Défense dans le monde - Les forces armées dans le monde - États-Unis : le vote du budget de défense 1972-1973 par le Congrès - Position américaine sur la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe)
Les forces armées dans le monde
Comme chaque année à pareille époque, l’Institut international des études stratégiques (IISS) de Londres (1) vient de publier une brochure intitulée The Military Balance, intéressante par les informations qu’elle apporte sur le potentiel des différentes forces armées dans le monde.
Fondé en 1958, l’IISS est un centre de recherche en matière de défense. Comme son nom l’indique, il est international par ses ressources, son comité directeur où quinze nations sont représentées et ses correspondants qualifiés établis dans quarante-six pays. Cet Institut se veut apolitique, objectif et indépendant de toute influence extérieure. Il se refuse à porter des jugements de valeur sur les nombreux facteurs qualitatifs qui entrent en jeu dans le rapport des forces, tels que l’efficacité, le moral, le terrain, le degré d’entraînement ou les doctrines d’emploi. Les renseignements qu’il publie sont conformes aux données officielles communiquées par la majorité des pays du monde libre. Quant aux évaluations concernant les potentiels communistes, elles sont généralement considérées, à défaut d’informations plus précises, comme représentant une base de discussion acceptable.
Selon la formule adoptée par l’Institut de Londres, la Military Balance consiste pour l’essentiel en des estimations quantitatives des effectifs et des équipements des différents pays groupés par zones géographiques. Elle contient cette année des renseignements sur les forces armées de l’Amérique latine ainsi que sur celles des États secondaires du Moyen-Orient et d’Afrique, ce qui porte à 114 le nombre des pays traités (contre 77 en 1971). Elle permet en définitive de faire l’inventaire et de comparer les moyens des principales parties en présence dans le monde et notamment les forces stratégiques des puissances nucléaires, leurs forces d’emploi général ainsi que celles des autres puissances. Elle rend également possible une estimation sommaire des volumes et de l’évolution des budgets de défense.
Les Forces nucléaires stratégiques (FNS)
Le bilan des forces nucléaires dans le monde n’a pas varié de façon sensible depuis 1971. Sur ce point, la Military Balance s’étend plus particulièrement sur les incidences des accords [de limitation des armes stratégiques] SALT signés le 26 mai 1972 dernier par les États-Unis et l’Union soviétique.
Le traité sur les armes stratégiques défensives établit la parité entre les deux pays qui s’engagent à ne disposer que d’un maximum de 200 missiles antimissiles. Actuellement, seule l’URSS possède des missiles opérationnels constitués par les 64 ABM Galosh déployés dans la région de Moscou. Quant aux États-Unis, ils poursuivent la construction du site Safeguard situé à Grand Forks, dans le Dakota du Nord, et envisagent de protéger ultérieurement leur capitale.
L’accord intérimaire sur les armes stratégiques offensives, valable pour une période de cinq ans, fixe des limites à l’intérieur desquelles chaque partie conserve une certaine liberté d’action. Cet accord ne mentionne pas les bombardiers intercontinentaux et n’impose aucune contrainte en ce qui concerne le développement de nouveaux systèmes d’armes. En fait, il prend seulement en considération l’ensemble des missiles stratégiques opérationnels ou en construction dont disposaient les deux pays, à la date du 26 mai 1972 pour les engins mer-sol (MSBE) et à celle du 1er juillet 1972 pour les engins sol-sol (SSBS). Les parties ont la faculté de moderniser leurs missiles et d’échanger leurs SSBS construits avant 1964 pour un nombre égal de MSBS. Selon la Military Balance, l’URSS pourra disposer au maximum de 2 424 lanceurs, dont 950 MSBS, et les États-Unis de 1 710 lanceurs dont 710 MSBS (2).
Quant aux trois autres puissances nucléaires, le développement de leurs forces stratégiques se situe à un niveau relativement modeste.
La France dispose de 36 Mirage IV-A, de deux escadrons de 9 SSBS opérationnels et d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins équipé de 16 MSBS (3).
La Chine posséderait, selon l’IISS, de 15 à 20 missiles balistiques de portée intermédiaire (3 200 km), de 20 à 30 missiles balistiques de portée moyenne (1 600 km) et environ une centaine d’appareils Tupolev Tu-16 Badger.
