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Dahomey : Coups d’État militaires… et révolution du commandant Kérékou
Depuis l’accession à l’indépendance du Dahomey [NDLR 2022 : futur Bénin] les coups d’État s’y répétaient à une cadence record, toujours fomentés et exécutés par des militaires, garants d’une certaine rigueur morale, soucieux de préserver la paix intérieure et cherchant à réaliser l’union sacrée de leurs concitoyens.
Paradoxalement ils aggravaient une maladie endémique, due à un individualisme prononcé autant qu’à un excès de solidarité raciale et aux rivalités de personnes autant qu’aux divisions régionalistes. Le pronunciamiento du 26 octobre 1972, qui a mis fin à l’agitation manifeste des esprits et doté l’État d’un régime fort, pur et dur, n’est-il qu’une péripétie, une simple poussée de fièvre dans un organisme à la santé altérée, ou bien convient-il de l’enregistrer comme l’opération chirurgicale indispensable à sa guérison ?
Il semble que le commandant Kérékou, instigateur, acteur et bénéficiaire du récent putsch, conscient des dangers qu’un état de crise chronique faisait courir à son pays, ait décidé de prendre en main le patient et de porter le fer dans la plaie.
Si l’on veut démêler l’imbroglio dahoméen, il est bon de faire plus ample connaissance avec le pays ou, tout au moins, de tenter de percevoir à travers son originalité géographique et son histoire intime, la source de ses particularismes.
Planté perpendiculairement aux rivages du golfe de Guinée, le Dahomey s’enfonce, tel un énorme poing fermé entre le Togo, sur lequel il déborde lourdement, aux confins de la Haute-Volta [NDLR 2022 : futur Burkina Faso], et le Nigeria, dont il partage la frontière sinueuse jusqu’à sa rencontre, au Nord, avec le cours rectiligne du Niger qui le couronne d’un trait mouvant ombré de verdure.
À l’intérieur de ce territoire étriqué, terre de passage obligatoire entre le moyen Niger et l’océan, s’étagent régions, climats, végétations, peuplements et religions. On passe de la côte équatoriale, lagunaire, chaude et humide où domine le cocotier, aux plateaux plus ou moins argileux, où la forêt cède la place aux palmeraies, aux sous-bois et à la savane, et l’on atteint, aux portes du Sahel, la plaine nigérienne, fertile et cultivée, où l’harmattan, ce vent tropical, souffle la colère du désert en direction de la mer. Les ethnies dominantes, Fon et Yoruba, représentent à elles seules près de la moitié de la population globale, évaluée à 2 600 000 habitants ; puis viennent les Adja, les Bariba et, enfin, les Peul et les Somba, aux lisières nord du pays. L’animisme traditionnel, encore largement majoritaire, s’efface devant l’Islam dynamique des Peuls et se laisse grignoter, au Sud, par un christianisme en expansion.
Pays de superficie modeste, à l’échelle africaine, le Dahomey, tôt confronté aux cruelles exigences d’une Europe esclavagiste, imprégné de culture chrétienne ou islamique a su tirer parti intelligemment des apports du monde blanc. De ce fait, le Dahoméen, plus rapidement « occidentalisé » que l’Africain moyen, quittait volontiers une terre ingrate et s’expatriait dans les pays voisins moins scolarisés où il n’avait pas de peine à faire valoir ses capacités intellectuelles, et où il se faisait commis ou petit fonctionnaire. À peine esquissé, ce portrait du Dahomey met néanmoins en évidence la diversité de ses composantes, la facilité de pénétration des influences extérieures et leur stimulation bénéfique pour l’évolution des hommes.
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C’est vraisemblablement à la fin du XVe siècle que les Portugais abordaient les premiers le golfe de Guinée. Au XVIIe siècle tous les Européens, à leur suite, allaient transformer ces rivages tranquilles en « côte des esclaves », tristement célèbre à l’époque de l’odieux commerce du « bois d’ébène ».
Les Français installaient à Ouidah et à Sari des comptoirs florissants, rivalisant de prospérité avec ceux des Hollandais, ou des Anglais à Lagos et des Portugais à Porlo-Novo.
