Défense dans le monde - États-Unis : le rejet de l'aide à l'étranger - Grande-Bretagne : le retrait britannique à l'Est de Suez - Albanie : le VIe Congrès du Parti du travail
États-Unis : le rejet de l’aide à l’étranger
L’éviction de Formose [NDLR 2021 : Taïwan] de la communauté des Nations unies, votée le 26 octobre 1971, a provoqué une réaction de colère dans l’opinion américaine. Comme toujours dans les cas où l’intérêt et l’honneur des États-Unis sont en jeu, la défaite diplomatique, aggravée par les manifestations haineuses de certaines délégations à l’ONU, a été fortement ressentie aussi bien chez les tenants de l’Administration que chez ses adversaires. Cette réaction n’a pas manqué d’avoir des contrecoups immédiats sur la politique intérieure et extérieure. En effet, la discussion des crédits sur l’aide à l’étranger intervenant malheureusement aussitôt après le vote des Nations unies, le Sénat rejetait en bloc le budget demandé par l’Administration, soit 2,9 milliards de dollars. De nature passionnelle, inattendu des Sénateurs eux-mêmes, ce vote a autant surpris à l’étranger qu’aux États-Unis. Le président Nixon l’a immédiatement qualifié de mesure « irresponsable » présentant des risques inacceptables par la sécurité des États-Unis.
Il apparaît bien en effet que l’attitude du Sénat soit dangereuse pour la politique présidentielle, au moins sur trois points :
– elle risque de ruiner le capital de confiance des amis de l’Amérique,
– elle ne peut manquer de susciter des difficultés économiques chez les alliés qui dépendent fortement de l’aide américaine et peut, par ailleurs, compromettre le désengagement des États-Unis au Vietnam,
– elle est susceptible, enfin, de nuire à la position américaine lors des prochains entretiens de Pékin et de Moscou.
Un exemple, à propos du premier point, peut être trouvé dans une déclaration du Premier ministre australien, William McMahon, qui, à Washington, s’est montré inquiet des dispositions actuelles du Sénat. Par ailleurs, les 77 nations en voie de développement, réunies à Lima, ont réagi sévèrement en accusant les États-Unis de faire preuve d’égoïsme et de vouloir punir le Tiers-Monde de son vote aux Nations unies sur la question de Formose.
À propos du deuxième point, M. Rogers, secrétaire d’État des États-Unis, est revenu sur le fait que, sans les crédits d’assistance demandés par le gouvernement, le Sud-Vietnam, le Cambodge, la Corée du Sud, la Thaïlande et d’autres pays d’Asie connaîtraient de graves difficultés et que la doctrine Nixon de désengagement deviendrait inapplicable. Les difficultés n’ont pas tardé en effet dans le domaine économique. Dès le 31 octobre, le real cambodgien était dévalué de 50 % par rapport au dollar, suivi par la piastre vietnamienne (45 %), le kip laotien (20 %) et le bath thaïlandais (20 %). Le transfert de ces difficultés sur le terrain politique ne peut être exclus dans une région où la stabilité en ce domaine dépend essentiellement de l’effort américain. Au Vietnam, par exemple, l’aide des États-Unis a représenté un total de 18 Md$ l’an dernier ; elle est assurément indispensable à la fois pour permettre la survie de l’économie, qui dépend essentiellement du dollar, et pour assurer le succès de la vietnamisation. Ce serait donc bien l’ensemble de la politique du Président [Nixon] dans le Sud-Est asiatique, à commencer par le désengagement, qui pourrait être remis en cause.
Mais l’aide américaine ne s’étend pas seulement au pays du Sud-Est asiatique, elle va aussi à d’autres Nations qui pourraient ressentir les effets de sa suppression et pour ne citer que les principales : au Moyen-Orient, Israël et la Jordanie et en Europe : la Grèce et la Turquie, considérées comme étant « aux avancées du monde fibre ».
Enfin, à propos du troisième point qui touche aux répercussions possibles du vote du Sénat sur la politique américaine de contact avec l’Est, le secrétaire d’État a déclaré que l’attitude de la Chambre haute pourrait donner à penser que le Président n’est pas toujours assuré, dans ses entreprises, de recevoir l’agrément du Congrès. Une telle impression est de nature à gêner considérablement l’action du Président lors de ses futures entrevues de Moscou et de Pékin. Ce point n’a pas échappé à la Pravda pour laquelle la prise de position du Sénat reflète les contradictions et les incertitudes de la politique américaine.
