Institutions internationales - Les problèmes du terrorisme à l'ONU - Vers un élargissement méditerranéen de la CEE ? - Le « Non » de la Norvège - Le « Oui » du Danemark - Après la Session du Fonds monétaire international (FMI)
Tous les événements se sont précipités en quelques semaines. Certes, on pouvait penser que le voyage du président Nixon à Pékin en février 1972, et le remplacement de M. Sato par M. Tanaka à la tête du gouvernement japonais, auraient des répercussions directes sur les relations entre la Chine et le Japon. Mais on n’en a pas moins été surpris par la rapidité d’une normalisation qui prend immédiatement une ampleur telle que l’on peut penser que le voyage à Pékin de M. Tanaka [NDLR 2022 : du 25 au 30 septembre] restera dans l’histoire comme ayant marqué la date de naissance d’une nouvelle Asie. L’ensemble des relations internationales s’en trouvera affecté.
À la veille des vacances, le « sommet » européen était menacé : les divergences de vues étaient telles, notamment sur le problème des institutions, que certains se demandaient si cette réunion aurait lieu, et le président Pompidou avait laissé entendre qu’il préférerait l’annuler plutôt que d’en faire une confrontation purement protocolaire. La rencontre Pompidou-Brandt et les entretiens des ministres des Finances ont permis de surmonter les difficultés, cependant que la session annuelle de l’Assemblée du Fonds monétaire international (FMI) a permis aux Européens de montrer que leurs positions n’étaient plus aussi éloignées les unes des autres qu’on pouvait le craindre. Mais si l’« approfondissement » de la Communauté économique européenne paraît pouvoir faire des progrès, son « élargissement » s’est heurté à un obstacle, avec le « non » de la Norvège. La Communauté ne sera pas ce que l’on avait espéré qu’elle serait, et c’est son équilibre qui se trouve modifié, dans la mesure où l’influence britannique sera moindre que prévu.
Après le drame de Munich [prise d’otages israéliens meurtrière lors des Jeux olympiques], on s’attendait à ce que la question du terrorisme international soit portée devant certaines instances, et la proximité de l’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU permettait de croire que celle-ci serait saisie. On ne se faisait pas d’illusions sur les mesures concrètes qui pourraient être décidées dans l’immédiat, mais on ne pensait pas que le problème serait simplement renvoyé à la Commission juridique…
Si l’on met à part ce problème du terrorisme, ce sont les problèmes européens qui, en ce début de l’automne, retiennent l’attention, d’autant que si la CEE se penche sur elle-même, elle se préoccupe en même temps de préciser ses relations avec ses voisins, comme en témoigne la « communication » que la Commission de Bruxelles a soumise aux gouvernements des pays membres, à propos des relations de la CEE avec les pays du bassin méditerranéen.
Les problèmes du terrorisme à l’ONU
Les opérations terroristes menées sciemment, reconnues comme telles par certaines organisations palestiniennes et, sinon approuvées, du moins cautionnées par plusieurs États arabes, ont pris des formes telles que les gouvernements ne pouvaient pas ne pas s’en préoccuper, et que l’ONU n’a pas pu ne pas en débattre au sein de son Assemblée générale, qui a ouvert sa 27e session quelques jours après le drame de Munich. D’autant que les réactions israéliennes, qu’elles soient dictées par la colère ou par le souci de rendre coup pour coup, ne favorisent pas l’élaboration de la paix au Moyen-Orient. Tant qu’il s’agissait d’opérations de commandos au Moyen-Orient même, l’opinion internationale paraissait considérer qu’il n’y avait là qu’une des formes d’un conflit dont les facteurs irrationnels, raciaux et religieux, sont trop puissants pour que les appels à la raison aient quelque chance d’être entendus. Lorsqu’il s’est agi de détournements d’avions, d’enlèvement de diplomates, d’exécution d’otages, elle s’est émue, puis indignée, et le problème a pris des dimensions internationales. Le terrorisme est une des formes de la guerre révolutionnaire, et dans La face de méduse du communisme M. Thierry Maulnier a remarquablement analysé, on s’en souvient, le rôle de la terreur dans un conflit qui, quelles que puissent être les justifications que s’attribuent les protagonistes, prend figure de guerre de religion – encore que le communisme n’ait guère de place dans le terrorisme au Moyen-Orient. Tous ceux qui ont étudié les guerres qui se sont déroulées depuis 1945 – à l’exception de celle de Corée – ont insisté sur le rôle du terrorisme, rural et urbain. Mais il s’agissait d’opérations qui concernaient trois forces sur un même territoire : l’autorité établie, l’autorité qui voulait s’établir, les populations soumises aux pressions de l’une et de l’autre. À quelques exceptions près, ces opérations ne débordèrent pas du cadre géographique du conflit, et elles n’affectèrent que ses protagonistes. Il n’en est plus de même aujourd’hui. N’importe qui, en quelque région que ce soit, et sans que ses convictions soient en cause, est maintenant concerné par le terrorisme.
