Le général de Gaulle et la République
Charles Morazé fut un fervent admirateur du général de Gaulle, et son collaborateur. Il a voulu essayer de situer de Gaulle dans son contexte historique, ce qui l’a conduit à évoquer l’histoire de la France depuis la fin du XVIIIe siècle. Notre histoire n’est pourtant pas uniquement dominée par l’évolution qui, de Voltaire aux fils de Jules Ferry, a établi l’État républicain. Elle est dominée par des faits de civilisation : « L’ascension, le retour et pour finir l’échec du général de Gaulle ont eu pour même cause le déclin d’une civilisation à laquelle la République devait sa naissance, sa puissance et son renom ».
Il ne faut pas s’attendre à trouver ici un exposé limpide – une nouvelle fois, Charles Morazé a écrit un livre vraiment « à lui » ! – mais on y trouve d’extraordinaires éclairs. « Des cités pouvaient avoir été républicaines ; une grande nation ne devait avoir qu’un seul chef ». Cette phrase pourrait laisser supposer qu’aux yeux de Charles Morazé le général de Gaulle a répudié les principes de la République, au profit d’une conception a-républicaine du pouvoir. En fait, il les a restaurés, rétablissant la primauté de « l’esprit des lois » sur le « fait des princes » – ces « princes » étant les divers organismes, parmi lesquels les partis, qui s’étaient emparés du pouvoir réel. Charles Morazé a voulu situer le général de Gaulle dans cette terrible crise que fut l’avènement, puis le triomphe de la civilisation industrielle, avènement et triomphe qui ont consacré un « quatrième pouvoir », la science – et « le dialogue entre le savant et l’opinion est rendu d’autant plus nécessaire qu’il faudra désormais contrôler le développement de sciences devenues si dangereuses », et la République, qui fut fondée sur le savoir, doit aujourd’hui affronter les problèmes posés par l’extension même de ce savoir, en un temps où « les intérêts ruinent les idéaux ». « Gaullien » dans la conception historique du terme, ce livre a le grand mérite de ne pas sombrer dans l’hagiographie, et il apporte beaucoup à son lecteur, quels que soient les sentiments que celui-ci éprouve à l’égard de la politique gaulliste. Ce n’est pas un mince compliment – mais c’est un compliment amplement mérité. ♦