Dès le 31 octobre, la plupart des Sénateurs prenaient conscience des enjeux et des conséquences d’un vote trop expéditif, que le sénateur Edward Kennedy attribuait à l’absence de 32 sénateurs et à la coalition fortuite de libéraux, de conservateurs déçus, de partisans d’économies et d’isolationnistes traditionnels. Selon lui le principe de l’aide n’était pas en cause et le Sénat reviendrait sur sa décision. En effet, les débats pour la restauration de l’aide s’engageaient aussitôt. Ils traduisent clairement la position de l’opposition qui voit dans l’événement une occasion inespérée de battre en brèche la politique présidentielle et celle de l’Administration qui désire maintenir à tout prix son programme.
Convaincus de la nécessité de l’aide, un grand nombre de sénateurs en critiquent, par contre, le volume, les objectifs et surtout les modalités. Ils sont d’ailleurs très divisés sur ces points. Certaines tendances de l’opposition libérale voudraient réduire l’assistance à son aspect économique et humanitaire et feignent d’ignorer les réformes amorcées par le Président pour rendre son programme plus désintéressé. Les ultra-conservateurs n’en veulent retenir que l’aspect militaire et sont réticents à l’idée d’une aide humanitaire qui, selon eux, ne résout pas les problèmes fondamentaux des peuples du Tiers-Monde. Si, au Sénat, où le groupe démocrate est majoritaire, l’opposition peut assez facilement mettre l’Administration en difficulté et l’obliger à des concessions, la Chambre des Représentants appuie au contraire la politique gouvernementale, au moins sur ce point précis.
M. Nixon pour sa part cherche à obtenir le vote d’un programme de l’ordre de 3 Md$ jugé indispensable pour mener à bien la politique définie à Guam en 1969, selon laquelle les États-Unis ne continueront à honorer leurs engagements antérieurs qu’en cas d’agression ouverte, mais n’interviendront plus dans les conflits d’ordre interne de leurs alliés. Toutefois ils leur fourniront les moyens de se défendre eux-mêmes dans ce dernier cas. De cette politique, définie initialement pour le Sud-Est asiatique et que le Président aimerait étendre à l’ensemble du monde, découle la nécessité d’une aide américaine importante. Par ailleurs l’Administration entend toujours dispenser une aide humanitaire aux nations déshéritées. À ces objectifs de politique extérieure, il faut ajouter les profits dont l’aide n’est pas tout à fait dépourvue. En effet, une partie des crédits d’aide retournent aux États-Unis sous la forme de contrats de toutes sortes (achats d’équipements, de produits alimentaires, d’armement, de prestations de services, etc.) (1).
Cependant, le président Nixon a estimé depuis longtemps qu’une remise en ordre du système de l’aide, trop souvent rapiécé au gré des besoins, s’avérait nécessaire. D’autre part, pour donner à l’action américaine un caractère désintéressé, sa préférence va à l’aide multilatérale dispensée par des agences américaines spécialisées, plutôt qu’à l’aide bilatérale.
Les propositions de l’Administration en vue d’un rétablissement rapide de son programme comporte deux points :
– le vote d’une résolution « d’autorité continue » qui permettrait au gouvernement d’administrer le budget de l’aide pendant 90 jours et au rythme de l’année passée, soit 2,9 Md$ par an ;
– l’adoption d’une nouvelle loi de finances ou d’un programme d’aide intérimaire.
Cependant, alors que le blocage légal de l’aide paraît avoir des conséquences externes de plus en plus graves, le désaccord persistant du Sénat et de la Chambre des Représentants, qui ont voté des textes différents, notamment sur la résolution « d’autorité continue », n’a pas permis jusqu’à présent de sortir de la situation créée par le rejet.
En définitive, la majorité des parlementaires des deux Chambres, sauf les isolationnistes forcenés, s’accordent pour reconnaître la nécessité de rétablir rapidement le programme d’aide à l’étranger, mais leurs positions divergent sur les objectifs et les modalités d’un tel programme. Il est probable que les crédits pourront être votés, quitte à accélérer la réforme du système, d’ores et déjà amorcée par l’Administration. Pourtant le rejet initial et le blocage temporaire des fonds ont déjà et peuvent encore avoir des prolongements importants à l’extérieur. Us risquent, en tout cas, de ternir l’image de marque des États-Unis dans de nombreux pays.
Grande-Bretagne : le retrait britannique à l’est de Suez
Au moment de son arrivée au pouvoir en juin 1970, le Gouvernement conservateur avait repris à son compte deux objectifs du gouvernement travailliste : l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun et l’allégement de la présence britannique à l’est de Suez (2).
Le premier point semble en voie de s’accomplir sensiblement selon les vues du gouvernement actuel, puisque le Parlement vient d’approuver le principe de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun au terme des accords négociés par M. Rippon, ministre d’État chargé des négociations. Par contre, le second point dont le programme touche à sa fin ne paraît pas avoir permis les économies escomptées dont on avait déclaré qu’elles permettraient d’augmenter de façon notable l’effort de défense britannique en Europe.
