Outre-mer - Double succès pour le Président du Cameroun - Création de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO)
Double succès pour le président du Cameroun
En moins de deux mois, le président Ahidjo a remporté deux succès importants qui viennent couronner la politique habile et prudente qu’il a su mener depuis l’indépendance de son pays. À l’intérieur, l’adoption par référendum d’une constitution unitaire permet de parfaire la réunification du territoire autrefois administré par la France et de l’ancien Cameroun britannique. À l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’élection d’un ministre camerounais à la fonction de secrétaire général souligne l’expérience que les pays africains reconnaissent au Cameroun, État bilingue, en matière d’unité africaine.
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L’avenir était pourtant sombre quand, en février 1958, M. Ahidjo accéda à la présidence après la démission de M. Mbida.
D’une part, le régime institué par la loi-cadre de 1956 avait à faire face à la rébellion des progressistes de l’« Union des populations du Cameroun ». Ce parti qui réclamait l’indépendance immédiate et prônait la violence avait été interdit en 1955 ; il avait installé des « maquis » actifs dans la tribu de son chef, Um Nyobé ; l’agitation de cette tribu, les Bassa, implantés de part et d’autre de la voie ferrée Douala-Yaoundé, constituait une menace notamment sur les communications de la capitale avec son port.
D’autre part, le Premier ministre tenait son pouvoir d’une assemblée élue en 1956, divisée et instable puisqu’aucun des groupes qui la composaient ne détenait la majorité absolue. Les 70 députés formaient quatre groupes parlementaires unis davantage par des intérêts régionaux ou ethniques que par des affinités politiques. Le plus important était celui des 30 députés du Nord ; l’UPC interdit n’avait pas de porte-parole mais les huit représentants de l’Action nationale de M. Soppo Priso réclamaient, comme elle, l’octroi de l’amnistie et l’indépendance à terme. On comptait également 20 démocrates camerounais de M. Mbida et 8 paysans indépendants Bamiléké.
La légitimité même de l’Assemblée était contestée par l’UPC qui n’entendait déposer les armes que lorsqu’une nouvelle chambre aurait été élue sous le contrôle de l’ONU. État autonome, en voie d’accession à l’indépendance, le Cameroun restait en effet placé sous le régime international de tutelle.
Les divisions de l’Assemblée reflétaient celles du pays. Le Cameroun comprend en effet deux communautés, traditionnellement séparées sur les plans ethniques, religieux et culturels. Le Nord est peuplé de Soudanais animistes dominés par des chefferies musulmanes Foulbé, le Sud de Bantous ou semi-Bantous, en grande partie christianisés, rassemblés en tribus fermées sinon antagonistes : les Bamiléké dans les montagnes de l’Ouest, les Boulou à la frontière du Gabon et de la Guinée équatoriale, ainsi que les Douala et les Ewondo de Yaoundé que séparent les Bassa. Le Sud, plus riche, fournit les trois-quarts des exportations et absorbe quelque 80 % des salaires.
À une certaine unité du Nord, causée par la prédominance des Foulbé, correspond une profonde division du Sud où le problème ethnique est rendu plus complexe par les mouvements migratoires des zones surpeuplées vers les zones moins peuplées. Ainsi le pays Bamiléké, dont la densité moyenne est de 100 au km2 et qui compte des secteurs atteignant 900, déverse sur le reste du pays une grande partie de sa population active, augmentant de ce fait les antagonismes intertribaux.
M. Ahidjo, d’origine nordiste et, de ce fait, soutenu par les députés du Nord dont le groupe parlementaire devint le parti de l’Union camerounaise, s’employa, non sans peine, à maîtriser la rébellion, à négocier avec la France l’évolution vers l’indépendance et à mettre en place les structures politiques du nouvel État.
Le pays Bassa fut presque totalement pacifié avec la mort d’Um Nyobé, tué le 13 septembre 1958, et le ralliement d’un de ses lieutenants, M. Mayi Matip qui accepta de se présenter aux élections partielles d’avril 1959 et fut élu triomphalement. Un autre coup fut porté aux thèses upécistes par l’ONU : sa mission de visite estima que de nouvelles élections générales n’étaient pas nécessaires et recommanda seulement au gouvernement d’accorder une large amnistie aux rebelles.