Quant à la Grande-Bretagne, dont la force de dissuasion est entièrement à la charge de la Royal Navy depuis juillet 1969, elle dispose actuellement de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dont chacun est doté de 16 Polaris A3.
Les Forces d’emploi général ou de théâtre
Dans ce domaine, trois pays dominent nettement l’arène mondiale :
– l’URSS, avec 3 375 000 hommes (4), 164 divisions, environ 40 000 chars, 8 750 avions de combat, 231 bâtiments de surface et 300 sous-marins d’attaque ;
– les États-Unis, avec 2 391 000 h (4), 16 divisions, 5 500 chars, environ 10 000 avions de combat, 243 bâtiments de surface et 91 sous-marins d’attaque ;
– la République populaire de Chine, avec 2 880 000 h (4), 150 divisions, environ 5 000 chars et 3 600 avions de combat.
Plutôt que de se borner en ce domaine à relever les inventaires de la Military Balance où sont totalisés des unités et des matériels difficilement comparables, il paraît plus intéressant d’étudier la situation sur quatre grands théâtres : l’Europe, les confins sino-soviétiques, le Moyen-Orient et l’Indochine. L’Institut de Londres, qui s’est livré à la première étude, donne les statistiques suffisantes pour procéder, au moins sommairement, aux trois autres.
Sur le théâtre européen, les armées du Pacte de Varsovie bénéficient de la supériorité numérique avec 1 350 000 h contre 1 110 000 pour l’Otan (sans la France) et le nombre de leurs divisions est de 35 % plus élevé : 94 contre 61 (5).
En ce qui concerne les chars de combat, la supériorité du Pacte de Varsovie sur l’Otan est toujours aussi écrasante (21 200 contre 8 100), mais les Occidentaux bénéficient d’un certain avantage dans le domaine de la défense antichar.
Le nombre des avions tactiques opérationnels des pays de l’Est est évalué à 5 390 contre 2 914 pour l’Otan. À cette supériorité numérique incontestable, s’ajoute le fait que la standardisation des matériels du Pacte de Varsovie est beaucoup plus poussée que celle des Occidentaux.
Sur mer, le nombre des bâtiments de l’Otan est supérieur à celui de l’adversaire potentiel : 427 contre 362. Mais la différence des politiques maritimes des deux camps rend malaisée une comparaison de leurs moyens navals. L’Otan a le monopole des porte-avions et dispose d’un plus grand nombre de bâtiments de lutte ASM. Par contre, les Soviétiques dominent nettement en ce qui concerne les sous-marins d’attaque (180 contre 125).
Enfin, l’étude des forces en présence en Europe doit tenir compte des quelque 7 000 têtes nucléaires tactiques de l’Otan, deux fois plus nombreuses que celles dont le Pacte de Varsovie peut disposer. Pour l’Institut de Londres, le large éventail des portées et des charges des fusées tactiques occidentales permettrait d’opposer une riposte graduée et adaptée à chaque type d’agression des forces du Pacte, alors que l’Union soviétique serait en mesure de déclencher une offensive nucléaire tactique massive.
Aux confins sino-soviétiques, le rapport des forces en présence ne fait pas l’objet d’un chapitre particulier de la Military Balance, mais la comparaison des moyens de l’URSS et de la Chine montre que les Soviétiques bénéficient d’une supériorité nucléaire incontestable et d’un avantage certain, dans le cas d’une guerre conventionnelle, grâce au nombre de chars, de canons, d’avions et au potentiel industriel dont ils disposent.
Sur le plan terrestre, l’Union soviétique a augmenté depuis juillet 1971 le nombre de ses divisions implantées face à la Chine, qui est passé de 33 à 44. Toutefois, selon la Military Balance, la plupart de ces divisions seraient en sous-effectifs bien que pouvant être renforcées dans un délai très bref. Quant à la Chine, elle disposerait dans les régions militaires du Shenyang et de Pékin de 40 divisions auxquelles il convient d’ajouter de 4 à 6 divisions de gardes-frontières.
Sur le plan naval, l’importance des moyens soviétiques en Extrême-Orient n’est pas précisée, tandis que ceux de la Chine sont évalués à 240 navires divers échelonnés entre le Yalou au Nord et Lienyunkang au Sud. Ces navires, principalement basés à Tsingtao et à Lushun, seraient inférieurs à ceux de l’URSS sur le plan de la qualité, mais la RPC consent un important effort pour moderniser sa flotte.