À l’intérieur du pays, des roitelets avides, uniquement poussés par l’appât du lucre, cherchaient à étendre leur domaine afin de tirer le meilleur profit d’un odieux trafic. Ces tyranneaux sans envergure et sans idéal ne se préoccupaient guère de donner une âme à une nation dahoméenne inexistante. La première manifestation d’unification involontaire, à prendre beaucoup plus comme exemple de suprématie agressive de la minorité dominante sur les autres fractions d’une puissante ethnie, que comme une tentative sérieuse de rassemblement, était à mettre à l’actif des Fon d’Abomey ; ces guerriers soumettaient le royaume d’Allada, s’emparaient d’Ouidah et fondaient ainsi la monarchie héréditaire du Dahomey ; dans la zone côtière, seul le royaume de Porto-Novo échappait à leur tutelle.
La prohibition de la traite, en 1800, venait déranger les plans des monarques locaux et des négriers. Mais déjà l’huile de palme se révélait un bon produit de remplacement et sa commercialisation attirait les nouvelles convoitises des trafiquants. Or la France, voulant s’assurer la possession de Cotonou, offrait sa protection au Roi de Porto-Novo, victime des pressions de l’Angleterre, et ce faisant gênait l’impérialisme de Londres et se heurtait aux ambitions de Behanzin, souverain du Dahomey.
La campagne de 1892, en dépit de la résistance acharnée que les guerriers dahoméens opposaient aux troupes françaises, s’achevait par l’entrée du général Dodds à Abomey, l’installation d’un propre frère de Behanzin sur le trône, le rétablissement du royaume d’Allada, la fin de l’hégémonie des Fon et marquait le début de l’ère coloniale.
Le Dahomey devenait, le 23 juin 1894, une dépendance française dont les frontières définitives étaient fixées, par la convention franco-allemande du 23 juillet 1897, avec le Togo et, par le traité franco-britannique du 24 juin 1898, avec le Nigeria.
Pendant la période coloniale la paix s’installait jusque dans la province reculée de l’Atakora et le Dahomey voyait doubler sa population, grâce à une assistance sanitaire bien conçue et au dévouement méritoire des médecins coloniaux ; des routes étaient tracées, des chemins de fer construits, des écoles et des églises bâties, tant pour la mise en valeur du pays que pour l’amélioration du niveau de vie, matériel, intellectuel et moral de ses habitants ; le port de Cotonou devenait un important centre commercial, tandis que Porto-Novo, la capitale, se voyait gratifier du surnom prestigieux de « Quartier latin de l’Afrique ».
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lorsque la France entamait le processus de décolonisation, le Dahomey était un des pays les plus émancipés d’Afrique et sans doute le premier exportateur de « matière grise » à l’extérieur. Des milliers « d’évolués » dahoméens étaient employés dans les bureaux et les administrations en Côte d’Ivoire, en Haute-Volta ou au Niger.
Trois hommes représentant les grandes régions géographiques regroupaient leurs partisans : M. Apithy à Porto-Novo, M. Ahomadegbé à Abomey, M. Maga à Parakou. Mais dès la proclamation de l’indépendance, le 1er août 1960, la mésentente entre le Sud, le Centre et le Nord altérait la vie publique dahoméenne et rendait impossible une construction politique durable.
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Un premier coup d’État militaire écartait du pouvoir M. Maga, le 23 août 1963. L’armée assurait, provisoirement, l’expédition des affaires courantes, en attendant l’adoption d’une nouvelle constitution.
Le référendum consacrait la victoire de MM. Apithy et Ahomadegbé. Cependant, celle-ci durait peu et le général Soglo confisquait une deuxième fois le pouvoir : las ! en 1967. lui-même était victime d’un autre coup d’État militaire, œuvre du commandant Kouandété et du lieutenant-colonel Alley : le temps de voter une autre constitution et l’on remettait les guides de l’État au Dr Zinsou, qui devenait président de la République et chef du Gouvernement… pour dix-huit mois seulement, jusqu’à son renversement, fin 1969, par le lieutenant-colonel Kouandété, lequel, bien que récidiviste, acceptait de partager le pouvoir avec les lieutenants-colonels de Souza et Sinzogan, au sein d’un directoire dépourvu de cohésion et stérile.
Devant l’accentuation des divisions, les risques d’affrontements et de sécession, le directoire, incapable de gouverner, mettait en demeure les quatre anciens Présidents de trouver une solution à la crise. De cette concertation forcée naissait la formule d’un Conseil présidentiel, à la tête duquel devaient siéger, alternativement et pour deux ans, MM. Maga, Ahomadegbé et Apithy.