Simultanément, l’indépendance fut obtenue en deux temps : le statut du 30 décembre 1958 paracheva l’autonomie interne : un nouveau texte établi en 1959 fixa les modalités de l’indépendance complète. Le 12 mars 1959, l’Assemblée générale de l’ONU vota une résolution mettant fin à la tutelle à compter du 1er janvier 1960, sans demander de nouvelles élections ni l’abrogation du décret de 1955 qui rendait l’UPC illégale.
Soutenus par le Ghana et la Guinée, les « upécistes » en exil, sous la direction de Félix Moumie, entreprirent de relancer la rébellion en s’appuyant sur une autre ethnie du territoire, cette fois adossée à la frontière du Cameroun britannique à travers laquelle le ravitaillement pouvait parvenir facilement. Les Bamiléké nombreux et entreprenants, installés dans un site montagneux, étaient désireux d’affirmer leur unité ethnique, de s’approprier des terres dans la riche vallée du Mungo, de conquérir droit de cité à Douala et dans le reste du pays. L’UPC put donc aisément les pousser à la violence : elle encourait cependant le risque, en faisant coïncider lutte idéologique et besoin d’expansion d’une ethnie, de susciter la méfiance des autres tribus et de desservir la cause de la révolution sur le plan national.
La rébellion des upécistes en pays Bamiléké domina la vie politique camerounaise de 1960 à 1970, et influença l’évolution et le style du pouvoir. La crainte de l’expansion des Bamiléké agissant sous le couvert d’une idéologie progressiste conduisit les populations du Sud à accepter le leadership du président Ahidjo qui s’appuyait pourtant sur les chefferies traditionalistes du Nord : l’aide fournie par la Chine et l’URSS à la dissidence conditionna également au départ la politique étrangère du gouvernement.
Devenu État souverain, le Cameroun se dota lors du référendum du 22 février 1960 d’une Constitution adoptée par 60 % des électeurs, le Sud ayant voté en majorité contre le projet. À cette époque, la rébellion Bamiléké battait son plein et les élections législatives qui suivirent, le 10 avril 1960, se déroulèrent après la proclamation de l’État d’urgence. L’Union camerounaise, avec 69 % des voix, obtint 51 sièges sur 100, l’UPC de Mayi Matip 13 sièges, les Démocrates camerounais de M. Mbida 11, le Front populaire pour l’unité et la paix 18, les progressistes de MM. Assalc et Okala 8. Il y avait en outre deux députés non inscrits.
Le 5 mai 1960, l’Assemblée nationale désigna M. Ahidjo comme président de la République par 89 voix contre 10 (UPC et non inscrits). Un gouvernement, dont M. Assale fut le Premier ministre, fut constitué : quoique l’Union camerounaise eût pu gouverner seule, le gouvernement comprenait des représentants de tous les partis du Sud qui s’étaient réunis pour former la majorité présidentielle.
En septembre 1960, au Congrès de Maroua, l’Union camerounaise tira les conséquences de cette collaboration au sein du gouvernement et proposa à ces partis de fusionner avec elle ; seuls, les démocrates camerounais refusèrent : leurs ministres furent révoqués en septembre 1961. Entre-temps, en février 1961, les populations de la partie méridionale du Cameroun britannique s’étaient déclarées favorables à la réunification avec l’ancienne possession française par un référendum contrôlé par l’ONU.
Cet événement, bénéfique parce qu’il facilitait la pacification, était susceptible de rendre plus complexe la tâche du président Ahidjo, en renforçant l’importance des populations bantoues dans la vie politique camerounaise : en outre, l’intégration par une nation déjà fragile, d’un peuple ne parlant pas la même langue et habitué à des usages administratifs différents risquait d’accroître la tension dans le sud du pays.
C’est pourquoi au cours d’une conférence qui réunit en juillet 1961 les représentants de l’Union camerounaise et du parti majoritaire du Cameroun britannique, le Kamerun National Democratic Party de M. Foncha, les deux présidents décidèrent d’adopter une constitution de type fédéral et de créer un comité de coordination chargé d’étudier la fusion de leurs partis respectifs.