Au Moyen-Orient, Israël et l’Égypte continuent à renforcer leur potentiel militaire, notamment dans le domaine aérien. Toutefois, le budget de défense de l’Égypte n’a augmenté que de 2 millions de dollars par rapport à 1971, tandis que celui de son adversaire accuse au contraire un fléchissement de 236 M$.
En Égypte, l’effectif des forces armées est passé de 318 000 à 325 000 h et le nombre des avions de combat de 523 à 568. Mais il est encore difficile d’apprécier les incidences du retrait de la plupart des techniciens soviétiques en ce qui concerne la capacité de défense de ce pays.
L’effectif des forces armées d’Israël demeure très inférieur, avec 77 000 h, à celui de son principal adversaire. Toutefois, cette infériorité numérique est largement compensée par l’efficacité d’un système de mobilisation qui permet de porter le corps de bataille à 300 000 h en 72 heures. Enfin, le principal effort d’Israël dans le domaine de la défense porte sur le potentiel aérien qui est passé de 374 à 432 avions de combat et comprend actuellement 90 McDonnell Douglas F-4 Phantom II et 125 Douglas A-4 Skyhawk.
En ce qui concerne les autres pays de la région, les principales forces armées sont celles de la Syrie (111 750 h) et de la Jordanie (69 250 h) qui renforcent également leurs flottes aériennes en nombre et en qualité.
En Indochine, la comparaison des forces en présence est d’autant moins significative que l’appareil militaire, la doctrine et la tactique diffèrent fondamentalement dans les deux camps.
Les forces armées du Nord-Vietnam s’élèvent, selon la Military Balance, à 513 000 h (contre 480 000 en 1971), dont 90 000 seraient engagés au Sud-Vietnam, 75 000 au Laos et 40 000 au Cambodge.
Quant aux États-Unis, ils ne disposent actuellement que de 36 000 h au Sud-Vietnam (au lieu de 245 000 en juin 1971), mais ils ont par contre 45 000 h en Thaïlande. Ils mènent depuis plusieurs mois une guerre à dominante aéromaritime destinée à soutenir l’engagement terrestre du Sud-Vietnam dont les effectifs s’élèvent à 503 000 réguliers.
Budgets de défense et ventes d’armements
L’Institut de Londres se livre, comme chaque année, à des comparaisons entre les dépenses militaires et l’économie générale des principaux pays.
Les budgets de défense ont tendance à augmenter aux États-Unis et chez les pays membres de l’Otan et du Pacte de Varsovie, mais demeurent stationnaires dans la plupart des autres cas.
Les dépenses militaires par tête d’habitant font apparaître que l’Israélien est le citoyen qui paie le plus cher pour sa défense (470 $), suivi d’assez loin par l’Américain (378 $) et par le Suédois (145 $) (6).
Le pourcentage du Produit national brut (PNB) consacré au budget militaire accuse une légère baisse dans la plupart des pays, les principales exceptions étant l’Égypte, où il s’accroît de 2,1 % et l’Iran, de 1,4 %.
Il apparaît en définitive que les pays en voie de développement et ceux qui se trouvent géographiquement et politiquement dans une situation difficile consacrent une grande partie de leurs ressources à la mise sur pied de forces armées et aux achats d’armements.
Ces derniers ne peuvent généralement pas être chiffrés, mais la Military Balance dresse une liste des contrats passés en 1971 par les grands producteurs d’armement, à savoir : les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France, qui se livrent à une lutte sévère, notamment au Moyen-Orient et en Amérique latine. Dans cette liste apparaissent de nouveaux fournisseurs, le Japon et le Brésil, qui se limitent pour le moment à la vente d’hélicoptères et d’avions légers d’entraînement.
En conclusion, il ressort de cette analyse succincte que la plupart des pays ont continué à renforcer leur potentiel de défense au cours de l’année écoulée. Les États-Unis et l’URSS sont certes parvenus à un accord sur la limitation des armes stratégiques, mais les premiers sont encore engagés au Vietnam et les seconds surveillent attentivement l’immense frontière qui les sépare de la RPC. Le Moyen-Orient peut à tout moment s’embraser. L’Amérique latine s’arme, tant pour faire face à des difficultés d’ordre interne qu’à d’éventuels litiges frontaliers. Enfin, nombre de pays en voie de développement consentent des sacrifices pour se doter de forces armées modernes.
