Défense en France - Lancement du Sous-marin nucléaire lance-missiles (SNLM) « Le Foudroyant » - Réorganisation du Haut commandement - Une expérience de mobilisation
Lancement du SNLM Le Foudroyant
Le 4 décembre 1971, à Cherbourg, au cours d’une cérémonie présidée par M. Fanton, secrétaire d’État auprès du ministre d’État chargé de la Défense nationale, a été lancé Le Foudroyant, troisième Sous-marin nucléaire lance-missiles (SNLM).
Le Foudroyant fait suite au Redoutable, qui entame au début de cette année le cycle des patrouilles opérationnelles, et au Terrible qui poursuit ses essais et devrait être admis au service actif au cours de l’année 1972.
Dans la cale de construction libérée par Le Foudroyant seront aussitôt assemblés les premiers éléments de L’Indomptable déjà construits dans la nef de préfabrication. Son lancement est prévu pour 1974. La décision de construire un 5e SNLM a été prise récemment.
Ce lancement constitue donc une étape supplémentaire dans l’édification progressive mais sûre de l’élément naval de notre force nucléaire stratégique. L’année 1971 a vu le premier groupe de missiles stratégiques devenir opérationnel, 1972 sera celle de l’aboutissement du premier stade de l’ensemble de notre force de dissuasion concrétisé par la disponibilité opérationnelle des seize missiles du Redoutable quelque part dans l’océan.
« Le lancement du Foudroyant, a dit le secrétaire d’État, constitue également la démonstration d’une volonté politique. Le président de la République et le Gouvernement poursuivent la mise sur pied de la force de dissuasion nucléaire avant tout pour conserver à la France la paix que le général de Gaulle a su lui apporter, pour donner à ses enfants l’avenir auxquels ils ont légitimement le droit d’aspirer, enfin, pour participer dans le monde à la recherche de la paix, de la détente et de la coopération. »
Réorganisation du haut commandement
Le Conseil des ministres a adopté, le 24 novembre, deux décrets qui déterminent l’un, les attributions des Chefs d’état-major en temps de paix, l’autre l’exercice du commandement en temps de crise. Comme l’a souligné, Michel Debré, ministre d’État chargé de la Défense nationale, ces deux textes constituent le premier aboutissement des études entreprises au sein des Armées depuis plusieurs années. Ces études avaient pour objectif de définir, au vu de l’expérience des vingt dernières années, et en fonction d’éléments nouveaux (concept de dissuasion, notion de l’état de crise, caractère global de la Défense, nécessité des forces interarmées) les attributions et responsabilités de chacun des échelons du haut commandement selon les circonstances. Ce fut également là l’occasion d’une simplification et d’une clarification de textes divers, échelonnés dans le temps et portant parfois la marque des circonstances. Il s’agit donc, avant tout, d’un effort de réflexion.
Les dispositions essentielles des décrets visent à renforcer le rôle opérationnel du Chef d’état-major des armées (Céma). C’est ainsi qu’en cas de crise (articles 2 et 6 de l’ordonnance du 7 janvier 1959 sur la défense) le premier décret prévoit que le Céma peut être nommé Chef d’état-major général des armées (CEMGA). À ce titre il devient le conseiller militaire du Gouvernement et assure le commandement de l’ensemble des opérations militaires, sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’emploi de la force nucléaire stratégique et de l’arme nucléaire tactique. Il traduit en ordres pour les commandants des forces les directives du Gouvernement. Les Chefs d’état-major des trois armées sont ses adjoints pour la conduite des opérations. À ce souci d’efficacité, dicté par la nécessité de disponibilité immédiate d’une partie au moins des forces en cas de crise, devait correspondre un allégement des secteurs de responsabilité du Céma en temps de paix.
