Institutions internationales - Dérobade à l'ONU devant le problème du terrorisme - Concertation politique à l'Otan - Les débuts de l'Europe des « Neuf »
L’ONU a réagi devant la reprise des bombardements au Vietnam. Le 19 décembre 1972, son Secrétaire général, M. Waldheim, a convoqué le chef de la délégation américaine, M. George Bush, pour lui exprimer ses « préoccupations » à propos de l’interruption des pourparlers de Paris et de la reprise des bombardements sur Hanoï et Haïphong. Le Secrétaire général a donné instruction à son porte-parole de faire savoir qu’il avait « convoqué » l’ambassadeur et quel avait été le sujet de leur entretien, ce qui n’est évidemment pas de nature à accroître à la Maison-Blanche la popularité de M. Waldheim, déjà bien atteinte par les déclarations qu’il a faites l’été dernier sur les raids de l’aviation américaine contre les digues du Vietnam du Nord. Cette intervention de M. Waldheim suivait de quelques heures la clôture de la 27e session de l’Assemblée générale, qui s’est terminée par le vote de plusieurs résolutions réglant les finances de l’Organisation mondiale. Parmi celles-ci, la plus importante concernait le « budget régulier » de l’ONU, d’un montant de 225,9 millions de dollars.
Cette session de l’Assemblée générale de l’ONU s’est terminée par deux manifestations, dont l’une appartient au folklore onusien, dont l’autre pourrait y prendre place dès les prochaines réunions. La première concerne Israël, la seconde le conflit Moscou-Pékin. Le 8 décembre 1972, l’Assemblée générale a, une nouvelle fois, condamné l’État d’Israël, le rendant entièrement responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le conflit du Proche-Orient. Jusqu’ici, toutes les résolutions anti-israéliennes votées aux Nations unies, qu’elles aient trait aux territoires occupés, à l’annexion du secteur arabe de Jérusalem, aux raids de représailles ou aux droits des réfugiés palestiniens, sont restées lettre morte. Le texte adopté le 8 décembre n’aura pas non plus la moindre conséquence pratique. Sur le terrain, le rapport des forces est tel qu’Israël est en mesure de se maintenir dans les territoires occupés. Sur la scène internationale. Jérusalem est assuré du soutien décisif des États-Unis qui, une fois de plus, sont parvenus – avec les efforts conjugués, il est vrai, de cinq pays européens – à écarter de la résolution votée toute allusion à d’éventuelles sanctions contre l’État juif. Les débats, les tractations, les marchandages dont l’immeuble de Manhattan a été le théâtre, n’ont ainsi servi qu’à accorder une satisfaction morale aux États arabes.
Par ailleurs, au cours des dernières heures de cette session de l’Assemblée générale, l’ambassadeur soviétique, M. Jacob Malik, s’en est pris en termes violents à la Chine, à qui il a surtout reproché d’avoir stigmatisé « la collusion des deux superpuissances » (c’est-à-dire des États-Unis et de l’URSS). Il a notamment souligné que la Chine et les États-Unis s’étaient opposés à la proposition soviétique relative à la convocation d’une conférence mondiale du désarmement. « Le duo sino-américain de la négation », a-t-il dit, continue, et les deux puissances ont refusé de participer au comité chargé de préparer cette conférence. M. Malik n’a pas manqué de souligner également que, dans le vote de la « juste résolution » concernant la situation au Proche-Orient, les États-Unis et la Chine s’étaient tous les deux abstenus. L’antagonisme russo-chinois apparaît ainsi comme devant devenir l’un des thèmes majeurs et constants des débats de l’ONU.
Cette session de l’Assemblée générale restera toutefois dominée par l’incapacité des délégations à prendre position sur le problème du terrorisme.