C’est pourquoi, à la suite du drame de Munich, le bureau de l’Assemblée générale de l’ONU, sur la proposition du Secrétaire général, M. Waldheim, demanda l’inscription à l’ordre du jour d’un débat sur le terrorisme. La décision fut obtenue par 66 voix contre 27 et 33 abstentions. La logique onusienne ne doit rien à Descartes. Rendu possible seulement par des concessions qui le vidaient en fait de toute substance, ce vote garantissait que la 27e Assemblée générale ne ferait rien contre le terrorisme. Sauf la Jordanie, les États arabes étaient convaincus qu’ils n’avaient rien à gagner dans un débat sur le terrorisme, cependant que la majorité des États africains se montraient persuadés que des mesures contre les prises d’otages ou les assassinats de diplomates compromettraient leurs projets de guérilla contre les possessions portugaises, la Rhodésie ou l’Union sud-africaine. Du côté soviétique, où l’on pourrait fort bien compter quelques-unes des futures victimes d’un terrorisme déchaîné, les réactions étaient incertaines…
Au nom des États-Unis, M. Rogers, secrétaire d’État, présenta trois projets de traités.
– Le premier sur « l’exportation du terrorisme international, qui comporterait la condamnation universelle, la poursuite ou l’extradition des personnes qui tuent, blessent grièvement ou enlèvent des civils innocents dans un État étranger dans le but d’obtenir des concessions d’un État ou d’une organisation internationale ».
– Le second portait uniquement sur les attaques et le kidnapping de diplomates ou de personnalités officielles (il avait déjà été soumis à l’Assemblée générale).
– Le troisième, lui aussi déjà présenté par les États-Unis à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), prévoit l’arrêt de tous services aériens aux pays qui s’abstiennent de poursuivre ou d’extrader les pirates de l’air ou les saboteurs d’appareils de l’aviation civile.
Au nom de la Grande-Bretagne, Sir Alec Douglas Home soutint le point de vue américain. Il réclama un débat immédiat : « Nous avons à faire face à des situations dans lesquelles des terroristes sèment la destruction parmi des innocents au nom de quelque interprétation hideusement déformée de la justice. Ceci doit cesser ». Il réclama des « mesures draconiennes ».
Pour M. Andrei Gromyko, ministre des Affaires étrangères de l’URSS, « on ne peut pas approuver les actes de terrorisme de certains éléments du mouvement palestinien qui ont notamment abouti aux récents événements tragiques de Munich. Leurs actions criminelles portent également un coup aux intérêts nationaux et aux aspirations des Palestiniens ». Et il ajouta qu’elles « sont exploitées par les criminels israéliens pour dissimuler leur politique de brigandage contre les peuples arabes » (!).
« La France, a déclaré M. Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères, a réprouvé sans restriction ni délai les actes de terrorisme et les actes de représailles qui multiplient les victimes innocentes… Elle partage donc l’angoisse du Secrétaire général et souscrit d’emblée à son initiative, qui lui semble deux fois exemplaire, d’abord parce que son but est de briser l’impitoyable enchaînement de la violence aveugle, ensuite parce que l’homme qui l’a prise entend s’attaquer, non seulement aux effets les plus tragiques, mais aux causes les plus profondes » – et le ministre français des Affaires étrangères rappela ce qu’avait déclaré le président de la République à propos du problème palestinien, « problème humain, donc politique ».
