Le conflit sino-soviétique. T. I : Le conflit entre partis
Il ne fallait pas manquer d’audace pour affronter l’étude exhaustive d’un tel problème – un des événements majeurs de l’histoire contemporaine – dont la complexité le dispute à l’ampleur. Dans le courant de l’été est paru le second tome de ce travail, consacré à l’affrontement des États. Le premier étudie les origines et les développements idéologiques du conflit. Ceci répond à une exigence de logique : l’intérêt que soulève l’analyse des thèmes du conflit sino-soviétique est d’abord d’ordre doctrinal. N’est-il pas étrange que la fin de l’appropriation privée des moyens de production dans deux États géographiquement voisins ait laissé subsister un différend profond entre « deux peuples devenus frères dans la libération économique » ? Le marxisme, qui se veut édification mais aussi explication, n’expliquerait donc pas tout. La volonté de puissance est difficile à calmer. Elle aide à comprendre le comportement des leaders populaires portés à modeler le marxisme sur le modèle national : en dépit de certaines convergences, restent décisives les vieilles rivalités d’une histoire dont le poids demeure particulièrement sensible en Extrême-Orient.
Alors que jusqu’ici, du moins en langue française (à l’exception peut-être des travaux de Mme Hélène Carrière d’Encausse et de M. Schramm) les ouvrages fondamentaux présentaient l’essentiel du différend sino-soviétique sous un angle événementiel et avec un souci descriptif, Mario Bettati a cherché à comprendre et à expliquer plus qu’à dépeindre. Il a tenté, à partir des données idéologiques et historiques, une présentation des sources mêmes de l’opposition qui, après avoir séparé deux partis communistes, voit maintenant s’affronter deux États. La tâche était considérable, ne fût-ce qu’en raison de la masse de la documentation : 300 numéros de Pékin information, par exemple, traitent de ce problème !
Ce premier tome présente les deux grands sujets à propos desquels les PC russe et chinois se sont éloignés l’un de l’autre, puis affrontés : la détermination de la ligne intérieure du mouvement communiste international, puis la détermination de sa ligne extérieure – ce qui concentre l’analyse sur quatre thèmes : la révolution et le socialisme, le stalinisme, puis la coexistence pacifique et l’organisation du mouvement communiste international. Le 14 février 1950, Chou En-Laï considérait l’accord sino-soviétique qui venait d’être conclu comme « un indice de l’amitié fraternelle et de la coopération éternelle entre la Chine et l’Union soviétique ». Vingt ans plus tard, devant le 9e Congrès du PC chinois, Lin Piao stigmatisait « la clique des renégats révisionnistes soviétiques »… Le problème ne se réduit pas à cette contradiction entre l’affirmation de « l’amitié » et l’invective. Mario Bettati éclaire cette contradiction par l’histoire de la pensée communiste (ou, plutôt, « des » pensées communistes) depuis Lénine, appuyant chacune de ses affirmations, complétant chacune de ses analyses par des références qui font de son livre un instrument de travail dorénavant indispensable. ♦