Dérobade de l’ONU devant le problème du terrorisme
« La philosophie qui vient de trouver expression ici est basée sur le principe que la fin justifie les moyens », a commenté avec indignation M. Erich Nettel, représentant de l’Autriche, après l’adoption par la Commission juridique d’une résolution renvoyant à la 28e session de l’Assemblée générale – en fait aux calendes grecques – l’examen d’une « coopération éventuelle » pour l’élimination du terrorisme. Le même jour, le New York Times avait souligné que toute fuite de l’ONU devant ses responsabilités serait « impardonnable », et que les Nations unies subissaient « un nouveau test critique mettant en cause leur crédibilité ». La Commission juridique n’a même pas mis aux voix la résolution américaine qui demandait la convocation, au printemps 1973, d’une conférence spéciale chargée d’établir un accord international contre les actes de terrorisme. Elle ne s’est pas davantage intéressée à une motion, moins stricte en ce qui concerne les délais, dont les signataires étaient l’Italie, l’Autriche, le Canada, la Grande-Bretagne et dix autres pays européens ou latino-américains. La commission juridique a préféré, pour la 76e fois, condamner « les actes de répression et de terrorisme des régimes coloniaux, racistes et étrangers qui privent des peuples de leur droit légitime à l’autodétermination et à l’indépendance ». En déplorant ce vote, le représentant autrichien a peut-être pensé non seulement au principe que ratifie implicitement la résolution adoptée, mais aussi au grand vaincu de ce vote, son compatriote Kurt Waldheim. C’est le Secrétaire général, en effet, qui avait demandé l’inscription de la question du terrorisme à l’ordre du jour. Il avait accepté ensuite, pour obtenir cette inscription, un compromis qui ouvrait la porte à toutes les équivoques. Telle qu’elle figurait à l’ordre du jour, la question liait à l’examen des actes de terrorisme, c’est-à-dire au jugement des moyens employés, l’étude des causes, c’est-à-dire la prise en considération de la fin poursuivie. C’était admettre, au départ, que la fin pouvait justifier les moyens.
Ce problème du terrorisme a fait l’objet, devant l’Assemblée de l’UEO (Union de l’Europe occidentale) d’un rapport de M. Schlœsing, sous le titre La violence. Selon ce rapport, « L’apparition du terrorisme international comme arme du nationalisme est un phénomène récent, dans ses caractéristiques comme dans son ampleur… Les raisons de l’apparition du phénomène sont de deux ordres : la disparité, sur le plan national, entre la force des mouvements révolutionnaires et la répression étatique ; le poids de l’opinion internationale dans le règlement des conflits, qu’ils soient d’ordre interne ou internationaux » (1). L’Assemblée de l’UEO a adopté une recommandation « sur la violence politique et la sécurité intérieure des États » demandant, d’une part l’intervention des Nations unies « pour que soit élaboré un droit international assurant la protection des citoyens contre toutes les formes de violence », d’autre part une concertation au niveau européen « pour mettre en commun les expériences de lutte contre le terrorisme, compte tenu du nécessaire respect des libertés fondamentales définies dans la Convention européenne des droits de l’homme et les constitutions nationales », enfin l’adoption universelle de la convention de La Haye de 1970 sur les détournements d’avions, de la convention de Montréal de 1971 sur les sabotages d’avions, et d’une future convention « sur les sanctions collectives à prendre contre les États se rendant complices de tout acte de terrorisme ». Il ne semble pas que l’on soit à la veille d’un tel accord…
Concertation politique à l’Otan
Cette concertation que souhaite l’UEO a été mise en œuvre, sur d’autres sujets, lors de la session de décembre du Conseil de l’Atlantique-Nord. Les deux thèmes essentiels en étaient le problème allemand et les conversations d’Helsinki sur une éventuelle conférence sur la sécurité européenne.