La question a été transmise à la Commission juridique. Celle-ci doit non seulement définir les formes relativement simples du terrorisme proprement dit, mais se pencher sur tout le problème palestinien, voire sur la situation au Guatemala, au Brésil, en Turquie ou en Yougoslavie. C’est la certitude presque absolue que la 27e Assemblée générale ne reparlera pas du terrorisme, ce qui n’a pas empêché le représentant du Yémen de proposer le renvoi de l’examen de la question à l’année prochaine, proposition rejetée par 57 voix contre 47 et 22 abstentions.
On ne peut ainsi qu’être d’accord avec M. Raymond Aron, écrivant dans le Figaro du 13 septembre 1972 : « Tant qu’ils y ont trouvé leur profit, dans le passé, certains États ont toléré, justifié sinon organisé la piraterie. Ils ne se mettront d’accord pour agir ensemble contre la piraterie aérienne et l’ubiquité du terrorisme que le jour où l’intérêt commun d’éliminer la violence aveugle l’emportera sur les divergences d’intérêts au Proche-Orient et dans le monde. Les Israéliens ne se font guère d’illusions, les gouvernements de l’Occident non plus ».
Les problèmes restent posés, les causes demeurent, la paix au Moyen-Orient ne paraît pas devoir être proche.
Vers un élargissement méditerranéen de la CEE ?
Alors que se déroulait ce débat à l’ONU, M. Georges Pompidou tenait une conférence de presse au cours de laquelle il souhaita l’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne : « Je suis partisan de l’entrée de l’Espagne dans le Marché commun et je souhaite qu’elle puisse se faire le plus tôt possible, tout en sachant qu’il y a encore des difficultés économiques et des objections politiques chez certains ».
À plusieurs reprises, l’adhésion de l’Espagne à l’Otan fut considérée comme une nécessité, en raison de l’importance stratégique de son territoire. Pour des raisons politiques, tenant au régime du général Franco, certains membres de l’Otan (notamment les Nordiques) s’opposèrent à cette adhésion qui, en raison de la règle de l’unanimité, n’aurait donc pas pu se réaliser. Pour éviter de donner une expression publique à leurs désaccords sur ce point, les membres de l’Otan décidèrent de ne pas poser officiellement le problème. Ceci n’affectait pas la valeur stratégique du territoire espagnol : d’où des accords bilatéraux Washington-Madrid pour l’installation de quatre grandes bases aériennes et d’une base navale (celle-ci pouvant recevoir des sous-marins nucléaires) en Espagne.
Le problème politique s’est, pour les mêmes raisons, posé à la Communauté européenne. L’Espagne n’a pas fait acte de candidature, elle s’est contentée jusqu’ici d’accords particuliers avec la CEE, comme d’ailleurs d’autres pays. Mais, à Madrid, un mouvement s’amplifie en faveur de la candidature. Les propos du président Pompidou ne peuvent que le renforcer. Mais ils ont suscité des réserves de la part de deux membres de la Commission de la Communauté :
– M. Mansholt (président, Néerlandais) : « Je ne vois pas personnellement pourquoi la Commission devrait aujourd’hui changer son attitude bien connue à l’égard des relations entre la Communauté européenne et l’Espagne. Je souhaite certainement que l’Espagne puisse un jour être membre des Communautés européennes… Mais je ne crois pas que toutes les conditions soient déjà remplies »…
– M. Spinelli (Italien) : « Il n’est pas possible d’entamer un processus qui aurait comme but l’adhésion à part entière d’un pays dont la structure interne ne reflète pas les exigences fondamentales de liberté et de démocratie qui sont à la base du système politique de tous les pays membres de la Communauté. Cela n’exclut évidemment pas que la Communauté développe avec l’Espagne, comme d’ailleurs c’est le cas avec d’autres pays à régimes politiques très différents, des formes appropriées de coopération dans le domaine commercial et économique. Mais le caractère non démocratique du régime espagnol constitue par lui-même un obstacle objectif et insurmontable à l’établissement de tout lien organique entre l’Espagne et la Communauté ».