Ce système, pour le moins original, a fonctionné, tant bien que mal, sous la présidence de M. Maga, mais à peine installé en 1972, comme Président en exercice, son successeur, M. Ahomadegbé, se heurtait à des difficultés multiples : dissensions au sein d’un Conseil présidentiel par trop artificiel, procès des militaires, dont le lieutenant-colonel Kouandété compromis dans un complot sous le mandat de M. Maga, agitation au sein de l’armée, crise dans la gendarmerie, problèmes sociaux… Pareille situation laissait présager à bref délai une nouvelle intervention de l’armée destinée à prévenir des désordres et des bouleversements graves.
Aux yeux d’un observateur averti, il était évident que certains officiers attendaient le moment favorable pour frapper un grand coup. Le commandant Kérékou, dont l’influence augmentait sans cesse parmi les jeunes cadres, paraissait le plus apte à prendre la tête du mouvement.
Or, depuis quelque temps, une campagne de presse bien orchestrée, à base de tracts et de périodiques diffusés clandestinement, sensibilisait l’opinion contre le Conseil présidentiel. Le scandale récent où se trouvait compromis le ministre des Finances, M. Chabi Kao, sonnait le glas du régime et donnait aux militaires l’occasion d’agir. L’heure des « jeunes Turcs » et de leur chef allait sonner le 26 octobre 1972.
Au moment où se réunissait le Conseil des ministres, l’armée investissait le palais présidentiel et les points sensibles, neutralisait sans coup férir l’appareil gouvernemental, en arrêtant les Présidents Maga et Ahomadegbé et les membres du gouvernement. Le commandant Kérékou proclamait sur les antennes de la radio nationale la faillite et la déchéance du Conseil présidentiel, ce « monstre… à trois têtes… dont la vie n’avait été que parjure… » ; il annonçait ensuite que l’armée assumait désormais « la totalité du pouvoir » et promettait au peuple dahoméen « une aube véritablement nouvelle ».
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Dans le nouveau gouvernement, tous les groupes ethniques sont équitablement représentés. Le commandant Kérékou y cumule la charge de président de la République avec celle de ministre de la Défense nationale et du Plan, tandis que les colonels « politiques »… de Souza, Alley, Sinzogan restent sur la touche et que le lieutenant-colonel Kouandété, expert en coups d’État, ne trouve pas grâce devant la volonté de changement de la nouvelle équipe.
Après l’élimination toute théorique des vieux routiers de la politique dahoméenne, le clivage voulu, dans l’armée, entre les « anciens et les modernes », signifie, sans ambiguïté, que le temps des jeux florentins est révolu au Dahomey.
Jeune (il est né le 2 septembre 1933) formé à la nouvelle école (il est diplômé de l’École d’état-major française) le commandant Kérékou est connu comme un brillant officier, possédant les qualités foncières et l’autorité morale d’un chef. Nationaliste sincère, peu marqué, idéologiquement parlant, le nouveau chef d’État dahoméen n’est pas un novice en matière politique : en effet, lors de l’élimination du général Soglo, en 1967, il assurait la présidence du Comité militaire révolutionnaire. Ses atouts : une personnalité affirmée, la jeunesse, la foi, le dynamisme, l’intégrité, qui engendrent popularité et confiance dans l’opinion publique.
Les obstacles sont nombreux mais non point insurmontables ; en tout cas, ils n’impressionnent pas outre mesure de jeunes dirigeants décidés à mener « leur révolution » à terme.
Le commandant Kérékou engage le Dahomey dans le chemin malaisé débouchant sur la réconciliation ethnique, la stabilité gouvernementale et l’unité nationale. Il n’ignore pas qu’il aura fort à faire avant d’atteindre son but et que les adversaires ne manquent pas dans un pays habitué aux combinaisons et aux intrigues. Toutefois, il sait également que le peuple dahoméen attend de lui la restauration de l’autorité de l’État et le redressement économique et social du pays.
Aussi, pour réaliser ses ambitieux desseins, n’hésite-t-il pas à exiger de l’armée qu’elle donne l’exemple du sens civique, du respect de la personne, de la gestion saine des affaires de l’État ; à ses collaborateurs il ordonne de faire preuve de probité et de respecter la hiérarchie et la discipline ; à tous les Dahoméens il demande de transformer radicalement et profondément leurs attitudes, leurs comportements, leurs mœurs et leurs mentalités.