D’ici à janvier 1972, l’exécution du programme de retrait des forces stationnées à l’est de Suez (Extrême-Orient et golfe Persique) devrait être chose faite.
En Extrême-Orient, la présence britannique a été sérieusement réduite par les retraits successifs intervenus depuis 1967 et le gouvernement vient finalement de décider la dissolution du Far East Command qui les coiffait. La Grande-Bretagne entend pourtant continuer à participer « dans la limite de ses ressources » au maintien de la paix et de la stabilité dans cette région du monde. Conservant en particulier des garnisons à Hong-Kong et à Brunei, elle entretiendra des forces modestes chargées de participer au maintien de la sécurité dans le cadre de l’accord dit « des Cinq Nations » signé en avril 1971 entre l’Australie, la Grande-Bretagne, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande et Singapour, et entré en vigueur le 1er novembre 1971. Le Far East Command a été remplacé le même jour par une organisation de commandement anglo-australo-néo-zélandaise ayant à sa tête un officier australien.
Dans le golfe Persique, il est probable que les forces britanniques seront retirées des Émirats de la côte de la Trêve, sauf accord de dernière minute avec la jeune fédération ayant autorité sur ces territoires. Seuls resteraient les éléments stationnés dans le sultanat d’Oman.
Le but de ces opérations était essentiellement d’assurer des économies substantielles qui, selon le gouvernement travailliste d’alors, puis selon son successeur conservateur, devaient permettre d’augmenter l’effort de défense britannique en Europe au profit de l’Alliance atlantique. Les faits n’ont confirmé ce point de vue que très partiellement tant en ce qui concerne les gains d’effectifs que le bénéfice financier.
Dans le domaine des effectifs, les forces stationnées dans l’ensemble de la zone à l’est de Suez (golfe Persique, Singapour, Malaisie et Hong-Kong) comprenaient encore, en 1967, 85 000 hommes des trois Armées, soit 20 % des effectifs totaux de l’Armée britannique (418 000 h). En 1972, elles n’en représenteront plus que 4,1 % soit environ 15 000 h, mais dans la même période, le volume global des forces armées sera passé de 418 000 à 365 000 h. Le bénéfice de l’opération sera donc très modéré puisqu’il ne dépassera pas 17 000 h.
En termes de budget, et toujours en se référant à l’année 1967, le retrait britannique n’a pas été plus profitable. Exprimé en livres constantes, le coût représenté par l’entretien des forces stationnées à l’est de Suez a été de 105 millions. Il a été ramené à 51 M en 1971, soit une économie de 54 M. Mais dans le même temps, le budget de défense britannique a subi une diminution de 253 M£ constantes. En réalité, les économies réalisées restent d’un niveau relativement modique. En ce qui concerne la dépense, le gouvernement britannique n’a guère été en mesure jusqu’ici d’opérer le transfert substantiel de crédits qu’il avait annoncé au profit de l’Europe, en partie pour justifier sa décision.
En définitive, malgré leur désir de promouvoir une politique plus ambitieuse dans l’océan Indien, les Conservateurs ont dû finalement, pour des raisons économiques, se rabattre sur le programme de leurs prédécesseurs. Il ne semble pas que les résultats des retraits en voie de s’achever à l’est de Suez aient répondu aux espoirs des uns et des autres, tant sur le plan des effectifs que sur le plan budgétaire, et qu’ils soient susceptibles d’aider grandement Londres à accroître son effort de défense en Europe.
Par ailleurs, le mouvement britannique n’a pas manqué de susciter quelque préoccupation chez les Américains qui envisagent d’englober l’océan Indien dans la zone de responsabilité du Commandement du Pacifique.
Albanie : le VIe Congrès du Parti du travail
Le VIe Congrès du Parti du travail d’Albanie (PTA) s’est tenu à Tirana du 1er au 7 novembre 1971 et a été suivi le 8 novembre des festivités marquant le 30e anniversaire de la création du PTA.
Il a été ouvert par un très long discours du premier secrétaire du Parti. M. Enver Hodja, en matière de politique étrangère, a confirmé comme il fallait s’y attendre la ligne suivie depuis une dizaine d’années par l’Albanie : amitié avec la Chine, condamnation avec une égale âpreté de « l’impérialisme américain » et du « social-impérialisme soviétique ».