Il apparaît ainsi que les « objections politiques » évoquées par le président Pompidou demeurent considérables. L’Espagne multiplie pourtant ses efforts. En accompagnant le prince Juan Carlos en Allemagne, M. Lopez Bravo, ministre des Affaires étrangères, a voulu donner une signification politique à ce déplacement, dans l’espoir, semble-t-il, d’obtenir l’appui de la République fédérale lors des prochaines réunions européennes et atlantiques. Ceci à la veille de l’entrée en vigueur du traité d’établissement conclu entre les deux gouvernements, et qui reconnaît un droit de réciprocité aux personnes et sociétés espagnoles et allemandes s’établissant dans l’un ou l’autre pays. On ne peut davantage négliger le fait que le volume des échanges commerciaux entre les deux pays atteindra pour l’année en cours 1 200 millions de dollars, avec une balance favorable à la RFA, qui est le deuxième client commercial de l’Espagne. Dans le même temps, M. Lopez Bravo espère l’appui de la Grande-Bretagne. Tel est un des objectifs des négociations sur Gibraltar qui, reprises en juillet, pourraient aboutir avant la fin de l’année à un accord. Aux termes de celui-ci, la souveraineté espagnole sur Gilbraltar serait reconnue par la Grande-Bretagne, contre la levée du blocus mis en place en 1967, le drapeau espagnol flotterait sur le fameux rocher mais les 28 000 habitants de la place forte continueraient à dépendre de la couronne britannique, un régime s’apparentant à celui d’Andorre serait graduellement mis au point, enfin Madrid céderait à Londres l’utilisation de la base militaire par un bail de longue durée.
Il semble ainsi que les perspectives de la CEE vers la Méditerranée pourraient s’élargir, quelles que soient les difficultés politiques. Le 2 octobre, la Commission de Bruxelles a demandé aux gouvernements des États-membres de préciser leur politique méditerranéenne. Elle propose d’accroître en le différenciant l’effort déjà entrepris pour libéraliser les échanges industriels et agricoles entre la CEE et les pays riverains de la Méditerranée, et elle souhaite que, parmi eux, les moins développés bénéficient de l’assistance économique, technique et financière de la Communauté. Les négociations les plus urgentes avec l’Espagne, Israël et les pays du Maghreb devraient pouvoir commencer assez rapidement, afin d’être achevées avant l’été 1973. De la sorte, les nouveaux accords pourraient entrer en vigueur au 1er janvier 1974, au moment où les pays adhérents commenceraient à aligner leur tarif extérieur sur le tarif extérieur commun.
Le « non » de la Norvège
Cet élargissement des perspectives méditerranéennes de la CEE se précise au moment où le « non » de la Norvège à l’adhésion diminue l’influence nordique (1).
Après le résultat négatif du référendum sur l’adhésion de la Norvège au Marché commun, acquis par 53,9 % contre 46,1 %, le problème européen s’est, un nouvelle fois, trouvé dominé par la déception et l’inquiétude. Sans doute ce référendum n’était-il pas « contraignant » et le Parlement aurait pu, en théorie, renverser ce verdict. Le gouvernement n’en a pas jugé ainsi, et dès le lendemain de la consultation, la Norvège a quitté les organismes consultatifs de la Communauté européenne, cependant que le Premier ministre, M. Bratelli, annonçait simultanément qu’il démissionnait, et que la Norvège ne participerait pas au « sommet » de Paris.
En l’absence de M. Maurice Schumann, alors à l’ONU, M. Bettencourt, ministre délégué auprès du ministère des Affaires étrangères, a ainsi dégagé les enseignements de ce résultat négatif : « Nous avons souvent mis en garde contre les actions trop rapides qui ne seraient ni comprises, ni admises. C’est une incitation à plus de prudence, de persévérance, de volonté. Ne pas trop s’attrister du retard à régler les problèmes fondamentaux et profiter du sommet pour donner un nouvel élan à cette Europe qui ne peut avoir tout de suite ses vraies dimensions ».