La constitution de 1961 mit en place un régime présidentiel où l’exécutif de la fédération détenait la quasi-totalité des compétences. Les gouvernements des deux États fédérés, Cameroun occidental et Cameroun oriental, ne conservaient qu’une autonomie très réduite ; la participation des deux pays aux institutions fédérales, notamment à l’Assemblée, jouait en faveur du plus peuplé d’entre eux, le Cameroun oriental. Toutefois l’ensemble devenait un État bilingue et le gouvernement fédéral s’engageait à respecter les particularismes administratifs, universitaires et juridiques de l’ancien territoire britannique. En matière économique et monétaire, celui-ci fut soumis progressivement aux engagements internationaux contractés par Yaoundé, il quitta notamment la zone sterling pour la zone franc.
Pendant l’année 1962, l’Union camerounaise continua de grignoter et d’affaiblir les autres formations politiques du Cameroun oriental et, au Congrès d’Ebolowa, elle proposa à nouveau l’unification. Les quelques dirigeants politiques qui opposèrent à l’idée d’un parti national unifié celle d’un « front national unifié » étaient alors isolés ; ils purent être accusés de subversion et arrêtés.
Dès le milieu de 1962, le monopartisme fut ainsi installé de fait au Cameroun oriental. Il fallut attendre le 1er septembre 1966 pour que l’« Union nationale camerounaise » sortît de la fusion de l’Union camerounaise et des trois partis politiques du Cameroun occidental.
La réunion des syndicats en un seul mouvement rattaché au parti gouvernemental fut plus longue à obtenir encore. En 1962, les États fédérés comptaient chacun deux fédérations syndicales concurrentes. En raison de l’opposition des formations chrétiennes, les négociations engagées n’aboutirent qu’en 1971 à la création d’un syndicat unique.
Parallèlement, la lutte contre la rébellion se poursuivait. Elle fut favorisée par les dissensions survenues au sein de l’« UPC clandestine », après l’assassinat de Félix Moumie (novembre 1960), entre les tendances pro-chinoise et pro-soviétique de ce mouvement. Elle nécessita un effort militaire et financier soutenu : l’armée camerounaise, une des mieux équipées d’Afrique centrale, absorbait en 1969 près de 20 % du budget fédéral. En dehors de quelques incidents à Douala, à Yaoundé, à la frontière du Congo et dans la région d’Edea, la subversion resta localisée au pays Bamiléké et à une frange des départements limitrophes.
Les opérations militaires furent accompagnées d’une action politique tendant à rallier au régime les élites bamiléké et d’une action diplomatique pour priver les rebelles de leurs appuis extérieurs. Par ces diverses entreprises menées avec persévérance et habileté, le gouvernement réussit progressivement à résorber la subversion.
Ernest Ouandie, le dernier « chef historique » des maquisards fut arrêté le 19 août 1970 et condamné à mort. Sa capture et la compromission de Mgr Ndongmo, évêque de Nkongsamba, faillirent provoquer une mise en accusation générale des Bamiléké, qu’ils fussent ralliés ou non au régime : dans sa sagesse, le président Ahidjo sut se montrer modéré et consolider par sa clémence la pacification enfin obtenue.
Tout en œuvrant pour l’unification et la paix, le chef de l’État camerounais ne négligea pas pour autant les problèmes économiques. Dans ce domaine, son action poursuivit un triple but : diversifier et moderniser les productions, resserrer les liens économiques entre le Nord et le Sud, associer son pays au développement des États nés de l’ancienne Afrique équatoriale française (AEF).
Le Cameroun est un pays essentiellement agricole. En 1964, 83 % de la population active s’adonnaient à l’agriculture traditionnelle. 4 % étaient employés dans les plantations modernes, 1 % dans l’industrie et 3 % dans le secteur public. À défaut de pouvoir exploiter des ressources minières immédiatement disponibles, l’effort porta sur le développement des cultures d’exportation et du secteur industriel. Les premières (café et cacao) furent augmentées d’un tiers en dix ans et, en 1969, les industries manufacturières atteignirent plus de 10 % du PIB, pourcentage jugé cependant encore insuffisant pour assurer le décollage économique.
Le gouvernement fit un effort particulier pour promouvoir le développement économique et social des départements du Nord et pour resserrer leurs liens avec le sud du pays. La production de coton augmenta d’environ 50 % et quelques industries firent leur apparition à Garoua. Le prolongement de la voie ferrée Douala-Yaoundé en direction du Nord fut décidé : elle atteindra l’année prochaine Ngaoundéré d’où rayonneront des routes en direction du Tchad et de la République centrafricaine.