Si les renseignements concernant le monde communiste doivent être accueillis avec une certaine prudence, il n’en demeure pas moins que la Military Balance, rédigée par des spécialistes, permet de suivre d’année en année l’évolution des différents potentiels militaires. Elle constitue à ce titre un document précieux et unique en son genre.
Lieutenant-colonel Georges Eychénié
États-Unis : le vote du budget de Défense 1972-1973 par le Congrès
Après examen par une commission mixte de la Chambre des Représentants et du Sénat, le budget de Défense pour l’exercice 1972-1973 a été approuvé par le Congrès. Il s’élève à 75,7 milliards de dollars, dont 74,4 Md d’autorisations nouvelles et 1,3 Md en crédits de report de l’exercice précédent. Les réductions apportées aux propositions de l’Administration (7) se chiffrent à 3,9 Md$.
1. Ce budget est, en valeur absolue, le plus élevé jamais voté depuis 1945. Cependant si l’on raisonne en dollars constants – base 1964 – il est inférieur de 8 % au budget de 1964 qui atteignit alors le montant de 51 Md$.
La plus grande partie des crédits, 52 Md, est destinée au fonctionnement des Armées et se répartit en 40,5 Md pour le chapitre « Personnels » et en 11,5 Md pour le chapitre « Opérations et Maintenance ». L’effort entrepris au profit des personnels depuis 1964 est poursuivi. Il est le principal facteur d’accroissement des dépenses militaires et son poids doit encore croître dans les prochains budgets (8), malgré les réductions d’effectifs qui ramèneront les forces armées à 2 340 000 h au 30 juin 1973.
Les chapitres relatifs à l’équipement et à la recherche militaire sont dotés de 23 Md$. Cette somme permettra de poursuivre la modernisation des forces stratégiques et d’emploi général. Simultanément, la réduction des crédits alloués au programme Safeguard, conséquence des accords sur la limitation de l’emploi des armes nucléaires stratégiques, rendra plus aisé le développement des systèmes offensifs.
2. Dans le domaine des armes stratégiques, et en ce qui concerne la réalisation du système Safeguard, le Congrès a limité les autorisations à l’achat de matériels nécessaires au site de Grand Forks et aux fonds pour la recherche. La politique de développement des nouvelles armes offensives a été approuvée pour le bombardier Rockwell B-1 Lancer (9) et le sous-marin Trident (10). Par ailleurs, l’armée de l’air américaine pourra acquérir de nouveaux Minuteman III, la marine se doter de Poseidon et développer les nouveaux missiles prévus pour le Trident.
Les forces d’emploi général reçoivent les crédits nécessaires à leur modernisation et à la poursuite de leurs programmes majeurs.
L’USAF financera en particulier l’achat de douze Lockheed C-5A Galaxy, douze General Dynamics F-111 Aardvark, trente McDonnell Douglas F-15 Eagle et quatre Boeing 747, PC volants. Au développement de l’AWACS (Airborne Warning and Control System) et de l’AX (Avion d’appui rapproché subsonique) seront affectés 281 M$.
L’US Navy peut poursuivre le rajeunissement de ses flottes de combat. Plus de 1,5 Md$ est prévu pour l’acquisition de six sous-marins d’attaque nucléaire, de destroyers – type Spruance – et la mise en chantier du quatrième porte-avions nucléaire tandis que 570 M$ permettront de financer 48 Grumman F-14 Tomcat pour l’aéronavale. De plus, l’achat de 30 Hawker Siddeley Harrier pour le Corps des Marines a été autorisé.
L’US Army a vu ses programmes quelque peu malmenés par le Congrès qui a décidé d’arrêter définitivement le développement de l’hélicoptère armé Lockheed AH-56 Cheyenne. Elle pourra néanmoins poursuivre le développement de l’engin sol-air SAM-D, le sol-sol nucléaire Lance, les missiles anti-tank TOW et Dragon : 166 chars M-60A1 seront commandés, tandis que 360 M-60 recevront le missile anti-tank Shillelagh.
3. Le président Nixon a obtenu du Congrès le vote des crédits qu’il avait demandés pour le Sud-Est asiatique. Ce n’est pas là le moindre de ses succès. Les « Colombes » n’ont pu, en effet, ni décider les Sénateurs à voter un amendement demandant l’arrêt des opérations aériennes et la levée du blocus, ni même réduire les crédits demandés par le Président. Celui-ci dispose avec 6 Md$ accordés pour l’ensemble du théâtre d’une large marge de manœuvre. 2,7 Md$ iront au programme de vietnamisation et 2 Md seront affectés à la poursuite de la guerre aérienne.
