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Gabon-Guinée équatoriale : querelle pour des îlots
L’occupation par le Gabon de trois îlots inhabités – Mbanie, Conga et Cocotier – revendiqués par la Guinée équatoriale a fait éclater au grand jour un litige frontalier latent. Ces terres dont la superficie est tellement infime qu’elle ne justifie pas leur inscription sur les cartes murales ordinaires, constituent la partie émergée d’un banc de sable étalé par 5 mètres de fond, à quelques kilomètres des côtes gabonaises ; elles se trouvent sensiblement à égale distance de la côte gabonaise et de l’archipel Corisco, lui-même compris dans la portion insulaire de la Guinée équatoriale.
Carte de la frontière maritime Gabon-Guinée équatoriale
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Le règlement de cette affaire s’avère délicat sur le plan juridique. De tout temps, le gouvernement gabonais a considéré que ces affleurements sablonneux, commandant l’entrée du chenal d’accès à la rivière Mondah, faisaient partie intégrante de son territoire et il est vrai que la convention franco-espagnole de Paris du 27 juin 1900, qui stipule officiellement la souveraineté de Madrid sur les îles voisines Elobey et Corisco, reconnues comme dépendances de Fernando Po, ne fait aucune mention des îlots mis en discussion.
Et ce n’est pas la vertu d’un Phonème palatalisé qui donnera raison aux Équato-Guinéens dans cette affaire. En effet, s’il semble que certaines cartes pratiquent l’orthographe espagnole pour désigner l’un des îlots contestés, écrivant « Bane » avec un tilde au lieu de « Mbanie » ou « Mbagne », il est curieux de constater que ces mêmes cartes orthographient son plus proche voisin, « Cocotier », à la française.
Le problème de l’appartenance de ces îlots avait déjà fait l’objet de plusieurs réunions de la Commission mixte chargée de la délimitation des frontières maritimes entre les deux pays, sans résultat sérieux du reste. Le fait que les deux parties en présence ne soient pas signataires des Conventions de Genève de 1958 relatives au Droit de la mer ne facilitera pas le règlement de leur désaccord.
D’aucuns estiment que derrière cette querelle juridique ou étymologique pour quelques « arpents de sable » se profile un différend plus grave, à la fois d’ordre idéologique, politique, voire économique.
En ce qui concerne l’idéologie et les relations extérieures, il est évident que les deux pays ne se trouvent pas sur la même ligne. Depuis son accession à l’indépendance, la Guinée équatoriale, sous la houlette de M. Francisco Macias Nguema, évolue vers un socialisme radical, se tourne vers les pays de l’Est dont le soutien, qu’il vienne de Moscou ou de Pékin, n’est pas négligeable et recherche des partenaires africains dans le clan progressiste. Le Gabon, dans le même temps, « est entré dans le concert des nations, sans heurt, dans la paix, simplement parce qu’il en avait exprimé la volonté et que des hommes avaient eu assez de sagesse pour comprendre que cette volonté était juste et irréversible »… et sans avoir eu « à payer le prix du sang » ; ce faisant, il a conservé l’amitié de la France et lié des relations cordiales avec les nations « occidentales » tout en se tenant prudemment à distance des pays à direction communiste ; en Afrique il a toujours pratiqué la politique du dialogue et se situe dans le camp des modérés.
Sur le plan de la politique intérieure, les divergences sont aussi marquantes. La Guinée équatoriale souffre des rivalités qui subsistent entre les « Bubis » de Fernando Po et les « Fang » du Rio Muni. Le président Francisco Macias, après avoir déçu ses frères de race continentaux en maintenant à Santa Isabel la capitale du nouvel État, risque d’indisposer les insulaires s’il persiste dans son intention de la transférer à Bâta, sa ville natale. Le Gabon, quant à lui, doté par le président Léon Mba de structures libérales, jouit depuis 1967, d’une tranquillité et d’une stabilité rares en Afrique et dont le premier mérite revient à l’action énergique et intelligente du président Albert-Bernard Bongo. Celui-ci, soucieux de réaliser l’union des Gabonais, s’est efforcé de mettre un terme à la politique des clans, « ferment de discorde et de polémiques » et de promouvoir une élite gabonaise issue d’une université nationale où la jeunesse « au lieu d’apprendre qui est Mao Tsé Toung… pourrait apprendre ce qu’est le Gabon et ce que sont ses problèmes ».