Pour l’heure le nouveau régime, peu discuté, paraît capable de s’imposer. Ses chances de succès dans l’avenir dépendent avant tout de la cohésion gouvernementale. Une lutte de tendances entre dirigeants empêcherait toute initiative, notamment dans le domaine économique où les difficultés s’amoncellent, et se traduirait par une agitation sociale, désastreuse en l’état actuel des choses. Les oppositions redresseraient la tête et l’unité nationale pourrait ne pas résister à l’agitation qui s’ensuivrait.
L’entreprise du commandant Kérékou, éminemment honorable et sympathique à tous égards, est suivie avec intérêt par tous les amis du Dahomey qui se plaisent à lui souhaiter une réussite complète.
Afrique de l’Ouest : visite du chef de l’État en Haute-Volta et au Togo
Au moment où des esprits moroses se répandaient en affirmations gratuites et autres pétitions de principe quant à la pérennité de la coopération franco-africaine, le voyage de M. Georges Pompidou, président de la République française, en Haute-Volta et au Togo, venait fort à propos remettre les choses au point.
Cette visite a permis au chef de l’État de vérifier sur place l’attachement des populations à sa personne et à la France. Elle lui a fourni, par la même occasion, une excellente tribune pour évoquer le problème des relations bilatérales et réaffirmer la solidité des liens qui unissent l’ancienne métropole à l’Afrique francophone ; sans écarter pour autant la possibilité d’une révision des accords fondée sur le respect des intérêts réciproques.
Certes, les rapports entre la France et les nations indépendantes d’Afrique ne peuvent plus être, et ne sont plus, ce qu’ils étaient en 1960. Mais leur évolution normale est un phénomène parfaitement compréhensible.
En effet, la plupart de ces États se sont éveillés au nationalisme sous l’impulsion de pionniers de l’indépendance comme M. Houphouët Boigny, il y a vingt-cinq ans environ. Or, il en est des pays comme des hommes, lorsqu’ils passent de l’adolescence à l’âge viril. L’Afrique indépendante, désormais adulte, a l’enthousiasme et l’ardeur de la jeunesse. Comme dans une famille où le fils, après avoir jeté sa gourme, voudrait se dégager de la surveillance paternelle et participer davantage à la direction de la maison, en Afrique, des élites ambitieuses ont hâte de prendre en main leur destinée sans recourir à l’assistance du coopérant français, dont la présence porte quelquefois ombrage à leur susceptibilité.
Néanmoins, le recours au conseiller technique, compétent autant que discret, est encore, dans certains domaines utile, voire nécessaire. On comprend qu’un jeune État veuille garder le bénéfice de ses richesses et choisir ses fournisseurs et ses clients. Mais de même qu’il est difficile de s’installer à son propre compte lorsqu’on démarre dans l’existence, de même est-il difficile et non sans dangers, pour un pays africain en voie de développement, de se dégager complètement des dispositions d’un accord économique ou monétaire établi, précisément, afin de lui permettre une meilleure exploitation de ses ressources. Est-il alors raisonnable de vouloir se passer d’une « aide privilégiée » accordée par un partenaire qui ne « prétend à aucun monopole » et « ne cherche aucun moyen d’influence » ?
Répondant au général Sangoulé Lamizana, président de la République de Haute-Volta qui, dans son discours de bienvenue, faisait allusion à de « nécessaires évolutions », M. Pompidou précisait que la coopération « que la France n’impose pas » et dont la pratique « se caractérise depuis dix ans par sa souplesse et l’absence de formalisme… », continuerait d’évoluer. « Dans ce domaine », ajoutait-il, « la sagesse nous commande d’être pragmatiques. Le gouvernement pour sa part – et il l’a prouvé – est ouvert à toutes les suggestions et il n’a jamais été dans ses intentions de poursuivre une politique d’aide qui ne serait plus désirée ».
À cette déclaration préalable, succédait l’annonce d’une mesure financière exceptionnelle : le gouvernement français renonçait « au recouvrement des annuités de remboursement du capital et des intérêts des prêts consentis par le Fonds d’investissement et de développement économique et social », annuités « qui avaient été prises en charge par ces États lors de leur accession à l’indépendance… Il s’agit d’une somme de 50 milliards de francs CFA répartie entre les États africains et Madagascar ».