En 1966, le Cameroun, en adhérant à l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale, dont il assume le secrétariat permanent, a marqué sa volonté de devenir le foyer de regroupement des pays de l’ancienne AEF. Il peut être le ferment d’un développement harmonieux de cet ensemble de quelque 12 millions de consommateurs, dont il représente à lui seul presque la moitié. Sans son marché, l’industrialisation de pays comme la RCA, le Tchad et même le Gabon ne se justifierait guère.
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En 1972, le président Ahidjo, peut regarder avec satisfaction l’œuvre accomplie en quatorze ans de pouvoir : consolidation de l’autorité présidentielle, pacification, unification des mouvements politiques et du pays, développement, augmentation de la production intérieure brute de 11 % par an en moyenne depuis 1964 et du revenu par tête de plus de 25 % en cinq ans.
Il mesure cependant la fragilité des résultats déjà obtenus et l’effort qu’il doit encore fournir pour les consolider. L’unification des partis n’est rien sans la détribalisation des esprits qui peut se faire dans le cadre du parti unifié et par la scolarisation : le développement économique n’est valable que si la population s’y trouve associée.
La rébellion éliminée, le Président peut en toute sécurité fixer des objectifs audacieux. C’est ainsi qu’au congrès de son parti, en janvier 1971, il a mis l’accent sur la « décolonisation économique » et le « non-alignement », politique qu’il entend poursuivre sans provocations inutiles et sans précipitation.
Le référendum constitutionnel du 20 mai 1972, qui peut être considéré comme un plébiscite, lui donne l’autorité nécessaire pour parfaire l’unité et l’indépendance nationales. Aux termes de la nouvelle constitution, acceptée par les électeurs camerounais dans des proportions variant de 97 à 100 %, l’État fédéral est remplacé par un État « unitaire, bilingue et pluriculturel » doté d’un régime présidentiel et d’une assemblée unique.
Le président Ahidjo bénéficie également d’un prestige accru pour mener sa politique africaine, fondée certes sur le « non-alignement », mais dont les objectifs ne sont pas tellement éloignés de ceux des pays progressistes, si les méthodes préconisées pour les atteindre sont différentes. Ses prises de position sur la décolonisation des territoires portugais et de l’Afrique australe sont, en particulier, dépourvues de toute ambiguïté.
En politique régionale comme en politique africaine, le Cameroun a la vocation d’être un trait d’union entre les pays progressistes et modérés, entre les États anglophones et francophones et même entre le monde arabe et l’Afrique traditionnelle. L’élection de M. Nzo Ekhah Nghaky, ministre du Travail, au poste de secrétaire général de l’OUA consacre le succès de cette politique. Le successeur de M. Diallo Telli mettra sans doute à profit son expérience camerounaise pour concilier les points de vue et rassembler les énergies afin d’atteindre deux objectifs essentiels : la décolonisation complète du continent et la défense des intérêts économiques de l’Afrique.
Création de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest
Le 3 juin 1972, à Bamako, la Côte d’Ivoire, le Dahomey [NDLR 2022 : futur Bénin], la Haute-Volta [NDLR 2022 : futur Burkina Faso], le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal ont signé le traité créant la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO).
Cet événement a consacré une lente évolution des esprits : il n’a été rendu possible que par le rapprochement des politiques sénégalaise et ivoirienne qui, dans ce domaine, étaient éloignées depuis 1959. À cette époque, où les pays de l’ancienne AOF se préparaient à accéder à l’indépendance, le problème des regroupements territoriaux avait entraîné des prises de position nettement opposées. M. Senghor soutenait la thèse d’un fédéralisme africain centralisateur : M. Houphouët Boigny ne cachait pas que ses préférences allaient à une association d’États souverains susceptible de déboucher sur un développement économique concerté.