Enfin tandis que la Guinée équatoriale, dont les principales ressources restent l’agriculture et l’exploitation forestière, doit faire face à de sérieuses difficultés, l’économie gabonaise, bien gérée, est en pleine expansion grâce notamment à la pratique d’un judicieux libéralisme qui attire les capitaux indispensables à la mise en valeur des abondantes ressources du pays. Des exploitations agricoles florissantes, la production d’hydrocarbures et de manganèse en augmentation constante, l’industrie du bois en plein développement – le cap du million de tonnes de grumes d’Okoumé a été franchi en 1971 –, l’exportation de concentré d’uranium soutenue aux environs de 1 500 tonnes par an, grâce au marché français, sont autant de facteurs d’enrichissement qui permettent au jeune État gabonais de figurer parmi les plus prospères d’Afrique et de bénéficier d’un revenu national brut par habitant nettement au-dessus de la moyenne africaine.
Et c’est peut-être dans son aspect économique que le conflit, banal sur le plan strictement frontalier, revêt une importance considérable en raison des espérances ou des mirages que fait naître une certaine odeur montant des puits de pétrole gabonais. Car le Gabon a effectivement commencé à « dégorger » du pétrole il y a une quinzaine d’années. Déjà en 1957, le Pactole gabonais faisait couler 172 000 t d’or noir, mais il en a déversé 5 400 000 t en 1970 et, si le total des réserves actuellement reconnues n’atteint que 70 millions de tonnes, l’effort fourni dans les recherches, le perfectionnement des méthodes et l’élargissement des zones de forage, ne peuvent qu’aboutir à un accroissement des revenus dans ce domaine privilégié.
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Lorsque, le 26 août 1972, la gendarmerie gabonaise occupa les trois îlots en question, les observateurs politiques armés de loupes cherchèrent longtemps avant de les localiser et s’interrogèrent sur la signification et l’étendue de l’événement. Pourtant le président Bongo marquait le sérieux de sa décision en se rendant personnellement à Mbanie peu de temps après « l’opération militaire » ; celle-ci, il est vrai, s’était terminée sans effusion de sang et seule une embarcation guinéenne armée avait été refoulée, sans échange de coups de feu.
Mais l’affaire allait prendre une autre envergure sur le plan diplomatique. En effet, le gouvernement de Santa Isabel après avoir protesté énergiquement contre le viol de ses eaux territoriales auprès des chefs d’État africains réunis à Dar-Es-Salam, portait le débat devant l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et le Conseil de sécurité de l’ONU.
De son côté le président Bongo affirmait les droits de son pays sur les îlots de Mbanie, Conga et Cocotier, et précisait, auprès des instances internationales, les raisons d’une intervention armée destinée avant tout à mettre un terme aux sévices infligés aux pêcheurs gabonais. Réfutant les allégations du président Macias, il ramenait l’incident à ses justes proportions en rappelant que le fond du problème était simplement la détermination de la ligne de partage des eaux territoriales.
Cependant la rupture était consommée dès le 12 septembre ; ce jour-là tout le personnel de l’Ambassade de Guinée équatoriale quittait Libreville et le responsable de la chancellerie gabonaise à Santa Isabel recevait l’ordre de rejoindre le Gabon. Des mesures militaires étaient prises de part et d’autre et l’on pouvait craindre un affrontement des forces armées aux frontières
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Sollicitée de soumettre le différend à son arbitrage, la conférence des chefs d’État de l’Afrique centrale et orientale proposait l’entremise du Zaïre et du Congo, tandis qu’à l’ONU le groupe africain invitait les gouvernements intéressés à ne rien faire qui puisse compromettre le succès des médiateurs.
À l’issue de la première réunion de la Commission de conciliation comprenant les présidents Mobutu et Ngouabi et les protagonistes, le Président Bongo affirmait que lui-même et M. Macias Nguema avaient « vidé leur sac » et faisaient confiance aux médiateurs « pour que la paix revienne en Afrique centrale » ; mais le lendemain, à son retour à Libreville, il déclarait qu’« aucun terrain d’entente n’avait été trouvé à Kinshasa », indiquant toutefois que les négociations reprendraient lors d’une prochaine rencontre avec le président Macias.
En fait la Commission de conciliation a partiellement atteint son but dans la mesure où les présidents Bongo et Macias Nguema, manifestant leur volonté commune d’aboutir à un règlement pacifique du litige et décidés à vider leur querelle dans le cadre africain, renoncent à tout recours à la force et cessent toute attaque par voie de presse ou de radio.
