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Afrique australe : la situation au Mozambique
Le Mozambique, possession lusitanienne située sur le flanc oriental de l’Afrique australe, est bordé sur 2 300 kilomètres par l’océan Indien et limité vers l’intérieur par la Tanzanie, le Malawi, la Zambie, la Rhodésie et l’Afrique du Sud. Ce territoire, traversé dans le sens Ouest-Est par le Zambèze, couvre une superficie égale à une fois et demie celle de la France et compte 8 200 habitants, dont 8 millions de noirs, près de 200 000 Blancs ou métis d’origine européenne, tous citoyens portugais.
Reconnu en 1498 par Vasco de Gama, après le premier franchissement du Cap de Bonne Espérance, le Mozambique a été colonisé dès 1505 par le Portugal à qui il échut définitivement à la fin du XIXe siècle, lors du partage de l’Afrique par les puissances européennes.
Largement ouvert sur l’océan Indien, le Mozambique occupe une position géographique dont l’importance, tant sur le plan économique que sur le plan militaire, a été encore accentuée par la fermeture du canal de Suez.
C’est en effet par la route du Cap que passe un bon tiers des pétroliers européens longeant les côtes du Mozambique et pouvant faire relâche dans deux grands ports, Lourenço Marques, la capitale, et Beira. Le premier, port de transit pour les minerais et marchandises locales ou en provenance d’Afrique du Sud, est aménagé pour recevoir les bateaux à grand tonnage, tandis que le deuxième est le terminus sur la mer des voies ferrées et des routes desservant la Zambie, le Malawi et la Rhodésie, dont l’oléoduc débouche également à Beira.
Soucieux de développer une économie reposant encore essentiellement sur l’agriculture, le Portugal a entrepris la construction d’un barrage sur le Zambèze, à Cabora-Bassa, dans le défilé entrecoupé de rapides découvert par Livingstone en 1858. Ce barrage doit « révolutionner » l’économie du Sud-Est africain dans la mesure où, produisant deux fois plus de kilowatts-heure que celui d’Assouan, il permettra l’industrialisation de la vallée du Zambèze, dans la région de Tête notamment, le ravitaillement d’une partie du Mozambique en énergie électrique ainsi que la fourniture d’un excédent appréciable à l’Afrique du Sud.
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« Province intégrée », le Mozambique est administré directement par Lisbonne et représenté à l’Assemblée nationale portugaise. Aux termes d’un amendement constitutionnel voté en juillet 1971 il a été prévu que les « provinces d’outre-mer » bénéficieraient « d’une large autonomie dès leur accession à plus de maturité politique et à une capacité suffisante d’auto-administration ».
À cet égard les avis divergent complètement selon les races, les partis ou les religions et les mesures prises à Lisbonne sont, soit considérées comme un pas en avant notable dans le sens de l’émancipation des Noirs, soit, mises au compte de « la mascarade du colonialisme portugais ». La plus claire illustration de ces désaccords sur l’interprétation d’un point fondamental de la politique portugaise au Mozambique nous est donnée par la décision prise en mai 1971 par la congrégation des Pères Blancs de retirer ses missionnaires afin de protester contre l’inféodation de la hiérarchie catholique et par la réponse collective des évêques, responsables sur place, devant cette « désertion ». Au sein d’une même Église deux thèses s’affrontent : d’un côté on affirme « qu’il y a au Mozambique de graves problèmes sociaux. La frappante inégalité sociale et économique entre les populations européenne et africaine, la lenteur du processus de formation d’une conscience politique, la guerre, sont des problèmes qui doivent troubler la conscience d’un chrétien et plus encore d’un missionnaire ». Les évêques de leur côté, « vigilants dans la défense des droits fondamentaux de la personne et attentifs à leurs violations… ne peuvent manquer de reconnaître l’effort fait par les autorités constituées pour, en dépit des graves difficultés de l’heure présente, promouvoir les groupes sociaux les plus nécessiteux et les élever jusqu’à prendre une part active aux destinées du Mozambique ».
Ces deux prises de position, choisies à dessein dans un milieu traditionnellement prudent, surtout lorsqu’il manifeste publiquement son opinion à propos des problèmes politiques relevant beaucoup plus du temporel que du spirituel, montrent combien il est malaisé de traiter objectivement un problème où la raison cède souvent la place à la passion.