Si les partenaires de l’Allemagne fédérale avaient pu avoir quelque doute sur l’attachement fondamental de Bonn à l’Alliance atlantique, ils ont été rassurés par les propos tenus à Bruxelles par M. Walter Scheel. En mettant en garde les membres de l’Alliance contre la tentation de se laisser gagner par l’« euphorie de la détente » et en affirmant que le renforcement de l’Otan constituait pour son gouvernement « un objectif prioritaire », le ministre ouest-allemand des Affaires étrangères a utilisé un langage qui n’avait pas disparu, mais qui avait été moins employé ces derniers temps. Le communiqué final de la session se félicite de l’accord entre les deux Allemagne, en notant qu’il n’affecte pas les droits et les responsabilités des Quatre pour ce qui concerne Berlin et l’Allemagne dans son ensemble. « Les États alliés soutiennent toujours la politique de la République fédérale allemande [RFA] visant à instaurer un État de paix dans lequel le peuple allemand recouvre son unité par une libre autodétermination ». Ils « continueront à tenir pleinement compte de la situation, particulièrement en Allemagne, caractérisée par le fait que le peuple allemand vit actuellement en deux États »…
Les quinze ministres des Affaires étrangères ont exprimé leur accord sur la nécessité d’accroître la sécurité en Europe. Le Français Maurice Schumann a insisté sur les conséquences de la négociation éventuelle sur la réduction des forces, celle-ci présentant deux dangers principaux :
– Celui de créer une zone à part, essentiellement allemande, où serait « hypothéquée la situation à venir ». M. Schumann n’a pas précisé sa pensée, mais il semble qu’il s’inquiète de voir l’Allemagne plus ou moins neutralisée du fait de son appartenance à une zone séparée du reste de l’Europe, où les Soviétiques acquerraient un droit de contrôle, ce qui bloquerait tout progrès vers une union future sur les plans politique et militaire.
– Celui de remettre en cause l’équilibre en Europe, et notamment la présence militaire américaine à un moment où, a-t-il dit, le problème de la limitation des armements stratégiques donne une importance accrue à la matérialisation de l’engagement des États-Unis en Europe. Ce serait encore plus le cas, à son avis, si un accord MBFR (Mutual and Balanced Force Reductions) incluait les « systèmes avancés », autrement dit les armements nucléaires en Europe, qui sont une des « structures » des moyens de défense de l’Occident.
« La véritable détente Est-Ouest passe par la libre circulation des idées, des informations et des hommes » : cette phrase du communiqué final de la session de Conseil de l’Atlantique Nord a sans doute été destinée à ceux qui, à Helsinki, ont un peu trop vite conclu à l’existence d’un consensus dans lequel les questions de sécurité perdraient une part de leur acuité. D’autant que cette phrase est, dans sa signification, complétée par l’évocation de l’« inquiétude » avec laquelle les ministres constatent qu’en dépit de développements politiques apparemment encourageants, « l’Union soviétique et ses alliés semblent décidés à maintenir, et même à accroître leur potentiel militaire » face à l’Otan. D’où des appels à la vigilance : pas « de réduction unilatérale de l’effort de l’Alliance qui réduirait la crédibilité d’une dissuasion réaliste … Nécessité d’accroître la qualité et l’efficacité des forces nationales de chacun des membres »… Le Conseil de l’Atlantique Nord ne pouvait pas, à son tour, ne pas montrer la difficulté d’une situation dominée simultanément par l’espoir de la détente et les nécessités de la sécurité.
Les débuts de l’Europe des « Neuf »
En décembre se sont tenus les derniers Conseils des ministres de la Communauté des « Six » : l’« élargissement » [NDLR 2023 : Danemark, Irlande et Royaume-Uni] est en effet entré en vigueur le 1er janvier 1973. Durant les dernières semaines de l’existence de la « petite Europe », plusieurs faits ont mérité d’être inscrits dans les annales communautaires.
– Soumis à référendum par le gouvernement, l’accord de libre-échange de la Suisse avec la Communauté a été approuvé par plus de 70 % des votants. M. Ernst Brugger, chef du département fédéral de l’Économie publique, a déclaré à ce propos : « Notre collaboration avec la CEE dispose maintenant de la meilleure base de départ possible ». Mais il a précisé que ce vote ne devait pas être considéré « comme un oui à la CEE elle-même, car il n’est pas question d’y adhérer. Ce que le peuple a accepté, c’est un accord portant sur des points précis, sans clause secrète ». Cet accord doit permettre à l’industrie helvétique de mieux soutenir la concurrence en Europe occidentale.