Le président Lamizana demandait à son hôte « de poursuivre et d’intensifier » l’aide française aux pays africains, tout en reconnaissant que « la France est, de toutes les grandes nations, celle qui affecte le plus fort pourcentage de ses ressources à l’aide extérieure bilatérale et multilatérale ».
La valeur de cet éloge est d’autant plus notable qu’il se manifeste publiquement dans un pays où, selon la propre expression du président Lamizana « le nombre exceptionnellement élevé des anciens combattants et les nombreuses décorations qu’ils sont fiers de porter, perpétuent ce que rien ne peut effacer ».
Quittant Ouagadougou en fête, le président Pompidou était accueilli à Lomé par des foules exubérantes.
C’est là que le général Eyadema, après avoir exalté l’amitié franco-togolaise, dénonçait les anomalies et les injustices de la zone franc et demandait, ex abrupto, « qu’une étude exhaustive basée sur des critères objectifs permette de fixer, dans les meilleurs délais, une nouvelle parité plus favorable » au franc CFA.
Cette revendication franche et directe appelait une réponse sans équivoque du Président Pompidou qui s’exprimait en ces termes : « J’ai souligné à Ouagadougou que nous sommes disposés pour notre part à toutes les évolutions et à toutes les facilités, sous une réserve cependant, c’est que l’indépendance, c’est que la souveraineté, que peuvent réclamer les autres ont leurs limites dans la garantie que donne l’État français. L’une est liée à l’autre. Il y a un lien nécessaire entre la liberté de chacun et la garantie qu’on donne à cet effet car, à la suite de vos paroles, il est évident que le franc CFA s’effondrerait demain s’il n’avait pas la garantie de l’État français ».
La « suggestion » du général Eyadema et la mise en garde du président Pompidou montrent bien que la question monétaire méritait d’être inscrite d’urgence à l’ordre du jour des conversations franco-africaines ; comme elle l’avait été du reste à la réunion de Brazzaville qui groupait, autour du ministre des Finances français, ceux de l’Afrique centrale.
L’accord de coopération monétaire signé, coïncidence heureuse, le jour où le chef d’État togolais demandait que la parité du franc CFA soit reconsidérée, porte la création d’une nouvelle banque d’émission et marque, selon M. Valéry Giscard d’Estaing, « une étape importante de l’organisation monétaire de la zone franc »… dans la mesure où « la structure et la gestion du nouvel institut… dépendront beaucoup plus étroitement des autorités nationales ».
En somme, il serait exagéré de parler de crise de la coopération mais plus vrai de dire que les relations monétaires de la France et des pays francophones d’Afrique, quelque peu vieillies, réclament une révision d’où elles sortiront rajeunies et raffermies.
Que la Mauritanie souhaite créer une monnaie nationale et que le commandant Kérékou propose un réaménagement des rapports franco-dahoméens, confirme indiscutablement qu’il existe en Afrique noire un désir d’émancipation en matière monétaire, désir légitime auquel la France répondra de manière favorable. Mais considérer la refonte des accords franco-africains comme une panacée, et en espérer la fin des crises d’autorité ou des difficultés d’ordre économique, serait commettre une erreur… qui deviendrait une faute si l’on s’imaginait que les pays africains francophones, anciennement liés à la France, pourraient effectuer leur décollage économique en négligeant son aide.
Les nouveaux accords franco-africains « fondés sur la réciprocité des obligations et des avantages » répondront à « une double exigence de notre temps qui est celle du respect des personnalités nationales et de la mise en place d’ensembles économiques régionaux susceptibles d’offrir un cadre favorable au développement économique et à l’intensification des échanges ».
En tout état de cause, l’accueil chaleureux réservé par les foules voltaïques ou togolaises au président Pompidou a prouvé, si besoin était, que le prestige de la France, en Afrique Noire, était intact. Les régimes changent, les hommes tombent, les sujets d’excitation passent comme les modes… pourtant l’amitié mutuelle que se portent la France et les pays de la « francophonie » demeure… certes animée, voire agitée de temps à autre, mais toujours solide. Et c’est là l’essentiel ! ♦