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En tout état de cause, la rémanence d’un certain « rapport colonial » entre les deux communautés à l’heure où d’autres pays proches se dégageaient, non sans violence, de la tutelle belge ou britannique et accédaient à l’indépendance, avait, dès 1962, suscité au sein de l’élite autochtone un mécontentement qui, en 1964, dégénérait en rébellion ouverte contre la domination portugaise.
Parmi les diverses organisations de résistance, nées de cette volonté d’émancipation, seul le Front de libération du Mozambique s’est manifesté avec quelque vigueur sur le plan militaire. Le FRELIMO, dirigé successivement par des personnalités comme le Docteur Edouardo Mondlane ou son président actuel, M. Samora Michel, bénéficie des appuis quelquefois contrastés de l’URSS et de la Chine et reçoit ouvertement l’aide de la Tanzanie, lieu d’asile, puisque le siège du Comité exécutif est à Dar-es-Salam, réservoir logistique et base arrière opérationnelle, puisque le camp d’entraînement de Nachingwea abrite le centre d’instruction des guérilleros. À noter que Lusaka [NDLR 2021 : Zambie] accorde également un soutien non négligeable à la rébellion et tout particulièrement au Comité révolutionnaire du Mozambique – COREMO – de M. Paulo Gumane, installé en territoire zambien.
Après avoir proclamé « l’insurrection générale » en octobre 1964, le FRELIMO s’est engagé dans une guerre totale contre les « forces d’occupation ». Paralysé par les dissensions internes, mises en lumière lors de l’assassinat du Dr Mondlane, le ralliement du chef suprême de l’ethnie Maconde, Lazaro Cavandame, et la « dissidence » (1) du pasteur Uria Simango, le FRELIMO a supporté pendant des années tout le poids de l’action menée avec vigueur et persévérance sur le terrain par les forces armées gouvernementales. Ayant perdu une bonne part de sa combativité, il a dû, à partir de 1970, limiter ses ambitions à des opérations de harcèlement souvent liées à la pose de mines sur les voies de communication. Il est vrai cependant que l’on enregistre depuis quelques mois une nette recrudescence des actions de guérilla et notamment dans le secteur traversé par la route Blantyre-Tête-Salisbury. En effet, alors qu’auparavant les engagements avaient surtout lieu dans les districts de Cabo Delgado ou de Nyassa, vers la frontière de la Tanzanie, la guérilla cherche maintenant à s’étendre au Sud du fleuve Zambèze, dans le district de Tête. Il semble que le FRELIMO veuille, par ces actions à caractère terroriste, gêner les liaisons et les échanges entre le Mozambique et ses voisins et, dans le même temps, retarder les travaux de construction du barrage de Cabora-Bassa.
Le « franchissement » du Zambèze et l’extension de la subversion au Sud de cette importante voie d’eau, considérée à juste titre par les Portugais comme un élément vital du pays, aussi bien sur le plan économique, en tant que source d’énergie, que sur le plan militaire, en tant que « ligne naturelle de défense », ont été annoncées par le FRELIMO comme « le fait majeur » de l’année 1971.
Le général Kaulza de Arriaga, commandant en chef des forces armées portugaises au Mozambique, dans un communiqué paru dans la presse récemment, dit avoir réalisé près de 400 opérations dans le seul district de Tête tandis que l’on n’en dénombre que 300 environ pour les deux districts de Cabo Delgado et de Nyassa réunis. Du reste, l’énumération des objectifs « essentiels » de ces opérations est suffisamment éloquente : tandis que dans le secteur névralgique il convient de détruire les points d’appui d’un ennemi qu’il faut « détecter et poursuivre lorsqu’il est dilué dans la population », dans les districts du Nord on doit, plus simplement semble-t-il, poursuivre l’œuvre de pacification tout en « augmentant progressivement l’imperméabilité de la frontière », en « poursuivant constamment un ennemi qui fuit » et en cherchant à « éviter que l’ennemi ne puisse se livrer à des actes de terrorisme qui, quoique sans signification militaire, pourraient avoir des effets psychologiques ».
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Il faut bien reconnaître qu’avec les sabotages des voies de communication et les actes de terrorisme auxquels le FRELIMO se livre, dans un secteur vital du pays, la lutte pour le contrôle de la population est entrée dans une phase de violence extrême.
La décision finale reviendra à celui des deux adversaires qui aura manifesté la permanence de sa présence sur le terrain avec la détermination la plus soutenue de vaincre.
