flottes piémontaise et napolitaine d’alors, la marine italienne n’a guère plus d’un siècle d’existence. Ses traditions maritimes, héritées des vieilles Républiques de Venise, de Gênes et de Pise, de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, n’en sont pas moins très fortes et bien ancrées dans tout marin italien.
En 1947, le Traité de Paris laisse à la marine italienne, sortie très amoindrie d’un conflit où elle a joué malgré d’innombrables faiblesses dans le domaine du matériel, un rôle plus qu’honorable malheureusement peu connu de nos concitoyens, une trentaine de bâtiments hétéroclites armés par environ 25 000 hommes. Cependant, en 1949 le soutien des États-Unis permettait à l’Italie de remettre en ordre son économie et lui ouvrait les portes de l’Alliance atlantique. Depuis lors, malgré l’extrême modicité des crédits qu’elle a pu lui affecter, l’Italie a pu progressivement se reconstituer une force navale modeste et efficace, qui demeure néanmoins la première en Méditerranée si l’on exclut celles des pays non riverains, c’est-à-dire la VIe Flotte américaine et l’escadre que les Soviétiques entretiennent désormais en permanence dans ce théâtre. La présence de cette dernière a transformé l’échiquier stratégique en Méditerranée, mais n’a pas encore eu de répercussion sur le développement de la marine italienne dont le budget reste le plus faible des trois armées (1). Il est opportun de rappeler à ce propos que la part de son PNB que l’Italie consacre à sa défense, est avec moins de 3 % l’un des plus faibles des pays de l’Alliance atlantique.
L’un des caractères essentiels de la marine italienne, comme d’ailleurs de l’ensemble des forces armées, est sa très forte intégration à l’Otan. Depuis le 6 juin 1967, c’est un amiral italien qui assure le commandement, à l’exception de la VIe Flotte, des forces navales alliées en Méditerranée, le COMNAVSOUTH à Malte dont dépendent :
– le Commandement des forces aéronavales de Méditerranée (COMARAIRMED) chargé de suivre l’activité de la flotte soviétique ;
– la NAVOCFORMED, force navale interalliée active sur ordre, notamment à l’occasion d’exercices.
Bénéficiant d’une position géographique centrale sur toutes les routes parcourant la Méditerranée, la marine italienne est chargée :
– en priorité, d’assurer la protection du trafic maritime national ou allié. Il convient de noter que 95 % des importations et 65 % des exportations italiennes s’effectuent par mer (2) ;
– de contrôler les mouvements de l’Adriatique compte tenu des positions de l’Albanie et de la Yougoslavie ;
– de défendre les côtes et apporter essentiellement son soutien aux forces terrestres.
Au point de vue de l’organisation générale de la défense, les forces armées sont représentées au gouvernement par le ministre de la Défense qui dispose d’un cabinet et qui est assisté de trois sous-secrétaires d’État responsables chacun d’une armée.
Sont subordonnés au ministre de la Défense :
– les trois chefs d’état-major (armée, marine et air) par l’intermédiaire du chef d’état-major de la Défense qui coordonne leurs activités sur un plan plus élevé ; les attributions des chefs d’état-major sont essentiellement techniques et militaires ;
– un secrétaire général de la Défense et son cabinet dont les attributions sont budgétaires et administratives.
L’organisation générale de la marine italienne est dans ses grandes lignes assez semblable à celle de la nôtre. Elle comporte :
– un organisme central constitué par l’état-major de la marine et les grandes directions ;
– des commandements territoriaux ;
– des forces navales.
L’état-major de la marine (MARISTAT) est l’organe au moyen duquel le chef d’état-major de la Défense exerce les attributions qui sont de sa compétence en ce qui concerne l’organisation et l’emploi des forces navales. Cet état-major est dirigé par un officier général qui porte le nom de chef d’état-major de la marine.
Les bureaux (Reparti) dépendent du sous-chef d’état-major. Ils sont au nombre de six, dirigés chacun par un contre-amiral :
– Reparto Personale (Personnel)
– Reparto SIOS (Renseignement)
– Reparto PO (Plans et Opérations)
– Reparto SAM LOG (Matériel)
– Reparto TE (Télécommunications)
– Reparto ELI (Hélicoptères).