Il a notamment déclaré que l’URSS qui se transforme en un « État chauvin et néocolonialiste » poursuit la politique des Tsars, et que la Tchécoslovaquie, la Pologne, la République démocratique d’Allemagne (RDA), la Hongrie, la Bulgarie et la Mongolie sont devenues « des provinces militaires de l’empire moscovite ». Selon lui, « l’alliance » entre les Soviétiques et les États-Unis, en vue « d’étouffer la liberté et la révolution », était surtout dirigée contre la Chine populaire qu’ils s’efforcent « d’encercler et de détruire ». L’Albanie est favorable à la collaboration balkanique mais n’a l’intention ni d’avancer ni d’accepter des propositions ayant pour objet de former des blocs ou des alliances militaires. Pour le premier secrétaire du parti albanais, la Chine « citadelle inébranlable de la révolution et du socialisme », « source d’inspiration pour l’ensemble du mouvement révolutionnaire mondial » est une « grande amie et alliée de l’Albanie ».
Traitant de l’idéologie, M. Hodja a insisté sur la nécessité de lutter contre la triple « menace mortelle : la sclérose, la bureaucratisation et la dégénérescence ».
En terminant il a annoncé que la Constitution allait être totalement remaniée car elle ne reflétait plus « la réalité socialiste de l’Albanie » (3).
Le chef du Gouvernement, M. Mehmet Shehu a présenté le 5e plan quinquennal. Il a violemment accusé les Soviétiques de soumettre l’Albanie depuis dix ans à des pressions économiques et politiques. Il a d’autre part annoncé que la collectivisation de l’agriculture était totalement achevée, et qu’au cours du Ve plan la Chine fournira au peuple albanais une « aide généreuse et puissante ».
Le ministre de la Défense, M. Begir Balluku, a mis l’accent sur la « vigilance » de son pays, rendue nécessaire par son « encerclement par l’impérialisme américain et par les nouveaux tsars du Kremlin ».
Les différents orateurs, représentant toutes les couches sociales du pays, ont pour la plupart souligné la nécessité de mener la lutte simultanément contre l’impérialisme américain et contre le social-impérialisme soviétique.
Vingt-six délégations étrangères ont participé au VIe Congrès (contre vingt-huit au Ve Congrès en novembre 1966).
La Chine n’était pas représentée, conformément à la décision prise par le PC chinois qui, lors de son IXe Congrès en avril 1969, n’avait pas invité de délégations étrangères et avait déclaré qu’il ne se ferait plus représenter aux Congrès des Partis-frères. La Corée du Nord et la Roumanie qui, elles aussi, avaient jadis envoyé des représentants au Ve Congrès albanais, ont suivi l’exemple de la Chine et étaient absentes cette fois-ci. De ce fait, un seul parti communiste au pouvoir était représenté au VIe Congrès : le Parti Nord-Vietnamien. Il est à remarquer que de tous les partis qui avaient des délégués au XXIVe Congrès soviétique, deux seulement étaient présents à Tirana : le PC du Vietnam du Nord et le FNL du Sud-Vietnam.
Les autres délégations au VIe Congrès, à l’exception cependant de celle du PC indonésien, ne représenteraient que des factions dissidentes (marxistes-léninistes) de PC restés fidèles à Moscou ou n’ayant pas pris parti entre Moscou et Pékin.
Il est enfin intéressant de noter que de tous les partis des États du bloc soviétique il n’existe toujours pas d’autre faction dissidente pro-chinoise que le groupuscule polonais de M. Mijal, dont le siège est précisément à Tirana.
Avant de se séparer, le Congrès a élu le nouveau Comité central qui comprend désormais 71 membres et 39 suppléants. Celui-ci a renouvelé sa confiance au Secrétariat et au Bureau politique : sur les 17 membres que comptent en tout ces deux organismes une seule personnalité nouvelle fait son entrée, en remplacement de M. Gogo Nushi, président des Syndicats, décédé en 1970.
Jusqu’ici la presse soviétique a paru ignorer le flot d’injures qui s’est déversé sur les dirigeants soviétiques pendant le VIe Congrès. Par contre, les organes de presse yougoslaves ont réagi à une phrase du discours de M. Hodja déclarant que les « réalités yougoslaves constituent la preuve la plus évidente de la faillite du système d’autogestion ouvrière », mais ils ont cherché à apaiser la querelle. C’est ainsi que le journal « Borba » a affirmé qu’il « ne saurait être question d’aucune dispute entre la Yougoslavie et l’Albanie au moment où la sauvegarde de leur indépendance est en jeu ». ♦
(1) En particulier 86 % des fonds dispensés par l’Agence pour le développement international (AID) retournent aux États-Unis.
(2) Depuis, les Travaillistes ont modifié leur attitude à l’égard de l’adhésion au Marché commun et s’en déclarent les adversaires. Les Conservateurs, au contraire, qui s’étaient élevés contre des retraits trop importants à l’est de Suez ont dû, pour des impératifs économiques adopter sur ce point les vues travaillistes.
(3) La Constitution actuellement en vigueur date de 1953.