Défense dans le monde - États-Unis : le projet de budget de défense pour 1972-1973 - Pacte de Varsovie : réunion du Comité consultatif politique
États-Unis : le projet de budget de défense pour 1972-1973
En transmettant au Congrès, le 24 janvier 1972, un projet de budget pour l’exercice 1972-1973 (du 1er juillet 1972 au 30 juin 1973) qui présente un important déficit, M. Nixon a délibérément rompu une nouvelle fois avec la tradition républicaine d’équilibre budgétaire. Il entend ainsi grâce à une « médication sévère » trouver une solution à la crise économique américaine caractérisée par la conjonction des phénomènes d’inflation et de stagnation. Comme l’an dernier, le projet présidentiel a été élaboré selon le concept du « budget de plein-emploi », dans lequel les dépenses sont établies en fonction des recettes que rapporterait théoriquement l’appareil de production fonctionnant dans des conditions optima.
1. – Les dépenses fédérales s’élèveront à 246,3 milliards de dollars et les recettes à 220,8 Md, ce qui correspond à un déficit de 25,5 Md. À titre de comparaison, le projet de budget de l’exercice 1971-1972 prévoyait 229,2 Md de dépenses et 217,6 Md de recettes, soit un déficit de 11,6 Md$. En fait, selon les estimations officielles, les dépenses excéderont les recettes de 38,8 Md, ce qui constitue le plus important déficit budgétaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
En valeur absolue, le Département de la Défense (DoD) demeure le plus doté. Pour l’année budgétaire 1972-1973, les crédits demandés à son intention s’élèvent à 78,3 Md$ contre 77,5 dans le projet de l’exercice précédent. Toutefois, cette somme n’excède que de 300 millions de $ la dernière estimation des dépenses militaires pour l’année en cours (78 Md$).
En valeur relative, la part dévolue à la défense décroît progressivement depuis l’entrée en fonction du président Nixon. Dans le projet de budget actuel, elle ne représente plus que 32 % du total des dépenses fédérales et 6,4 % du PNB, contre respectivement 32,9 % et 6,8 % pour l’exercice 1971-1972. Ces nouveaux pourcentages sont les plus faibles enregistrés depuis 1950.
Il n’apparaît pas que le désengagement au Vietnam ait contribué à diminuer l’importance du budget militaire. En fait, les économies réalisées sur ce point seront réinvesties pour l’essentiel dans les programmes de la défense. M. Nixon a déclaré sans ambiguïté que les efforts en faveur de la paix ne se déploieront pas au détriment de la force militaire des États-Unis et il a demandé au Congrès l’autorisation d’engager de nouvelles dépenses, d’un montant total de 63 Md$, qui seront réparties sur plusieurs exercices.
2. – Comme chaque année, le projet de budget contient de précieuses indications sur l’état des forces américaines et leur évolution.
Les effectifs militaires ne diminueront que de 34 000 hommes entre le 1er juillet 1972 et le 30 juin 1973 (1). Après avoir subi une réduction de plus d’un million d’hommes depuis l’arrivée au pouvoir de M. Nixon, les forces américaines effectueront au cours du prochain exercice la transition vers l’armée de volontaires prévue pour le 1er juillet 1973.
Les forces stratégiques offensives et défensives seront maintenues pour l’essentiel à leur niveau actuel. Les premières compteront comme précédemment 1 054 SSBS (Système sol-sol balistique stratégique), 656 MSBS (Missile mer-sol balistique stratégique) et 511 bombardiers stratégiques, les secondes 21 batteries de missiles et 7 escadrons de chasseurs-intercepteurs (au lieu de 11).
Toutefois, les États-Unis n’entendent pas se laisser distancer dans ce domaine en dépit des Conversations sur la limitation des armements stratégiques (SALT). Les forces stratégiques bénéficieront dans le prochain budget de crédits supérieurs de 1,2 Md$ par rapport à l’exercice précédent (8,8 Md contre 7,6). Il est prévu en particulier de poursuivre la mise en place des Minuteman III (837 M), ainsi que celle du système de Missiles antibalistiques (ABM) Safeguard (1,4 Md) (2).
Le programme de conversion de SNLE (Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) en Poseidon portera sur 6 sous-marins et 470 M$ seront attribués au programme AWACS (Airborne Warning and Control System). Enfin, une impulsion importante est donnée au développement des nouveaux systèmes d’armes stratégiques offensives dont l’entrée en service est prévue vers la fin de la décennie : le bombardier Rockell B-1 Lancer (444 M$ contre 370 dans l’exercice précédent) et surtout le programme ULMS pour Undersea Long Range Missile System (942 M contre 140) (3).