Une Commission groupant les représentants des quatre chefs d’État est chargée d’étudier le problème sous tous ses aspects, de procéder aux consultations indispensables et de recommander les voies et les moyens en vue de trouver une solution définitive au conflit.
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Le problème reste entier et le différend, compte tenu de la fragilité juridique des arguments avancés et de l’importance des intérêts en jeu, risque de s’envenimer et de créer un « point chaud » dans cette zone paisible de l’Afrique. Mais c’est là une hypothèse pessimiste, que les principaux acteurs ont tous également le désir d’écarter. Il paraît plus raisonnable d’espérer que le litige tout d’abord mis en veilleuse, eu égard à sa complexité, sera examiné en toute objectivité au sein de la Commission de conciliation et recevra une solution de compromis acceptable par les deux parties.
Ouganda : remous internes et menaces aux frontières
Une menace de guerre a plané récemment sur l’Afrique orientale et des combats sporadiques se sont déroulés aux frontières de l’Ouganda et de la Tanzanie. Cette crise, conséquence logique d’une série d’événements marquants dans la vie politique de l’Ouganda, mettait une nouvelle fois à l’épreuve l’unité africaine.
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Magnifique pays couvert de grands lacs aux noms prestigieux, lové en plein massif montagneux, à 1 000 km de la mer, l’Ouganda peut s’enorgueillir d’une longueur de côtes supérieure à celle de n’importe quel riverain de l’océan Indien.
L’ancien protectorat britannique rassemblait, à l’origine, quatre royaumes, le Buganda le plus puissant, le Bunyoro, Ankole et Toro. Après avoir obtenu l’indépendance en 1962, le roi du Buganda, Sir William Mutesa était élu en 1963 président du nouvel État mais, le 22 février 1966, le Premier ministre Milton Obote le destituait et assumait tous les pouvoirs. En février 1971, M. Obote était également renversé par le général Amin [NDLR 2022 : Amin Dada] son fidèle compagnon soutenu par l’armée. Le nouveau gouvernement recueillait tout d’abord les suffrages populaires en raison du discrédit dans lequel était tombé M. Obote et des inimitiés que celui-ci s’était créées dans l’ethnie dominante. Puis vinrent les difficultés, d’ordres divers, à l’intérieur comme au-dehors.
Le général Amin avait bien essayé de se concilier l’appui des Bugandais mais son refus catégorique de revenir à la féodalité, telle qu’elle existait avant que les quatre tribus ne soient regroupées au sein d’un même État par la Constitution de 1967, avait déçu les partisans d’une restauration de l’ancien royaume ; aussi depuis quelque temps sa propre représentativité déclinait et son autorité ne semblait plus aussi docilement acceptée par une large fraction de la population.
Pourtant le régime avait encore besoin des Bugandais s’il voulait faire face à l’indiscipline de l’armée, lutter contre l’insécurité et le banditisme et obtenir la stabilité indispensable pour porter remède à la dégradation de la situation dans son ensemble mais surtout dans le domaine économique. C’est pourquoi, ne pouvant satisfaire les revendications politiques des opposants, le général Amin a voulu leur offrir une compensation sur le plan financier et économique et provoquer à leur bénéfice une sorte de « passation des pouvoirs » en décidant l’expulsion des 80 000 Asiatiques installés dans le pays depuis très longtemps.
Le premier effet de cette « ougandisation » n’a pas été heureux et s’est traduit par une accentuation du marasme économique et une aggravation de la crise sociale. En effet les innombrables places vacantes laissées par les Asiatiques « rapatriés » demeuraient inoccupées, faute de personnel qualifié pour les tenir, et le départ des « patrons » entraînait la mise en chômage de plusieurs milliers de domestiques.
D’autre part, cette mesure brutale a soulevé une énorme vague d’indignation, tant en Occident que dans le monde afro-asiatique, provoquant, entre autres, les interventions des secrétaires généraux de l’ONU et de l’OUA et une condamnation sévère de nombreux pays, dont la Grande-Bretagne, première concernée par le rapatriement massif de ces Asiatiques devenus ses nationaux pour avoir opté en faveur du statut britannique lors de la proclamation de l’indépendance. Par ailleurs le Kenya et la Tanzanie, pays membres, avec l’Ouganda, de la Communauté est-africaine, s’élevèrent avec force contre un acte que le Président tanzanien Julius Nyerere dénonça comme une manifestation « franchement raciste ».