Les forces armées portugaises disposent de moyens qui ne sont peut-être pas toujours adaptés à la guerre de subversion qui leur est faite. Ainsi, après la protection des populations, la sécurité de voies de communication et des chantiers importants leur pose des problèmes dont la solution ne souffre aucun délai.
Les « mouvements de libération » de leur côté n’ont peut-être pas intérêt à trop forcer la dose dans le maniement des explosifs. Le terrorisme peut devenir une arme à double tranchant comme l’écrit la presse de Lourenço Marques : « la pose de mines près des villages et hameaux de regroupement est interprétée comme une réaction destinée à faire régner la terreur parmi les populations du district qui, en majeure partie, n’ont pas répondu aux tentatives de la subversion pour les enrôler à ses côtés ».
Si la recrudescence des activités du FRELIMO laisse prévoir une extension nouvelle des opérations militaires il n’est pas exclu que les Portugais tirent profit des excès d’une rébellion dont le manque d’unité est l’insigne faiblesse.
Afrique centrale : le Congo Kinshasa est devenu le Zaïre
La République démocratique du Congo n’est plus… Vive la République du Zaïre !
Pour la 4e fois depuis son accession à l’indépendance l’ex-Congo Belge change de nom. Le 27 octobre 1971 il a pris officiellement le nom de Zaïre.
L’État porte désormais le même nom que sa monnaie ; le drapeau et l’hymne national ont été changés ; le nouveau drapeau est vert avec un disque central jaune dans lequel est dessiné un bras tendu portant un flambeau à la flamme rouge vif qui symbolise la révolution zaïroise en marche, tandis que le vert représente l’espoir et la foi dans l’avenir ; l’hymne, composé par un Jésuite zaïrois et un professeur de musique de l’Université de Lumumbashi, a été choisi au cours d’une réunion du bureau politique présidée par le chef de l’État en personne ; on va débaptiser des rues et des places publiques de Kinshasa ; des changements d’appellation de services publics, de provinces et probablement de… lacs sont prévus.
Toutes ces mesures entraînent des dépenses élevées et bouleversent quelque peu les habitudes de la population ; aussi a-t-elle généralement accueilli ces innovations, dont elle ne mesure ni le sens ni la portée, avec une belle indifférence. Pourtant l’effort des dirigeants zaïrois pour retourner aux sources et retrouver l’authenticité de leur pays remonte à plusieurs années ; il poursuit toujours le même but qui est de rompre définitivement avec le passé colonial.
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Et c’est néanmoins vers le passé, un passé certes très lointain, que le Président Mobutu s’est tourné pour choisir le nouveau nom de Zaïre. Pour en retrouver la première mention, il faut en effet remonter au XVe siècle, à l’époque où Diego Cam découvrait l’embouchure du fleuve ; les Portugais qui occupèrent ses rives entrèrent en relations avec le roi Kongo, dont le royaume s’étendait depuis Loango au Nord jusqu’au Kwango à l’Est et au Kwanga au Sud, c’est-à-dire du Sud du Gabon au Nord de l’Angola où se trouvait la capitale San Salvador.
D’aucuns prétendent que le fleuve en question s’appelait primitivement « Nzadi » ou « Nzari » – ce qui signifie simplement « fleuve » en dialecte Kikongo – et que la transformation en « Zaïre » est le fait des explorateurs Portugais qui, ne parvenant pas à bien prononcer ce vocable, le déformèrent.
D’autres voient l’origine du mot « Congo » dans le fait que le roi de l’ancien royaume de Né-Kongo, a, dans ses contacts avec les Européens, donné par extension le nom de Congo au pays tout entier et au fleuve. C’est également le point de vue du Président Mobutu qui soutient que cette appellation n’est pas valable « historiquement » et s’attache à rétablir la vérité.
Certains reprochent au mot « Zaïre » de ne pas être plus authentiquement africain que le mot « Congo » puisqu’il est la transposition en Portugais du mot « Nzadi », qui définissait les grands cours d’eau en général et non le fleuve Congo en particulier. Enfin, sur l’autre rive, les Congolais fidèles au vocable réaffirment le caractère international du fleuve – Convention de Berlin de 1885 – et s’opposent à sa « débaptisation ».
Entre exégètes Congolais et Zaïrois la polémique est engagée sur ce point d’histoire relativement obscur.