Les forces d’emploi général, qui ne subiront qu’une déflation mineure sur le plan des effectifs, disposeront de crédits légèrement inférieurs à ceux de l’exercice précédent (25,6 Md contre 25,7). Par contre, l’accent sera mis sur la modernisation de leur équipement.
Les forces terrestres percevront notamment des chars M60 Patton et divers types d’armes pour une somme de 259 M$ (contre 145,5 au cours de l’exercice 1971-1972).
Les forces aériennes ne recevront que 5,8 Md$, contre 6,6 dans le précédent budget. Cette diminution résulte du fait que la livraison des McDonnell Douglas F-4 Phantom II s’achève alors que la fabrication du chasseur de supériorité McDonnell Douglas F-15 Eagle ne fait que commencer.
Enfin, les forces navales bénéficieront de crédits accrus, notamment en ce qui concerne la construction de nouveaux bâtiments (3,6 Md$ contre 1,1 en 1971-1972). Six sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire (SNA) et sept destroyers seront mis en chantier. Par ailleurs, 299 M$ sont prévus pour un porte-avions à propulsion nucléaire, le CVAN-70, dont le coût total est évalué à 1 Md$. La décision définitive concernant la construction de ce porte-avions est reportée à l’an prochain.
S’écartant délibérément pour la seconde fois de la tradition républicaine d’orthodoxie en matière financière, le projet de budget de M. Nixon reflète son souci de relancer l’économie américaine avant l’échéance des élections présidentielles de novembre prochain.
L’augmentation des crédits de la défense en cette période, particulièrement délicate pour l’Administration, prouve la volonté du président de maintenir le potentiel de dissuasion des États-Unis à un niveau compatible avec leur rang de superpuissance. Selon lui, cette condition est essentielle à la préservation de la paix mondiale, comme à l’aboutissement des négociations avec l’URSS dont l’arsenal stratégique continue à se développer.
Il est d’autant plus difficile de préjuger l’accueil que réservera le Congrès à ce projet de budget que sa discussion se poursuivra tout au long d’une année dominée par les affrontements électoraux. En tout état de cause, le président Nixon n’entend pas encourir le reproche d’avoir négligé la sécurité des États-Unis.
Pacte de Varsovie : réunion du Comité consultatif politique
Pour la première fois depuis quatorze mois, tous les chefs de Parti et de gouvernement des sept pays membres du Pacte de Varsovie se sont rendus à Prague les 25 et 26 janvier pour la réunion du Comité politique consultatif institué en 1963. Ce Comité constitue l’instance suprême du Pacte.
Les chefs de Parti et de gouvernement des sept pays membres, accompagnés des ministres des Affaires étrangères (4), des chefs des sections internationales des Comités centraux et du Maréchal Yakoubovski, commandant en chef des forces unifiées du Pacte, assistaient à cette réunion.
Le Comité se réunit en principe une fois par an (5) et il est chargé de définir les objectifs politiques du camp soviétique. En fait, si l’on en juge par les déclarations publiées à l’issue de chaque réunion, il apparaît que le problème du renforcement de la paix et de la sécurité en Europe est au centre de ses préoccupations.
Un communiqué commun, accompagné de deux déclarations « sur la paix, la sécurité et la coopération en Europe » et « sur la poursuite de l’agression américaine en Indochine , a été publié à l’issue des travaux.
Ces documents reprennent les arguments développés lors de la précédente réunion de décembre 1970 à Berlin et ne contiennent aucune proposition vraiment nouvelle.
Le communiqué commun publié à Prague énumère quatre centres d’intérêt examinés par les dirigeants des pays du Pacte :
– le problème de la paix, de la sécurité et de la coopération en Europe, en relation avec la préparation de la Conférence paneuropéenne de sécurité,
– « l’agression » américaine en Indochine,
– le renforcement de l’unité et de la cohésion du camp socialiste,
– la lutte anti-impérialiste et le soutien des peuples qui luttent pour leur indépendance et pour le progrès social.
Les deux premiers points, qui avaient déjà été traités à la réunion de Berlin, en décembre 1970, font l’objet d’une déclaration particulière. La condamnation de l’agression américaine en Indochine est faite sur un ton modéré et n’apporte aucune proposition nouvelle de règlement politique du conflit.
En fait, le seul document intéressant est la déclaration relative à l’Europe et les précisions qu’elle apporte sur la conférence paneuropéenne de sécurité et les problèmes annexes qui s’y rattachent.