Ces prises de position ont été entendues à Kampala où, fort heureusement, elles amenèrent un adoucissement de la position ougandaise ; c’est ainsi que les Asiatiques naturalisés, dont 10 000 Indiens ne bénéficiant pas d’une double nationalité, reçurent l’autorisation de demeurer dans leur pays.
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Le problème créé par l’expulsion des Asiatiques compliqua un peu plus une situation qui se détériorait depuis l’accession au pouvoir du général Amin dont la politique extérieure occasionnait de vives polémiques avec ses voisins et se caractérisait par des volte-face et une rupture à sensation avec Israël ; après avoir été un partisan convaincu de la politique du « dialogue » avec l’Afrique du Sud, il n’hésitait pas à proposer aux pays africains d’entraîner des troupes sur son territoire en vue de la libération de l’Afrique australe : de même ayant largement bénéficié de l’aide israélienne, il y mettait fin en mars 1972 et devenait farouchement anti-israélien ; tour à tour il accusait le Soudan, la Zambie, les Israéliens et même les Britanniques, leur prêtant des intentions agressives. Mais les sommets de la réprobation générale étaient atteints lorsque le maître de Kampala approuvant explicitement le génocide perpétré par les Nazis, scandalisait du même coup les Israéliens et l’opinion publique occidentale. Enfin, tout récemment, il dénonçait une tentative d’invasion dont le but inavoué était, selon lui, de retarder l’expulsion des Asiatiques d’Ouganda ; il affirmait devant les représentants diplomatiques de tous les pays membres de l’OUA que « quelque 1 500 hommes, parmi lesquels des soldats tanzaniens, des partisans de l’ancien Président ougandais Milton Obote et des mercenaires israéliens, avaient attaqué l’Ouganda ».
Aussitôt Londres, Jérusalem et Dar-es-Salam démentaient toute complicité dans « l’invasion » de l’Ouganda et le président Nyerere assurait que cette « agression » était menée exclusivement par des partisans de M. Obote regroupés à la frontière et décidés à renverser le responsable de la chute de leur leader.
Après s’être rendus maîtres de trois villes, les « rebelles » se retranchaient au Sud de Masaka dans une région marécageuse puis tentaient de couper les lignes de communication entre Kampala et la frontière. Mais il s’avérait rapidement que la tentative des « Obotéistes » faisait long feu. Ceux-ci se heurtaient à l’hostilité des populations des zones contiguës à la Tanzanie que le Président Obote avait particulièrement brimées et à une armée ougandaise forte de l’aide financière et militaire libyenne et décidée à les tailler en pièces.
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En l’état actuel des choses, malgré la confusion qui règne dans la connaissance des faits et leur véritable signification, l’on peut raisonnablement penser que le différend ougando-tanzanien est en bonne voie de réduction. Grâce à la médiation des pays africains les armes se sont tues. Si le gouvernement ougandais reste encore sur la défensive et n’a pas écarté, en cas d’une « nouvelle provocation préméditée de la Tanzanie », la possibilité d’un recours à la force, le gouvernement de Dar-es-Salam a répondu favorablement au plan de paix proposé par la Somalie en acceptant de retirer ses troupes de la frontière.
La conférence tripartite, réunissant les représentants de l’Ouganda, de la Tanzanie et de la Zambie n’a d’autre but que de mettre un terme au conflit ougando-tanzanien dans le cadre de la charte de l’OUA. Des hommes d’État connus pour leurs qualités de « médiateurs », comme le président du Zaïre, le général Mobutu, le secrétaire général de l’OUA, Nzo Ekha Nghaky ou M. Omar Arteh, ministre somalien des Affaires étrangères, sont intervenus en vue d’aboutir à un règlement honorable de la crise.
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L’avenir de l’Ouganda dépend en quelque sorte des résultats de ces démarches diplomatiques mais davantage encore de l’évolution de la situation à l’intérieur du pays.
Sauf imprévu, le régime militaire surmontera les difficultés présentes dans une conjoncture qui, tout compte fait, tourne à son avantage. Le général Amin paraît encore capable d’imposer son autorité pour mettre de l’ordre dans l’administration, en commençant par l’armée, tranquilliser les populations et relancer l’économie. Mais le moins qu’on puisse dire à ce propos est qu’il y a du pain sur la planche à Kampala. ♦