En parlant de l’Europe, les Norvégiens continueront à parler « du continent ». Pour le paysan de la vallée de Gudbrandsdal ou le pêcheur du Finnmark, l’Europe reste un monde différent, inconnu, voire barbare – et les paysans et les pêcheurs, qui représentent seulement 13 % de la population, ne sont pas les seuls à penser ainsi. Isolationnisme ? Sans doute. Nationalisme ? Sûrement. Un des slogans les plus percutants des adversaires du Marché commun était « non à l’union ! ». Le mot « union » avait été employé à dessein pour rappeler les mauvais souvenirs des occupations danoises, puis suédoises. La Norvège n’est indépendante que depuis 1905 : de là une grande susceptibilité pour tout ce qui touche à la souveraineté nationale.
Les conséquences économiques du vote sont pratiquement nulles pour la Communauté, et certains experts y trouvent même des avantages. À leurs yeux, les faveurs obtenues par les pêcheurs et les agriculteurs norvégiens rompaient l’unité du Marché commun et portaient en elles la certitude de difficultés avec les pêcheurs et les agriculteurs des autres pays. Aussi bien le problème des conséquences se pose-t-il surtout en termes psychologiques et politiques. Le « non » norvégien doit être considéré comme un avertissement pour tous les Européens. Comme l’écrivait Le Monde le 27 septembre, « Qu’un pays qui exporte plus de la moitié de sa production vers la Communauté refuse de s’y joindre, au risque de connaître d’assez sérieuses difficultés économiques, parce qu’il craint notamment de voir l’activité de ses cinquante mille pêcheurs menacée d’ici dix ans, en dit long sur l’état d’esprit des masses populaires après bientôt quinze ans de « phénomène » européen. La course à la croissance qui avait présidé aux destinées du Marché commun pendant toutes les années 1960 n’est plus, aujourd’hui, un idéal aussi attirant. Venant après la tiédeur manifestée par les Français lors du référendum d’avril, et au moment où les gouvernements du Vieux Continent ont tant de mal à définir des attitudes communes sur les principaux problèmes de l’heure, ce nouvel échec démontre qu’aucune idée, fût-elle grande, ne saurait être qualifiée d’irréversible ».
Politiquement, ce refus de la Norvège modifie l’équilibre du nouvel ensemble européen, en réduisant son facteur « maritime » et nordique, et en augmentant donc le poids des pays continentaux, et la Grande-Bretagne aura un peu moins de soutien, au sein de la nouvelle Communauté, dans ses aspirations au « grand large ». Mais, dans cette perspective politique, le problème posé par ce « non » comporte un autre aspect. L’Agence TASS n’a pas caché la satisfaction du gouvernement soviétique, et l’on peut se demander si les condamnations portées par Moscou contre l’effort européen n’a pas, plus ou moins consciemment influé sur le comportement de certains citoyens norvégiens, ces condamnations aggravant le poids de la propagande menée une nouvelle fois par l’Union soviétique en Scandinavie. C’est là une question qui n’entre pas dans le cadre de notre chronique, mais dont on ne peut faire abstraction, ne fût-ce que pour la signaler.
Le « oui » du Danemark
La réponse à cette question n’est pas facile, car le Danemark est soumis à une propagande plus intense, et les réductions considérables de son potentiel militaire traduisent la force d’un courant neutraliste encouragé par Moscou. Le 2 octobre, les Danois ont dit « oui » à l’Europe, dans des conditions (57 % des électeurs inscrits) qui ne laissent planer aucun doute sur le sens de la volonté populaire.
Le Danemark exporte 40 % de sa production agricole en Grande-Bretagne, et une barrière douanière surgissant entre les deux pays aurait eu des effets catastrophiques pour les producteurs danois. La RFA est un autre marché capital. La Norvège et la Suède sont, en un certain sens, bien insulaires puisque, à moins d’emprunter le territoire soviétique, il n’est pas possible d’aller d’Oslo à Stockholm, à Bruxelles ou à Paris, sans franchir un bras de mer. Le Danemark, au contraire, fait corps avec l’Europe. On pouvait se demander si le « non » norvégien n’entraînerait pas celui des Danois : la réponse a été négative. Les raisons « danoises » l’ont emporté sur la force de contagion du « non » norvégien et sur le sens des solidarités scandinaves. Une autre raison peut, sans doute, être invoquée. Devant les inquiétudes suscitées par la réduction prochaine de leur potentiel militaire, et par les problèmes qu’elle pose à l’Otan en raison de l’importance stratégique des Sunds et du développement de la puissance navale soviétique, les Danois ont peut-être voulu réagir, et leur réaction s’est traduite par le « oui » du 2 octobre.