Dans son préambule, cette déclaration rappelle les précédentes réunions de Bucarest (1966), de Budapest (1969) et de Berlin (1970), qui ont posé le problème de la paix en Europe et défini les objectifs qui devraient être assignés à la conférence paneuropéenne de sécurité : établissement d’une paix durable fondée sur la reconnaissance des frontières existantes et sur une coopération multiforme entre États souverains, égaux en droits.
Les participants constatent que les consultations qui ont eu lieu dans un passé récent entre les gouvernements des États européens à systèmes sociaux différents ont permis d’aboutir à une meilleure compréhension mutuelle du problème de la paix et de la coopération en Europe. Les relations qui ont été établies entre la France et les pays socialistes, ainsi que les Traités signés par la République fédérale avec l’URSS et la Pologne, l’accord du 3 septembre 1971 sur Berlin-Ouest et les échanges de vues commencées entre la RFA et la Tchécoslovaquie ont amélioré le climat politique en Europe. Une situation favorable à la poursuite de négociations multilatérales en vue de la préparation de la conférence paneuropéenne de sécurité, qui pourrait se réunir en 1972, a ainsi été créée.
Cette conférence devrait avoir pour objet de mettre sur pied un système de sécurité qui garantisse chaque État contre toute menace d’agression et assure le bonheur et la prospérité des peuples. Un tel système devrait être basé sur les principes suivants :
– inviolabilité des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale,
– interdiction de l’emploi ou de la menace d’emploi de la force,
– coexistence pacifique, excluant la guerre comme moyen d’action entre pays à systèmes sociaux différents,
– établissement de relations de bon voisinage et de coopération entre les États, sur la base des principes d’indépendance, de souveraineté nationale, d’égalité des droits et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui,
– établissement de relations entre États sur la base des avantages mutuels, dans le domaine de l’économie, de la culture, de la science, de la technique, du tourisme et également dans la lutte pour la défense de l’environnement de l’homme,
– négociations en vue de faire cesser la course aux armements et de régler le problème du désarmement général et contrôlé, et avant tout du désarmement nucléaire,
– soutien apporté à l’ONU dans sa lutte pour la paix, le désarmement et la coopération internationale.
La Conférence paneuropéenne de sécurité pourrait également s’attacher à faire disparaître les discriminations, les inégalités et les obstacles de toutes sortes qui freinent les relations entre États. La coopération des pays européens en vue de l’exploitation de leurs ressources minières et énergétiques, de l’augmentation de leur potentiel industriel et de l’amélioration des rendements agricoles, grâce à la généralisation du progrès scientifique et technique, contribuerait largement à l’élévation du niveau de vie des peuples. Une meilleure connaissance des valeurs culturelles et artistiques de chacun serait aussi un enrichissement pour tous.
Pour terminer, la déclaration du Comité politique consultatif émet enfin l’opinion que le problème de la limitation des forces armées et des armements en Europe, tant étrangers que nationaux, devrait être examiné en dehors du cadre des blocs politico-militaires existants, sans porter préjudice aux pays concernés.
Cette déclaration, qui reprend l’ensemble des propositions antérieures des pays du Pacte de Varsovie, n’apporte en fait rien de vraiment nouveau. Tout au plus peut-on mentionner l’accent mis sur l’augmentation envisagée des échanges culturels (6) et la précision relative à la limitation des armements qui ne « devrait pas porter préjudice » aux États qui en accepteraient le principe. Certains observateurs ont voulu y voir un rapprochement avec la notion occidentale de « réduction équilibrée » des forces mais cette interprétation est gratuite et ne semble pas devoir être retenue pour l’instant.
La ligne politique des pays du Pacte de Varsovie étant précisée, il appartient maintenant au Comité des ministres de la Défense, qui devait se réunir avant le 15 février à Berlin, de définir la politique militaire correspondante. ♦
(1) 2 358 000 hommes au lieu de 2 392 000.
(2) Dont 390 millions pour la construction des sites ABM de Warren et de Whiteman.
(3) Système sous-marin de missile intercontinental à très longue portée.
(4) À l’exception de M. Stoph (RDA), grippé, et de M. Gromyko (URSS) en voyage au Japon.
(5) Les précédentes réunions ont eu lieu à Moscou en juillet 1963, à Varsovie en janvier 1965, à Bucarest en juillet 1966, à Sofia en mars 1968, à Budapest en mars 1969 et à Berlin-Est en décembre 1970.
(6) Pour sa part, la Tchécoslovaquie serait assez réticente sur ce problème.