Mais d’ores et déjà le général Mobutu, soulignant que ce fleuve constitue « la colonne vertébrale » du pays et qu’il coule entièrement de la source à l’embouchure dans le territoire zaïrois, alors qu’il ne fait que border l’État voisin du Congo-Brazzaville, a résolu d’imposer les modifications qui couronnent ses efforts en vue d’éviter à l’avenir toute confusion entre les deux pays.
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On commettrait une erreur si l’on n’attachait pas grande importante à ce qui peut paraître à première vue une querelle de mots et d’interprétation historique quelque peu aléatoire. En réalité il s’agit pour le président Mobutu de consacrer la personnalité propre de sa terre dont il veut faire une grande Nation. C’est ainsi qu’à l’occasion de la présentation annuelle des grandes lignes de la politique générale du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, il a annoncé que la lutte contre la corruption et l’exploitation abusive des richesses nationales par des étrangers allait se durcir et qu’il s’attacherait à détruire les réseaux de subversion qui mettent en péril « les acquis de la Révolution » ; il est décidé à pousser l’exploitation des ressources et à mobiliser toutes les énergies afin de consolider la stabilité économique et politique du pays ; pour stimuler l’expansion économique, le gouvernement s’efforcera de juguler la hausse des prix, de protéger l’agriculture et d’améliorer l’infrastructure routière ; mais cette politique d’austérité ne pourra réussir que si elle est soutenue par une bonne gestion des finances publiques, ce qui explique que le chef de l’État ait fait savoir qu’il n’hésiterait pas à se séparer de ceux qui se révéleraient incapables.
En pratiquant une politique d’ouverture à l’égard de tous les pays occidentaux, en favorisant les investissements étrangers, la République du Zaïre, selon ses principes de libéralisme économique, a trouvé le plus sûr moyen d’accélérer son développement et d’élever le niveau de vie de sa population.
Au-delà des frontières, le chef de l’État désire entretenir des rapports de bon voisinage avec les pays limitrophes. Mais, si un climat de bonne entente et de coopération règne entre le Zaïre et la plupart de ses voisins, il y a une exception fâcheuse en ce qui concerne ses rapports avec le Congo-Brazzaville ; depuis l’affaire Mulele qui a provoqué en 1968 la rupture des relations diplomatiques entre les deux États, l’atmosphère est restée tendue, entrecoupée de crises graves et de réconciliations avortées.
On peut dire qu’à l’échelle africaine le Zaïre s’est fait le porte-drapeau du libéralisme et de la lutte contre le communisme et qu’il manifeste sa volonté de participer en permanence aux grandes affaires. Ce souci d’exhausser le prestige du Zaïre, le président Mobutu l’a mis récemment en évidence, lors des travaux du « groupe des Sages » de l’OUA ; la sollicitation dont lui-même a été l’objet pour une médiation éventuelle dans le règlement du conflit indo-pakistanais, est la preuve de l’estime dont il jouit à l’échelle internationale.
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La décision du président Mobutu de « retourner à l’authenticité ancestrale » doit être, selon nous, interprétée comme un geste de haute politique répondant au « souci de rompre l’équivoque avec le Congo-Brazzaville et d’affirmer davantage l’indépendance nationale sur les rives d’un fleuve où s’opposent deux tendances économiques et politiques qui s’affrontent dans le Tiers-Monde ».
Après avoir souffert des séquelles d’une décolonisation mal engagée et pris plusieurs années de retard pendant la triste période de la guerre civile, le Zaïre a trouvé en la personne du général Mobutu son véritable chef qui, disposant de l’appui de l’armée et du peuple, s’est révélé seul capable de mettre un terme à la subversion, de redonner au gouvernement central sa stabilité, son autorité et son prestige, d’imposer au pays une politique énergique et efficace dans tous les domaines.
Débarrassé de tous complexes, disposant d’un potentiel humain considérable et d’une élite intellectuelle judicieusement formée en vue de la meilleure utilisation dans la conduite des affaires, exploitant avec sagesse les énormes richesses d’un sol généreux, ouvrant ses portes à la coopération étrangère avec un libéralisme intelligent, tout en préservant son indépendance politique, le président Mobutu, dynamique, fort et ambitieux à la mesure de son immense pays, est en train de se forger les moyens qui lui permettront de donner au Zaïre une place de choix dans le concert des grandes nations capables d’influer, de façon heureuse, sur l’évolution des destinées africaines. ♦
(1) Transfuge du FRELIMO, il a fondé le Mouvement de libération du Mozambique – MOLIMO – installé au Caire.