Le Département de la Défense s’est déclaré assez satisfait d’un budget qui, compte tenu de la conjoncture peu favorable en période électorale ne compromet aucun des programmes militaires majeurs et permet éventuellement la poursuite des opérations au Vietnam. Des responsables du Haut Commandement, et parmi eux l’amiral Moorer, ont néanmoins exprimé leur inquiétude au sujet des réductions de crédits apportées à leurs propositions dont ils soulignent le réalisme. Selon eux, le renforcement du contrôle du Congrès risque à la longue d’entraîner, compte tenu de l’effort d’armement de l’Union soviétique, une modification de l’équilibre militaire mondial.
Ce commentaire pessimiste ne doit pas ternir l’impression d’ensemble équilibré que donne le budget de la Défense, tel que le Congrès l’a voté pour l’exercice 1972-1973. Outre l’augmentation des soldes et l’amélioration des conditions de vie des forces armées, ce budget permettra le maintien de la capacité de dissuasion des forces stratégiques américaines à un haut niveau, le renouvellement des matériels des forces d’emploi général et la poursuite des objectifs militaires que l’Administration s’est fixée dans le Sud-Est asiatique.
Position américaine sur la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE)
Les Soviétiques ont donné il y a quelques mois une nouvelle impulsion au projet de CSCE. Le 12 septembre, M. Brejnev a remis au collaborateur du président Nixon. M. Kissinger, un document proposant d’ouvrir à Helsinki des consultations multilatérales préparatoires à la CSCE, le 22 novembre 1972, et la conférence proprement dite en juin 1973 et parallèlement, d’engager des consultations préliminaires sur les réductions de forces en Europe centrale en janvier 1973 et les négociations elles-mêmes à l’automne de la même année.
Devant les perspectives de négociations sur la sécurité européenne ainsi ouvertes, il apparaît intéressant d’étudier, en regard des objectifs recherchés par l’URSS, l’attitude des États-Unis.
1. Lancée par Moscou pour la première fois en 1954 dans le but de faire échec à la Communauté européenne de Défense (CED), puis à l’accession de l’Allemagne à l’Otan, l’idée d’une conférence européenne de sécurité semble ensuite être devenue pour les Soviétiques le moyen de diviser le bloc occidental. L’instauration d’une sécurité européenne, fondée sur la notion juridique de non-recours à la force sans que soient abordés les aspects militaires et concrets de cette sécurité, a en effet de bonnes chances, d’une part d’affaiblir l’esprit de défense des pays occidentaux soucieux de réduire leurs dépenses militaires, d’autre part de retirer toute justification à la présence américaine. D’une conférence dont elle contrôlerait les limites (11), l’URSS peut espérer les avantages suivants :
– la reconnaissance du statu quo territorial et politique en Europe (division de l’Allemagne notamment) et maintien du glacis idéologique et stratégique que constituent les États du Pacte de Varsovie,
– l’affaiblissement de la volonté de défense des pays occidentaux, pouvant aller jusqu’à la dissolution de l’Otan et au retrait des forces américaines en Europe,
– la possibilité de reporter face à la Chine l’essentiel de ses préoccupations militaires (12),
– des avantages commerciaux et technologiques qui n’ont pu, jusque-là, être obtenus par contacts bilatéraux,
– un prestige considérable lui permettant de se poser en « champion de la paix » et accroissant ses possibilités de pression extérieure (par les pays neutres) ou intérieure (par les partis communistes ou progressistes) sur les pays occidentaux.
2. Conscients des possibilités de manœuvre ouvertes à l’URSS par la CSCE et de l’impossibilité d’en refuser le principe sous peine de se condamner aux yeux de l’opinion internationale, les Américains tiennent à s’entourer d’un certain nombre de garanties :
– d’une part quant à la volonté soviétique de détente : l’URSS a dû en donner les preuves concrètes en signant l’accord quadripartite sur Berlin et en acceptant le principe des négociations sur les réductions de forces (13) avant que les États-Unis n’acceptent d’engager des pourparlers sur la sécurité en Europe,
– d’autre part quant aux objectifs et au déroulement de la Conférence : les Américains n’entendent pas échanger l’équilibre actuel contre des principes ou des systèmes imprécis : ils attachent en conséquence une grande importance à la définition d’un ordre du jour dont les articles seraient discutés méthodiquement pour aboutir à des résultats concrets.