Ce « oui » paraît enfin condamner l’idée, émise au lendemain du référendum norvégien, d’une « relance » du projet NORDEK – ce marché commun nordique – à laquelle le président du Conseil finlandais, M. Kalevi Sorsa, vient de faire allusion. Les « tentations européennes » de la Suède avaient déjà gêné cette « relance ». La Finlande et la Norvège peuvent-elles le bâtir à elles deux ? Il ne semble pas, d’autant que rien ne permet de penser que la Norvège envisage de distendre ses liens avec l’Otan.
Quoi qu’il en soit, la Communauté européenne ne comprend maintenant que 9 membres, et ce sont les chefs d’État ou de gouvernement de ces 9 États qui doivent bâtir l’Europe.
Après la session du Fonds monétaire international (FMI)
À quelques jours du « sommet » de Paris, certaines ombres s’étaient dissipées, et d’ailleurs cette réunion n’a pu se tenir que parce que les divergences de vues les plus graves avaient été dominées. La réunion annuelle de l’Assemblée du FMI n’a fait, à cet égard, que confirmer ce qu’on avait pu enregistrer dans les semaines précédentes : un consensus a pu être rétabli.
À la veille de cette réunion du FMI, la conférence des ministres des Finances du Commonwealth s’est particulièrement occupée de la zone sterling, en fonction de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun et de la décision britannique du 23 juin 1972 : ce jour-là, on s’en souvient, le gouvernement anglais avait « temporairement » étendu son contrôle des changes à l’ensemble de la zone sterling, mettant ainsi fin à cette liberté des mouvements de capitaux qui était sa raison d’être. Les deux principaux problèmes à résoudre étaient celui du retour de la livre à une parité fixe, et celui de la garantie de change accordée par l’Angleterre aux balances sterling depuis 1968, garantie qui, avec la dévaluation de la livre, coûte très cher au gouvernement britannique. Aucun accord définitif sur ces deux sujets, notamment sur le second, ne pourra être réalisé avant plusieurs mois, étant donné qu’ils sont l’un et l’autre liés à la grande question de la refonte du système monétaire international. Mais il semble que les pays du Commonwealth soient maintenant résignés à la liquidation de la zone sterling, et il est bien évident – le gouvernement français y avait beaucoup insisté – qu’un pays ne peut être membre de la Communauté européenne si sa monnaie nationale joue un rôle international. Une monnaie nationale ne peut, à la fois, s’insérer dans une communauté économique et financière comme celle que veulent bâtir les Européens, et rester le pilier d’une « zone monétaire » totalement extérieure à cette communauté.