C’est l’objet du second décret qui détermine les attributions en temps normal du Céma, des trois Chefs d’état-major, du Comité des Chefs d’état-major et des Conseils supérieurs des trois Armées. Le Céma, selon ce texte dont la rédaction reflète une volonté de déconcentration, a pour mission essentielle l’élaboration des plans d’emploi des forces et de leur articulation générale. Il a autorité sur les commandants des forces et voit confirmé sur elles son pouvoir d’inspection permanent. Le Céma assure désormais la direction générale de la recherche du renseignement militaire dont il assure l’exploitation. Il assume également un rôle majeur dans le domaine international (missions militaires, Alliance atlantique, coopération, négociations internationales). Par contre en ce qui concerne les plans, les programmes et les budgets, le Céma n’intervient plus que dans leur aspect interarmées ou pour proposer au ministre un arbitrage dicté par les missions assignées aux forces.
Cette déconcentration implique que les Chefs d’état-major (CEM) des trois Armées voient s’accroître leurs responsabilités dans les domaines : plans, programmes, budget, logistique, infrastructure et surtout préparation de leur Armée, c’est-à-dire doctrine d’emploi, instruction, entraînement, organisation et mobilisation. De plus, responsables de la formation et de la discipline de leur personnel, ils reprennent sous leur contrôle leur Direction des personnels militaires (DPM) respective jusqu’alors rattachée directement au ministre. S’ils sont normalement tenus d’informer le Céma de l’état de disponibilité de leurs moyens opérationnels, les CEM rendent compte directement au ministre des problèmes ou des projets qui leur sont propres, la synthèse et l’arbitrage étant assurés au sein du Comité des Chefs d’État-Major.
Ce comité, composé sous la présidence du ministre par les quatre CEM, est un organisme consultatif compétent en matière d’orientations stratégiques de la politique du Gouvernement, d’organisation d’ensemble des Armées ou des forces, de statut de la fonction militaire ou de toute question militaire de portée générale. C’est surtout le creuset au sein duquel s’élabore, sous l’arbitrage du ministre, à partir des plans d’emploi du Céma et de ceux établis par les CEM, la cohérence d’ensemble de l’organisation des forces armées.
Les Conseils supérieurs de chaque armée, organes consultatifs et d’étude, voient le nombre de leurs membres diminuer légèrement. Chacun d’eux est présidé par le ministre, le CEM en étant vice-président et les inspecteurs généraux membres de droit ; les majors généraux peuvent assister aux séances.
Ces deux décrets, qui affirment la vocation de direction générale du Céma, ne constituent en fait que la trame initiale du schéma de réorganisation d’ensemble des armées. Il faut attendre maintenant les éléments de la chaîne (définition et commandement des forces, organisation des grands commandements opérationnels et territoriaux) pour voir se dessiner la structure dans laquelle se développera l’appareil militaire modernisé de notre défense.
Une expérience de mobilisation
Dans la livraison d’octobre de cette revue, le lieutenant-colonel Basteau faisait le point des études en cours sur les problèmes de mobilisation (1) et exposait en particulier les mesures retenues et faisant l’objet d’une expérimentation en vue de conférer rapidité et efficacité à la mise sur pied d’unités de réserve. Les deux aspects nouveaux de cette mobilisation sont qu’elle doit être « localisée » d’une part et, d’autre part, faire un très large appel aux cadres de réserve pour sa préparation et son exécution.
Dès 1970, le 92e Régiment d’infanterie (RI), en garnison à Clermont-Ferrand, a été désigné comme unité pilote, à l’échelon national, et chargé d’étudier et d’expérimenter pour le mettre au point un système dit « d’intégration ». Ce système s’oppose à celui dit « de dérivation » dont le lieutenant-colonel Basteau dénonce très justement les inconvénients, spécialement celui d’affaiblir les unités d’active au moment précis où l’on doit pouvoir disposer de leur capacité opérationnelle maximum. Si le but poursuivi par l’intégration et la dérivation reste le même : doubler les effectifs d’un régiment d’active, l’emploi de ces deux mots empruntés au vocabulaire mathématique montre assez qu’il s’agit de deux méthodes opposées. L’intégration consiste à juxtaposer dès le temps de paix un régiment de réserve à un régiment d’active, avec son aide mais sans lui prélever d’effectifs.