Les propositions soviétiques rapportées de Moscou par M. Kissinger, admettant le parallélisme entre la CSCE et la MBFR lèvent le dernier préalable exigé par les États-Unis pour engager les consultations préparatoires à la Conférence sur la sécurité. Elles laissent cependant planer l’incertitude sur les questions qui y seront étudiées ; aucune indication non plus n’est donnée sur la façon dont l’URSS consentira à aborder les conversations sur les MBFR : il faut noter à ce propos que le texte des propositions soviétiques fait mention du « problème de la réduction des forces armées et des armements en Europe centrale » et non de réductions « mutuelles et équilibrées ».
Ainsi, dans le projet de réponse à la note soviétique qu’ils ont soumis le 27 septembre 1972 au Conseil de l’Alliance, les États-Unis, ont pris soin de préciser que :
– la date d’ouverture de la CSCE était subordonnée à un accord de tous les participants et à des progrès jugés par eux suffisants à l’issue des consultations multilatérales de novembre 1972 ;
– lors des conversations préparatoires sur le problème de la réduction des forces en janvier 1972, les délégations auront la faculté de « soulever des questions de fond » qui peuvent se présenter en relation avec l’établissement d’un ordre du jour ;
– lorsque l’URSS aura fait connaître son accord sur ces points, les États-Unis accepteront de participer aux conversations préparatoires sur la CSCE, le 22 novembre à Helsinki.
Ainsi, les États-Unis continuent à montrer qu’ils ne consentiront à participer à une CSCE dont l’imprécision les irrite qu’en échange de l’acceptation par l’URSS de discussions concrètes sur les MBFR. Si le processus de négociations paraît désormais engagé, la méfiance américaine face à l’indétermination persistante des thèses soviétiques ne peut laisser espérer de résultats concrets sans de lentes et laborieuses discussions.
Jacques Tilhère
(1) 18 Adam Street - London WC 2N6AL - England - Prix : 2,50 dollars US.
(2) En ce qui concerne les États-Unis, cette évaluation tient compte de l’échange probable des 54 Titan II, actuellement en service, contre un nombre égal de MSBS.
(3) Ces informations sont conformes aux données publiées par le Livre blanc sur la Défense nationale (juin 1972).
(4) Les effectifs indiqués ne comprennent que les forces d’active.
(5) Toutefois, il faut tenir compte du fait que les divisions des pays de l’Est ont des effectifs moins importants que celles de l’Otan. À titre d’exemple, la division d’infanterie soviétique compte environ 10 000 hommes contre 16 000 pour son homologue américaine. L’écart est de 8 500 hommes pour la division blindée (9 000 contre 17 500) et de 6 000 pour la division aéroportée (7 000 contre 13 000).
(6) Aucun renseignement ne figure en ce qui concerne l’URSS et la RPC. Ce dernier pays ne publie pas d’informations sur ce sujet depuis 1960.
(7) L’Administration avait demandé 79,6 Md$.
(8) Le passage à une armée de métier est prévu pour le 30 juin 1973.
(9) Les crédits alloués au programme B-1 par le « Procurement Bill » s’élèvent à 445 M$.
(10) Les crédits alloués au programme Trident par le « Procurement Bill » s’élèvent à 926 M$, dont 361 pour la construction du premier sous-marin de ce type. Le programme Trident a succédé au programme ULMS ; c’est un système d’armes sous-marin lanceur de missiles à longue portée.
(11) L’Union soviétique a notamment refusé que soit abordée la question de la libre circulation des personnes en Europe, qui, selon elle, relève de la politique intérieure des États.
(12) Ce point est souligné avec force par l’Albanie qui est le seul des 35 pays pressentis à avoir « a priori » refusé de participer à la CSCE.
(13) Les États-Unis ont toujours été acquis au projet occidental de la MBFR. Ils y voient un moyen de répondre aux pressions d’une partie croissante de leur opinion s’exerçant dans le sens d’une réduction de leurs effectifs militaires en Europe, sans pour autant compromettre la sécurité du monde libre, l’équilibre étant maintenu par des réductions de forces soviétiques équivalentes.