Durant cette session du FMI, M. McNamara, président de la Banque mondiale, a, une nouvelle fois, posé le problème des disparités de moyens et de possibilités entre les pays riches et les pays en voie de développement : la part du produit national brut des pays riches consacrée à l’aide au tiers-monde diminue et, par ailleurs, les capitaux ainsi laborieusement dégagés alimentent un tonneau qui ressemble de plus en plus à celui des Danaïdes. M. McNamara a volontairement négligé le facteur démographique, pour mettre l’accent sur deux thèmes, la justice sociale et la croissance économique. Il a mis en cause le modèle de croissance adopté par les pays du tiers-monde, tout se passant en effet comme si les jeunes nations voulaient absolument prendre la voie occidentale de l’expansion, dont on sait pourtant combien elle fut cruelle pour les masses aux premiers temps du « décollage ». Il a proposé un véritable « new deal », avec lancement de travaux publics pour attaquer de front le chômage, « Smic » croissant comme le revenu moyen, puis réformes (agraire, fiscale, etc.) redistribuant le pouvoir dans les pays du tiers-monde, réaménagement des dépenses publiques qui, aujourd’hui, profitent plus aux privilégiés qu’aux déshérités. Mais les dirigeants de ces pays ont, à de rares exceptions près, été formés dans les universités occidentales, et il leur est difficile de renoncer à ce qu’ils ont appris…
Cette session du FMI a décidé une réforme du système monétaire international. Au lieu d’étaler leurs désaccords, les ministres des Finances se sont efforcés de mettre en lumière les convergences de leurs préoccupations. Le secrétaire américain au Trésor, M. George Shultz, a en effet accepté un système fondé sur des parités fixes entre les monnaies, demandant toutefois que soient élargies les marges de fluctuations autour des « valeurs centrales » pour donner une plus grande souplesse au fonctionnement du marché des changes. Le gouvernement américain souhaite aussi que les changements de parité soient plus faciles : le pays qui perd trop de devises devrait dévaluer, celui qui en gagne trop devrait révaluer sa monnaie. Il faudrait ainsi introduire une certaine symétrie dans le fonctionnement du système. Quant à ce que l’on a appelé l’hégémonie du dollar, le gouvernement américain propose, pour diminuer son rôle en tant que monnaie de réserve, de le remplacer par cette monnaie internationale que sont les « droits de tirage spéciaux » au FMI (2). Sans doute les réserves officielles d’or ne disparaîtraient pas du jour au lendemain, mais le rôle monétaire de l’or serait diminué. Quant au retour à la convertibilité du dollar, M. Shultz en a accepté le principe, mais au terme d’une période transitoire, et si les problèmes du commerce sont liés à ceux de la monnaie. M. Giscard d’Estaing a pu estimer que des négociations devenaient possibles, et sans doute la visite de M. Kissinger au Président Pompidou a-t-elle joué un rôle… L’idée selon laquelle l’évolution consistera au fil des ans à substituer, au « centre » du système, une valeur conventionnelle (les DTS) à une valeur réelle (l’or) semble devoir servir de doctrine commune de référence à la France et aux États-Unis, mais aussi à la Grande-Bretagne, à l’Italie, à la RFA, etc. Un « groupe des vingt » a été désigné pour mettre sur pied cette réforme du système monétaire international (3). Il ne faut pas s’attendre à des résultats prochains : ce « groupe » se réunira deux fois par an, en dehors de la session annuelle du FMI. Mais il est difficile d’imaginer que de graves tensions puissent naître pendant ses travaux. Aussi bien la session 1972 du FMI a-t-elle sans doute marqué le début d’un certain apaisement : rien n’est réglé, mais un nouveau climat permet les négociations. « La guerre de religion des monnaies est terminée », a déclaré M. Helmut Schmidt, ministre allemand de l’Économie et des Finances. S’il en est bien ainsi, la session du FMI aura marqué une date importante. ♦
(1) Le 1er octobre est entré en vigueur l’accord faisant de l’Autriche un « État associé » de la Communauté. Il prévoit une réduction de 30 % des droits de douane perçus en Autriche sur les produits et marchandises en provenance de la CEE (56 % environ des importations autrichiennes). Il est entendu que tous les droits de douane seront supprimés avant la fin de 1974.
(2) Les DTS « droits de tirage spéciaux », surnommés « or papier » parce qu’ils ont la même valeur d’échange que l’or, ont été créés en mars 1968 pour faciliter le développement des échanges commerciaux. Ces DTS sont des « chèques » que les États-membres du FMI peuvent tirer sur les réserves de celui-ci, ces réserves étant constituées par des versements des États-membres.
(3) Ce « groupe des vingt » est ainsi constitué : MM. Shultz (USA), Giscard d’Estaing (France), Barber (Grande-Bretagne), Chavan (Inde), Netto (Brésil), Feldt (Suède), Lemma (Éthiopie), Licciardo (Argentine), Malagodi (Italie), Faris (Maroc), Margain (Mexique), Melessen (Pays-Bas), Ngagui (Zaïre), Schmidt (Allemagne fédérale), Snedden (Australie), Turner (Canada), Ueki (Japon), Vlerik (Belgique), Wardhana (Indonésie) et Zalzalah (Irak).