La première condition pour entreprendre cette expérience, était évidemment le recrutement de cadres de réserve régionaux et volontaires. Ce fut l’objet d’un long travail de prospection, de recherche et de contacts mené dans les quatre départements de la région Auvergne par le commandant du 92e RI.
Les officiers et sous-officiers de réserve volontaires et remplissant les conditions d’âge, de résidence et de compétence constituent ainsi le noyau initial du « 92-Réserve ». C’est la création de ce noyau initial qui présente la difficulté majeure puisqu’ensuite, le système étant amorcé, ce noyau grossit, s’entretient et se renouvelle par le volontariat des militaires quittant le 92e RI à l’issue de leur service actif. À cet effet, à chaque libération de contingent, le colonel commandant le régiment et les cadres réservistes présentent le 92-Réserve au personnel libérable, qui peut alors demander à y recevoir une affectation de mobilisation. Cette méthode permet en effet au réserviste de préférer aux incertitudes d’une affectation aléatoire la connaissance de l’unité au sein de laquelle il sera appelé à effectuer ses périodes et – qui sait ? – à se battre. Car non seulement il connaît l’implantation et les missions de son régiment de réserve mais de plus il en connaît les cadres, pour les avoir rencontrés durant son service actif, au Quartier Desaix, lorsqu’ils y venaient pour préparer la mobilisation de leur unité. C’est là le deuxième aspect de l’expérience en cours.
Disposer du personnel d’encadrement ne suffit pas, il faut aussi lui donner les moyens d’assumer les responsabilités qui lui sont imparties. À cet effet, chaque commandant de compagnie du régiment de réserve dispose à l’intérieur du quartier, de bureaux, de magasins et bien entendu des conseils du régiment support. Si le régiment d’active est chargé du gardiennage et de l’entretien du matériel prévu en dotation pour le régiment de réserve, par contre ce sont les cadres de réserve qui gèrent leur personnel, étudient leurs besoins, l’organisation de leur unité et la planification de sa mise sur pied.
On a pu résoudre de façon satisfaisante le problème, modeste certes, mais souvent irritant de l’habillement du réserviste. Lors de sa première convocation, chaque homme prend le temps nécessaire à l’ajustement de ses tenues à sa taille : ultérieurement, il est assuré de retrouver au magasin son paquetage étiqueté à son nom. La solution du problème du ramassage du personnel bénéficie de la régionalisation du recrutement qui permet de s’affranchir des transports en commun et de l’effectuer par des moyens militaires mis en œuvre par les premiers réservistes rappelés. Ces multiples problèmes de mise sur pied du régiment sont évoqués et étudiés au cours de réunions mensuelles de synthèse et de coordination. Une convocation verticale annuelle permet de vérifier en vraie grandeur la validité de la planification et des différentes mesures adoptées, pour les modifier le cas échéant.
Cette mobilisation « localisée » comporte des avantages militaires et psychologiques évidents. L’ensemble du personnel connaît le terrain de la région qu’il aura éventuellement à défendre. Mais surtout la connaissance des hommes entre eux, leur communauté d’appartenance à une même unité de réserve, la possibilité d’approfondir dans la vie courante les contacts noués, constituent des facteurs particulièrement favorables au développement de cette cohésion initiale qui, jointe au souci de l’efficacité collective, permet à un régiment de réserve d’être rapidement opérationnel. Les résultats obtenus dans ce domaine au « 92-Réserve » sont excellents : lors d’une récente convocation verticale, 169 réservistes sur 179 ont répondu à l’ordre de rappel et la 5e Compagnie s’est mobilisée elle-même en moins de six heures.
Si cette forme nouvelle de mobilisation ne saurait s’appliquer d’emblée à toutes les unités des Armées, du moins le succès des expériences en cours laisse-t-il augurer favorablement du résultat des méthodes qui ne pourront que valoriser de façon certaine la Défense opérationnelle du territoire (DOT), expression et instrument de notre volonté populaire de défense. ♦
(1) Lieutenant-colonel Basteau : « Réserves et mobilisation », RDN, octobre 1971.