Ainsi furent créés d’une part la Fédération du Mali regroupant le Sénégal et le Soudan, d’autre part le Conseil de l’Entente qui comprenait la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta, le Niger et le Dahomey. Toutefois, les anciens pays d’AOF à l’exception de la Guinée restaient unis au sein d’une Union douanière de l’Afrique occidentale (UDAO) qui n’eut pas d’activités notables et qui se transforma, à partir de 1966, en Union douanière et économique de l’Afrique centrale. Cette association ne prévoyait plus qu’un système de taxation et de remboursement sur les droits perçus à l’occasion des échanges commerciaux entre les États. En réalité, les liens les plus concrets entre ces pays étaient et demeurent constitués par les structures de l’Union monétaire ouest-africaine.
La Fédération du Mali éclata dès 1960. Depuis lors, le président Senghor s’efforça de mettre sur pied une organisation des États riverains du fleuve Sénégal, qui, dissoute en novembre 1971, se transforma en mars 1972 en une organisation à peine ébauchée pour la mise en valeur de ce cours d’eau. Le Conseil de l’Entente conçu sur d’autres bases, se maintint ; il se présente aujourd’hui comme un groupement régional assez cohérent et efficace, quoique l’intégration économique soit encore bien lointaine et que l’unité politique ne figure toujours pas parmi les objectifs de ses membres. Il se trouve malheureusement limitrophe de l’énorme Nigeria qui, en raison de sa puissance économique et humaine, risque de devenir un pôle d’attraction pour ses voisins plus faibles.
Au début de l’année, les chefs d’État de l’Afrique occidentale francophone se trouvaient donc placés, s’ils voulaient affirmer leur unité et leur spécificité, devant la nécessité de réaliser un ensemble économique et démographique plus vaste, afin soit de lutter efficacement contre l’emprise du Nigeria, soit d’être en mesure de négocier dans les meilleures conditions une forme de coopération avec ce pays. L’adhésion britannique au Marché commun, qui amènera à partir de 1973 à discuter de l’extension des avantages de la Convention de Yaoundé (20 juillet 1963) aux pays anglophones d’Afrique, rendait cette évolution particulièrement urgente.
Amorcées depuis mai 1970, les négociations entre les sept États ont été accélérées après les entretiens des présidents Senghor et Houphouët Boigny, réunis à Abidjan en décembre 1971 : elles ont abouti à la rédaction d’un traité dont le préambule précise que la Communauté est « la réalisation d’une zone d’échanges organisée et la mise en œuvre au niveau régional d’une politique active de coopération économique ». Les institutions communautaires comprennent la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres composé de deux ministres par État, la Cour arbitrale, le Secrétariat général coiffant quatre directions : développement industriel, promotion des échanges, agriculture et bétail, viande. L’instauration d’une taxe de coopération, l’intervention d’un fonds communautaire de développement et la mise en place d’organismes régionaux spécialisés sont envisagées. L’entrée en vigueur du traité interviendra le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle cinq États au moins l’auront ratifié.
Le traité est ouvert à tout État francophone et anglophone désireux d’y adhérer. Le président Senghor s’est fait le propagandiste de cette clause : selon lui, la Communauté devrait s’étendre de Nouakchott (Mauritanie) à Kinshasa (Zaïre). Pour le moment, les États auxquels il est fait appel restent dans l’expectative. D’ailleurs, tout n’est pas définitivement réglé entre les premiers partenaires : le Niger, le Dahomey, le Togo et la Mauritanie ayant demandé un temps supplémentaire de réflexion, une nouvelle réunion est prévue à Bamako en décembre pour la signature des protocoles annexes.
De son côté, le Nigeria ne reste pas inactif. Il se rapproche de la Guinée et du Zaïre [NDLR 2022 : futur Congo], fait des avances au Togo et au Niger, prend langue avec le Cameroun, crée, avec le Liberia, le Ghana et la Sierra Leone, une union des Chambres de commerce dont le but est de promouvoir l’harmonisation du développement économique de ces pays.
1973 s’annonce donc comme devant être une année de mouvement pour cette Afrique de l’Ouest qui, depuis 1960, paraissait figée dans des structures, des systèmes et des antagonismes nés des premières initiatives des jeunes États. Les principales victimes de cette sclérose ont été les pays qui, dépourvus de frontières maritimes, ont pris un retard certain sur leurs voisins côtiers, notamment dans le développement industriel. Les négociations futures leur donneront l’occasion d’exposer leurs revendications et peut-être de faire comprendre aux États mieux placés que l’équilibre de l’Afrique de l’Ouest passe par une harmonisation des développements. ♦