– Par 298 voix contre 15 (communistes) le Parlement suédois a approuvé l’accord de libre-échange pour les produits industriels signé le 22 juillet avec la CEE. Mais les trois grands partis ne sont pas d’accord sur les suites à donner à ce texte. Les modérés (qui représentent les intérêts de l’industrie) souhaitent parvenir à une adhésion pleine et entière assortie d’une garantie pour le maintien de la neutralité. Les libéraux voudraient que le gouvernement fasse des efforts pour élargir le traité. Les centristes, eux, sont plus proches des sociaux-démocrates. Très dépendants économiquement du Marché commun élargi, où vont 70 % de leurs exportations et d’où viennent autant de leurs importations, les Suédois auraient voulu obtenir un régime de faveur, mais la CEE les mit sur le même plan que les autres pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE) non-candidats. L’accord implique, pour 85 % des produits suédois, un désarmement douanier avec les « Neuf », au même rythme qu’entre la Communauté et ses nouveaux membres (20 % par an pendant 5 ans à partir du 1er janvier 1973).
– La Finlande a reporté sa décision à propos d’un accord similaire avec la CEE. Le gouvernement a invoqué des considérations techniques, mais il semble qu’il ait dû, surtout, tenir compte de l’hostilité de l’Union soviétique à cet accord.
– L’emprunt lancé par M. Giscard d’Estaing était un emprunt en unités européennes, en europas, ce qui est une nouveauté considérable. Les « 9 » ont défini leur monnaie en termes d’europas. Le franc français, par exemple, se définit par : 1 europa = 5,55 francs français. Or cette unité de compte, qui sert déjà pour les prix agricoles, et qui a été récemment retenue pour comptabiliser les crédits réciproques des banques centrales européennes, ne s’était jamais jusqu’ici incarnée dans un titre, dans un billet, dans un avoir bancaire. Il n’en est plus ainsi maintenant. Il circulera demain du papier libellé en europas sur le marché secondaire français des titres à revenu fixe, mais aussi à Luxembourg, spécialisée dans le marché secondaire des obligations internationales. L’exemple du gouvernement français sera probablement imité par ses partenaires. Les grandes sociétés, émetteurs privés d’emprunts internationaux, suivront. Les banques feront des opérations de prêts et emprunts à court terme en europas. Ce sera une étape décisive sur la voie de la monnaie européenne.
– Les « 9 » ont conclu un premier accord sur la politique régionale de l’Europe : ils ont décidé d’utiliser une partie des crédits dont dispose le Feoga (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole) pour subventionner la création d’emplois non agricoles dans les régions rurales les plus déshéritées de la CEE. ♦
(1) Ce rapport a, dans son « Exposé des motifs », le mérite de poser des questions auxquelles on a tendance à ne pas songer suffisamment. « Le nombre des États dont les structures politiques permettent un dialogue admettant la contestation de ces structures et respectant les droits des minorités est extrêmement réduit… Ce sont essentiellement les pays à base de démocratie parlementaire. En revanche, révolution actuelle des civilisations, influencée essentiellement par le progrès technique, a suscité dans de nombreux États deux phénomènes contradictoires qui accroissent les tensions entre le pouvoir politique et les groupes qui le contestent. Le premier phénomène est une prise de conscience générale des insuffisances que peuvent comporter les sociétés aux divers stades de développement où elles se trouvent. L’insatisfaction qui en résulte se traduit, soit par des revendications sociales, soit par des revendications nationalistes, soit par des revendications d’un nouveau type, « sociologiques ». En raison de l’absence générale de dialogue politique au sein des institutions des États, elles ont toutes tendance à s’affirmer par la voie de la violence révolutionnaire, ou, si l’on préfère, par un recours permanent à la force. Cependant, et c’est le second phénomène, la puissance de l’État et, en particulier, son arsenal de moyens juridiques et techniques de répression s’accroît simultanément… Ainsi, si les gouvernements ne peuvent empêcher l’apparition et la multiplication des mouvements révolutionnaires, ils peuvent en pratique non seulement leur interdire la conquête du pouvoir, mais même leur ôter tout espoir de cette conquête. Cette situation engendre l’escalade inéluctable de la violence »…