Il faut y ajouter l’inspection de l’aviation pour la marine (Marinavia), dirigée par un général de brigade aérienne.
De l’état-major de la marine relèvent plusieurs organismes et comités divers, mais :
– la direction générale du personnel militaire de la marine (Maripers) ;
– la direction générale des constructions, des armes et armements navals (Navalcostarmi) ;
– la direction générale du commissariat ;
– le personnel de santé
relèvent directement du ministre de la Défense.
Pour ce qui concerne l’organisation territoriale, le littoral italien est divisé en quatre départements maritimes (Maridipart) et deux commandements autonomes (Mari) répartis comme suit :
– Haute Tyrrhénienne, siège La Spezia ;
– Basse Tyrrhénienne, siège Naples ;
– Mer Ionienne et canal d’Otrante, siège Tarente ;
– Adriatique, siège Ancône ;
– Commandement maritime autonome de Sardaigne, siège Cagliari ;
– Commandement maritime autonome de Sicile, siège Messine.
Les principales bases de la Flotte sont : La Spezia, Tarente, Naples, Augusta en Sicile, et sur l’Adriatique : Ancône.
La flotte se compose d’environ 217 000 t de bâtiments dont 137 000 de bâtiments de combat comprenant en particulier :
– 3 croiseurs lance-missiles et porte-hélicoptères récents : l’Andrea Doria et le Caio Duilio de 6 500 t et le Vittorio Veneto de 8 000 t ;
– 2 destroyers lance-missiles de 4 000 t : l’Impavido et l’Intrepido ;
– 6 destroyers classiques dont 3 ex-américains ;
– une trentaine d’escorteurs de 600 à 2 500 t dont 10 récents, parmi lesquels l’Alpino et le Carabinere ont des caractéristiques remarquables eu égard à leur faible tonnage ;
– une soixantaine de dragueurs ;
– 10 sous-marins dont 4 récents de 500 t de la classe Toti ;
– une trentaine de patrouilleurs, de vedettes rapides, d’engins de débarquement et de bâtiments divers.
Le coût d’entretien de certains bâtiments devenant excessif, la marine italienne se voit obligée, faute de crédits, de mettre en réserve et même de désarmer bon nombre de ses unités. C’est ainsi que le croiseur Garibaldi qui a participé à la Seconde Guerre mondiale et a été transformé par la suite en croiseur lance-missiles, a dû être retiré du service le 21 janvier 1971, ce qui n’a pas manqué, vu le prestigieux passé de ce bâtiment, d’affliger toute la marine.
Bon nombre de navires italiens sont équipés d’armes et équipements fournis par les États-Unis ou construits sous licence en Italie, mais l’industrie nationale a réalisé des matériels intéressants et originaux. Citons : les pièces de 76 et 127 automatiques de la firme Oto-Melara exportées dans de nombreux pays et les missiles surface-surface Nettuno et Vulcano construits par Contraves, d’une portée de 10 et 20 km respectivement.
Le programme de constructions neuves ne porte que sur :
– 2 destroyers lance-missiles de 4 400 t : l’Audace et l’Ardito en construction à Gênes ;
– 1 sous-marin de 1 400 t ;
– 2 canonnières lance-missiles ;
– 1 petit hydroptère expérimental.
Le tout ne représente qu’à peine 11 000 t, ce qui est très insuffisant pour combler le vide creusé par les bâtiments condamnés. Il faut toutefois ajouter que la mise en chantier d’un bâtiment logistique de 18 000 t à propulsion nucléaire, l’Enrico Fermi, est prévue. Le réacteur qui l’équipera, a divergé le 29 janvier 1970 ; il fonctionne avec de l’uranium enrichi fourni par notre pays (accord d’octobre 1968).
L’aéronautique navale italienne ne possède en propre que des hélicoptères basés soit à La Spezia-Luni, soit à Catane-Fontanarossa ; ils sont embarqués par roulement sur les bâtiments de la Flotte. Dans l’utilisation de ces engins comme porteurs d’armes anti-sous-marins (ASM) ou anti-surface, les Italiens ont pris une grande avance sur d’autres marines et acquis une grande expérience. Au nombre actuellement d’une cinquantaine, ce sont surtout des Agusta Bell 204B et des Sikorsky SH-3 Sea King construits sous licence en Italie.
L’armée de l’air met à la disposition de la marine une aviation de coopération navale composée d’une trentaine de bimoteurs américains Grumman S-2 Tracker qui seront progressivement remplacés par des Breguet Atlantic dont 18 ont été commandés, l’Italie participant à la construction de ces appareils ; les premiers seront livrés vers la mi-1972. Ces appareils sont ou seront mis pour emploi à la disposition de COMARAIRMED.
Les effectifs se montent à environ 43 500 hommes dont 4 300 officiers ou assimilés.
Le recrutement des officiers des différents corps se fait soit par concours ou sur titres universitaires et ils appartiendront au « Ruolo normale » de la liste navale, soit en provenance des équipages et ils seront alors classés au « Ruolo spéciale ».
En outre, les officiers mariniers qui n’ont pas pu devenir officiers du « Ruolo spéciale » sont susceptibles d’être nommés officiers des équipages en remplissant certaines conditions de grade et d’ancienneté. Les officiers du rôle spécial plafonnent au grade de capitaine de vaisseau et les officiers des équipages à celui de lieutenant de vaisseau.
L’Académie navale, installée à Livourne, forme pratiquement les officiers de tous les corps, qu’ils soient d’active ou de réserve, du rôle normal ou du rôle spécial. Cette homogénéité dans la formation est un point caractéristique. L’Académie navale englobe d’autre part toutes les écoles de perfectionnement et de spécialité d’officiers.
Le cycle des études des officiers de marine et des corps techniques dure quatre ans, entrecoupés d’embarquements, au cours desquels une forte proportion d’élèves est éliminée pour insuffisance. Ce système ne donne pas entière satisfaction car il encombre les écoles en leur imposant une charge trop lourde. La marine s’oriente vers un système de sélection plus sévère au départ.
L’Institut de Guerre navale qui correspond à notre École supérieure de Guerre navale est lui aussi installé à Livourne. Un officier français y suit habituellement les cours qui y sont dispensés ; en échange, la marine italienne envoie un de ses officiers en stage à notre École.
Doué de la finesse latine, très cultivé et compétent, conscient de son rôle et de sa valeur, l’officier de marine italien représente un élément sûr, animé d’un ardent patriotisme sur lequel la nation peut compter.
Pour ce qui le concerne, le recrutement des équipages est assuré par des engagements volontaires de jeunes gens âgés de 17 à 20 ans et titulaires de qualifications scolaires ou professionnelles déterminées. Ce recrutement est complété par la levée des inscrits maritimes qui font 24 mois de service.
En résumé, l’Italie a su se doter depuis une quinzaine d’années, en dépit de constantes restrictions budgétaires d’une marine modeste quant à la taille mais d’une incontestable valeur. Elle est servie par un corps d’officiers excellent qui s’inquiète de l’amenuisement continu des moyens mis à sa disposition et des lacunes qui existent notamment dans la catégorie des sous-marins et de l’aviation navale qui ne lui appartient pas sauf en ce qui concerne les hélicoptères embarqués, domaine où la marine italienne a acquis une avance certaine. Elle éprouve à l’intérieur du pays, comme hélas chez nous, les plus grandes difficultés à faire reconnaître l’importance de ses tâches.
Dans l’Otan : l’exercice Dawn Patrol 1971
Cet exercice annuel le plus important de l’Otan en Méditerranée s’est déroulé cette année du 28 avril au 17 mai 1971 dans la zone centrale et orientale de ce théâtre, sous la haute direction du commandant en chef de Sud-Europe (CINCSOUTH), l’amiral River de l’US Navy.
La marine américaine avait détaché un porte-avions ainsi que plusieurs destroyers, escorteurs et navires logistiques. La Royal Navy était représentée par un destroyer lance-missiles, une frégate et un pétrolier ravitailleur. La participation italienne a été importante : un croiseur et une vingtaine de bâtiments légers. Les marines grecque et turque avaient aussi fourni un gros effort en détachant à Dawn Patrol plusieurs escorteurs et des sous-marins. Cette année la Marine française n’a pas pris part à ce grand exercice. ♦
(1) Il représente bon an, mal an environ 15 % du budget militaire.
(2) Pauvre en ressources naturelles, l’Italie est dotée d’une industrie de transformation qui donne lieu à un trafic maritime considérable (270 millions de tonnes en 1969).